N° 75, février 2012

Game Story. Une histoire du jeu vidéo.
Paris, Grand Palais, du 10 novembre 2011 au 9 janvier 2012.


Gui.B, Jean-Pierre Brigaudiot


Vue intérieure du Grand Palais où se déroule l’exposition Game Story

Je joue, tu joues, il joue…

Cette exposition se donne pour but de révéler l’histoire du jeu vidéo depuis ses premiers balbutiements jusqu’à aujourd’hui. La scénographie fort simple et bien peu originale, se résume à un parcours chronologique sur deux allées parallèles ponctuées de part et d’autre de chacune d’elles de jeux vidéo pour la plupart en état de marche. Le public semble réellement captivé par ces jeux et apprécie visiblement de pouvoir les mettre en œuvre. Evidemment les plus jeunes des visiteurs découvrent des jeux qu’ils n’ont pas connus puisque leur origine se situe à l’aube des années 70 ; alors, quelquefois, ce sont les pères qui les situent dans leur propre passé et les commentent. Les pères, car le public de cette exposition semble très majoritairement masculin, ce qui pose évidemment la question d’une pratique du jeu qui attirerait davantage les garçons que les filles. Dès lors la question suivante est celle de jeux qui seraient - ou auraient été - délibérément conçus pour les garçons et puis, autre question que cela génère : quelles formes et contenus peuvent davantage intéresser les garçons que les filles ? La réponse réside peut-être dans le fait qu’une majorité de jeux ont un caractère guerrier où le joueur, s’identifiant peu ou prou à l’image de David, est aux prises avec Goliath et doit vaincre des forces hostiles pour se réaliser en tant qu’homme, ou au premier degré pour gagner - ou en avoir le sentiment - car en matière de jeux vidéo, les victoires sont sans lendemain, juste un plaisir évanescent d’avoir gagné. Dans un passé encore récent, les garçons jouaient à la guerre, aux cow-boys, aux chevaliers du Moyen-âge, alors que les filles jouaient plus volontiers à la poupée et à la maman, jeux sans beaucoup de jouets où un bâton tenait lieu d’épée et où les poupées étaient de chiffon. Les humains aiment les jeux (ce qui ne leur est pas propre d’ailleurs) et à tout âge, ils s’y adonnent sous diverses formes, innocentes ou non, jeux matérialisés ou seulement jeux de l’esprit, jeux simples ou complexes, brefs ou de longue durée.

Illustration de Olivier Huard réalisée à l’occasion de l’exposition Game Story au Grand Palais

Cependant, l’exposition qui porte sur les quatre décennies d’existence du jeu vidéo semble assez exhaustive quant à dresser un panorama des principaux jeux vidéo diffusés à travers la planète – car le phénomène est réellement planétaire et en ce sens, il est symptomatique de la mondialisation industrielle (au sens où il y a une industrie du jeu vidéo) et économique. En arrière-plan de ce qui est à voir et au long du parcours de visite, se révèlent les stratégies commerciales mises en œuvre pour appâter ou rendre captive une clientèle potentielle et finement ciblée.

Un jeu vidéo se pratique de trois manières :

-sur console et écran de téléviseur, chez soi.

-sur ordinateur à partir d’un DVD ou en ligne, chez soi ou en déplacement.

-il peut être mobile et le cas échéant être téléchargeable sur un smart phone.

Les jeux gratuits sont plutôt rudimentaires et visent les moments interstitiels de la vie comme par exemple un déplacement urbain ou un moment vacant.

Boutique vendant des produits liés à l’exposition Game Story au Grand Palais

Une pluralité d’origines culturelles liées aux évolutions technologiques

Les différents jeux présentés sont majoritairement sur console ou borne d’arcade. Les bornes d’arcades étaient à l’origine mises à disposition du public dans des bars et remplaçaient le baby-foot ou le flipper.

Le parcours de l’exposition est ponctué de textes expliquant clairement, c’est-à-dire dans un vocabulaire accessible aux néophytes, les évolutions techniques, stylistiques et sociales intervenant au cours de chaque décennie ; à côté de chaque jeu des cartels sont là pour préciser un certain nombre de ses caractéristiques et des documents iconographiques en précisent les référents culturels, lesquels sont étonnamment et incontestablement présents et visibles sans la moindre ambiguïté ; autant dire que le cinéma, un certain cinéma d’aventure et d’action, et les jeux entretiennent des relations d’interdépendance.

Certes, les jeux vidéo trouvent leur place dans la succession des anciens jeux dits de société, ceux qui durent des après-midi entières, des jeux de rôles et de jeux engageant déjà une certaine technologie, comme les flippers. Les jeux vidéo sont empreints des trois principales cultures propres aux contextes de leur production de masse, c’est-à-dire essentiellement le Japon – le poids lourd du jeu vidéo -, les Etats-Unis et la France. Cette dernière a depuis longtemps développé une industrie du jeu vidéo particulièrement créative qui dès le courant des années 90, jouissait du label French touch avec une esthétique bien particulière, liée au cinéma avec ses cadrages et des décors très naturalistes. Ainsi et le plus souvent un jeu, dès lors qu’on s’intéresse à son caractère visuel, montre une appartenance culturelle ; tel jeu japonais va mettre en scène des personnages évoluant dans l’espace pictural de la peinture traditionnelle de son pays, avec sa perspective isométrique, mais ce peut-être aussi une référence aux mangas (les bandes dessinées japonaises) ; tel jeu d’origine nord-américaine va se référer délibérément au cinéma hollywoodien, et volontiers à celui de films de catégorie B, ou encore aux comics, c’est-à-dire les bandes dessinées de super héros qui elles-mêmes arborent volontiers des références à la peinture moderne et contemporaine. Tel jeu français va prendre appui sur la bande dessinée régionale, sur la peinture ou sur la littérature fantastique et de science-fiction. Ainsi se pose la question de ce qu’est le jeu vidéo en tant qu’artefact et au-delà d’être une activité distractive : un art mineur où rebondissent des formes d’arts considérées comme majeures, le cinéma, la littérature, la peinture par exemple, ou bien un art tout court – et nul doute que le jeu vidéo est animé d’une puissante dynamique créative ? Mais tous les jeux ne se référent pas à une culture clairement identifiable, ainsi ces jeux japonais qui se fondent sur des figurines simples, douces et bariolées avec par exemple le jeu Hello Kitty ou le célèbre jeu Pac Man. En fait ces jeux mettent en scène des extrapolations des peluches et autres jouets des enfants en bas âge. Avec l’évolution de la qualité de l’image, l’introduction convaincante de la troisième dimension et d’un réalisme digne de l’imagerie cinéma, les jeux peuvent s’inscrire dans l’événement présent : par exemple un certain nombre de jeux guerriers font clairement référence aux guerres du Golfe. La littérature annexe, comme les médias, évoquent ici et là certains jeux au caractère hyper violent ou raciste. Ici encore se posent des questions : les jeux avec figurines un peu enfantines relèvent-ils en amont de leur aspect innocent d’une stratégie commerciale visant à toucher un public élargi par exemple vers les filles. Quant aux jeux à caractère guerrier, la question peut-être de savoir s’ils répondent à un besoin « naturel » où une violence virtuelle jouerait un rôle cathartique de résorption d’une violence latente propre à chacun. Le jeu vidéo repose pour partie sur le phénomène d’identification du ou des joueurs avec un héros, une gentille figurine ou un individu retors et aguerri. Les jeux de type FPS – first person shooter - qui par exemple montrent au premier plan de l’écran l’arme dont dispose le joueur permet à celui-ci de davantage s’immerger, s’identifier au héros et de se projeter dans l’action. Beaucoup de jeux reposent sur un parcours haletant (d’où les cris de joie ou de dépit) à effectuer dans un espace plus ou moins labyrinthique et parsemé d’embûches, qui mène à un niveau suivant et supérieur jusqu’à la possible victoire finale.

La mondialisation tend évidemment à abolir les spécificités régionales et les référents du jeu vidéo sont comme apatrides, issus du cinéma où Bruce Lee, Star Wars, Batman ou Alien semblent être devenus des phénomènes planétaires.

Vue intérieure de l’exposition Game Story

Derrière ce que l’on voit et ce à quoi l’on joue il y a toute une technologie dont l’évolution est assez bien expliquée par cette exposition. Les jeux vidéo ont d’abord été fort simples, voire un peu naïfs et bidimensionnels avec des figurines très pixelisées donc pas bien nettes dans leurs contours, pas très colorées (à la palette colorée limitée à 2,4 ou 8 couleurs), se déplaçant de façon saccadée de droite à gauche et de bas en haut. Mais cette simplicité, autant que je me souvienne, n’empêchait pas les enfants d’y jouer de tout cœur et avec le plus grand sérieux, seuls ou à plusieurs (sur le même écran) selon la nature des consoles. Pour le joueur, s’impliquer dans un jeu ne requiert point de hautes technologies ; les parties de billes, le Monopoly ou la marelle sont autant de jeux qui génèrent autant de plaisir qu’ils engendrent une relation sociale. La cohabitation actuelle des jeux doux aux formes et couleurs élémentaires avec des jeux où les pixels se sont effacés au profit d’une image 3D lisse et hyper réaliste montre que l’attente des joueurs à laquelle répond l’offre n’est pas nécessairement celle d’un réalisme immersif tel que peut le proposer le cinéma –ou un certain cinéma. Le parcours du jeu vidéo, depuis son apparition située dans le contexte de cette exposition à 1958 avec Tennis for two, est tributaire de l’évolution de la miniaturisation électronique propre à l’informatique dont le réel essor se produit au début des années 70 et va en s’accélérant. Ainsi le jeu vidéo pourra passer de manière décisive des bornes d’arcades, dans les espaces collectifs, à l’espace d’habitation où il se pratiquera principalement sur l’écran du téléviseur avant, plus tard, de gagner l’écran de l’ordinateur puis de devenir mobile et autonome ou se pratiquant par exemple sur les téléphones portables. Curieusement l’exposition montre un jeu vidéo qui, passant de l’espace public à l’espace privé, précède l’implantation de l’ordinateur dans l’espace domestique. Le parcours de l’exposition comporte un certain nombre d’accessoires de jeu issus des technologies expérimentales militaires dont le développement a cependant échoué, comme les gants tactiles, les casques et lunettes de vision virtuelle, les détecteurs des mouvements des joueurs – on retrouve cela avec les salles d’entraînement semi virtuel au golf. Globalement le jeu vidéo continue à se pratiquer avec dextérité et avec les doigts.

Le jeu vidéo, selon sa destination, se pratique individuellement ou en réseau, à plusieurs joueurs dispersés sur la planète ou à plusieurs face à un même écran. Evidemment la complexité ou la sophistication du jeu et sa capacité à captiver n’est pas la même lorsqu’il s’agit d’un jeu gratuit inclus dans un téléphone mobile, destiné aux casual gamers, ou lorsqu’il s’agit d’un jeu sous forme de DVD acheté fort cher ou bien encore lorsqu’il s’agit d’un jeu payant téléchargeable. Mais d’autre part le piratage est également un jeu très pratiqué dans ce monde du jeu vidéo -malgré les précautions prises pour l’éviter.

Vue intérieure de l’exposition Game Story

Un commerce guère innocent, lucratif et impitoyable

Le jeu vidéo est partout et son commerce draine des enjeux financiers énormes. Aussi la concurrence et le marketing sont féroces. Les petites entreprises les plus innovantes sont avalées par les plus puissantes (un jeu financier contemporain bien connu et qui dépasse allègrement le cadre du jeu vidéo) et le marketing opère pleinement afin de susciter un maximum de ventes. Les nouveaux jeux sont annoncés selon une stratégie dont le but est de créer un réel besoin chez l’acheteur potentiel et collectionneur, le plus souvent un enfant ou un adolescent. En cette mi décembre 2011, certains jeux à paraître occupent l’espace publicitaire et concernent par exemple les jeux olympiques de 2012 à Londres. Le joueur devient ainsi, comme chacun de nos contemporains du monde hyper capitaliste, un consommateur dont les motivations et les attentes sont orchestrées par une offre savamment gérée. On comprend mieux à quel point le commerce du jeu peut être lucratif lorsqu’on apprend qu’un jeu pratiqué par un gamer ou mieux, par un hardcore gamer peut s’épuiser en vingt ou trente heures ! Cette exposition Game Story, si elle ne fait que retracer une histoire du jeu vidéo et son évolution, montre assez explicitement et peut-être malgré elle cet environnement dans lequel chaque jeu se développe, notamment avec ses produits dérivés que sont les figurines des héros et divers objets, signes à arborer d’une appartenance au groupe de pratiquants occasionnels ou à celui des hardcore gamers. L’iconographie d’accompagnement des jeux présentés dans l’exposition reste cependant majoritairement celle des films auxquels ceux-ci sont liés et en ce sens cela confirme l’existence d’une puissante industrie de l’image mobile où règnent, étroitement dépendants, le cinéma grand public et le jeu vidéo.

La réalité, quelle réalité ?

Sans doute cette question est-elle absurde, quel que soit l’angle sous lequel on l’aborde. Le jeu vidéo est avant tout une interface entre l’individu et lui-même ou ses semblables. Le joueur a l’opportunité de conduire des expériences extraordinaires appréhendées à travers des analogies et des métaphores. Dès lors, la question de la réalité de ce qui n’est que pixels, de ce qui est représenté, de ce qui n’est qu’image animée ne se pose plus, le joueur joue. Le jeu développe une sociabilité à base de rivalités, il est peu ou prou un apprentissage où à la dextérité, à la rapidité de décision et d’action se mêlent nécessairement des capacités d’anticipation et d’analyse de situations souvent complexes. Les moments de sa pratique en ses espaces virtuels sont des échappées hors les contraintes du quotidien. Autre réalité du jeu ou de certains jeux est celle de leur enseignement dans certaines universités ; Starcraft par exemple est un jeu en temps réel (STR) au cours duquel les joueurs construisent des unités grâce à des ressources récoltées et doivent développer des stratégies en relation avec celles leurs adversaires. Ainsi ce jeu comporte une initiation à la gestion de la micro-économie. Il est assez évident que le monde virtuel et le monde réel tendent à se fondre et que le jeu vidéo présenté dans cette exposition dépasse largement ce qu’elle cadre. L’IPhone lui-même, s’il accueille des jeux vidéo est, en tant que média, une sorte un jeu de société, un objet transitionnel, un cordon ombilical, un comptoir d’échanges en temps réel.

Vue intérieure de l’exposition Game Story

Au-delà du jeu au premier degré, des questions et une littérature

Pour le gamer, le jeu est une activité le plus souvent interstitielle et distractive qui se place dans les moments hors travail –scolaire ou autre. Ce qu’impliquent les jeux dans leurs significations sociale, symbolique et même philosophique devient évident dès lors qu’on fait halte dans la boutique de l’exposition. Outre les produits dérivés liés à tels ou tels jeux, issus du cinéma, de la littérature, d’événements réels très médiatisés, de la BD et de revues spécialisées, un certain nombre d’ouvrages confirment qu’il y a bien un au-delà du phénomène. Ainsi et parmi d’autres, peut-on citer quelques titres : Philosophie du jeu vidéo, Qui a peur des jeux vidéo ?, Le monde sans fin des jeux vidéo, La mort dans les jeux vidéo, Des pixels à Hollywood, Les métiers des jeux vidéo et de l’animation. Il est évident que le jeu vidéo tel qu’il s’est répandu en tant que média suscite curiosité et intérêt de la part d’un certain nombre d’analystes et penseurs à l’égard de ces pratiques dites ludiques tellement présentes dans le quotidien contemporain. Ainsi peut-on dire qu’elles ne sont évidemment pas que ludiques.


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