N° 145, décembre 2017

Ispahan, la capitale de la Perse à l’époque safavide


Khadidjeh Nâderi Beni


La fondation d’Ispahan remonte à l’époque préislamique. Dès l’arrivée de l’Islam en Iran, la ville se développa pour devenir un centre important de commerce pour les musulmans. Célèbre surtout pour ses monuments, mosquées et palais, cette ville attire toujours de nombreux touristes iraniens et étrangers. Durant son histoire, Ispahan a été choisie à deux reprises comme la capitale iranienne : au XIe siècle par les Seldjoukides et à la fin du XVIe siècle par les Safavides. Avec l’installation de la cour safavide à Ispahan, la ville connait son âge d’or. Les rois safavides ont régné plus d’un siècle et demi à Ispahan. Nous abordons ici la ville en tant que la capitale des Safavides.

Ispahan à l’époque safavide

Dès son arrivée au pouvoir en 1587, Shâh Abbâs le Grand avait en tête l’ambition et la volonté d’installer son siège à Ispahan. C’est un réformateur, stratège et urbaniste qui mène une politique novatrice et ouvre son pays à l’Occident. En 1598, il décide enfin de quitter Qazvin, qui était à l’époque le siège des Safavides, pour installer le gouvernement central à Ispahan. Il prend cette décision tout d’abord pour des considérations géopolitiques : la ville située au centre du pays reste à l’abri de toute agression étrangère surprise. Ispahan se trouve à une importante distance des fronts ottoman et ouzbek. De plus, la plaine d’Ispahan jouissait à l’époque d’une riche agriculture grâce aux sources abondantes et aux eaux souterraines. Il faut en outre souligner un facteur politique : Shâh Abbâs tente alors de refonder sa monarchie sur de nouvelles bases. Qazvin est à l’époque touchée par des guerres internes entre tribus Qizilbash, et les chefs de la tribu s’y sont implantés et y possèdent des demeures. C’est également pour éviter d’être impacté par ces conflits que le roi décide de transférer sa capitale.

Ispahan, la capitale de la Perse à l’époque safavide

A Ispahan, Shâh Abbâs transforme en profondeur le tissu urbain traditionnel, surtout les terres situées autour du vieux bazar où l’on construit le palais du roi. Durant cette période, la ville devient le centre de la science et de la civilisation iraniennes. En outre, la ville arrive à son apogée dans différents domaines dont l’artisanat, l’architecture, la littérature, etc. Au cours de cette période, on voit également le développement des échanges politiques et culturels entre la Perse et l’Europe. Bref, Shâh Abbâs suit la volonté de faire d’Ispahan le cœur du monde. Il tente également de renforcer la notoriété de la ville en tant que capitale de son royaume. Le résultat est visible par la diffusion progressive de l’expression Esfahân, nesf-e djahân, "Ispahan, la moitié du monde".

Les rois safavides, et plus particulièrement Shâh Abbâs le Grand, font du palais royal un centre politique, social et économique, mais aussi un lieu indépendant et ouvert sur les faubourgs. En effet, les souverains safavides font preuve d’un grand intérêt pour les espaces comme les jardins ou les espaces non bâtis. De ce fait, la plupart des pavillons datant de cette époque donnent sur de grands jardins ou des places. L’avenue de Tchahâr Bâgh (Quatre Jardins) est l’artère principale de la ville qui relie les faubourgs situés au-delà de la rivière Zâyandeh-Roud au palais du roi. Cette avenue abrite de luxuriants jardins ainsi que des bâtiments élevés à plusieurs étages jouissant d’une architecture élégante propre à cette époque-là. Selon le projet d’urbanisme de Shâh Abbâs, la ville est centrée autour de cette longue avenue bordée de grands jardins.

La place Naghsh-e djahân ("L’image du monde")

En 1613, un pont est bâti dans la continuité de l’avenue de Tchahâr Bâgh. Il s’agit du pont de Si-o-seh pol (Le Pont aux Trente-trois arches") dessiné et exécuté par Allâhverdi Khân, gouverneur de Fârs sous Shâh Abbâs. Ce pont relie les deux rives de la rivière de Zâyandeh-Roud aussi bien que le nouveau centre de la ville au faubourg de Jolfa (le quartier arménien). A cette même époque, le roi fait réaliser le plus grand programme architectural de l’ère safavide : la place Naghsh-e djahân ("L’image du monde"). C’est une place rectangulaire de 500 mètres de long entourée par quatre édifices : l’entrée du bazar symbolisant le peuple, le palais d’Ali Ghâpou comme étant symbole du roi, et les mosquées de l’Imâm et de Sheikh Lotfollâh qui symbolisent l’Islam et surtout le chiisme. Durant la dynastie safavide, le chiisme duodécimain devient la religion officielle. Par le déplacement de la capitale à Ispahan, Shâh Abbâs cherche à fonder l’une des plus brillantes cités du monde musulman. Pour ce faire, on y édifie de nombreuses mosquées. La mosquée de Sheikh Lotfollâh en est un exemple représentatif. Edifiée de 1598 à 1619, elle était à l’origine réservée à la famille royale qui la fréquentait par une voie souterraine la reliant au palais du roi situé juste en face de la mosquée. Ce bâtiment considérable, symbole du roi et de la religion, démontre surtout la volonté du roi d’affirmer l’Islam chiite en Iran et plus particulièrement à Ispahan. C’est à Ali Ghâpou que l’ensemble de la cour assiste chaque année aux cérémonies du Nouvel An iranien (Nowrouz). Au nord-ouest du complexe d’Ali Ghâpou, il existe un autre palais nommé Tchehel Sotoun (quarante colonnes) qui était alors utilisé pour la réception des invités étrangers du roi. Ce bâtiment est situé entre la place Nagsch-e Djahân et Tchahâr Bâgh.

A droite, le palais Ali Ghâpou situé sur la place de Naghsh-e Djahân, époque safavide, gravure d’Eugène Flandin

Grâce aux programmes architecturaux et aux aménagements urbains accomplis sur ordre du roi, la ville devient une destination touristique régulière pour grand nombre d’Européens, dont des voyageurs, commerçants et écrivains français. Ces derniers nous ont légué bon nombre d’ouvrages concernant les Safavides et leur capitale, qui sont considérés comme des matériaux d’études historiques. Les auteurs français du XVIIe siècle admirent la nouvelle capitale safavide, et leurs ouvrages invitent leurs lecteurs à visiter la Perse et plus particulièrement sa capitale. Certains autres observateurs décrivent la capitale safavide en soulignant sa supériorité sur les modèles européens. On peut par exemple lire une belle description de la ville dans le livre [1] d’Alexandre de Rhodes (1591-1660), missionnaire français : “Toutes ces rues sont droites et fort larges, les bâtiments y sont magnifiques ; au milieu de la ville se trouve une belle place carrée comme la Place Royale de Paris”. Jean Chardin est un écrivain et touriste français qui rend compte de ses observations lors de ses voyages à Ispahan de 1686 à 1711. Ses livres contiennent une description de la ville d’Ispahan, enrichie d’un grand nombre de figures et d’images. Voici les noms de certains autres écrivains français de cette époque-là, qui ont visité et admiré Ispahan :

L’avenue de Tchahâr Bâgh (Quatre Jardins) est l’artère principale de la ville

- Sanson [2] : “Aucun Européen n’a vu le palais royal sans avoir été frappé par sa beauté.”

- Thévenot [3] : “Le Meydân (la place) est de toutes les places régulières, la plus grande et l’une des plus belles qu’il y ait au monde.”

- Herbert [4] : “Le grand bazar est sans doute le plus grand, le plus beau et le plus agréable marché de tout l’univers.”

Il faut souligner qu’à l’époque, ce type d’aménagement urbain n’était pas encore réalisé en France ; Ispahan offre un panorama original aux yeux des observateurs français.

En 1722, Mohammad Khân l’Afghan arrive à s’emparer d’Ispahan sans aucune résistance et met fin au règne safavide. Par la suite, dès son arrivée au pouvoir, Nâder Shâh Afshâr change le centre du gouvernement et fait de Mashhad la capitale de la Perse. Après la chute des Safavides au début du XVIIIe, Ispahan entame un déclin pendant quelques décennies. De nos jours, la ville, héritière d’une riche et longue histoire, demeure un grand centre commercial et artisanal. Elle est devenue une immense métropole avec près de deux millions d’habitants, et d’une superficie bien plus grande que celle de l’époque safavide. On peut y voir normalement une extension urbaine issue de la modernisation des villes immenses entamée à partir des années 1930. Considérée comme étant la quatrième grande ville du pays, Ispahan fait également partie du “Patrimoine de l’Humanité”, selon l’UNESCO.

Sources :
- Bâstâni Pârizi, E., Siâssat va eghtessâd asr-e safavi (La politique et l’économie à l’époque safavide), Téhéran, Safi Ali Shâh, 1988.
- Chabrier, Aurélie, La Monarchie safavide et la Modernité européenne, Université de Toulouse, 2013.
- Omidi, Shahrâm, "Sâkhtâr-e pâytakht-e irân dar doreh-ye safavi" (La construction de la capitale iranienne à l’époque safavide), publié in Madjaleh-ye Djavân, Téhéran, 2014.

Notes

[1Relation de la mission des Pères de la Compagnie de Jésus, établie dans le royaume de Perse par Alexandre Rhones, Paris, 1659.

[2Voyage ou Relation du royaume de Perse. Avec une dissertation curieuse sur les mœurs, religion et gouvernement de cet Etat, enrichi de figures. Paris, 1695.

[3Le voyage en Perse de Jean Thévenot, Paris, 1664.

[4Le voyage en Perse, Paris, 1619.


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