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La Grande-Bretagne était l’un des interlocuteurs de Téhéran dans le marathon des négociations portant sur le nucléaire civil iranien. Les accords de Vienne conclus en juillet 2015 et la mise en application de ces accords dès janvier 2016 semblent changer la donne de la possibilité d’une détente et d’une coopération (d’ailleurs inscrite dans le texte des accords de Vienne) dans divers domaines : nucléaire, économique, politique et sécuritaire.
Dans le présent article, nous nous dispenserons de reprendre les déclarations des ministres des Affaires étrangères lors des conférences de presse conjointes, et essaierons d’écouter les acteurs économiques et les représentants des entreprises qui estiment globalement qu’une ouverture économique et commerciale dépend, certes, d’une bonne entente politique, mais aussi peut, à long terme, la renforcer à son tour.
Au-delà des enjeux nucléaires, l’accord signé à Vienne entre l’Iran et les six grandes puissances (dont la Grande-Bretagne) ouvre de nouvelles opportunités commerciales et économiques, non seulement pour l’Iran mais pour tout le monde. Le 14 juillet 2015, un accord historique a été signé entre l’Iran et les six pays du P5+1. Ce groupe de pays (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU + l’Allemagne) était engagé depuis 2006 dans d’âpres négociations avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire pacifique, soupçonnant à tort l’existence d’un volet militaire dans les activités atomiques de l’Iran.
Finalement, en échange de la levée des sanctions injustement imposées à son économie, Téhéran a donné des garanties concernant le caractère non militaire de son programme nucléaire. Cet accord sera vérifié et contrôlé pendant la durée de ce contrat par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), organisme onusien chargé, entre autres, de la sûreté atomique internationale.
Mais au-delà de la question de la sécurité nucléaire, la levée des sanctions entraîne une redistribution des cartes au niveau diplomatique, économique et commercial. Les puissances qui essayaient de mettre l’Iran à l’écart se mettent désormais à le courtiser, conscientes du poids que le pays représente sur divers plans. En effet, Téhéran a réussi à s’imposer comme un pilier géopolitique à la fois d’un point de vue économique et géopolitique.
La levée des sanctions liées au programme nucléaire iranien a eu lieu en janvier 2016, et à l’unique condition que l’Iran respecte ses engagements. Mais l’Iran ne sera pas seul à profiter de cette ouverture. Devant les opportunités nouvelles qui s’ouvrent, tous les pays souhaitent une part. L’Iran dispose de ressources naturelles, d’un emplacement stratégique, de ressources humaines hautement qualifiées par comparaison avec ses voisins régionaux, mais aussi d’un marché de 80 millions d’habitants.
Tous les pays n’ont pas vécu le régime des sanctions anti-iraniennes de la même manière. Le retour vers l’Iran sera certainement le plus difficile pour les Etats-Unis, les relations diplomatiques entre Téhéran et Washington étant interrompues depuis 1979. Dans ce contexte, la diplomatie américaine devra donc prendre son temps en espérant pouvoir éventuellement regagner la confiance perdue des Iraniens, pour pouvoir retisser d’une manière limitée des liens diplomatiques et commerciaux fiables avec l’Iran.
En ce qui concerne la Chine, entre 2011 et 2015, les parts de marchés chinoises en Iran sont passées de 1 à 11%. [1] Leur retard en la matière sera difficile à rattraper pour les pays européens qui étaient depuis longtemps partenaires économiques et commerciaux de différents secteurs iraniens. Mais l’Europe a tout de même des atouts sur le marché iranien. Car même si elles ont beaucoup perdu à la suite du régime des sanctions, les entreprises européennes ont une grande histoire commerciale avec l’Iran, qui devrait faciliter leur retour.
Après les accords du 14 juillet 2015, le Royaume-Uni a très vite rouvert son ambassade à Téhéran. Il faut dire que la diplomatie anglaise était prête d’avance pour l’ouverture iranienne. Les diplomates et hommes d’affaires anglais sont représentés dans toutes les institutions qui sont au centre des négociations commerciales avec l’Iran, sous forme des fameuses « délégations politiques et commerciales » qui accompagnent les ministres lors de leurs déplacements officiels.
Norman Lamont, ancien ministre des Finances, préside aujourd’hui la Chambre de commerce irano-britannique (British Iranian Chamber of Commerce). Récemment nommé par le Premier ministre David Cameron comme émissaire commercial de la Grande-Bretagne auprès de l’Iran, M. Lamont a déclaré récemment, dans une interview avec The Independent, que le marché iranien est le plus grand marché émergeant depuis l’effondrement de l’Union soviétique il y a 25 ans. [2] Dans cette interview, le président de la Chambre de commerce irano-britannique a précisé que l’Iran possède la quatrième grande réserve mondiale de pétrole et la deuxième grande réserve mondiale de gaz naturel, d’où son potentiel de devenir une superpuissance dans le domaine de l’énergie. Cependant, il a souligné que l’économie nationale de l’Iran ne se limitait pas au secteur de l’énergie, en évoquant notamment la capacité iranienne de fournir du cuivre, du zinc et de l’aluminium, et n’a pas manqué de préciser que contrairement à la plupart des producteurs de pétrole dans la région, l’Iran s’est doté d’infrastructures économiques et industrielles plus variées. Mais Norman Lamont estime que les relations commerciales et économiques de son pays avec l’Iran sont très restreintes et rappelle que la valeur des échanges irano-britanniques ne représente actuellement qu’un vingtième des échanges entre l’Iran et l’Allemagne. "Nos échanges avec Téhéran sont même inférieurs à ceux des Etats-Unis avec l’Iran. Or, c’était Washington qui nous avait interdit les échanges avec nos partenaires iraniens" [3], déplore le président de la Chambre de commerce irano-britannique.
D’après lui qui représente, en raison de son poste à la tête de la British Iranian Chamber of Commerce, les intérêts des entreprises commerciales, industrielles et de service désireuses de développer leurs activités en Iran, l’économie a été longtemps otage des considérations d’ordre politique. Il rejette les accusations des milieux politiques et médiatiques à propos d’un quelconque rôle négatif de l’Iran par rapport aux évolutions du Moyen-Orient : "Pour moi, la version que l’Occident suggère est inadmissible. On accuse Téhéran d’intervention dans les affaires intérieures d’autres pays. Or, personne ne dit la même chose à propos de Riyad, quant à l’intervention militaire au Yémen ou le soutien financier aux rebelles syriens (…) Ce n’est pas la faute des Iraniens s’ils ont de bonnes relations avec leurs voisins irakiens. L’influence régionale accrue de l’Iran s’explique par diverses raisons dont le comportement des Occidentaux qui ont, par exemple, attaqué l’Irak de Saddam Hussein en 2003." [4] Il estime que les entreprises britanniques attendent avec enthousiasme l’établissement de liens avec des partenaires iraniens.
D’après le président de la Chambre de commerce de la République islamique d’Iran, la question de la relance des échanges économiques et commerciaux avec la Grande-Bretagne est difficile et complexe par rapport aux autres pays. M. Mohsen Jalâlpour, élu en juin 2015 à la tête de la Chambre de commerce iranienne, rappelle que pendant les années de l’intensification des sanctions imposées avec injustice à l’Iran en raison du développement de son programme nucléaire civil, le gouvernement de Londres a exercé plus de pression sur l’économie iranienne par rapport aux autres pays européens, d’où la difficulté aujourd’hui d’une reprise de relations normales avec les entreprises britanniques. Dans une interview avec le journal économique de Téhéran Forsat-e Emrouz, M. Jalâlpour a insisté sur un coût plus élevé à payer pour rétablir des liens économiques et commerciaux avec la Grande-Bretagne, mais il estime que malgré cette difficulté, le commerce avec les entreprises britanniques serait rentable pour les acteurs iraniens, à condition que dans le développement des affaires avec la Grande-Bretagne, l’accent soit mis sur les capacités effectives des deux parties. "D’abord, nous devons bien prendre en compte nos capacités. Notre pays est le point stable et sûr pour le développement des investissements dans une région dont la population s’élève à 400 millions d’habitants (dont 80 millions d’Iraniens). Nos contrats doivent être conclus selon une position de force étant donné l’importance de nos atouts" [5], a-t-il souligné. En effet, après la réouverture des ambassades des deux pays à Londres et à Téhéran et la reprise des activités des services consulaires, bientôt, les hommes d’affaires iraniens et anglais n’auront plus besoin de faire une demande de visa dans un pays tiers et pourront bénéficier facilement de services consulaires directs.
D’après le président de la Chambre de commerce iranienne, dès mars 2016, les premières délégations d’hommes d’affaires et d’industriels iraniens se rendront à Londres pour examiner le terrain pour la reprise des affaires avec les entreprises britanniques. Dans ce domaine, il apparaît que la partie iranienne souhaite d’abord profiter des services dans lesquels les Anglais excellent : les finances. "Avant de passer à tout autre chose, il vaut mieux nous concentrer sur le point fort des partenaires britanniques, c’est-à-dire les finances. Londres est l’un des plus grands centres financiers du monde, et nous avons besoin de nouvelles sources pour le financement de nos projets. A mon avis, pendant les années qui viennent, les acteurs iraniens devront concentrer leurs activités à la City." [6] [7], a-t-il déclaré. C’est aussi l’opinion de certains hommes d’affaires iraniens qui estiment qu’il serait possible de coopérer avec les partenaires britanniques dans le domaine du financement de projets à l’intérieur de l’Iran, compte tenu du grand potentiel du marché financier de Londres, avant de passer à l’idée de l’application de projets industriels ou miniers conjoints avec les sociétés anglaises. Mais contrairement au président de la Chambre de commerce de la République islamique d’Iran, tous les acteurs économiques iraniens ne sont pas aussi optimistes concernant la perspective du développement des affaires avec la Grande-Bretagne. Certains experts estiment qu’il est vrai que le développement des relations financières avec les grandes puissances économiques comme le Royaume-Uni serait bénéfique, mais soulignent que l’économie britannique est, d’un certain point de vue, une économie fermée aux investissements étrangers, car Londres fixe un plafond très strict à la présence du capital étranger sur son territoire. Par conséquent, toute activité financière en Grande-Bretagne devrait être définie de manière bien ciblée, d’où la nécessité d’une « feuille de route » précise et détaillée pour les transactions financières et économiques avec Londres. En ce qui concerne la présence britannique sur le marché iranien, les critiques mettent le doigt sur la fragilité éventuelle d’une économie nationale qui dépend encore des importations face à la participation d’une économie puissante comme celle de la Grande-Bretagne. C’est pour répondre à cette inquiétude que le gouvernement iranien élabore sa nouvelle stratégie de l’économie extérieure sur la base du transfert de capital, du savoir-faire, de la technologie et des services à l’intérieur du pays, sous la forme d’un partenariat avec les secteurs public et privé iraniens, au lieu de développer l’importation de produits manufacturés finis.
Par ailleurs, le vice-président de la Chambre de commerce anglo-iranienne à Téhéran, M. Amir Houshang Amini, croit que l’existence des relations économiques entre l’Iran et la Grande-Bretagne depuis cinq siècles peut servir de base solide à la reprise des affaires entre Téhéran et Londres. Il estime que la relance des relations économiques entre les deux pays permettra à l’Iran de renforcer également ses liens économiques et commerciaux avec les 56 pays membres du Commonwealth. "L’inquiétude de la dépendance éventuelle aux importations ne s’est pas dissipée par le choix de la Grande-Bretagne, de la France ou de l’Allemagne en tant que principal partenaire économique au sein de l’Union européenne. Pour dissiper cette inquiétude, le choix doit être fait à l’intérieur du pays, dans la mesure où nous devons renforcer les infrastructures de la productivité nationale. Ce but ne sera certainement pas réalisé d’un jour à l’autre. Pour faciliter cette tâche, nous pouvons compter sur nos moyens intérieurs, mais aussi sur le transfert de capital et de savoir-faire de l’étranger. Cela prendra du temps, mais la poursuite du statu quo n’est pas non plus souhaitable" [8], a-t-il déclaré.
Un mois après la conclusion des accords nucléaires entre l’Iran et les grandes puissances en juillet 2015, le ministre britannique des Affaires étrangères, Philip Hammond, s’est déplacé à Téhéran le 23 août 2015. La presse internationale a qualifié cette visite officielle d’« historique » en faisant allusion au fait que c’était la première fois depuis douze ans (2003) qu’un secrétaire du Foreign Office se rendait en Iran. Pendant son déplacement à Téhéran, M. Hammond a rouvert officiellement l’ambassade de son pays dans la capitale iranienne. M. Hammond était accompagné par une délégation économique, et outre ses rencontres diplomatiques, il s’est entretenu avec le ministre iranien du Pétrole et le gouverneur de la Banque centrale de la République islamique d’Iran, des modalités d’une ouverture économique et commerciale entre les deux pays.
Le 3 février 2016, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javâd Zarif, a voyagé à Londres à l’invitation du Premier ministre britannique, David Cameron, pour participer à la Conférence des donateurs pour la Syrie. Là encore, la visite du ministre iranien - une première depuis douze ans - a été considérée par les médias comme « historique » et constituant un signe encourageant pour l’augmentation du volume des échanges commerciaux et des investissements bilatéraux dans le contexte prévalant après la levée des sanctions anti-iraniennes. [9]
Pendant les années de l’intensification du régime des sanctions occidentales contre l’Iran, les échanges entre l’Iran et les pays membres de l’Union européenne ont considérablement diminué. A présent, la Grande-Bretagne n’occupe pas une place significative dans le commerce extérieur de l’Iran avec les 28 pays membres de l’Union européenne. Selon les statistiques publiées par Eurostat9, en 2011, la Grande-Bretagne avait importé des marchandises iraniennes pour une valeur totale de 420 millions d’euros. Après le renforcement du régime des sanctions contre l’Iran, ce chiffre a diminué pour atteindre 39 millions d’euros en 2014. Les importations britanniques vers l’Iran étaient de l’ordre de 203 millions d’euros en 2011 et ont baissé à 113 millions d’euros en 2014.
D’après les chiffres du fonds monétaire international (FMI), de 1980 à 2014, le PIB [10] iranien est passé de 101 à près de 404 milliards de dollars. Le FMI estime que le renforcement des liens entre l’Iran et l’international, ainsi que l’application de réformes structurelles dans le système économique pourraient faire augmenter le PIB iranien pour lui faire atteindre plus de 2500 milliards de dollars. Pour réaliser un tel objectif, l’Iran devra réduire le taux de dépendance de son économie nationale au pétrole et moderniser son industrie, son agriculture ainsi que ses autres secteurs économiques. Contrairement à la plupart des pays exportateurs de pétrole, l’économie iranienne se démarque depuis quelques années de l’économie de monoproduction. Le pays possède d’importantes infrastructures dans divers secteurs industriels, bien qu’ils aient besoin de modernisation et de développement pour renforcer leur compétitivité : automobile, ciment, acier, construction, textile, électroménager, électronique, électricité, télécommunication, tourisme…
Les statistiques du FMI confirment que le PIB britannique est passé de 566 milliards de dollars en 1980 à 2945 milliards de dollars en 2014. Le commerce extérieur de la Grande-Bretagne a enregistré en 2014 près de 503 milliards de dollars pour les exportations et 802 milliards de dollars pour les importations (dont la majeure partie à l’intérieur de l’Union européenne).
[11]
[1] Iran Restarts Relationships With European Oil Clients, in : www.bloomberg.com, 6 février 2016.
[2] L’Iran est le plus grand marché émergeant depuis l’effondrement de l’Union soviétique, in : www.irna.ir, 25 janvier 2016.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Le commerce avec le Royaume-Uni est difficile mais bien rentable, in : www.tnews.ir, 9 février 2016.
[6] La rive nord de la Tamise, plus précisément l’actuelle City, a constitué l’origine de Londres. Quartier des affaires et de la finance, la City de Londres est l’une des places de marché les plus importantes au monde avec New-York et Tokyo.
[7] Op.cit., in : www.tnews.ir, 9 février 2016.
[8] Ibid.
[9] Visit by Iran’s foreign minister shows ’warming’ relations with UK, in : www.theguardian.com, 5 février 2016.
[10] Eurostat est une direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire.
[11] Le produit intérieur brut (PIB) est un indicateur économique qui vise à quantifier (pour un pays et une année donnés) la valeur totale de la production de richesse effectuée par les agents économiques résidant à l’intérieur de ce territoire (ménages, entreprises, administrations publiques). Le PIB reflète donc l’activité économique interne d’un pays et la variation du PIB d’une période à l’autre est censée mesurer son taux de croissance économique.