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Le sujet de notre recherche ne porte pas sur l’esthétique de l’art iranien qui exigerait une étude beaucoup plus longue. Ce qui nous intéresse ici est la relation étroite entre la dimension esthétique et l’utilisation d’un certain type de couleurs dans la miniature persane.
L’origine naturelle de ses couleurs ainsi que leur étonnante stabilité dans le temps permettent d’expliquer l’importance de la miniature persane malgré une histoire parfois tourmentée. On peut se demander si l’apogée de l’art de la miniature, représentée par des artistes comme Alirezâ Abbâsi, Behzâd (portraitiste de Shirâz), Rezâ Zamân et d’autres, a existé uniquement grâce à une performance technique, un savoir faire unique, ou bien à travers une expression artistique particulière. A l’heure actuelle, la miniature iranienne s’illustre à travers des artistes comme Maîtres Farshchiân ou Amdjadi qui certes, réalisent de superbes œuvres, mais une différence demeure par rapport aux miniatures de l’époque safavide et qâdjâre. Cette différence réside dans les harmonies de couleurs, plus subtiles dans l’art traditionnel et qui ont traversé les siècles sans altérations. Cette solidité des peintures anciennes est due au fait que les pigments et les liants utilisés sont d’origine naturelle, à base de minéraux de plantes et d’insectes, comme la cochenille par exemple. De même, le support utilisé est fait de papier mâché ou de toile (marghash, zarafshân). Tout cela est un don précieux de la nature. Néanmoins, à notre époque où les progrès techniques ont favorisé l’utilisation d’ingrédients prêts à l’emploi, l’homme, en s’éloignant de la nature, a oublié en même temps ces savoir-faire ancestraux. Face à une telle situation, le milieu naturel iranien continue d’offrir aux artistes de merveilleux pigments et c’est ce précieux cadeau qui a contribué, depuis l’époque safavide jusqu’à nos jours, au prestige de la miniature persane. D’ailleurs, les œuvres réalisées à l’âge d’or de l’art iranien ornent encore de nombreux musées comme le Louvre ou le British Museum.
Ce que j’essaie de résumer ici est le fruit de neuf années de recherches théoriques et pratiques sur la miniature. Mes sources les plus importantes sont les manuscrits anciens, notamment l’ouvrage du Maître Nadjib Mâyel Heravi intitulé L’Enluminure à l’époque de la Civilisation Musulmane. Cependant, la plupart de mes recherches font référence à des manuscrits plus anciens. Ce qui est certain c’est que la majorité des textes anciens ne font référence que très succinctement à la façon d’utiliser les pigments naturels puisque dans l’esprit des Anciens, ces détails techniques devaient couler de source et se transmettaient donc naturellement de génération en génération pour préserver leur savoir-faire. Ils ne pouvaient imaginer qu’un jour les artistes préfèreraient utiliser des peintures toute faites comme la gouache ou l’aquarelle plutôt que de passer des heures à broyer des couleurs dans un mortier en pierre. Il est aussi possible qu’ils aient eu le désir de garder pour eux le secret de leurs recettes, résultats d’expériences laborieuses.
L’huile d’arc est un bon exemple de ces secrets de fabrication. Les anciens utilisaient pour vernir leurs arcs un mélange d’huile de lin et de « sandaraque ». Dans certains manuscrits anciens, on peut lire que l’huile d’arc est composée d’huile de lin et de sève de genévrier. C’est l’une des substances les plus nobles utilisées dans l’art de la miniature, mais on a depuis longtemps oublié la manière de la fabriquer car elle est à présent remplacée par des vernis synthétiques. D’ailleurs, à l’époque de son utilisation, elle n’était pas fabriquée par les artistes mais par des artisans spécialisés qui la vendaient prête à l’emploi aux artistes. Ceux-ci l’ont employée pour vernir les miniatures à cause de sa grande souplesse, de sa transparence et de sa capacité à préserver les couleurs dans le temps tout en les protégeant de l’humidité.
Il existe plusieurs modes de cuisson et de dosage de l’huile de lin par rapport à la sandaraque De nombreux essais infructueux ont été faits pour obtenir de nouveau ce vernis, mais les indications contradictoires des recettes sur la cuisson de l’huile ont entraîné des accidents (explosions ou brûlures). Néanmoins, ma passion et mon intérêt pour ce qui est inaccessible m’ont poussé à commencer des recherches personnelles sur la préparation et la cuisson de cette huile dans le but de retrouver ce qui a fait en partie le prestige de cet art noble d’Iran. J’ai découvert que la première erreur de ceux qui ont essayé de fabriquer de nouveau ce vernis était d’avoir utilisé de l’huile de lin de mauvaise qualité. Je me suis donc procuré des graines de lin de premier choix que j’ai fait transformer en huile de lin par un artisan d’une grande expérience dont l’atelier se trouve dans le vieux bazar de Tabriz. Enfin, en ajoutant de la sandaraque naturelle (à noter qu’on peut en trouver de la synthétique bon marché très facilement, mais qu’elle ne convient pas à la fabrication d’huile d’arc), j’ai donc pu commencer mes expériences. Je n’ai pas réussi immédiatement, il m’est arrivé de me brûler, mais je ne me suis pas découragé. En plein air dans mon jardin, protégé par des gants anti-chaleur utilisés par les ouvriers des fonderies, j’ai commencé à cuire cette huile et après de nombreux essais infructueux, je suis parvenu à retrouver la marche à suivre correcte pour fabriquer cette huile si précieuse oubliée depuis tant d’années.
Toutes mes miniatures sont vernies avec de l’huile d’arc. Le Musée de Mashhad m’a récemment fait savoir qu’il serait intéressé pour l’utiliser dans la restauration des miniatures anciennes. Je lui ai donc fourni une petite quantité à des fins d’analyse. La conclusion de son étude a confirmé sa pureté, sa résistance à la lumière et sa solidité dans le temps. Elle a également confirmé que cette huile était en tout point identique à celle fabriquée il y a cent ans. On m’a donc commandé par courrier l’achat de 20 kg d’huile pure.
Je voudrais préciser encore plusieurs choses. On peut en théorie extraire des pigments de tout ce qui, dans la nature, est coloré, que ce soit plantes, insectes ou minéraux, mais pour la réalisation concrète, j’ai dû entreprendre de laborieuses recherches pendant des années. Je dois reconnaitre que la nature fertile et intacte de mon pays m’a beaucoup aidé pour arriver à mes fins. En effet, ce n’est pas auprès des grands Maîtres iraniens que j’aurais pu trouver de l’aide car eux-mêmes n’utilisent plus de pigments d’origine naturelle, ni de papier fait-main, ce qui d’ailleurs laisse à penser qu’on ne connait pas la durée de vie de leurs oeuvres.
La raison pour laquelle j’ai choisi la France pour présenter le fruit de mes recherches est liée au fait qu’elle possède elle-même un patrimoine artistique très important. En 2006, elle fut le premier pays à accueillir mes peintures à travers une exposition à l’Atrium de Chaville dans la banlieue parisienne. Cette exposition reste un très bon souvenir pour moi. Puis en 2010, j’ai participé à une exposition au Grand Palais à Paris, ce qui m’a permis, grâce à ma précieuse guide, Annaé Annenkoff, de rencontrer le directeur de l’Institut de Restauration à qui j’ai pu montrer mes miniatures. Tout en m’encourageant à continuer à utiliser les pigments d’origine naturelle, elle m’a conseillé d’apprendre à fabriquer moi-même mon papier. D’après elle, peindre sur un papier qui n’est pas fait-main serait comme de construire un bâtiment sans fondation. Si bien que depuis deux ans, sous la direction du Maître Atfy, maître et responsable de la fabrication du papier fait-main au musée de Mashhad, je fabrique moi-même le papier sur lequel je peins les miniatures. L’art de la fabrication du papier a d’ailleurs toujours fasciné les artistes.
Ma conclusion est que, d’une part, toute couleur dont un peintre a besoin se trouve dans la nature et peut être utilisée comme je l’ai démontré précédemment. D’autre part, à travers les discussions que j’ai pu avoir et les avis que j’ai pu recueillir auprès des Maîtres de la restauration et les historiens d’art spécialistes de la miniature persane, il ressort que l’utilisation de produits de synthèse, surtout en ce qui concerne les vernis, dans la restauration des miniatures anciennes, peut avoir des effets destructeurs sur les œuvres, des effets que l’on n’a pas mesurés. Il est donc recommandé d’utiliser les mêmes ingrédients naturels que ceux utilisés à l’origine car non seulement ils ne présentent aucun danger mais en plus se révèlent intéressants si l’on veut assurer leur préservation.
Je remercie mes amis et les maîtres qui m’ont aidé dans cette voie : Michel Bataille (maître peintre), les professeurs Francis Richard et Sigrid Mirabaud (responsable du laboratoire du Département des restaurateurs de l’Institut National du Patrimoine), Annaé Annenkoff (diplômée de l’Institut national du Patrimoine).