N° 90, mai 2013

L’histoire de l’artisanat du bijou
en Iran antique


Afsaneh Pourmazaheri, Esfandiar Esfandi


L’Iran est géologiquement situé sur l’une des plus importantes ceintures minérales au monde. Son sol est à ce titre particulièrement riche en métaux précieux, ce qui n’a pas été sans influencer son histoire plurimillénaire. Cette richesse explique ses progrès rapides, depuis le sixième millénaire av. J.-C., dans le domaine de l’industrie du métal et dans l’art de la joaillerie à base de métaux précieux. La technique iranienne hors pair du traitement artisanal de la pierre faisait à l’époque envie aux plus grandes civilisations, égyptienne, babylonienne et indienne. La fameuse statue du bouc ailé, la coupe dorée de la légende de vie, retrouvées sur le site archéologique de Marlik et les dizaines de chefs-d’œuvre trouvés à Hassanlou, Tel-Eblis et Bampur illustrent la position artistique des Iraniens pour ce qui est de l’art du métal.

Sautoir perse achéménide, IVe siècle av. J.-C., Paris, Musée du Louvre

D’après les fouilles archéologiques, l’art de la fabrication des bijoux est né parallèlement à la naissance des premières civilisations persanes au sixième millénaire av. J.-C. Les bijoux déterrés notamment à Shahr-e Soukhteh (la Ville brûlée) montrent une grande finesse artistique dans l’usage des métaux précieux comme l’or, le cuivre, le bronze et le fil de fer et d’argent mais également dans l’utilisation des perles artisanales perforées. A cette époque, l’usage des colliers, des boucles d’oreilles, des ceintures, des broches, etc. était accompagné de produits de beauté et d’hygiène servant à rehausser le teint de la peau, à donner des couleurs au visage. On ne lésinait pas sur les soins corporels. On utilisait des huiles et des poudres spéciales, des pincettes, des cure-oreilles et même des coupe-ongles. L’art de se farder ou se coiffer était toujours lié à celui de la joaillerie sur métaux. Ainsi cette industrie connut un grand essor, surtout en ce qui concerne la fonderie, le moulage, le martèlement, l’incrustation et beaucoup d’autres artisanats effectués sur métal. A côté de cet artisanat bien répandu en Iran, l’art de la taille des pierres précieuses et l’usage des objets naturels ou d’origine animale comme l’ivoire, le coquillage, l’os et la dent furent également très en vogue. Cependant, malgré la diversité des matériaux employés dans l’art de la bijouterie, le métal resta toujours prédominant dans l’industrie notamment, comme on vient de l’évoquer, grâce à l’abondance des ressources minérales. Parmi les grandes civilisations de l’antiquité iranienne, les Mèdes en furent particulièrement friands, d’où leur savoir-faire incroyable dans le domaine. On le constate en observant la finesse de leur joaillerie, et de leurs incrustations à même le métal, qui se distinguent largement des réalisations appartenant à des époques contiguës. Dans le premier tome de son livre Our Oriental Heritage, Will Durant insiste sur le fait que les Mèdes étaient cernés par des montagnes riches en cuivre, en fer, en argent, en marbre et en divers types de pierres précieuses. Il ajoute ensuite que cette civilisation recourait à des méthodes sophistiquées d’extraction et de forgeage des métaux à usage esthétique. D’après Strabon, géographe, philosophe et historien grec, c’est à Kerman, dans le sud-est de l’Iran que l’on s’appliquait à extraire à la même époque et en grande quantité, l’or, le cuivre, l’argent, le fer et le plomb.

La Ville Brûlée (Shahr-e Soukhteh), au sud-est de l’Iran, est un site archéologique datant de l’ère du Bronze. Plus de 40000 tombeaux découverts sur ce site ont permis de mettre à jour des millions d’objets de cette période

On déduisit, à la suite des fouilles réalisées dans le sud-est de l’Iran, particulièrement à Bampur et à Tel-Eblis, que bien que les habitants de ces contrées se soient très tôt familiarisés, dès le VIe siècle av. J.-C., avec la fabrication des métaux et leur façonnage, ils ne connaissaient pas encore l’art de la fonderie. C’est à coup de marteau qu’ils taillaient le cuivre, et difficilement compte tenu de la petitesse et de la finesse des objets obtenus. Ce n’est qu’au deuxième millénaire av. J.C. que l’on découvrit le secret de la fonte du cuivre, ce qui révolutionna l’industrie du métal. Parallèlement à cette époque, dans l’ouest de l’Iran et dans le Caucase, le bronze connut une véritable vogue mais, vu sa solidité, il fut plutôt utilisé dans des domaines plus rustres comme dans la fabrication des objets de guerre et d’équitation.

La colline Hessâr à Dâmghân, dans le nord-est de l’Iran, devint dès le IIème millénaire av. J.-C. le principal espace consacré à l’extraction du lapis-lazuli et bientôt vinrent s’y implanter de multiples ateliers de joaillerie. En 2006 av. J.-C., la chute de l’empire sumérien entraîna de grands changements dans la vie des artisans et notamment des joailliers qui commencèrent à se déplacer, de gré ou de force, aux quatre coins du territoire. Cela explique l’influence réciproque des techniques artistiques en Mésopotamie et en Iran.

A Suse, à la suite des fouilles effectuées par des archéologues français tels que Marcel Dieulafoy et Jacques de Morgan au XIXe siècle, on a pu retrouver des bracelets et des colliers faits d’or creux dont la taille et la forme révèlent qu’ils étaient aussi bien destinés aux femmes qu’aux hommes. A la fin du IIe millénaire av. J.-C., avec la formation de l’empire assyrien, un nouvel équilibre fut établi entre le nord et le sud de la Mésopotamie. A cette époque, un grand nombre d’émigrants entrèrent en Iran en provenance des contrées nordiques. Outre le brassage culturel, le pillage et la mainmise sur les richesses des pays vaincus faisaient que les objets de valeur voyageaient d’une région à une autre. Sargon II, le roi assyrien qui régna entre 722 et 705 av. J.-C. attaqua Urartu et pilla les temples débordant de bijoux des dieux iraniens.

A Haftavân Tappeh, près du lac Oroumieh, également, à la suite des fouilles menées par le professeur Charles Burney en 1960, on retrouva des bijoux dont il fut établi qu’ils constituaient le butin amassé suite aux victoires contre les forces ennemies.

La monnaie darique est dit-on la première monnaie frappée au monde, à l’époque de Darius II ou Artaxerxès, 400-359 av. J.-C.

De manière générale, on considère les Mèdes (IIe millénaire av. J.-C.) comme les précurseurs de la joaillerie et les Achéménides (Vème siècle av. J.-C.) comme les maîtres joailliers sur métal, dont les ouvrages ont marqué les civilisations orientales tout au long de l’Antiquité. L’essor économique et politique des Achéménides favorisa, chez les artistes, la création d’œuvres singulières sur métal dont une grande quantité fut découverte à Pasargades et à Persépolis. Ce fut sous Darius Ier, troisième roi achéménide, que l’on frappa la monnaie en or, appelée darique. La darique fut la première monnaie frappée dans le monde et à l’instar de Darius, des monnaies semblables furent frappées ailleurs, en cuivre, bronze ou en argent. Un important trésor achéménide appartenant à la première moitié du IVe siècle av. J.-C., a été déterré à Suse par l’archéologue écossais David Stronach, dans les ruines de Pasargades. Ce trésor est aujourd’hui encore un des plus beaux souvenirs de l’artisanat antique du bijou de l’Iran. Des bracelets en forme d’antilope, des boucles d’oreilles surchargées d’or en filigrane, des cuillères en argent en forme de canard, des billes de rubis rouge et de lapis-lazuli, une grande quantité d’améthystes taillées, des colliers en forme de nénuphar, des pendentifs à motifs animaliers, des broches en émail à carreaux, des épingles et des colliers en perle, tous font partie du patrimoine inestimable rassemblé par les rois et les reines achéménides.

Outre les Achéménides, parmi les œuvres les plus fines et les plus élaborées du premier millénaire av. J.C., on peut évoquer celles des Mannéens et des Scythes, habitants de l’Azerbaïdjan et du Kurdistan d’aujourd’hui, qui possédaient les joailliers et les orfèvres les plus experts de tout l’Orient. En se servant d’un assemblage de pierres précieuses et d’or ou de cuivre, ils créaient des bracelets, des colliers, des brassards, des anneaux et des broches, parés notamment d’améthyste et d’obsidienne.

Les Sassanides, quant à eux, se servaient également beaucoup de joyaux et de parures en or. Selon les dires d’orientalistes tels que Will Durant, Jean Chardin et Roman Ghirshman, ce fut l’époque d’un progrès notable dans la production et le commerce des bijoux en or et en pierres précieuses. Les rois sassanides, Hormizd Ier et Khosro II en particulier, ainsi que la noblesse sassanide, tenaient beaucoup à se parer des joyaux les plus rares de l’époque. Leur exigence vis-à-vis de la beauté des joyaux qu’ils portaient fut telle qu’elle éveilla la curiosité des historiens et des archéologues, en autres Théophylacte Simocatta, historien byzantin du VIIe siècle et Abou Mansour al-Tha’alibi, philologue iranien du XIe siècle qui s’émerveillèrent devant un tel goût de la part des rois et un tel savoir-faire chez les artistes joailliers.

Bracelet achéménide avec têtes de lions

De nos jours, l’art de la joaillerie et de l’orfèvrerie est entré dans une nouvelle ère. Avec la mondialisation, les artisanats régionaux ou nationaux, comme l’art vestimentaire ou culinaire, ont reculé devant les standards mondiaux. Malgré cela, la touche personnelle des artisans iraniens reste bien visible dans la forme et les détails des bijoux, ce qui permet aux spécialistes et aux amateurs d’art oriental, de les différencier à leur avantage et pour leur plus grand plaisir.

Bibliographie :
- Khanji, Amirhossein, Târikh-e Irân-e bâstân (Histoire de l’Iran antique), édition électronique Tak ketâb, Téhéran, 2011.
- Ringgenberg, Patrick, Guide culture de l’Iran, éd. Rozaneh, Téhéran, 2005.
- Tabâtabâ’i, Nasrin, Farhang-e tosifi-e talâ va djavâher sâzi (Encyclopédie descriptive de l’or et de la fabrication des bijoux), éd. Pajouhesh-hây-e oloume ensâni va motâle’ât-e farhangi, Téhéran, 2009.


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2 Messages

  • L’histoire de l’artisanat du bijou
    en Iran antique
    7 janvier 2016 18:32, par Dr. Jacques Herman

    Je recherche un, ou plusieurs, ouvrage(s) retraçant l’évolution de l’art de confectionner des bijoux en Iran ancien

    repondre message

    • L’histoire de l’artisanat du bijou
      en Iran antique
      22 janvier 2017 15:57, par b.leclerc

      Bonjour, je vois que vous vous intéressez à l’Iran...
      Je projette d’y faire un séjour en mars/avril prochain :
      Mis à part les tapis que je connais bien, que peut on ramener comme beau souvenir authentique de ce pays ? une aiguière, un beau bijoux ???
      Dans l’attente du plaisir de vous lire, recevez mes sincères salutations.
      Bernard Leclerc

      repondre message