N° 74, janvier 2012

L’architecture dans le desert


Djamileh Zia


Dans le classement de l’UNESCO, la vieille ville de Yazd est la plus ancienne ville en adobe et la deuxième ville la plus ancienne du monde. La partie de la ville de Yazd connue sous le nom de la vieille ville, d’une superficie de 800 hectares, est la plus vaste structure historique de l’Iran ; elle est un exemple remarquable et bien conservé de l’architecture spécifique des régions désertiques de l’Iran.

L’extérieur d’un âb-anbâr avec quatre bâdguirs, complexe historique Hojjat-âbâd-e Vazir, Yazd

Les plaines du plateau iranien ont en général un climat froid et sec au cours de l’hiver, chaud et sec au cours de l’été, avec une grande différence de température entre le jour et la nuit (jusqu’à 28° parfois), une pluviosité très faible et une humidité ambiante très faible. Les plantes y sont rares et il y a des tempêtes de sable dans les régions désertiques. Vivre dans ces régions est difficile à cause de l’ensemble de ces facteurs. Pourtant, les habitants de ces régions ont réussi, depuis des millénaires, à construire des villes en harmonie avec leurs besoins. L’architecture traditionnelle iranienne offre des solutions rationnelles pour vivre de façon agréable dans ces conditions climatiques difficiles.

La structure générale des villes iraniennes situées dans le désert

La structure des villes des régions désertiques de l’Iran obéit à quelques règles générales : la structure de la ville est très condensée, c’est-à-dire que les maisons sont construites très près les unes des autres ; les murs sont hauts ; la ville est entièrement encerclée par un mur ; les rues sont étroites, non rectilignes et couvertes éventuellement d’un toit ; les bâtiments sont construits en fonction de la direction du soleil et des vents. Les habitants des villes sont ainsi très bien protégés contre la chaleur torride, l’insolation et les tempêtes de sable. Les rues non rectilignes et les hauts murs créent de l’ombre et sont des obstacles efficaces contre les vents. L’alimentation en eau des villes désertiques est assurée par les qanâts. Les qanâts (ou kâriz) sont des puits successifs de profondeur décroissante qui font monter à la surface de la terre l’eau des nappes souterraines. Un réseau de canaux permet ensuite de distribuer l’eau dans les maisons et les terres agricoles. Ce système ingénieux existe dans les régions désertiques de l’Iran depuis au moins le premier millénaire av. J.-C. et peut-être même avant cette époque.

L’entrée d’un âb-anbâr avec six bâdguirs, Yazd

Les principes de la construction des bâtiments

La construction des bâtiments obéit également à des règles générales : les bâtiments n’ont aucune ouverture vers l’extérieur sauf la porte d’entrée ; ils sont entourés de murs assez hauts ; tous les bâtiments (sauf les bains publics) ont une cour centrale ; la plupart des bâtiments ont un sous-sol, une terrasse et un bâdguir (que nous évoquerons plus en détail dans la suite de l’article). Le plancher des bâtiments et en particulier la cour est à un niveau plus bas que les rues ; la hauteur des pièces est assez élevée ; les plafonds sont généralement en forme de dôme ; les murs sont épais. Les bâtiments sont ainsi très bien protégés contre la chaleur torride, le froid intense et les tempêtes de sable car grâce à ces principes, on peut créer un environnement contrôlé à l’intérieur du bâtiment. Le bassin et les jardins situés dans la cour augmentent l’humidité de l’air, et les murs épais diminuent la fluctuation de la température nycthémérale. Les bâtiments sont en adobe ou en brique, fabriqués avec la terre de la région (qui est à la fois abondante et peu onéreuse) et ces matières ont l’avantage de se réchauffer lentement dans la journée et de se refroidir lentement la nuit, ce qui atténue les fluctuations de la température au cours des 24 heures. La cour est pavée de brique elle aussi.

Une rue partiellement couverte, Yazd

Les maisons sont construites vers le sud ; elles ont deux parties, l’une utilisée l’été et l’autre utilisée l’hiver, et il y a une cour au centre de la maison. Les pièces sont construites de manière à ce que la vie à l’intérieur ne soit pas visible de l’extérieur ; de plus, cette forme de construction permet de fournir le plus d’ombre au cours de l’été. La cuisine et le grenier sont situés dans les coins de la maison. En général, aucune fenêtre ne s’ouvre vers l’extérieur de la maison ; les fenêtres donnent sur la cour, qui est l’espace permettant la communication entre toutes les parties de la maison. Le seul endroit qui communique avec l’extérieur est la porte d’entrée, qui est construite à distance de la cour ; un couloir assez long et un hall d’entrée sont des espaces de transition entre la porte d’entrée et la cour.

Les pièces sont couvertes d’un toit en forme de dôme ; ainsi, une partie de la pièce est dans l’ombre quelle que soit l’heure de la journée ce qui diminue la température de la pièce pendant l’été ; de même, une partie de la pièce est toujours ensoleillée ce qui permet d’avoir plus de chaleur pendant l’hiver. Grâce aux toits en forme de dôme, la lumière du soleil n’entre pas dans la pièce de façon directe ; ainsi, la température de la pièce n’augmente pas excessivement pendant l’été ; de plus, le vent passe plus facilement au-dessus du toit et l’abime moins. Par ailleurs, le toit en dôme est plus résistant lors des tremblements de terre.

Ab-anbâr Kalâr, Meybod

La cour de la maison

La cour centrale est la partie la plus importante de la maison. On y trouve classiquement un bassin d’eau au milieu, et des jardins aux quatre coins où l’on a planté des arbres qui ne nécessitent pas beaucoup d’eau (des grenadiers, des figuiers, des pistachiers et parfois des vignes) et des fleurs telles que la rose et le lilas. La présence du bassin d’eau et des plantes diminue la sécheresse de l’air ambiant, rafraîchit la température et fournit de l’ombre. L’été, les habitants de la maison se réunissent dans la cour pour les repas ou pour boire du thé ; ils s’assoient généralement sur un lit en bois couvert d’un tapis ou d’un kilim, placé à côté du bassin d’eau. La cour est située à un niveau plus bas par rapport à la rue, ce qui a plusieurs avantages : la terre prélevée de la cour est utilisée pour faire des adobes qui servent dans la construction du bâtiment ; l’eau des qanâts (qui circule dans les canaux creusés au même niveau que la rue) se déverse naturellement dans le réservoir d’eau (âb-anbâr) ou dans les jardins de la cour ; la différence des niveaux entre l’intérieur et l’extérieur de la maison a pour conséquence la diminution des échanges d’air entre ces deux parties et la diminution des fluctuations de la température ; le niveau plus bas de la cour permet parfois d’avoir accès plus facilement à l’eau du qanât dont un canal passe sous la cour (la cour est appelée dans ce cas gowdâl-bâgh). De plus, dans ce genre de construction, les bases de la maison sont plus solides et plus résistantes lors des tremblements de terre. Il y a généralement plusieurs cours (au moins deux) dans les maisons des familles plus riches, la cour extérieure étant réservée aux activités liées au monde extérieur, la cour intérieure étant réservée à la vie privée.

Les pièces de la maison

Les pièces de la maison sont construites autour de la cour centrale. Elles sont utilisées de façon spécifique selon les saisons. Les pièces nommées panâh (mot qui signifie « abri ») sont situées au nord de la cour qui est la partie ensoleillée de la maison, donc la plus chaude au cours de l’hiver. Pendant la saison froide, les activités quotidiennes des habitants de la maison ont lieu dans cette partie. L’été, c’est le contraire : ce sont les pièces du sud de la cour, placées dans l’ombre (donc plus fraîches) qui sont habitées. Cette partie de la maison est appelée nassâr (mot qui signifie « ombragé et frais »). Les bâdguirs sont construits également dans la partie sud du bâtiment pour augmenter les courants d’air et permettre l’aération des pièces utilisées pendant la saison chaude. Dans les anciennes maisons de Yazd, la partie habitée l’été est généralement entièrement ouverte vers la cour. Les pièces habitées pendant l’été ont un haut plafond de façon à ce que la chaleur monte et que l’air soit plus frais en bas de la pièce.

Le jardin de Dowlat-âbâd, Yazd

Le sous-sol

En général, le sous-sol (que l’on appelle sardâb dans ces maisons traditionnelles) est situé dans la partie de la maison qui est habitée pendant l’été. Au cours de cette saison, il fait nettement plus frais au sous-sol que dans les autres parties de la maison (la différence de la température entre le sous-sol et l’air ambiant est d’une dizaine de degrés). Quand il fait extrêmement chaud, les habitants de la maison migrent au sous-sol. Il y a même parfois des sous-sols à plusieurs étages. Dans certaines maisons construites sur la trajectoire d’un qanât, un canal est construit de façon à amener l’eau du qanât jusqu’au sous-sol ; il y a même parfois un petit bassin sur la trajectoire de ce canal pour que l’eau arrive jusqu’au bassin et en ressorte par l’autre côté. La pièce dans le sous-sol où il y a ce petit bassin est appelée howzkhâneh. Dans le cas où un bâdguir est construit au-dessus du howzkhâneh, l’eau du bassin augmente la fraîcheur et l’humidité de l’air ambiant dans les pièces placées au-dessus du sous-sol.

Le bâdguir

Le mot bâdguir a été traduit en français par « tour de vent », mais sa traduction exacte est en fait « capteur de vent ». Le bâdguir crée des courants d’air, ce qui permet d’aérer et de rafraîchir la température à l’intérieur du bâtiment. Les vents qui arrivent au niveau des ouvertures du bâdguir descendent à toute vitesse dans cette tour, ce qui fait entrer dans les pièces un air frais et agréable ; par ailleurs, l’air chaud et pollué de l’intérieur des pièces sort à l’extérieur par ce chemin. Le bâdguir est un élément très efficace pour rafraîchir l’air à l’intérieur des bâtiments. Il ne serait pas exagéré de dire que les villes et les villages des régions désertiques de l’Iran respirent grâce aux bâdguirs. On construit le bâdguir dans la direction qui permet de capter les meilleurs vents, et dos aux vents accompagnés de grains de sable. Parfois, quand le bâdguir fait circuler l’air frais jusqu’au sous-sol, on construit dans le mur du sous-sol un placard dont la porte est en bois, ce qui permet à la fois de conserver la nourriture au frais (comme dans un réfrigérateur) et de réguler la température en fonction de l’ouverture ou de la fermeture de la porte du placard. Le nombre de bâdguir des maisons est proportionnel à la chaleur de la région où la maison est située : plus il fait chaud, plus le nombre de bâdguir augmente. Le nombre et la taille des bâdguir est également le signe de la richesse du propriétaire de la maison : plus le propriétaire est riche, plus les bâdguir de sa maison sont hauts. La plupart des bâdguir sont à un étage ; il en existe à deux et parfois à trois étages, mais leur construction nécessite une technique difficile que peu de gens connaissent. Le plus haut bâdguir de l’Iran est celui du jardin de Dowlat-âbâd à Yazd ; sa hauteur est de 33,8 mètres. Ce bâdguir est octogonal ; ainsi, les vents circulant à toutes les altitudes et dans toutes les directions sont captés.

L’intérieur de la maison du jardin de Dowlat-âbâd

Le stockage de l’eau et de la glace

Yazd est une ville où l’eau est précieuse. Il est donc logique que les réservoirs d’eau aient une grande importance dans la structure de la ville. Les âb-anbâr (mot qui signifie « grenier d’eau ») font partie des bâtiments importants de chaque quartier. L’aspect extérieur des âb-anbâr (le dôme, le fronton) est majestueux, comme pour signifier aux habitants l’importance de ce lieu. L’intérieur est constitué d’un escalier qui descend très bas jusqu’au réservoir d’eau. Cet escalier est un endroit frais où les passants peuvent se reposer et être à l’abri du soleil les jours d’été car la différence de la température entre l’intérieur et l’extérieur du âb-anbâr est importante. Il existe près de 75 âb-anbâr dans la ville de Yazd. L’eau des âb-anbâr provient uniquement des qanâts. On construit de un à six bâdguir dans les âb-anbâr ; les bâdguir sont construits au-dessus du réservoir d’eau, ce qui est l’un des multiples moyens utilisés pour éviter que l’eau ne devienne fétide.

Les Iraniens connaissent également, depuis des millénaires, la technique de conserver de la glace en plein désert, pendant l’été. Cette technique, qui a été mise au point probablement au cours du VIe siècle av. J.-C., n’est plus utilisée de nos jours car il y a maintenant des réfrigérateurs dans toutes les maisons, mais il est intéressant de l’évoquer ici puisqu’il s’agit d’une construction caractéristique de l’architecture traditionnelle des régions désertiques de l’Iran. Autrefois, la glace était stockée en dehors de la ville, dans un bâtiment en forme de cône que l’on appelait yakhtchâl (mot qui signifie « trou de glace »), dont la plus grande partie était construite sous la terre. Ce bâtiment était un espace de près de cinq mille mètres-cubes, que l’on remplissait pendant l’hiver avec de la glace que l’on amenait des montagnes environnantes. Les murs du bâtiment avaient une épaisseur d’au moins deux mètres à la base, et étaient construits avec un matériau particulier (appelé sârouj) totalement imperméable et résistant au transfert de la chaleur, composé de sable, d’argile, de blanc d’œuf, de chaux, de poil de chèvre et de cendre dans des proportions spécifiques. Le yakhtchâl était souvent relié à un qanât et possédait un bâdguir qui permettait de rafraîchir la température à l’intérieur.

Le yakhtchâl d’Abarkouh

Sources :
- L’article Yazd, ghadimi-tarin shahr-e Iran va jahân (Yazd, la plus ancienne ville de l’Iran et du monde), consulté sur le site rezahatefi.blogfa.com le 27 nov 2011.
- L’article Me’mâri-ye ghadimi-ye Yazd (L’architecture ancienne de Yazd), consulté le 27 nov 2011 sur le site fa.wikipedia.org.
- L’article Me’mari-ye eghlimi-ye Iran dar dasht-hâye falât [kavir-hâ] 1ere partie (L’architecture iranienne adaptée au climat des plaines du Plateau iranien [les kavirs]), résumé d’un livre portant sur le même sujet écrit par Vahid Ghobadian, consulté sur le site www.ghoolabad.com le 27 nov 2011.
- L’article Tâ be afsous naneshasteim, baft-e Yazd, takhtgâh-e kavir râ daryâbim (Protégeons la structure de la ville de Yazd, la capitale du désert, avant d’avoir des regrets), extrait d’un article écrit par Parviz Varjâvand, consulté sur le site www.ghoolabad.com
- L’article Bâdguir-hâye Yazd va osloub-e sâkhtan-e ânhâ (Les Bâdguir de Yazd et les principes de leur construction), écrit par Ali-Asghar Shariatzâdeh, consulté sur le site www.ghoolabad.com
- L’article Yakhtchal, consulté le 11 dec 2011 sur le site fr.wikipedia.org.


Visites: 8907

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.



2 Messages

  • L’architecture dans le desert 9 juillet 2016 20:36, par cotten Anne Marie

    On observe sur la partie extérieure des tours du vent, des espèces de baguettes à l’horizontale qui dépassent la surface des tours.
    De quoi sont-elles composées ? A quoi servent-elles ?

    Merci pour votre information.

    A. Cotten

    repondre message

    • L’architecture dans le desert 9 juillet 2017 23:28, par mohamad

      Cher A. Cotten, ces baguettes sont en bois et on les utilise comme les points de repère pour l’échafaudage au temps de réparation ou de rénovation. Elles renforcent les tours de vent et les protègent contre les tremblements de terre parce qu’elles relient les quatre côtés des badguirs d’une manière solide et ferme.

      repondre message