N° 79, juin 2012

Hafiz Pakzad, artiste franco-afghan.
Mémoire d’une vocation dans l’Afghanistan des années 1970


Alice Bombardier


Le 23 mars 2012 à Asnières, Hafiz Pakzad m’a conté l’histoire de sa vie de dessinateur et d’artiste-peintre originaire de la province de Bamiyan en Afghanistan. Le parcours et l’œuvre, la démarche propre de Hafiz Pakzad - qui, aujourd’hui formé à l’aérographie et devenu maître dans l’art du trompe-l’œil, participe à la réalisation des créations murales internationales de Catherine Feff - sont riches en enseignements sur le contexte de formation d’un étudiant afghan qui avait tout le loisir dans les années 1970 d’aspirer au métier d’artiste dans un pays non encore déchiré par les guerres. Dans la lignée du peintre de Cour Ghulam Mohammad Maimanagi (1873-1935), qui diffusa en Afghanistan certains préceptes de la peinture académique et fonda la première Ecole des Beaux-Arts dans les années 1920, Hafiz Pakzad a été formé au sein des rares établissements artistiques spécialisés existant à Kaboul dans les années 1970. Cette décennie est intéressante d’un point de vue culturel, car elle aboutit dans le pays à la création des premières infrastructures artistiques de l’enseignement supérieur, telle la Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Kaboul, ainsi que la section art de l’Ecole Normale Supérieure des Enseignants.

Né au sein d’une famille de notables hazaras près de la vallée de Band-e Amir, abritant six lacs devenus parc national au cœur de la province de Bamiyan, Hafiz Pakzad est parvenu à effectuer des études supérieures et à se hisser au rang d’ostâd (« maître ») en l’art du dessin. Il a effectué ses premières classes dans la bourgade de Yakawalang près de Bamiyan, où le directeur de son école secondaire lui passait déjà commande. Hafiz Pakzad s’est senti investi d’un grand honneur lorsqu’un jour, celui-ci le manda pour effectuer une aquarelle de la façade de l’école. En 1969, une organisation internationale construisit un hôpital à Yakawalang. Hafiz Pakzad, âgé de quatorze ans, fut employé par les médecins étrangers durant les six mois d’hiver où l’école ferma ses portes à la confection de schémas anatomiques et d’un herbier de la flore de sa vallée appelée Firouz Bahar, « La victoire du printemps ». Moyennant deux afghanis, il dessina également des cartes postales avec calligraphiés « Greetings from Afghanistan », « Salam ’alaykoum » entourés du dessin d’une fleur locale.

Hafiz Pakzad, Modèle reconstitué des cartes postales composées par l’artiste au début des années 1970, Asnières 2012

Hafiz Pakzad voulut continuer dans cette voie et entrer au lycée artistique spécialisé Sanaye de Kaboul. Son rêve se concrétisa en 1974. Grâce à une lettre de recommandation et une bourse octroyée par le wali de Bamiyan, pour l’obtention desquels celui-ci avait exigé à trois reprises, avec fermeté mais aussi avec respect, que Hafiz Pakzad dessine un portrait de Daoud Khan devenu l’année précédente le premier Président de la République d’Afghanistan, il se rend pour la première fois à Kaboul et entre au Lycée Sanaye. Des quotas en règlementaient l’accès. Seul un élève par province était sélectionné à l’issue d’un concours d’entrée. Hafiz Pakzad fut choisi pour représenter la province de Bamiyan. Ce lycée, établi sous l’égide de l’Allemagne dans les années 1950 (et qui existe toujours à l’heure actuelle), comportait plusieurs sections, dont une section architecture ou une section couture. Dans la section art, Hafiz Pakzad reçut durant trois ans une solide formation artistique. L’enseignement était centré sur le dessin, dessin réaliste, dessin d’ornement ou dessin technique. Hafiz Pakzad n’a pratiqué la peinture à l’huile que durant la dernière année du lycée. Mais il y avait aussi des classes de céramique, sculpture ou miniature et un cours d’histoire de l’art dont l’artiste se souvient très bien : ce cours était dispensé par un enseignant afghan du lycée français Esteqlal qui ne traduisait à chaque fois que quelques lignes d’un précieux ouvrage en langue française. Voulant élargir ses connaissances, Hafiz Pakzad se rendit à la Bibliothèque Nationale de Kaboul où n’était conservé alors qu’un seul livre d’histoire de l’art. Celui-ci n’étant jamais disponible, il ne put le consulter. Ces difficultés d’accès à la culture furent compensées par une grande pratique du dessin. Une fois par semaine, sa classe allait dessiner au musée ou au zoo.

Hafiz Pakzad, La Joconde afghane, 100*73cm, huile sur toile, 2004. www.hafiz-pakzad.com

Reçu premier de sa section, Hafiz Pakzad est entré en 1977 au sein du département des Beaux-Arts nouvellement créé, de l’Ecole Normale Supérieure des Enseignants, où il compléta sa formation durant trois ans. A l’issue de ce cursus supérieur, il est nommé Professeur à l’Ecole Normale de Lashkargah, dans la province de Hilmand, près de Kandahar, et y développe la pédagogie du dessin. Appelée également « Petite Amérique », Lashkargah avait été en grande partie construite par des ONG américaines. Mais le Coup d’Etat du Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan en avril 1978 a inauguré plutôt une décennie d’interventionnisme soviétique. N’ayant pas rallié l’Organisation des Jeunes Communistes et faisant l’objet de nombreuses menaces, le jeune professeur s’enfuit tout d’abord à Kaboul en 1981, où il travailla quelque temps anonymement en tant qu’ouvrier dans le bâtiment, puis gagna la France en 1982. Il y poursuit sa carrière avec succès depuis trente ans.

« Objets Lumineux Non Identifiés », tel est ce à quoi s’est attelé Hafiz Pakzad peu de temps après son arrivée à Paris. Agé de vingt-neuf ans, il participe tout d’abord à l’élaboration de lampes composites créées sous ce nom par Laurent Veresky. Puis il entre à l’atelier de Catherine Feff, qu’il assiste depuis lors dans la réalisation de grandes peintures murales, en France et à l’étranger. Il restaure ainsi les fresques de l’Hôtel Ritz à Paris ou transfigure la façade du cinéma de Cambrais. Celle-ci est désormais animée d’une scène de tournage, déployée sur six étages et peinte en trompe-l’œil sur fond de décor historique représentant la ville au Moyen-Age.

Hafiz Pakzad, Le pont Sud, huile sur toile, 60*80cm, 1999. www.hafiz-pakzad.com

Hafiz Pakzad n’a pas omis de développer son œuvre personnelle, à laquelle il s’est consacré de plus en plus ces dernières années. De part sa formation, axée sur la connaissance du « beau métier » du peintre européen de la Renaissance, mêlée à la transmission des arts nationaux comme la miniature ou la céramique, Hafiz Pakzad aspire à représenter trait pour trait son Afghanistan natal mais effectue aussi point par point, dans un style qu’il qualifie de « pixelliste », des compositions futuristes où les lacs de son enfance semblent se superposer aux étangs peints par Monet. Des touches d’or, renvoyant à la pratique de la miniature, sont parfois mêlées aux couleurs vives de ses tableaux. La peinture qu’il effectue des Bouddhas de Bamiyan en 2006 est entrée dans la collection du Musée Guimet à Paris. Quant à sa Joconde afghane - aux traits de Sharbat Gula, fillette photographiée en 1985 par Steve Maccury pour Magnum et dont l’expression d’horreur et de tristesse avait fait le tour du monde -, elle semble avoir perdu son sourire énigmatique et vibre de la détermination manifestée par nombre de femmes afghanes.

Hafiz Pakzad, Bouddha de Bamiyan, acrylique sur toile, 200*97cm, 2006. www.hafiz-pakzad.com
Catherine Feff, Peinture en trompe-l’œil du cinéma de Cambrais, Années 2000, ©Catherine Feff, www.catherinefeff.com

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