Un musée de taille pour une toute petite ville

Lens est une ville d’environ trente cinq mille habitants, du nord de la France, non loin de Lille ; son passé et son histoire sont avant tout ceux de l’extraction du charbon, arraché au sous-sol par les damnés de la terre, les mineurs, appelés également les gueules noires. Il reste des traces de ce passé minier, des puits de mine, des terrils : montagnes de résidus de charbon, des alignements de petites bâtisses de brique sombre : les cités ouvrières, construction d’un temps où capitalisme rimait avec paternalisme, sans doute ni pire ni meilleur que l’hyper capitalisme d’aujourd’hui. L’extraction du charbon a pris fin avec les années soixante et après l’abandon des sites industriels, terrible épreuve pour les mineurs et les activités secondaires liées à cette industrie du charbon. La reconversion des activités économiques et industrielles a eu le temps de se faire, tant bien que mal : le chômage reste extrêmement important.

La galerie du temps

Curieuse idée que d’ériger un si grand musée ici, à priori trop grand pour cette petite ville que bien des Français ne savent point situer et dont la notoriété tient essentiellement à son club de foot ; mais ce musée, dépendance du Louvre, doit se comprendre bien autrement que comme un de ces musées des beaux-arts des chefs-lieux de province, musées ô combien immobiles et poussiéreux avant les années quatre-vingt, avant que le musée ne se transforme et n’inscrive ses activités dans l’industrie culturelle et n’accueille des foules infinies avides de culture et de passé mythifié. En d’autres occasions, j’ai écrit dans cette revue quelques lignes sur le musée Guggenheim de Bilbao, puis sur le Centre Pompidou-Metz, l’un et l’autre, et comme ce Louvre-Lens, dépendants de manières différentes d’un musée originel, respectivement le Guggenheim de New York, le Centre Pompidou de Paris. Il y a également et à venir bientôt, le Louvre Abu Dhabi, un projet d’une toute autre dimension que celle des musées cités ci-dessus.

Une architecture contemporaine discrète et le dédoublement du réel

Le Louvre-Lens a été inauguré il y a quelques mois et s’il accueille le public, ses alentours, l’espace paysagé sur lequel il est érigé reste encore en friches : la terre est à nu, mêlée au charbon omniprésent. Le végétal quant à lui, se développera et croitra plus tard. Dès lors le site aura une autre allure car un vrai travail d’architecte paysagiste contemporain semble avoir été effectué ; pas étonnant puisque les architectes sont japonais : Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa (agence SANAA) et l’on sait à quel point l’architecture traditionnelle japonaise mêle avec un grand savoir-faire le bâti et la nature. Ce musée occupe le territoire d’une ancienne mine, vingt hectares à l’orée du centre-ville. Les bâtiments s’étendent sur 18 000 m², de plain-pied, d’un seul niveau ou presque puisque le sous-sol n’est pas vraiment perceptible pour le visiteur. Ce musée est fait de métal, de verre et de béton ; et avec cette surface, ce n’est pas un petit musée, même si le Louvre dont il est dépendant est lui, réellement immense. Le Louvre-Lens se résume à cinq bâtiments : deux longs bâtiments parallélépipédiques aux murs revêtus d’aluminium, à l’intérieur comme à l’extérieur, l’un de ces bâtiments est consacré aux expositions temporaires, l’autre à la collection mise en scène chronologiquement et appelé La galerie du temps. Un vaste espace d’accueil dont le verre assure transparence et reflets comporte la médiathèque, la librairie, un salon et des restaurants. Cet espace fait immanquablement écho à la pyramide du Louvre de Paris. Une salle dite Le pavillon de verre accueille également les expositions temporaires et thématiques. Le béton est au sol. Ainsi, dans cette architecture orthogonale, ce qui est vertical, c’est-à-dire le verre et l’aluminium dépoli, jouent à la fois de la transparence et de reflets incertains. Que ce soit à l’extérieur des bâtiments ou à l’intérieur, l’aluminium dépoli n’est ressenti ni comme opaque ni comme réfléchissant, en effet il ne reflète pas vraiment son environnement comme ce serait le cas s’il était poli (et ce serait un miroir). A l’extérieur, l’aluminium renvoie l’image brouillée du terrain paysagé, à l’intérieur, dans la galerie du temps, il renvoie l’image fantomatique des œuvres et celle lentement mobile des visiteurs. Les parois métalliques, outre ce reflet brouillé qu’elles renvoient, ne ferment pas l’espace comme le font les parois des murs opaques, au contraire, elles génèrent une impression de continuité et d’au-delà, ainsi la dimension des salles est ressentie comme démultipliée. Cette capacité de dédoublement du contenu, œuvres ou visiteurs, se retrouve d’une autre façon dans les bâtiments de verre où la transparence à laquelle s’adjoignent de multiples reflets brouille l’image du réel. A l’intérieur, les murs d’aluminium de La galerie du temps n’accueillent aucune œuvre : elles sont installées au centre de ce vaste espace, sur socles ou accrochées aux parois provisoires dressées pour les accueillir. Comme il se fait maintenant, les salles de verre s’ouvrent sur l’espace paysagé en cours de réalisation, ou plus loin, sur le paysage du Pas de Calais : maisons de brique soigneusement alignées, végétation perdue dans la grisaille et terrils au loin : montagnes artificielles témoins du long travail de la mine. Hormis ces caractéristiques, le Louvre-Lens, particulièrement sobre par rapport, par exemple à la folie architecturale qu’est Pompidou-Metz, reste un peu passe-partout, comme sont les aéroports ou les nouvelles gares. Mais ce parti pris de sobriété et de discrétion de l’architecture permet assurément une bonne perception des œuvres.

Paysage local

Un escalier et un ascenseur permettent de découvrir qu’il y a un sous-sol dont une salle est la mise en scène d’une partie des réserves du musée. Cet espace est appelé Les coulisses du musée. On a déjà vu cela au musée du Quai Branly à Paris où la rampe d’accès à l’espace principal d’exposition longe des réserves curieusement mises en cages. Ici le propos un peu facile se veut pédagogique : montrer l’envers du décor des expositions : la longue attente des œuvres, leur entretien, restauration, mise sous cadres. Mais on ne visite pas les réserves, le public est tenu à distance par une cloison de verre. Cet espace comporte un certain nombre d’écrans et de projections dont le rôle est explicatif, à la fois quant à ce qu’est ce musée et quant à ce que sont les œuvres.

Enfin une salle appelée La scène est dédiée aux conférences, débats et spectacles.

Un vrai parti pris scénographique, mais...

Lors de ma visite, la salle des expositions temporaires étant fermée en l’attente d’une exposition à venir, je n’ai donc pu apprécier la mise en scène des œuvres et les choix muséographiques que dans La Galerie du Temps et dans Le Pavillon de verre. Je pense que la scénographie de La Galerie du temps relève d’un choix pédagogique objectivé : cette immense galerie se traverse en sa longueur en louvoyant de droite à gauche. La traversée de la salle tout en longueur est freinée par les travées perpendiculaires à cette longueur où les œuvres sont présentées, sur socles ou accrochées à des panneaux blancs. Et puisqu’il s’agit ici du Louvre, ce sont les meilleures d’entre elles. Le parti pris chronologique est certes très ordinaire bien que fonctionnel et pédagogique, le parti pris de transversalité est quant à lui bien plus intéressant, même si… Car cette transversalité, cette mise sur une même travée d’œuvres de civilisations différentes d’une même époque se heurte au fait que chaque époque ne peut être représentée que par quelques échantillons, qui, bien que remarquables laissent une impression d’insuffisance quantitative : le visiteur est sans doute habitué à des expositions plus fournies. Fort heureusement, de ces choix de mise en scène, il ne ressort pas le sentiment d’un désir comparatiste. Cependant reste cette question, cette gêne due à l’impression de visiter un musée de l’échantillon. Le Louvre-Lens aurait au total cinq à six cents œuvres avec une capacité d’exposition évidemment moindre. Ce sentiment d’une culture artistique par l’échantillon persiste dans le cadre de l’exposition Le temps à l’œuvre présentée dans Le pavillon de verre. Le parti-pris est le même que dans La galerie du temps, sauf qu’il est ici question du temps comme thème dans un certain nombre d’œuvres provenant de différentes époques et de différentes civilisations. Ici la présentation des œuvres est faite dans des salles cylindriques aux parois blanches : il faut bien trouver une solution de mise en scène à l’abri de la transparence du Pavillon de verre et on retrouve donc un mode classique d’exposition. Quant à l’exposition elle-même, bien que sa conception soit judicieuse et se fonde sur des objets témoignant des différentes divisions du temps propres à l’humanité, à Thèbes, à Rome, en Egypte, par exemple : divisions que sont le jour, la nuit, le mois, l’année. J’ai regretté que cette exposition n’ait pas davantage d’ampleur, car le thème du temps à travers les œuvres d’art mérite sans doute d’être plus approfondi. Ici aussi ressort une certaine frustration et l’impression d’avoir seulement une exposition d’échantillons avec finalement un accès à l’art par bribes et prélèvements inscrits dans la continuité du temps et dans quelques cultures et civilisations choisies. Car, comme pour La galerie du temps, ici les commissaires doivent faire des choix et montrer des œuvres de certaines civilisations plutôt que celles d’autres. Le Louvre-Lens, pour le moment, tient à l’écart et par exemple, l’Asie, l’Afrique et les Amériques.

Vue de l’extérieur des bâtiments

Enfin La galerie de Verre accueille quelques figures de Géants de Douai, ce sont des personnages liés aux légendes locales et qui participaient aux processions, un peu comme les figures des carnavals. Clin d’œil et ouverture bien timides du Louvre-Lens au pays où il s’est implanté, juste pour dire que ce musée n’est pas totalement et exclusivement un petit Louvre parachuté de Paris.

Le sous-sol et les réserves

Impact du Louvre-Lens sur la ville

Evidemment ce nouveau musée porteur d’un nom prestigieux va drainer une importante quantité de visiteurs, plusieurs centaines de milliers chaque année, selon les estimations. La durée d’un trajet en TGV, depuis Paris, est d’un peu plus d’une heure, et comme pour le Centre Pompidou-Metz, l’aller-retour et la visite se font aisément en moins d’une journée ; même chose par la route puisque la durée normale du trajet depuis Paris est d’un peu plus de deux heures. Ceci pour dire que les visiteurs, même s’ils se rendent également sur quelques sites miniers et dans le centre-ville de Lens ne vont guère s’attarder davantage. Donc l’impact économique sur la ville restera limité, sauf si aux beaux jours la réputation du Louvre-Lens en fait un tremplin pour une découverte du pays et de ce nord mal aimé des Français en raison notamment d’un climat souvent difficile. Mais en liaison avec le Louvre-Lens va se créer un pôle numérique et culturel où s’effectuera la lourde tâche de numérisation du patrimoine culturel national, spécialité pointue. Cela entrainera la création de nombreux emplois en plus de ceux directs ou indirects déjà créés par le musée : conservateurs, personnel technique, personnel de maintenance des lieux et des œuvres, conférenciers, etc. Donc les retombées attendues sur Lens et ses alentours sont positives et contribueront sans nul doute à effacer une image de désolation, celle d’après la désindustrialisation des années soixante à quatre-vingt.

Quelques oeuvres dans la galerie du temps

Des œuvres d’excellence

Les œuvres présentées dans La galerie du temps, sont évidemment remarquables puisqu’elles ont été soigneusement choisies dans les collections du Louvre, autrement dit ce sont les meilleures parmi les meilleures. Cela compense cette impression d’échantillons et de parti-pris de limiter l’exposition à seulement certaines civilisations. Le parcours du visiteur commence donc par l’Antiquité avec notamment l’Egypte, la Grèce, les Cyclades, la Perse (avec un fragment de décor du palais de Darius 1er), la Mésopotamie et Rome. Puis on traverse le Moyen-âge pour arriver à la Renaissance et aux siècles suivants jusqu’à, en fin de parcours, le dix-neuvième siècle avec La liberté guidant le peuple de Delacroix. Dans ce parcours, on rencontre quelques œuvres inattendues comme ce portrait de Fath Ali Shâh (1797-1834) offert par l’Iran à un émissaire de Napoléon premier. Cependant les œuvres des pays européens restent massivement majoritaires, avec par exemple Holbein, Léonard de Vinci, Fra Angelico, Le Brun, Rembrandt, Raphaël, Le Pérugin…

Portrait de Fath Ali Shâh dans la galerie du temps

Alors cette question de l’échantillon, d’une histoire de l’art discontinue ? Je crois que les œuvres et leur judicieuse mise en scène peuvent faire oublier cet aspect un peu superficiel d’une culture du fragment. Et puis le travail du visiteur n’incombe pas nécessairement seulement au musée, les œuvres ici présentées peuvent jouer un rôle de repères dans une culture à parfaire ou à construire.

Quelques oeuvres dans la galerie du temps

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