N° 124, mars 2016

Les écoles anglaises en Perse
au cours de l’histoire*


Roshanak Danaei


Présentes dès le XIXe siècle, les écoles anglaises en Perse ont été principalement fondées par des organisations missionnaires, et plus particulièrement la Church Missionary Society (CMS). En 1869, le missionnaire Robert Bruce et son épouse, en route vers l’Inde, décident de rester quelque temps en Perse en vue d’approfondir leur connaissance du persan. Ils demeurent à Jolfâ, à la périphérie d’Ispahan, où les étrangers étaient autorisés à résider. Pendant leur séjour en Perse, le pays est touché par une famine sévère en 1871 et 1872. Avec l’aide financière de l’Allemagne, Bruce et sa femme décident de fonder un petit orphelinat et une école ouverte à la fois aux musulmans et aux chrétiens arméniens. L’établissement devient un internat pour jeunes garçons chrétiens en 1895, avant d’être fermé deux ans plus tard. Parallèlement, à la demande de la communauté arménienne, les Bruce fondent plusieurs autres écoles pour garçons et filles. La première école pour garçons est gérée par des Arméniens, tandis que la première école pour filles est dirigée par Emily Bruce jusqu’en 1884. Cette même année, Isabella Read, de la Société de la Promotion de l’Education des Femmes en Orient, la rejoint. La CMS commence officiellement à développer ses activités en Perse à partir de 1875 d’abord à Jolfâ, puis à Ispahan même, et ensuite dans les villes de Kermân, Yazd et Shirâz.

Avant de fonder des écoles, les Bruce donnent des cours informels ouverts aux garçons et filles iraniens, mais du fait de l’interdiction des dignitaires religieux locaux faite aux garçons musulmans de s’inscrire, leur présence reste sporadique jusqu’en 1895. A partir de cette année, pour la première fois, 35 garçons suivent les cours pendant une année entière sans interruption. La présence de garçons musulmans au sein de ces établissements continue de susciter agitations et troubles pendant plusieurs décennies. En 1904, l’école des garçons est transférée à Ispahan tandis que l’école des filles, où l’on dispense une éducation classique ainsi que des cours de couture et de cuisine, continue ses activités à Jolfâ jusqu’en 1912, date à laquelle elle est également transférée à Ispahan dans de nouveaux bâtiments. Un an plus tard, une section lycée et un pensionnat viennent compléter l’école des garçons.

Ecole catholique de Tabriz

Un dénommé William Thompson vient en Iran et occupe les fonctions de principal de cet établissement en 1914. Il assume cette responsabilité jusqu’en 1935, date à laquelle il est nommé évêque de l’Eglise anglicane en Iran. Peu de temps après son arrivée en Iran, l’école des garçons déménage dans de nouveaux bâtiments en 1915 et est rebaptisée Stuart Memorial College (SMC) en mémoire de l’évêque Stuart, premier évêque anglais missionnaire en Iran. En l’absence des missionnaires du fait de la Première Guerre mondiale, les bâtiments sont saccagés entre 1915 et 1916, suscitant de nombreuses plaintes de la part des ecclésiastiques restés sur place. Le SMC, qui comprend alors à la fois une école primaire, un collège et un lycée, est de nouveau ouvert en 1921 et voit se développer ses activités et son influence à la fois en Perse et à l’étranger, où il était considéré comme étant l’école missionnaire dispensant un enseignement de qualité. En 1939, le collège est incorporé, avec d’autres écoles étrangères, au système éducatif de la Perse et continue ses activités en tant que lycée Adab. Il est réorganisé selon le système persan, et l’ensemble des professeurs et personnels anglais sont remplacés par des Iraniens. L’école pour filles connait un important développement de ses activités en 1923 sous l’impulsion de Mademoiselle Jessie Biggs, et donne des emplois consistant essentiellement en des travaux artisanaux à de nombreuses jeunes femmes pour la plupart issues de l’orphelinat dépendant de la même école.

Le missionnaire Robert Bruce

A la fin du XIXe siècle, la CMS commence également à ouvrir des établissements dans d’autres villes. En 1900, le révérend Malcolm Napier inaugure ainsi une école pour garçons à Yazd, tandis que Mademoiselle Mary Bird y ouvre une école primaire pour filles peu de temps après. Avant 1907, ces deux écoles accueillent à la fois des élèves zoroastriens et musulmans. A Kermân, une école pour garçons ouvre peu après l’arrivée des missionnaires en Iran en 1897. Mais l’enseignement peine à continuer du fait de certaines oppositions locales et du manque récurrent de personnel. Une école pour filles est ouverte en 1921 sous la direction de Mademoiselle Janet Woodroffe, qui continue de diriger l’école en tant que principale jusque dans les années 1940. Le révérend Walter Rice, qui encadre les missionnaires présents à Shirâz au début du XXe siècle, ouvre une école pour garçons dans cette même ville en 1900. L’école reste active jusqu’en 1911, année où la présence de missionnaires sur place prend momentanément fin. La CMS recommence ses activités à Shirâz en 1923, et trois ans plus tard, Mademoiselle Ella Gerrard, une Anglaise vivant en Iran, y ouvre une école pour filles.

Stuart Memorial College à Ispahan

Ces écoles doivent faire face à divers types d’opposition selon les époques et le contexte politico-religieux de la Perse. Cependant, la majorité continue son activité et le travail éducatif de la CMS est en plein essor en 1920. En 1923, les missionnaires envisagent de définir plus précisément les règles et examens afin de pouvoir maintenir une haute qualité d’enseignement face aux écoles gouvernementales nouvellement ouvertes. Cependant, à la fin des années 1920, certaines inquiétudes se font jour en raison de la nouvelle loi gouvernementale prévoyant d’inclure l’enseignement de la religion musulmane dans les programmes des écoles étrangères.

Gravure d’une école anglaise en Iran, avec le maître arménien Napier Malcom et des élèves musulmans, oeuvre de Mirzâ Abolghâssem Yazdi

Au même moment, le nationalisme, les sentiments anti-étrangers en Perse ainsi que la centralisation accrue de la politique éducative du gouvernement imposent des restrictions sévères aux écoles étrangères et les menacent même de fermeture. Au cours des années suivantes, les sections primaires de ces écoles étrangères sont fermées sous la contrainte. Cette mesure a particulièrement affecté la SMC qui avait, depuis 1931, agrandi son école primaire et ses activités. Les collèges continuent leurs activités jusqu’en 1941, date où les politiques de nationalisation du gouvernement aboutissent à la fermeture complète de la plupart des écoles étrangères, y compris de la SMC.

Eglise anglicane Simon le Zélote, Fârs

Ainsi, au début des années 1940, la quasi totalité des écoles étrangères sont fermées hormis les trois écoles de filles d’Ispahan, de Yazd et de Shirâz dont les principaux étaient tous des ressortissants persans. À Ispahan, le Stileman Memorial College, mieux connu sous le nom de Dabirestân-e Behesht Ayin, et à Yazd le Dabirestân-e Izad-Peymân sont rachetés par le gouvernement. Cependant, ces écoles continuent leurs activités sous la direction de deux sœurs missionnaires, Armenouhie et Nevarth Aïdine. Enfin, le Dabirestân-e Mehr-e Âyin à Shirâz est racheté par son principal, Ella Gerrard, et l’Etat le reconnaît ensuite comme une école indépendante. Ces établissements continuent à dispenser leur enseignement jusqu’à l’époque des crises liées à la nationalisation du pétrole au début des années 1950. A cette époque, il règne au sein de la société un fort sentiment antibritannique, en conséquence de quoi les deux sœurs Aïdine sont révoquées de leurs fonctions, et Ella Gerrard se voit contrainte de vendre Mehr-e Âyin.

Lycée Adab à Ispahan

A la suite de l’iranisation des missions religieuses étrangères en 1961, écoles primaires, écoles secondaires et lycées se retrouvent tous sous la direction d’Iraniens. Une importante aide sociale est alors apportée notamment aux hommes et aux femmes aveugles par les chrétiens persans, qui emploient aussi des missionnaires allemands, hollandais, et anglais pour les aider. La maison Nour-e آyin à Ispahan, qui était destinée aux jeunes filles et femmes aveugles, reste sous le contrôle d’une mission chrétienne anglaise jusqu’en 1987, date à laquelle le gouvernement islamique la prend sous sa houlette.

A part la CMS, d’autres organisations missionnaires anglaises ont également dirigé des écoles en Iran. Par exemple, une mission établie dans le nord-ouest de l’Iran en 1886 était à la charge de l’archevêque de Canterbury. Il existait également un certain nombre d’écoles à Ourmia et dans les régions environnantes avant 1888. Cependant, cette mission n’a jamais connu un important développement ; ses ressources étant limitées, elle a été fermée au début de la Première Guerre mondiale. Une autre organisation religieuse anglaise importante de l’époque était la Churches Mission to the Jews (Mission d’Eglises des Juifs) qui a commencé ses activités en Perse en 1844. La CMJ était alors la seule organisation à avoir fondé des écoles anglaises à Téhéran.

Mesdames Ardalân, Aïdin et Isak au sein d’un pensionnat anglais pour filles en Iran

A part ces dernières, il n’y avait à Téhéran aucune école anglaise hormis celle de l’ambassade qui n’était destinée qu’aux enfants étrangers. Cette école ouverte au XXe siècle accueillait les enfants des hauts fonctionnaires gouvernementaux et d’autres employés britanniques en Perse, et l’éducation y était conforme aux normes britanniques. Le travail éducatif de la CMJ dirigé par Mirzâ Nourollâh et le révérend James Garland a commencé d’abord à Téhéran et à Ispahan (Jolfâ et Joubârâ) à partir de 1890. L’existence des écoles à Ispahan était précaire et finalement, les politiques défavorables du gouvernement ont abouti à leur fermeture à la fin des années 1920. Cependant, les écoles de garçons de la CMJ et de filles à Téhéran, respectivement dirigées par le révérend Jalinous Hakim et Mademoiselle Gertrude Nourollah, ont continué leurs activités même sous la révolution islamique de 1979. Actuellement, une école anglaise située au sein de l’ambassade poursuit ses activités éducatives en Iran.


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