N° 79, juin 2012

La dynastie qâdjâre


Djamileh Zia


Les Qâdjârs ont régné en Iran de 1779 à 1925. Au cours de cette période, des évènements importants ont eu lieu en Iran dont les effets persistent encore. Les interventions de la Russie et de l’Angleterre pour mettre l’Iran sous tutelle se sont intensifiées au XIXe et au début du XXe siècle. L’Iran a perdu près d’un tiers de ses territoires dans les guerres avec la Russie. A la suite de la Révolution Bolchevique, l’Angleterre a tenté d’avoir une main mise totale sur l’Iran en signant un accord avec le premier ministre iranien en 1919, puis a changé de tactique, compte tenu des vives réactions d’opposition soulevées par cet accord, en planifiant un coup d’Etat qui a abouti en quelques années à la destitution du dernier roi de la dynastie qâdjâre et à l’intronisation de Rezâ Shâh Pahlavi.

La tribu qâdjâre

Les rois qâdjârs sont originaires d’une tribu turkmène. Leur ancêtre, Qâdjâr Nouyân, est un chef de guerre mongol. Quelques chefs de la tribu qâdjâre rejoignent l’armée d’Ismâ’il Ier safavide et les Qâdjârs réussissent ainsi à obtenir de hautes fonctions sous les Safavides. Le roi safavide Shâh ’Abbâs Ier divise les Qâdjârs en trois clans qu’il envoie dans des régions différentes pour neutraliser les attaques des pays voisins. Le clan envoyé à Marv et au Khorâssân a pour mission de neutraliser les attaques des Uzbeks et des Turkmènes. Le clan envoyé au nord du fleuve Arax a pour mission d’empêcher les attaques des Lezguiens, le troisième clan est envoyé à Estarâbâd, dans l’actuelle province iranienne de Gorgân. Les rois de la dynastie qâdjâre sont de ce troisième clan.

Aghâ Mohammad Khân (1779-1797)

Le grand-père d’Aghâ Mohammad Khân, Fath’ali Khân, est un chef de tribu. Nâder Shâh Afshâr l’assassine dans le Khorâssân alors qu’il accompagne le roi Tahmâsb II Safavide dans un voyage. Le fils de Fath’ali Khân, qui n’a que douze ans quand son père est assassiné, vit caché au sein des tribus turkmènes, loin de Gorgân, tout le temps du règne de Nâder Shâh Afshâr, mais attaque de temps en temps Gorgân et Estarâbâd. Son fils Aghâ Mohammad Khân, devenu adolescent, l’accompagne dans ces expéditions. Il est fait prisonnier par les soldats de Nâder Shâh Afshâr au cours de l’une de ces attaques et emmené au Khorâssân où il est castré par ordre d’Adel Shâh, neveu de Nâder Shâh Afshâr. Quelques temps plus tard, Aghâ Mohammad Khân réussit à fuir de sa prison et rejoint son père qui a réussi à conquérir Estarâbâd.

Statue d’Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr, musée des célébrités de Fârs, Shiraz

Après l’assassinat de Nâder Shâh Afshâr, l’Iran est plongé pendant une quinzaine d’années dans des guerres de pouvoir entre les tribus Zand et Qâdjâre. Le père d’Aghâ Mohammad Khân est tué dans une guerre contre Karim Khân Zand ; celui-ci fonde la dynastie Zand (Zend). Aghâ Mohammad Khân a 17 ans à cette époque. Il est envoyé à la cour de Karim Khân Zand à Shirâz où il vit dans de bonnes conditions (sa tante est l’épouse de Karim Khân Zand) mais sans avoir la liberté de partir ailleurs. En 1779, Aghâ Mohammad Khân est en train de chasser quand il apprend la mort de Karim Khân Zand. Il s’enfuit immédiatement de Shirâz et vient à Téhéran où il se proclame roi après avoir rencontré les chefs de sa tribu. La guerre entre Aghâ Mohammad Khân et les descendants de Karim Khân Zand dure quinze ans. Finalement, Lotf’Ali Khân, le jeune roi de la dynastie Zand, est trahi par ses proches, en particulier son vizir. Aghâ Mohammad Khân peut ainsi conquérir la ville de Shirâz, où il rend aveugle et assassine Lotf’Ali Khân en 1794 et met fin à la dynastie Zand. Il se rend ensuite dans le Caucase et réprime les rebellions des gouverneurs de cette région. Il ordonne que l’on massacre les habitants de Tbilissi et que l’on détruise les églises et une partie de la ville. En 1795, de retour à Téhéran qu’il choisit comme capitale, il est intronisé, puis se rend dans le Khorâssân où il assassine le gouverneur de cette province (qui était un descendant de Nâder Shâh Afshâr). Il doit se rendre à nouveau dans le Caucase pour réprimer les rébellions des gouverneurs, ayant demandé cette fois le renfort de l’armée russe. C’est au cours de cette expédition qu’il est assassiné, dans une nuit du printemps 1797, par deux esclaves qu’il avait décidé de faire pendre le lendemain parce qu’ils avaient mangé les restes d’un melon qu’il avait gardé pour le manger lui-même.

Fath’Ali Shâh Qâdjâr (1797-1834)

Le deuxième roi de la dynastie qâdjâre s’appelle Bâbâ Khân (futur Fath’Ali Shâh). Il est le neveu d’Aghâ Mohammad Khân et a été choisi par ce dernier comme dauphin. Après l’assassinat d’Aghâ Mohammad Khân, les chefs de son armée vont à Shirâz et amènent Bâbâ Khân (qui est le gouverneur de la province de Fârs à ce moment-là) à Téhéran, où il est intronisé. Fath’Ali Shâh commence par supprimer ses rivaux : ’Ali-gholi Khân, le frère d’Aghâ Mohammad Khân, est rendu aveugle sur son ordre ; Sâdegh Khân Shaghâghi, qui avait donné refuge aux assassins d’Aghâ Mohammad Khân, doit s’enfuir ; Mohammad Khân, fils de Zaki Khân Zand, est lui aussi rendu aveugle ; le propre frère de Fath’Ali Shâh, Hossein-gholi Khân, voulant prendre la place du roi, est également condamné à perdre la vue. Il assassine également Nâder Mirzâ fils de Shâhrokh Afshâr, ainsi que l’ancien vizir de Lotf’Ali Khân Zand parce qu’il avait réussi à obtenir un grand pouvoir sous le règne d’Aghâ Mohammad Khân.

Portrait de Fath’Ali Shâh Qâdjâr

Fath’Ali Shâh choisit en 1798 son fils ’Abbâs Mirzâ comme dauphin et l’envoie à Tabriz. En effet, la coutume des rois Qâdjârs est de donner un poste de gouverneur d’une province à leur dauphin, et c’est souvent la province d’Azerbaïdjan qui est choisie. En 1803, Fath’Ali Shâh est confronté à de graves problèmes avec les pays voisins, en particulier la Russie qui a le projet d’avoir accès au golfe Persique et envahit les territoires septentrionaux de l’Iran. L’Iran est vaincu dans les guerres avec la Russie, ce qui aboutit à la signature de deux traités selon lesquels près du tiers des territoires iraniens deviennent russes. La première période des guerres entre l’Iran et la Russie commence en 1803 et dure dix ans. Elle prend fin avec l’intervention de l’Angleterre qui joue le rôle d’intermédiaire pour la signature du traité de Golestân, selon lequel les régions de Karabakh, Ganjeh, Shaki, Shirvân, Ghoubâ, Darband, Bakou et une partie du Tâlesh, ainsi que tout le Daghestan et la Géorgie deviennent des territoires russes. La deuxième période des guerres entre l’Iran et la Russie commence en 1825 avec l’attaque surprise de la Russie au niveau des frontières iraniennes et prend fin en 1828. Cette fois encore, l’intervention de l’Angleterre aboutit à la signature du traité de Torkamântchây, selon lequel le reste du Caucase, une grande partie de la plaine de Moghân et le port de Lankarân deviennent des territoires russes. De plus, la Russie obtient le monopole de la navigation sur la mer Caspienne, l’Iran accepte que les Russes ayant commis des délits en Iran soient jugés dans leur propre pays, et l’Iran est condamné à verser 5 millions de tomans d’indemnités de guerre. Pendant le règne de Fath’Ali Shâh, l’Iran est également en guerre contre l’empire Ottoman de 1819 à 1822, mais sort vainqueur de ces guerres. Un traité de paix est signé en 1822 entre les deux pays.

Mohammad Shâh Qâdjâr (1834-1848)

Mohammad Mirzâ, fils de ’Abbâs Mirzâ et petit fils de Fath’Ali Shâh, est choisi comme dauphin à la suite du décès de son père. A la mort de Fath’Ali Shâh, il vient de Tabriz à Téhéran avec son armée (dirigée par un militaire anglais) et Mirzâ Abolghâssem Farâhâni, son intendant pendant le temps où il était le gouverneur d’Azerbaijan. A Téhéran, Zel-ol-Soltân, le dixième fils de Fath’Ali Shâh, se proclame roi avant l’arrivée de Mohammad Mirzâ. Dans la province de Fârs, deux autres descendants de Fath’Ali Shâh se proclament également rois. Mohammad Shâh réprime les princes rebelles avec l’aide de Mirzâ Abolghâssem Farâhâni. Il est intronisé quatorze jours après son arrivée à Téhéran, en 1834. Mohammad Shâh donne le surnom de Ghâem-Maghâm à Mirzâ Abolghâssem Farâhâni et le nomme chancelier. Ghâem-Maghâm Farâhâni, personnage autoritaire, prend en main toutes les affaires de l’Etat et de l’armée et commence des réformes bénéfiques, mais un certain nombre des proches de Mohammad Shâh, qui trouvent que le chancelier les empêche d’avoir des fonctions de haut rang, changent l’opinion du roi ; Mohammad Shâh ordonne l’assassinat de Ghâem-Maghâm Farâhâni en 1835.

Portrait de Mohammad Shâh Qâdjâr

Un problème important au cours du règne de Mohammad Shâh est celui de la région de Harât. Le gouverneur de cette région en avait proclamé l’indépendance pendant le règne de Fath’Ali Shâh, avec le soutien de l’Angleterre. Mohammad Shâh était parti en guerre contre le gouverneur de Harât à l’époque où son père, ’Abbâs Mirzâ, était le dauphin de Fath’Ali Shâh, mais il avait dû retourner à Tabriz à la mort de son père alors que son armée encerclait Harât ; il avait donc fait la paix avec le gouverneur de Harât qui avait accepté de payer chaque année un impôt à l’Iran en signe de soumission. Peu de temps après l’intronisation de Mohammad Shâh, le gouverneur de Harât refuse de payer l’impôt annuel et attaque la province de Sistân. La Russie encourage Mohammad Shâh à conquérir Harât alors que l’Angleterre tente de l’en empêcher. L’enjeu, pour la Russie comme pour l’Angleterre, est de contrôler l’Afghanistan qui donne accès à l’Inde (devenu une colonie britannique) ; chacune de ces puissances pousse donc le roi d’Iran à agir en fonction de ses propres intérêts. Mohammad Shâh part à la conquête de Harât en 1837. L’Angleterre tente de soulever les chefs des tribus afghanes contre l’Iran mais son plan échoue ; elle déclare alors que la conquête de Harât par l’Iran est un acte belliqueux envers elle et envoie ses navires de guerre conquérir l’île de Khârk, une île iranienne dans le golfe Persique. En même temps, des mouvements de révoltes populaires dans différentes régions de l’Iran sont exacerbés par les interventions secrètes de l’Angleterre, qui veut par tous les moyens empêcher le roi d’Iran de conquérir Harât. Mohammad Shâh est obligé de retourner à Téhéran dans cette situation de crise. La tentative infructueuse de la conquête de Harât porte un grave préjudice au prestige de l’Iran et devient le point de départ de la séparation définitive des régions de Harât et d’Afghanistan de l’Iran.

Nâssereddin Shâh Qâdjâr (1848-1896)

Nâssereddin Shâh commence son règne après le décès de son père, Mohammad Shâh. Lui aussi, comme les autres dauphins de la dynastie qâdjâre, a vécu à Tabriz pendant son enfance et son adolescence. Mirzâ Taghi Khân Amir-Nezâm, qui était le secrétaire de Ghâem-Maghâm Farâhâni quand celui-ci vivait à Tabriz, est son intendant. Mirzâ Taghi Khân Amir-Nezâm aide Nâssereddin Shâh à venir à Téhéran. Il est ensuite nommé chancelier par le jeune roi, reçoit le surnom d’Amir Kabir, et entreprend de nombreuses réformes dans l’armée, l’administration, le trésor public, l’enseignement, et réprime les groupes qui se soulèvent contre l’Etat, dont les bahâ’is. Il considère que ce mouvement est alimenté par l’Angleterre dont le but est d’affaiblir l’Iran, et paye de sa vie pour avoir tenté d’empêcher les puissances coloniales de s’immiscer dans les affaires de l’Iran, car les médisances des courtisans affiliés à l’Angleterre et à la Russie font changer l’opinion de Nâssereddin Shâh à son égard : tombé en disgrâce, il est exilé à Kâshân et assassiné dans cette ville sur ordre du roi. Ainsi, les réformes prennent fin, ce qui convient à l’Angleterre et la Russie.

Photo de Nâssereddin Shâh Qâdjâr au cours de son voyage en Angleterre

Au cours du règne de Nâssereddin Shâh, la Russie et l’Angleterre rivalisent dans leurs tentatives de réduire la superficie de l’Iran et de rendre inefficace l’administration et l’armée iraniennes en augmentant la corruption et en réduisant le sentiment national parmi les iraniens de la classe aisée. Ceux-ci agissent en faveur des puissances coloniales en jouant les intermédiaires pour ces pays étrangers, en contrepartie de bénéfices. De plus, Nâssereddin Shâh, qui est le premier roi de l’Iran de la période islamique à avoir visité les pays d’Europe, est subjugué par les choses qu’il a vues au cours de ses voyages dans ces pays ; c’est peut-être en partie pour cette raison qu’il fait extrêmement confiance aux Européens, leur accorde des concessions et sacrifie ainsi les intérêts de l’Iran. Pendant le règne de Nâssereddin Shâh, l’Afghanistan et une partie du Baloutchistan sont séparés de l’Iran et entrent dans la zone d’influence de l’Angleterre ; les régions de Marv, de Bactriane et le nord-est de la province du Khorâssân sont également séparées de l’Iran et entrent sous l’influence de la Russie. De plus, l’Angleterre réussit à acquérir des privilèges similaires à celles que la Russie avait obtenus suite au traité de Torkamântchây.

Après la signature du traité de Paris en 1848 dans lequel l’Iran renonce définitivement à la région de Harât, une série de concessions sont accordées aux Anglais ; l’influence politique de l’Angleterre commence alors en Iran. Les concessions accordées aux Anglais sont nombreuses ; ils réussissent à acquérir le monopole de la navigation sur le fleuve Karoun, et la concession de la Banque Royale, qui a le monopole de l’impression des billets de banque en Iran ; Nâssereddin Shâh accorde ensuite à la Banque Royale le monopole de l’exploitation des mines d’Iran sauf les mines d’or, d’argent et de pierres précieuses. Le monopole de la vente du tabac, accordé à un Anglais en 1891, provoque de vives réactions d’opposition dans la population et chez les religieux, ce qui oblige le roi à annuler ce contrat ; mais la résiliation du contrat a des conséquences négatives, car Nâssereddin Shâh et son chancelier sont obligés de demander un prêt de 500 000 livres sterling à la Banque Royale pour payer les indemnités réclamées par la compagnie anglaise ; cet emprunt est le premier contracté par l’Etat iranien.

Nâssereddin Shâh Qâdjâr

A chaque fois que Nâssereddin Shâh donne une concession à un Anglais, la Russie tente d’obtenir une concession à son tour. Ainsi, le monopole de la pêche dans une partie du littoral iranien de la mer Caspienne est accordé à un Russe, et la Russie obtient l’autorisation de créer en Iran une Banque qui entre en rivalité avec la Banque Royale. De plus, la Russie obtient une concession lui permettant de construire une route entre le port d’Anzali et Ghazvin et d’en garder le monopole. La plus grande concession que la Russie réussit à obtenir au cours du règne de Nâssereddin Shâh est la création de la Brigade Cosaque. Cette brigade, formée par des militaires russes, réussit à avoir sous son contrôle l’armée de l’Iran. La Brigade Cosaque, officiellement au service du ministère de la guerre de l’Iran et ayant pour mission de défendre l’Iran contre les attaques des pays étrangers, se transforme peu à peu en un corps obéissant aux ordres du tsar et de la cour de la Russie, et devient une force de répression des opposants iraniens destinée à maintenir le pouvoir du roi de l’Iran en fonction des intérêts de la Russie.

Au cours des dernières années du règne de Nâssereddin Shâh, des idées révolutionnaires et des revendications de liberté ont de plus en plus cours en Iran et aboutissent à l’assassinat de Nâssereddin Shâh par un opposant politique le 30 mai 1896.

Mozaffareddin Shâh Qâdjâr (1896-1906)

Mozaffareddin Shâh est le quatrième fils de Nâssereddin Shâh. Il est choisi comme dauphin à l’âge de cinq ans et devient de ce fait le gouverneur de la province d’Azerbaïdjan où il vit près de quarante ans. Il commence son règne à l’âge de 44 ans, alors qu’il est malade et a envie de se soigner dans des cures thermales en Europe. Le trésor public est vide ; la cour de l’Iran fait donc des emprunts à la Russie et à l’Angleterre pour assurer les frais de ses voyages. En 1900, la cour de l’Iran emprunte 23,5 millions de roubles à la Russie et en contrepartie, concède à ce pays les bénéfices des douanes du nord de l’Iran. L’Angleterre, qui ne veut pas être devancé par la Russie, accorde à son tour un emprunt à la cour de l’Iran et reçoit en contrepartie les bénéfices tirés de la pêche dans la mer Caspienne ainsi que de la poste, du télégraphe et des douanes du sud de l’Iran. Ainsi, les revenus les plus importants de l’Iran tombent aux mains des pays étrangers. Deux ans plus tard, la cour de l’Iran emprunte à nouveau 10 millions de roubles à la Russie pour le deuxième voyage de Mozaffareddin Shâh en Europe. Mozaffareddin Shâh est incapable de gérer lui-même les affaires de l’Iran et fait entièrement confiance à son chancelier, Amin-o-Soltân, qui œuvre en fonction des intérêts des puissances coloniales. Les concessions accordées à l’Angleterre, la Russie et la France sont plus importantes et plus désastreuses pour l’Iran pendant le règne de Mozaffareddin Shâh que pendant le règne de son père. Le monopole de l’exploitation du pétrole du sud de l’Iran accordé à un Anglais et les autorisations accordées à l’Angleterre et à la France pour des fouilles archéologiques en Iran en sont des exemples, sans compter les concessions sur les douanes et les routes. Ces concessions appauvrissent l’Iran et exacerbent les mouvements de contestation populaire qui aboutissent à la Révolution de 1906, considérée comme un évènement très important dans l’histoire de l’Iran compte tenu de ses conséquences sociopolitiques encore perceptibles actuellement.

Mozaffareddin Shâh Qâdjâr

Les historiens iraniens ont des avis divergents à propos de l’influence des puissances coloniales, en particulier de l’Angleterre, sur le cours des évènements qui ont précédé et suivi cette Révolution. Toujours est-il que Mozaffareddin Shâh signe l’ordre de l’établissement d’une Assemblée Constituante le 5 août 1906. Il signe la première Constitution de l’Iran le 28 décembre 1906 et meurt quatre jours plus tard.

Mohammad-’Ali Shâh Qâdjâr (1907-1909)

Mohammad-’Ali Shâh, fils et dauphin de Mozaffareddin Shâh, signe la première Constitution de l’Iran en même temps que son père ; mais il abolit le régime de la monarchie constitutionnelle après son intronisation. Mohammad-’Ali Shâh est proche de la Russie, qui ne veut pas d’une monarchie constitutionnelle en Iran. Le 23 juin 1908, il donne l’ordre au colonel Vladimir Liakhov, commandant de la Brigade Cosaque, de détruire l’Assemblée Nationale à coups de canons. Plusieurs députés sont tués ce jour-là. Il donne également l’ordre d’exécuter plusieurs chefs du mouvement constitutionnaliste. Mais les Iraniens partisans d’une constitution se soulèvent à Tabriz, à Rasht et au sud de l’Iran, et se dirigent vers Téhéran. Les soldats du roi ne réussissent pas à arrêter leur progression. En juin 1909, les révolutionnaires arrivent à Téhéran. Le roi se réfugie dans l’ambassade de Russie avec l’accord tacite de l’Angleterre. L’Assemblée Nationale de l’Iran vote sa destitution et son exil. Son fils, Ahmad Mirzâ, qui a 12 ans, est choisi comme roi et l’Assemblée Nationale désigne un membre de la famille qâdjâre comme régent jusqu’à sa majorité.

Mohammad-’Ali Shâh Qâdjâr

Ahmad Shâh Qâdjâr (1909-1925)

Le règne d’Ahmad Shâh est une période très chaotique sur le plan politique et social en Iran. Le fait le plus marquant pendant le règne d’Ahmad Shâh est le contrôle de plus en plus manifeste de l’Angleterre et de la Russie sur l’Iran. Ces deux puissances coloniales avaient signé un accord en 1907 pour régler leurs différents à propos des pays asiatiques qui étaient sous leur influence, en particulier l’Iran, l’Afghanistan et le Tibet. Selon ce traité, l’Iran était partagé en trois zones, celle du nord étant sous le contrôle de la Russie, celle du sud sous le contrôle de l’Angleterre, et la zone du milieu était laissée indépendante. L’Angleterre et la Russie laissaient tous les deux l’autre puissance coloniale avoir des concessions ainsi que le contrôle des douanes, de la poste, du télégraphe et des routes dans la zone qui leur était impartie. L’Iran s’était opposé à ce traité, en vain.

Ahmad Shâh Qâdjâr (au milieu) et Rezâ Khân Mirpanj (à gauche)

Au cours du règne d’Ahmad Shâh, le manque d’autorité du roi et du régent, et le fait qu’un certain nombre de députés sont des alliés des puissances coloniales, ne permet aucune amélioration de la situation qui empire avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale et avec le nouveau traité signé entre l’Angleterre et la Russie en 1915. Le début de la Première Guerre mondiale coïncide avec le couronnement d’Ahmad Shâh. Au cours de cette guerre internationale, des combats éclatent entre l’armée de l’empire Ottoman (allié de l’Allemagne et de l’Autriche) et les armées de l’Angleterre et de la Russie à l’intérieur de l’Iran, tout le long des frontières occidentales, malgré la neutralité de l’Iran dans cette guerre. De plus, en 1915, l’Angleterre et la Russie annulent l’accord de 1907 et signent un nouvel accord selon lequel l’Iran est désormais divisé en deux zones, celle du nord étant contrôlée par la Russie, celle du sud par l’Angleterre. Cet accord prévoit une armée de 11 000 cosaques dirigée par la Russie dans la zone iranienne contrôlée par ce pays, et une armée avec autant de soldats, appelée la police du sud de l’Iran, contrôlée par l’Angleterre dans le sud de l’Iran. De plus, les finances du gouvernement iranien sont contrôlées par une commission composée de représentants de l’Angleterre et de la Russie.

Vers la fin de 1917, la Révolution d’Octobre en Russie provoque un changement radical de la situation : le gouvernement bolchevique annule le 14 janvier 1918 l’accord de 1915 signé entre la Russie et l’Angleterre. Le contrôle de la Russie sur les régions du nord de l’Iran s’affaiblit. Les bolcheviques soutiennent les républiques proclamées par les révolutionnaires iraniens dans les provinces du Guilân et d’Azerbaïdjan. L’Angleterre décide alors d’étendre son contrôle sur l’ensemble de l’Iran, et envoie des troupes au Khorâssân, à Hamedân, Ghazvin et Rasht et même jusqu’à Bakou. Ainsi, à la fin de la Première Guerre mondiale, tout l’Iran est sous le contrôle de l’Angleterre. L’Angleterre tente d’empêcher que l’Iran ait des représentants aux Nations Unies pour pouvoir faire de l’Iran un protectorat anglais, et signe avec le premier ministre de l’Iran un accord en 1919 selon lequel toutes les affaires de l’armée, de la douane et des finances de l’Iran passent sous le contrôle exclusif des conseillers anglais. Les Nations Unies refusent de reconnaître cet accord. En Iran, Ahmad Shâh est contre cet accord signé par le premier ministre, et des soulèvements populaires importants ont lieu, en particulier dans les provinces du Guilân et d’Azerbaïdjan.

L’Angleterre, craignant de perdre son influence en Iran et voulant garder sa main mise sur le pétrole iranien dont la valeur stratégique est devenue évidente au cours de la guerre, change ses plans. En 1920, le major-général anglais William Edmund Ironside est envoyé en Iran ; sa mission est de prendre le contrôle de la Brigade Cosaque installée à Ghazvin et dirigée par les militaires russes avec l’accord du gouvernement iranien, ce qu’il réussit. Ironside choisit ensuite un officier iranien ambitieux et autoritaire du nom de Rezâ Khân Mirpanj qu’il met à la tête de la Brigade Cosaque ; Rezâ Khân Mirpanj reçoit ses ordres d’un militaire anglais, le colonel Henry Smith. La réorganisation de la Brigade Cosaque est la première étape d’un coup d’Etat planifié par l’Angleterre, conduit en Iran par un journaliste iranien anglophile du nom de Seyed Ziâ Tabâtabâ’i et trois membres de l’ambassade de l’Angleterre. Seyed Ziâ Tabâtabâ’i fait un emprunt à la Banque Royale pour payer les soldats de la Brigade Cosaque et leur chef, Rezâ Khân Mirpanj, afin qu’ils quittent Ghazvin et viennent occuper la capitale. La Brigade Cosaque arrive à Téhéran dans la nuit du 20 au 21 février 1921 sans rencontrer de résistance notable. Le matin du 21 février, les habitants de Téhéran qui avaient entendu dans la nuit des coups de feu et des coups de canon, voient des affiches collées aux murs dans lesquelles Rezâ Khân Mirpanj déclare qu’il a décidé de mettre fin à la situation douloureuse dans laquelle l’Iran est plongé. Le roi Ahmad Shâh, qui avait eu vent d’un projet de coup d’Etat, demande des conseils le jour-même à l’ambassadeur d’Angleterre, et celui-ci conseille à Ahmad Shâh de prendre contact avec les chefs du coup d’Etat et de répondre favorablement à toutes leurs demandes sans tergiversation. Ainsi, Seyed Ziâ Tabâtabâ’i devient premier ministre et Rezâ Khân Mirpanj obtient le poste de ministre de la guerre, qu’il garde dans les cabinets successifs. Le pouvoir de Rezâ Khân Mirpanj augmente progressivement. L’Assemblée Nationale le choisit comme premier ministre en novembre 1923. Ahmad Shâh, qui est opposé à donner encore plus de pouvoir à Rezâ Khân Mirpanj, part en Europe avec sa famille après avoir signé le décret où Rezâ Khân Mirpanj est nommé premier ministre, et ne revient plus en Iran. La fraction minoritaire de l’Assemblée Nationale tente de limiter le pouvoir de Rezâ Khân Mirpanj, en vain. En novembre 1925, l’Assemblée Nationale vote l’abolition de la dynastie qâdjâre et désigne Rezâ Khân Mirpanj comme chef de l’Etat. Le 5 décembre 1925, la Constitution de l’Iran est modifiée et la royauté est attribuée à Rezâ Khân Mirpanj, qui a changé entretemps son nom en Pahlavi. Ahmad Shâh Qâdjâr meurt à Neuilly-sur-Seine à la fin de l’hiver 1930.

Sources :
- Mohammad Moïn, Farhang-e fârsi (Dictionnaire encyclopédique de persan), Vol. V et VI, Ed Amir Kabir, Téhéran, 1380 (2001).
- Dâneshnameh Roshd (l’Encyclopédie Roshd) consulté le 10 avril 2012 sur le site http://daneshnameh.roshd.ir.
- Hassan Pirniâ, Abbâs Eghbâl-Ashtiâni, Parviz Bâbâ’i, Târikh-e Iran (L’Histoire de l’Iran), Ed. Negâh, Téhéran, 1385 (2006), pp. 1012-1037.


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