Nous retrouverons ce Graal dans la calligraphie persane, ultérieurement, de manière inattendue.

Il est la lettre noun de l’alphabet arabe – ou notre n – ressemblant à une coupe incluant un point en son centre. Un peu comme ce curieux logo à côté du navire de Kharbas. Il est la coupe contenant le point initial. Le chiffre sefr, ou sifr en arabe [1], notre zéro, ce chiffre de tous les possibles. Ou l’œuf cosmique originel, comme à Kharbas encore une fois.

Noun est aussi cet encrier contenant l’encre de tous les archétypes en devenir, selon les maîtres de calli-graphie. Et ceux-ci sont des aref – un mot d’origine arabe signifiant « connaissant », ou « initié ». L’encre est l’unique substance de l’Être originel [2], se répandant dans la pluralité des lettres. Ou la pluralité des créatures. Chaque lettre – ou créature – étant une forme particulière de l’encre unique, seule existante, s’exprimant par la plume, ou par Celui qui l’a en main [3].

***

Osons deux hypothèses. Une première audacieuse – pourquoi pas ! La seconde plus symbolique.

C’est l’homme qui pilote ce navire de Kharbas, nous l’avons vu. L’homme ayant atteint le terme de son évolution. Il est de ceux qui tiennent la plume en main, ayant accès à l’Encre unique, ou y participant. Et écrivant par la pensée le Grand Livre du Monde.

Premiers mots du verset premier de la sourate "Al Qalam"

Mais en quoi consiste cette Encre, cette Substance potentielle ?

Elle est lumière, cette énergie immémoriale. Cette lumière incréée, née à partir d’elle-même, de sa propre lumière. « Lumen de lumine » [4]. Un océan cosmique de lumière immaculée, « baratté » par une pensée d’amour – ce barattage originel du Rig Véda. Le pur amour, inconnaissable à l’homme inaccompli, s’exprimant par le Verbe ; et créant avec lui cette substance primordiale, fluide, tourbillonnaire, envahissant l’espace – un espace créé par eux.

Lumière-Amour, créant la forme, et la multipliant. Les étoiles d’abord, ces matrices d’origine. Puis les planètes découlant d’elles. Et l’Homme un premier jour – le temps était créé – sur l’une de ces planètes, Dieu sait où, dans ce vaste univers.

Il fallait sauvegarder un peu de cette substance originelle, coûte que coûte, la suite en dépendait. Ce concentré d’Amour-Lumière, issu du barattage de l’océan cosmique. Et le disséminer sur les planètes propices, dans ce vaste Univers. Des planètes élémentaires, avançant pas à pas : les poissons, les primates… Et c’est à l’Homme qu’il appartient de déposer sur ces planètes de cette matière divine, concentrée, chargée d’accélérer l’évolution. L’homme accompli, issu du premier homme [5], sur une première planète.

L’Homme, contrôlant la destinée du Monde. Selon un plan divin lui échappant à ses débuts. Un plan forçant l’humilité, cette qualité obligatoire. Le « chas de l’aiguille », si dur à franchir au riche en esprit : « l’intello », le savant… ce summum de la Terre, ayant conquis son satellite, lorgnant vers les planètes… tout petit homme, inaccompli, sur son petit caillou à la périphérie d’une galaxie ; une galaxie parmi tant d’autres.

Homme accompli ensuite, passées les turbulences de la jeunesse. Ayant appris, ayant lutté, ayant compris. S’étant vidé des strates obscures accumulées ; s’étant rempli du sel universel, qui sait ? ou de ce dieu à boire, et bien vivant, pris au premier degré du psaume : « J’ai soif de Dieu, du Dieu vivant. » Un peu de ce mystère peut-être, tout petit peu, déposé dans une coupe, ou une jarre – une jarre alimentant des coupes. Cette jarre étrange dans les grottes de Kharbas, d’où s’échappe la substance de la Vie. Près d’un moteur à l’intérieur d’un coffre, activant cette substance. Un moteur, un diffuseur, posés par un vaisseau céleste, face aux grottes, il y a longtemps, longtemps. Cachés dans un endroit discret depuis… un mausolée, deux cénotaphes… ou Dieu sait où ?

Abordons la seconde hypothèse, rejoignant celle des calligraphes.

L’Homme est la coupe contenant l’ambroisie, enfermée en lui-même. Cet Amour, cette Lumière, s’étant unis pour le meilleur. Il est l’Enfant divin, procédant de cette fusion, destiné à devenir un Homme. Il doit creuser en lui, jour après jour, obstinément. Extraire toutes les scories anciennes enfouies au plus profond : la passion, la violence, la haine… Et libérer les « vaches sacrées », emprisonnées dans les cellules, ces cavernes en lui-même.

Une théorie à comparer à celle d’Hâfez, le grand poète mystique que nous examinerons plus loin, et où l’homme est le même récipient et doit se préparer à recevoir cette ambroisie.

***

Nous avons trouvé une nouvelle fois deux scénarii possibles sur l’origine civilisée de notre humanité. Ces deux derniers rejoignant ceux du Paradis terrestre. Un homme créé, ou émané – au choix – devant évoluer par ses propres moyens, poussé en lui par une force intérieure ; ce feu d’Agni, l’Agnus Dei. Ou assisté dans sa croissance par de lointains ancêtres ayant suivi ce même chemin, bien avant lui. Le premier nous semble plus séduisant – affaire d’ego peut-être, tout simplement. Mais peut-on évacuer pour autant le second ? Tout ce faisceau de mythes, ou de légendes, se matérialisant par une lecture sur le terrain : le Graal, ce vaisseau de l’خle de Qeshm… Et le premier peut-il mener à cet homme immortel, incarné, libéré des contingences organiques ? Guilgamesh échouera, ayant repoussé les avances de la déesse-mère, Ishtar. Ulysse aussi.

Autogestion ou dépendance alors ?

Posons-nous la question en amont. Qui est Dieu ? Et que met-on à l’intérieur du mot ?

Quatre lettres ordinaires d’un alphabet humain pour dire l’Inconcevable ! L’univers, les particules élémentaires… et en amont, cette Cause première. Est-il « Celui qui est » ? ou bien « Cela qui est » ? Dieu transcendant ? ou Principe immanent ? Ce second concept nous vient d’Orient. D’à l’Est de l’Iran. On le trouvera après le Rig Véda ; il fleurira dans les Oupanishad, sera la base de l’hindouisme. Un Existant impersonnel, pris au premier degré, rendu accessible aux fidèles par une multitude de dieux hétéroclites. Je sais par des brahmanes hindous toutes les limites de ce concept.

Ouvrons la Bagavad Guita au chant numéro dix. Laissons parler le dieu Krishna, incarnation de ce Principe unique :

« Ayant donné une parcelle de moi-même pour manifester cet univers, Je demeure à jamais. »

Une simple phrase réconciliant deux théories. Les sublimant par le haut. Elle ne nous livre pas l’identité divine – sans doute n’y sommes-nous pas préparés ! Elle nous révèle la transcendance et l’immanence, réconciliées : Dieu crée à partir de lui-même – et comment peut-il en être autrement ? – et demeure hors de sa création, immuable, de toute éternité. Et davantage ! Ce qui nous apparaît comme la totalité de l’Existence, l’Univers, n’est qu’une parcelle de sa nature réelle.

Soyons humbles.

Irons-nous jusqu’à dire que cette « parcelle divine », à l’origine de l’Univers, serait elle-même à l’origine de ces « parcelles » infimes disséminées sur les

planètes, accélérant l’évolution ?

*Texte extrait de l’ouvrage Le Miroir du Monde publié par Les 3 Orangers, 13 avenue de Saint-Mandé, 75012 Paris. Mail : les3orangers@noos.fr

Prix de l’ouvrage : 19,00 euros. Frais de port offerts.

Notes

[1À l’origine du mot « chiffre », et représenté sous la forme d’un point.

[2Notons que le mot noun désignait l’océan primordial dans l’ةgypte ancienne.

[3Ce paragraphe est une interprétation d’un article d’Amélie Neuve-Eglise paru dans La Revue de Téhéran, n° 62 (Groupe Ettelaat).

[4« Lumière (née) de la Lumière » en latin (ةvangile selon Saint Jean).

[5Homme se dit adam, rappelons-nous, en persan comme en hébreu.


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