N° 124, mars 2016

Mohammad Ghâzi et sa contribution
à la traduction en Iran


Behzâd Hâshemi


Mohammad Ghâzi, traducteur et écrivain iranien, est né le 3 août 1913 à Mahâbâd (ville de la province d’Azerbaïdjan occidental) et est décédé le 14 janvier 1998, à l’âge de 85 ans. Son père était Abdol Khâlegh Ghâzi, imam de la Mosquée du Vendredi de sa ville et notable connu. A sa naissance, le choix de son prénom par son père pose problème, comme il le raconte dans son ouvrage autobiographique publié en 1992 : « C’est mon père qui choisit mon prénom auquel il tenait énormément, contre l’avis de ma mère pour qui il portait malheur, deux de mes aînés morts prématurément ayant porté ce même nom. » [1]

Sa mère appartenait à la même classe de notables que son père, qu’il perd tôt. Suite au décès de ce dernier, sa mère se remarie, le laissant sous la tutelle de ses grands–parents paternels. Il suit alors l’école primaire, à l’époque essentiellement basée sur l’enseignement classique et religieux, auprès de son oncle, dans sa ville natale. Aucun collège ou lycée n’existant alors dans sa petite ville, il cesse d’étudier à la fin du primaire, prenant son mal en patience.

L’apprentissage du français

A cette même époque, Abdorrahmân Guiv, journaliste et historien kurde, vient de s’installer à Mahâbâd après un long séjour dans le Kurdistan irakien. A Mahâbâd, il enseigne le français, l’arabe, la photographie et l’art de la reliure. Le futur traducteur qu’est le jeune Mohammad prend connaissance de sa présence et l’idée d’apprendre le français lui semble attirante. S’inscrivant au cours d’Abdorrahmân Guiv, il s’initie à la langue de Molière, malgré la désapprobation de son entourage, pour qui le français est une langue profane. Le salaire demandé par le maître est négligeable mais le jeune garçon ne peut y subvenir. Pourtant, son nouveau professeur décide de continuer à lui enseigner cette langue - Mohammad Ghazi est alors son unique élève. Le manuel de français est un vieux livre déchiré, qui est le seul ouvrage de son genre dans la ville. Une fois l’étude de ce livre terminé, le jeune homme demande à sa famille de l’envoyer à Téhéran s’installer chez son oncle qui vient de rentrer d’Allemagne, estimant à juste titre qu’il pourra trouver les moyens d’approfondir sa connaissance du français dans la capitale.

Dès son arrivée à Téhéran, il reprend aussi bien sa scolarité que ses cours de français. Il obtient son bac littéraire en 1936 à la fameuse Ecole Dâr-ol-Fonoun (Ecole polytechnique), puis s’inscrit ensuite en droit à l’université dont il sort avec sa licence en poche trois ans plus tard. Parallèlement à ses études, il travaille en tant que traducteur de français dans une société privée.

Mohammad Ghâzi

Carrière de traducteur

A la fin de ses études, il est recruté par le ministère des Finances en tant qu’expert judiciaire. C’est en 1937 que la proposition de traduction d’un scénario inspiré de Don Quichotte le pousse vers la traduction littéraire. Ainsi, il commence l’année suivante sa traduction de Claude Gueux de Victor Hugo. Sa deuxième traduction, L’Ile des Pingouins d’Anatole France, a du mal à trouver preneur, les maisons d’édition rechignant à la publication de cet ouvrage alors mal connu en Iran. Mais trois ans plus tard, après avoir finalement trouvé un éditeur, le style raffiné et l’éloquence de la traduction font du livre un best-seller en Iran, permettant au lectorat iranien de découvrir cet auteur français.

Mariage et retraite

Mohammad Ghâzi épouse en 1943 une jeune fille du nord de l’Iran, prénommée Irân. De leurs cinq enfants, seuls deux ont survécu. Atteint d’un cancer du larynx en 1975, Mohammad Ghâzi doit prendre une retraite précoce. Il n’en renonce pas pour autant à la traduction et se fait engager par le Centre de Formation intellectuelle des Enfants et des Adolescents pour se consacrer dorénavant à la traduction d’ouvrages destinés à cette classe d’âge.

Traducteur de grands auteurs, membre de l’Association des Ecrivains Iraniens et lui-même auteur engagé, Ghâzi n’a cessé de s’engager au travers de ses traductions, dont les choix n’étaient pas le fruit du hasard, ces dernières lui permettant au contraire d’exprimer ses idées. Bien qu’ayant souvent subi des difficultés financières, il n’a jamais traduit pour de l’argent, n’ayant constamment qu’une idée en tête : être au service de l’humanité et du développement culturel et intellectuel de ses compatriotes. Ses traductions constituent les meilleures illustrations de cette volonté.

En homme d’esprit, il a toujours gardé un ton léger et un sûr instinct d’humoriste. Parmi ses traductions, citons ses Maux du peuple qu’il a traduit en français, en anglais et en kurde, et qui raconte le passé et les problèmes des communautés kurdes tout au long de leur histoire mouvementée.

Mohammad Ghazi décède à l’âge de 85 ans le 14 janvier 1998 et est inhumé, selon ses propres vœux, dans sa ville natale. Son tombeau attire de nombreux visiteurs venant lui rendre un dernier hommage. Pour conclure, voici une liste non-exhaustive de ses traductions, parmi une soixantaine d’ouvrages traduits au total :

1- Croc-Blanc de Jack London

2- L’Ile des Pingouins d’Anatole France

3- Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry

4- L’Ingénu de Voltaire

5- Le Dernier jour d’un Condamné de Victor Hugo

6- Don Quichotte de Miguel de Cervantès (prix du meilleur traducteur de l’année en 1958)

7- Madame Bovary de Flaubert

8- La liberté ou la mort de Nicos Kazantzakis

9- Napoléon de Eugène Tarle

10- Les Kurdes et leur pays de Basile Nikitine .

Bibliographie :
- Ghâzi, Mohammad, Khâterât-e yek motarjem (Mémoires d’un traducteur), Ispahan, éd. Zâyandeh-Roud, 1992.
- Ghâne’i Fard, Erfân, Dami bâ Ghâzi va tarjomeh (Instants avec Ghâzi et la traduction), Sanandaj, éd. Jiâr, 1998.

Notes

[1Dami bâ Ghâzi va tarjomeh (Instants avec Ghâzi et la traduction), Sanandaj, éd. Jiâr, 1998, p. 91.


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