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Dispersée hors d’Iran à la suite de la prise de pouvoir par Rezâ Shâh Pahlavi en 1925, l’ancienne dynastie qâdjâre a formé depuis lors plusieurs groupes plus ou moins formels, parmi lesquels deux associations officiellement reconnues, The Qâdjâr family association (QFA), basée à Londres et The International Qajar Studies Association (IQSA) basée à Santa Barbara aux Etats-Unis. Les activités de ces deux associations sont conjointes. Alors que la première est exclusivement réservée aux membres de la famille qâdjâre, à savoir toute personne qui peut attester d’une ascendance remontant à ’Ali Shâh qâdjâr, la seconde est ouverte à toutes les personnes intéressées par les informations culturelles en rapport avec cette dynastie. Ces associations se donnent pour mission la diffusion, à travers le monde, de la très spécifique culture qâdjâre, loin de toute ambition de retour au pouvoir en Iran de cette dynastie.
C’est sous la double présidence du Prince Nosrat Saltaneh, oncle du dernier shâh qâdjâr Ahmad Shâh, et du Prince Yamin-od-Dowleh, fils de Nâssereddin shâh qâdjâr, que naquit cette association, il y a un peu plus de soixante ans, à Téhéran. Elle fut dissoute deux ans plus tard, pour des raisons politiques notamment, et reprit ensuite ses activités sous la présidence du Prince Abolfazl Azod « Azod-e Soltan », fils de MozaffaredDin Shâh. Puis elle cessa toute activité en Iran. En 2000, les membres fondateurs décidèrent, sous la présidence honoraire du Prince Soltân ‘Ali Mirzâ Kâdjâr, petit-fils de Mohammad Ali Shâh Qâdjâr et doyen de la maison qâdjâre impériale, de la faire renaître en Europe. Désignée entretemps sous le nom persan de Anjoman-e khânevâdegui-e Ghâdjâr, elle reprit son nom d’origine Kânoun-e khânevâdegui-e Ghâdjâr pour indiquer la poursuite de l’action de l’association d’origine. [1]
Partant du sentiment que « rien n’est plus éprouvant pour les membres d’une même famille que la disparition du tissu social et familial qui les unissait dans la tapisserie étroitement serrée de leur naissance et de leur patrimoine commun », cette association s’est donné pour objectif de recréer et maintenir les liens entre tous les membres de la famille qâdjâre, longtemps séparés par les aléas d’événements historiques. Dès le début du XIXe siècle, déjà, un grand nombre de Qâdjârs quitte la Perse pour l’Azerbaïdjan, formant ainsi la branche azérie de la famille. Puis en 1909, l’exil de Mohammad ’Ali Shâh Qâdjâr et des membres de la famille impériale, en 1923 celui de Soltân Ahmad Shâh vers la France et l’Angleterre et, en 1925 la chute du régime qâdjâr provoquent le départ de nombreux membres de cette famille. A partir de 1979, enfin, l’avènement de la république islamique d’Iran incite au départ une partie des descendants de cette même famille.
Le Shajarehnaameh Project, documentation consultable sur Internet, permet de suivre les généalogies complexes des différentes branches de la famille qâdjâre. Elle est constituée et régulièrement mise à jour par les membres de l’association.
Cette association a été fondée à Santa Barbara en Californie le 24 juillet 2000. Elle est présidée par le Professeur Manoutchehr Eskandari-Kâdjâr, descendant du Prince héritier ’Abbâs Mirzâ Nâyeb-Saltaneh, quatrième fils de Fath ’Ali Shâh, décédé avant d’avoir pu accéder au trône de Perse. Elle a pour objectif de diffuser le plus largement possible l’histoire et la culture de la dynastie qâdjâre d’Iran.
Entre autres activités, elle organise, depuis sa création, à l’intention de ses membres, une conférence annuelle ayant pour thème un aspect particulier de la culture qâdjâre. Ces conférences ont lieu dans divers pays d’Europe (France, Pays-Bas, Suisse, Autriche, Royaume-Uni, etc.) ainsi qu’aux Etats-Unis d’Amérique, et font l’objet d’une publication. Voici la liste des thèmes abordés les années précédentes :
- 2001 : Lecture des premières photographies : sources visuelles pour l’interprétation de l’histoire de l’Iran qâdjâr.
- 2002 : Habits et costumes du XIXe siècle en Iran.
- 2003 : Santé, hygiène et beauté sous les Qâdjârs.
- 2004 : Le harem – Perception et réalité de la vie des cours ottomane et qâdjâre.
- 2005 : Guerre et paix dans la Perse qâdjâre : conséquences au passé et au présent.
- 2006 : Les loisirs sous les Qâdjârs.
- 2007 : Diplomates et voyageurs à l’époque qâdjâre.
- 2008 : Statut social et vie quotidienne dans la Perse qâdjâre.
- 2009 : Architecture dans la Perse qâdjâre.
- 2010 : Réflexions sur l’étude de l’époque qâdjâre
- 2011 : Princes et courtisans dans la Perse qâdjâre.
Photographie et cinématographie à l’époque qâdjâre
L’édition prévue du 31 mai au 1er juin 2012, à l’Université de Boston aux USA, traitera de la femme à l’époque qâdjâre. [2]
Le Prince Soltân ‘Ali Mirzâ Kâdjâr, petit-fils de Mohammad ’Alî Shâh et neveu de Ahmad Shâh, les deux derniers rois de la dynastie, est décédé le 27 mai 2011 à Paris. Cette personnalité d’une grande érudition occupe une place exceptionnelle dans l’histoire de sa famille. Quelques rencontres avec ce grand connaisseur de la culture qâdjâre avaient permis la rédaction de deux articles publiés dans notre revue, dans lesquels il évoquait la fin de l’empire qâdjâr et l’exil de sa famille, durant lequel il était né, ainsi que la culture qâdjâre à laquelle il accordait une large place. [3] Il est l’auteur de l’ouvrage Les rois oubliés, Epopée de la dynastie kadjare, publié en 1992, qui avait largement contribué à faire connaître l’histoire de cette dynastie qui avait régné sur la Perse de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle.
Lors d’un entretien à son domicile de Neuilly-sur-Seine, qui eut lieu deux mois avant son décès, Soltân ‘Ali Mirzâ Kâdjâr avait évoqué le tombeau des qâdjârs à Karbalâ, précieux témoignage sur ce lieu historique :
« Le tombeau de ma famille à Karbalâ occupe un emplacement exceptionnel, partageant avec celui de l’Imâm Hossein, l’espace situé sous la coupole. Il renferme actuellement les dépouilles de mon père ’Abdol Majid Mirzâ, décédé en 1975, de ma grand-mère Malekeh-ye Djahân et de sa fille Khâdidjeh Khânoum, de Mozaffareddin Shâh - le premier inhumé dans ce tombeau, à l’initiative d’Ahmad Shâh qui en avait fait le vœu à son père - Ahmad Shâh lui-même et son frère Mohammad Hassan Mirzâ, décédé en 1943. Ce lieu de sépulture royale avait été créé avec l’autorisation de l’empire ottoman à qui Ahmad Shâh avait acheté l’emplacement, et avec l’agrément des autorités ecclésiastiques. Il s’agit d’un bien de mainmorte (waqf en persan) géré par des administrateurs. La pièce étant exigüe, les inhumations s’effectuent sous une même dalle, d’une capacité de douze emplacements, sur trois niveaux.
Avant que Saddam Hussein ne déclare la guerre à l’Iran, nous donnions une rétribution au Tomb qâdjâr trust pour l’entretien du tombeau. Je m’y suis rendu au décès de mon père en 1975, le représentant de Saddam Hussein avait autorisé l’inhumation avec les honneurs militaires. Durant la cérémonie, il avait prononcé ces mots : « Ce que nous faisons pour vous, vous ne le feriez pas pour Saddam lui-même ». Ensuite, toute inhumation dans ce tombeau fut interdite et, depuis le début de la guerre Iran-Irak, je n’ai plus eu d’informations sur l’état de conservation du tombeau. Je ne sais pas ce qu’en sont devenus les gardiens. Il faudrait aller voir sur place mais la guerre civile, les attentats nous en empêchent. Je sais que le dôme avait été touché, la Fondation Arâm l’avait fait restaurer. »
La situation encore compliquée de l’Irak aura empêché l’inhumation du Prince Soltân ’Ali Mirzâ Kâdjâr, décédé depuis cet entretien, auprès de ses ancêtres. Il reste à espérer que, le calme revenu dans ce pays, sa dépouille pourra un jour y être transférée, conformément au vœu implicite qu’il avait suggéré par cette conversation.
Soltân ‘Ali Mirzâ Kâdjâr avait, quelque temps avant son décès, fait don de sa riche collection de photographies et manuscrits au Centre de documentation des études qâdjâres, abrité par l’Institut international de l’histoire sociale d’Amsterdam, aux Pays-Bas.
En ce mois d’avril 2012, une foule importante de collectionneurs et de curieux se presse dans la salle de l’hôtel Drouot de Paris où le reste de la collection est dispersée aux enchères. Le Prince Massoud Zelli, membre des deux associations qâdjâres décrites plus haut, descendant de l’éphémère roi d’Iran, Adel Shâh qâdjâr, est présent [4].
Il est émouvant de revoir, une dernière fois réunies, ces immenses toiles, assombries par le temps, des portraits des ancêtres du Prince Soltân ’Ali Mirzâ Kâdjâr qui ornaient les murs de sa maison de Neuilly, achetée autrefois par sa grand-mère Malekeh-ye Djahân.
[1] Littéralement, en persan, Anjoman signifie Association alors que Kânoun signifie Club ou Cercle.
[2] Les comptes-rendus de ces conférences font l’objet de publications qui peuvent être commandées auprès de Mr. Ferydoun Barjesteh, ةditeur, Vice-président de International Qajar Studies Association (IQSA) par mail : ou par téléphone (à Rotterdam) : 00 31 43 40 87 772
Le programme des conférences, les publications et toutes informations concernant l’IQSA sont consultables sur le site de l’association : http://www.qajarstudies.org/IQSAPastconferences.html
[3] « Histoire et culture qâdjâres vues par le Prince Soltân Ali Qâdjâr » in n° 27 de La Revue de Téhéran, février 2008
« Le palais du Golestân, raconté par Soltân ‘Alî Mirza Kadjar » in n° 66 de La Revue de Téhéran, mai 2011
[4] Massoud Zelli raconte, dans ses écrits publiés dans le Shajarehnaameh Project cité dans cet article, que son ancêtre ’Ali Mirzâ Zell-e-Soltân, le futur ’Adel Shâh, était gouverneur de Téhéran à la mort de son père, Fath ’Ali Shâh, en 1834. Après avoir fermé les portes de la citadelle, il se déclara héritier, fut couronné Shâh in Shâh et régna à Téhéran pour une période de 40 jours sous le nom de ’Adel Shâh qâdjâr. Il fut contraint d’abdiquer à l’arrivée à Téhéran de son neveu Mohammad Mirzâ, fils de ’Abbâs Mirzâ le prince héritier défunt, venant de Tabriz qui fut couronné sous le nom de Mohammad Shâh qâdjâr. ’Adel Shâh avait cependant eu le temps de faire frapper une monnaie à son nom « Soltân ’Ali Shâh » et de distribuer à la population de Téhéran, pour s’assurer de son support, 700 000 tomans de l’époque, prélevés sur le Trésor. Puis il mourut en exil à Karbalâ en 1855.