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Créée il y a plus de 2500 ans sous l’empire achéménide, Yazd compte parmi les plus belles oasis du pays. Elle se situe au centre de l’Iran, à 700 kilomètres au sud-ouest de Téhéran. Entourée de hautes montagnes et de déserts, elle borde le sud du Dasht-e Kavir, désert de roches et de sable, à une altitude de 1240 mètres. Placée sur les anciennes routes caravanières qui reliaient les grandes villes de Perse à l’Asie Centrale, à l’Inde et à l’Irak, Yazd devint un carrefour commercial important du commerce de la soie et des tapis.
La première chose que l’on aperçoit en approchant de Yazd par les airs, est une longue suite de vastes cercles creusés dans le désert et espacés de quelques dizaines de mètres les uns des autres. Il s’agit des puits d’accès d’un qanât, l’un des canaux souterrains transportant l’eau qui vient du massif de Shir-kouh (la Montagne du Lion, en persan) culminant à 4055 mètres, sur une centaine de kilomètres, à une profondeur de 100 mètres sous la roche et le sable. Les habitants de la région s’installèrent dans des huttes pour, ensuite, créer d’importantes cités d’argile, alimentées par ces qanâts.
Les qanâts, hérités des Perses de l’Antiquité, appartiennent à des propriétaires auxquels les exploitants louent sur une base horaire l’eau utilisée pour irriguer les jardins des vallées fertiles. Ils sont l’objet d’un soin particulier permettant d’assurer le transport de l’eau dans de bonnes conditions. Les équipes de maintenance sont constituées d’hommes habitués à l’inconfort des étroites galeries, pour y éliminer sable et sédiments. Disposées tous les cinq kilomètres, deux équipes de trois hommes s’enfoncent sous terre, emportant avec eux cabestans, cordes, pioches et lampes à huile. Le travail de ces hommes, généralement âgés, est si pénible que la relève par des plus jeunes se fait attendre, mettant en danger la pérennité de ces installations, indispensables à l’irrigation et à l’alimentation en eau potable de la région. Une visite au Musée de l’eau de la ville de Yazd s’impose si l’on veut connaître l’histoire, les enjeux et les techniques de captation et de conservation de l’eau à Yazd.
La chaleur est telle à Yazd que tout est fait pour s’en protéger. De hauts murs d’argile, maintenus par des arches, bordent d’étroites ruelles qui avaient aussi la fonction, autrefois, de protéger la ville des assaillants. Les belles maisons traditionnelles, cachées par là même au regard, sont signalées par les hautes tourelles d’aération à claire-voie qui les surmontent. Ces bâdguir, dont le nom signifie littéralement attrape-vent, ont pour rôle de capter les courants d’air redirigés, par un astucieux système de conduits d’aération, vers un bassin d’eau situé en-dessous à l’intérieur des bâtiments. L’eau rafraîchit l’air qui est distribué par des conduits vers les différentes pièces de la maison, avant d’être rejeté à l’extérieur. Des toitures en forme de dôme permettent également d’abaisser la température de l’eau jusqu’à 20°C en été.
Les grandes demeures sont orientées dans les quatre directions, profitant tour à tour du soleil en hiver et de la fraîcheur en été. Dans les demeures traditionnelles, les pièces n’avaient pas d’usage spécialisé, les familles, au nombre de quatre au maximum par habitation, se déplaçaient de l’une à l’autre au gré des saisons.
L’eau qui alimente les habitations peut être collectée directement dans le sous-sol fréquemment traversé par un qanât. Elle est aussi stockée dans d’immenses citernes protégées par un dôme énorme, surmonté de tours du vent. D’immenses glacières, les yakhdân, formées d’un grand dôme ou d’un large cône, et entourées sur trois côtés de hauts murs qui les protègent de la chaleur, conservaient autrefois la nourriture. Bassins et plantations, installés dans les cours des maisons, assurent fraîcheur et humidité.
Les bâdguir et les yakhdân sont partout présentes en Iran mais à Yazd, ainsi que dans les villages environnants, leur nombre est tel qu’elles constituent la grande originalité du paysage urbain, qui présente une architecture parmi les plus originales.
De nombreuses maisons traditionnelles subsistent et font l’objet d’une active restauration, en particulier dans la vieille ville qui reprend peu à peu une certaine activité, après une longue période de léthargie. Les services de sauvegarde du patrimoine de la ville de Yazd sont eux-mêmes installés dans la maison Lârihâ, belle demeure d’époque qâdjâre, dans laquelle on pénètre par le traditionnel hashti, vestibule constitué de huit faces, menant, par de longs couloirs, aux différentes cours et aux nombreuses salles des différents bâtiments.
Quelques maisons traditionnelles tombées en ruines sont magnifiquement restaurées pour être transformées en complexes hôteliers remarquables, utilisant la structure et les matériaux d’origine. On y reconstruit même des bâdguir, symbole de l’architecture yazdi, dont les techniques de construction sont encore étudiées à l’école d’architecture de Yazd. L’offre d’hébergement touristique des hôtels sonnati (traditionnels) s’accroit rapidement. Citons, entre autres, le Moshir- ol-Mamâlek, d’époque qâdjâre, installé autour d’un jardin de grenadiers, le Mehr, proche du bazar, aménagé dans la maison historique Zargar-e Yazdi, dont la partie la plus ancienne est d’époque safavide du XVIe siècle, sans oublier le Silk Road hotel, le préféré des routards, situé près de la Grande mosquée.
Le centre de la ville est occupé par le complexe d’Amir Tchakhmâgh qui comprend le spectaculaire fronton du Tekiyeh, datant du XVe siècle, rebâti à l’époque qâdjâre, d’où le public peut voir toute la ville et, perché sur les trois niveaux de tribunes, assister aux processions du deuil de ’Ashourâ. Les tribunes latérales d’origine, qui avaient disparues, ont été reconstruites en 2005, donnant une plus grande cohérence à l’ensemble. La mosquée Amir Tchakhmâgh, d’époque timouride (XIe siècle), a été complétée par de belles ornementations d’émail d’époque qâdjâre au XIXe siècle.
A quelque distance, la belle mosquée du Vendredi, construite en 1327 à l’emplacement d’un ancien temple du feu sassanide, sous la dynastie mozaffaride, s’ouvre par un monumental portail d’émail haut de 57 mètres surélevé de deux minarets, qui répond à une coupole d’émail décorée de motifs géométriques. L’ornementation intérieure, très raffinée, reproduit les 99 noms d’Allah. D’autres monuments, moins spectaculaires mais également fort beaux, parmi lesquels le Mausolée des douze Imams, la Prison d’Alexandre et l’Imâmzâdeh Ja’far, valent également la visite.
Alexandre, après avoir conquis l’Empire achéménide et dissout l’armée perse, interdit tout exercice en arme, dit-on. C’est ainsi que les soldats de Perse furent forcer de pratiquer la gymnastique, la lutte et la manipulation de massues clandestinement, pour continuer, malgré l’interdiction, à s’entraîner au combat.
De nos jours, cette pratique se perpétue dans les zourkhâneh (maisons de force) d’Iran où s’entraînent les pahlavân (héros, en persan) en vue de pratiquer des exercices physiques. Celle de Yazd, l’une des plus réputées, a été aménagée près du Tekiyeh d’Amir Tchakhmâgh, sous le dôme d’une ancienne glacière. Elle est ouverte chaque soir au public qui s’installe autour de la fosse où se tiennent les exécutants. A chaque séance, une vingtaine de participants échauffent leur corps en tournant très rapidement sur eux-mêmes, évoquant les danses rituelles des derviches tourneurs - en plus dynamique - puis réalisent des démonstrations de force, manipulant de lourdes masses de bois, les mil, et les kabbâdeh, ces énormes boucliers dont la paire, portée à bout de bras, pèse 100 kg. Ces exercices sont rythmés par des chants rituels et par le tambour d’un meneur. Les chants sont autant profanes que sacrés, mêlant poèmes du grand Hâfez de Chiraz et textes du Shâhnâmeh, la grande épopée iranienne. Il s’agissait à l’époque d’une préparation physique au pahlavâni ou lutte iranienne, art martial ancestral d’Iran, mêlé de spiritualité chiite et mystique, de célébration de rites tirés autrefois du mithraïsme - religion préislamique iranienne rivale de la chrétienté auprès des Romains de l’Antiquité - et des héros nationaux. Les pahlavân doivent non seulement posséder des qualités physiques, mais également humaines, morales et spirituelles pour pratiquer ce sport.
La grande originalité de Yazd réside dans les sites zoroastriens. C’est en effet au cœur du plateau iranien que naquit le fabuleux empire perse dont la florissante culture se fondait sur la philosophie et les croyances révélées par Zoroastre, connu également sous le nom de Zarathoustra. Sans que l’on sache avec certitude quand elle est née, la religion zoroastrienne fut longtemps présente en Perse jusqu’à ce que les tribus arabes y firent connaître l’islam au VIIe siècle. Peuplée actuellement d’environ 312 000 habitants, dont la grande majorité est de religion chiite, la ville de Yazd est encore le foyer d’une communauté zoroastrienne qui, comme celle de la province de Kermân, plus au sud, vint se réfugier dans ces déserts au moment de l’invasion arabe.
Les zoroastriens de Yazd restent fortement attachés aux rites traditionnels - même si le zoroastrisme peut être considéré davantage sous ses aspects philosophiques que religieux. C’est pourquoi on peut encore voir, à Yazd et dans les villages environnants, des temples où le feu, symbole de pureté, brûle en permanence. Le grand temple du feu de Yazd (âteshkadeh) date de 1934. Il a été bâti sur un terrain appartenant à la communauté parsi des Zoroastriens partis en Inde au moment de l’arrivée en Perse des Arabes musulmans. On peut y lire que sa flamme sacrée brûle sans interruption depuis l’année 470. Les sites sacrés de Pir-e Sabz (Tchak-tchak) et de Pir-e Nâraki qui se trouvent en plein désert, loin de la ville, font l’objet d’un grand pèlerinage annuel des adeptes venus principalement d’Inde. Les vestiges d’impressionnantes tours du silence se dressent à l’orée de la ville et, plus loin, dans le désert alentour. A leur sommet, jusqu’en 1970, les défunts zoroastriens étaient disposés de manière à y être « nettoyés » par les vautours afin de ne pas contaminer la terre des impuretés humaines. Ils étaient disposés en cercles concentriques, le premier cercle pour les enfants, le second pour les femmes, le troisième pour les hommes. Lorsqu’il ne restait plus que les ossements – ce qui ne prenait pas plus de un à deux jours – ceux-ci étaient jetés dans la fosse centrale. En période d’épidémie, on imagine aisément que le sol de la tour était entièrement occupé par les dépouilles mortuaires, ce qui en explique l’important diamètre. Aujourd’hui, les cimetières zoroastriens accueillent les défunts qui sont mis dans des fosses cimentées, toujours dans le souci de ne pas souiller la terre.
La communauté zoroastrienne de Yazd, bien que moins nombreuse qu’autrefois, est encore très présente. Dans une rue proche de l’âteshkadeh, la Maison de Kasrâ, (Khâneh-ye Kasrâ) a été édifiée en souvenir du regretté Kasrâ Vafâdâri, tragiquement disparu à Paris en 2005. Ce beau bâtiment moderne, fait du même torchis que les maisons yazdi, comprend un salon de thé et une boutique d’artisanat local, ouverts au public depuis 2008. Il se veut vitrine du zoroastrisme à travers son artisanat et ses livres. Une grande et belle demeure de style traditionnel, située dans le même quartier, avait été achetée par Kasrâ en 2003. Elle appartenait, à l’origine, à un riche marchand d’étoffes installé sur la route de la Soie à la fin de l’époque qâdjâre, comme en témoignent encore les nombreux rayonnages sur lesquels étaient stockées les pièces de tissus. La maison, qui est traversée en sous-sol par un qanât, a sans doute une origine plus ancienne. Elle comprend trois cours, sa surface totale est estimée à 3500 m2. Elle est en cours de rénovation mais peut d’ores et déjà accueillir des résidents. Inaugurée en mars 2008, elle est ouverte à tous, étudiants, artistes, écrivains, chercheurs et hôtes de passage. Elle comprend treize suites, une grande salle de conférence est en cours d’installation et pourra prochainement accueillir, dans sa bibliothèque, l’importante collection d’ouvrages que Kasrâ avait réunie. Un restaurant viendra compléter ces installations qui sont entièrement financées et gérées par la famille Vafâdâri. [1]
Kasrâ Vafâdâri, homme hors du commun, est né en Iran en 1946. Titulaire de deux doctorats, l’un en culture iranienne et l’autre en langues anciennes iraniennes, il était maître de conférences en sciences sociales et administration à l’Université Paris X Nanterre, où il enseignait depuis 1972. Après des études en Angleterre, en Irlande et aux ةtats-Unis, il a partagé sa vie entre l’Iran et la France. Il fut aussi professeur à Yazd et à Kermân.
Voici le portrait qu’en font ses filles, Cassandra et Ariana :
« Kasrâ était passionné par son pays, fier de la Perse et de ce qu’elle représentait, fier d’appartenir à la communauté zoroastrienne qui avait été à l’origine de la civilisation perse, avec les premières villes comme Suse ou Persépolis, à l’origine aussi du Droit, avec les premiers textes de lois, fondateurs de la civilisation mésopotamienne. Cet aspect de l’origine de l’homme et de la civilisation l’a toujours passionné. C’est bien sûr à travers le zoroastrisme qu’il vivait cette « persanité ». En l’occurrence, il s’agissait de son pays et de sa religion mais même s’il n’avait pas appartenu à cette religion - qui l’intéressait avant tout par son aspect philosophique, par cette notion d’égalité entre les hommes, qu’on retrouve dans la Perse antique - il aurait eu la même attirance pour ce début de civilisation ; car il était d’abord un humaniste, c’est cet aspect de sa personnalité qui l’a motivé toute sa vie. [2]
Les cours de droit préislamique qu’il donnait à l’Université avaient pour but de faire comprendre qu’avant les grandes civilisations, que ce soit la grecque, la chinoise, ou celles d’Amérique latine, par exemple, il y avait eu celle des Perses ; avec cette idée que peut-être, la culture des Grecs avait été imprégnée de l’enseignement du monde iranien. Il s’est toujours efforcé, par son enseignement, de redonner à la Perse antique la place qui lui était due dans la longue histoire des civilisations.
Il éprouvait une profonde admiration pour les philosophes des Lumières. C’est pourquoi il aimait aussi la France, avait épousé une française et s’était installé dans ce pays.
Quelques heures avant son assassinat à Paris - par un compatriote qui se disait son ami - alors qu’il était sur le point de s’envoler pour Téhéran, il faisait encore des projets de livres et de films, tant il voulait partager sa passion pour son pays et pour la culture iranienne. Tous ses actes témoignent de cette envie de partage, dans ses activités de professeur d’université et d’animateur des associations culturelles à la création desquelles il avait participé, en France comme en Iran, avec toujours l’objectif d’ouvrir les autres, tous les autres, à la culture la plus vaste possible.
Kasrâ avait clos sa carrière universitaire pour retourner à Yazd où il projetait de terminer sa vie. Cette démarche représentait pour lui un retour aux sources. Il avait acheté sa maison en 2003. D’abord installée de façon précaire, il avait pour projet de l’aménager pour y organiser des conférences, des cours d’histoire, et autres. Il avait réuni un important fonds de bibliothèque pour l’installer dans le fond de l’orangeraie, près de la salle de conférence. Il s’agit principalement de livres d’histoire et d’archéologie sur l’Iran, écrits en persan, allemand, anglais et français. Ces ouvrages sont d’ores et déjà disponibles à la lecture. C’est ce grand projet que nous réalisons actuellement avec nos deux oncles, Kâveh et Kâran, frères de Kasrâ. »
Nous souhaitons à Ariana et Cassandra, ainsi qu’à toute leur famille, plein succès dans cette belle entreprise.
[1] Voici les coordonnées des deux maisons de Kasrâ à Yazd :
- Artisanat et salon de thé : Khâneh-ye Kasrâ (Yazd-e koutchik) Yazd, Khiyâbân-e Kâshâni, kutcheh Ateshkadeh
- Maison d’hôtes : Khâneh se nik (Yazd-e bozorg) : Yazd, Khiyâbân-e Kâshâni, kutcheh Shams, Pelak-e 19
[2] Depuis la disparition de Kasrâ Vafâdâri, l’Université Paris X Nanterre organise chaque année en juin, en son hommage, les journées Orient Occident consacrées aux notions d’Histoire et d’Anthropologie du Droit.