N° 162, mai 2019

Le Mâzandarâni, langue locale du Mâzandarân


Khadidjeh Nâderi Beni


La langue mâzandarâni, connue autrefois sous le nom de tabari, fait partie de l’ensemble des langues indo-européennes. Elle est depuis très longtemps parlée par les habitants du Mâzandarân ou l’ancien Tabarestân. Connue également sous les noms de mâzani et mâzerouni, elle est la branche nord-ouest de la famille des langues iraniennes ; cette dernière comprenant à part, les idiomes tâleshi, harzandi, gourâni, guilaki et mâzerouni.

Faute de documents authentiques, ce n’est pas une tâche facile de déterminer l’origine et les racines principales du mâzandarâni. Toutefois, les linguistes, dans leurs études sur l’histoire de cette langue, ont découvert certaines similitudes entre le mâzandarâni et certaines autres langues iraniennes. Les recherches archéologiques et historiques démontrent qu’avant l’arrivée des Aryens sur les rives sud de la mer Caspienne, la région était déjà habitée par les autochtones qui communiquaient bien évidemment en une langue locale commune. Selon lesdites recherches, il n’y a aucun document écrit en langue locale des autochtones de cette région. Il est évident que c’est avec l’arrivée des peuples aryens dans la région, que l’on voit l’apparition d’un nouvel idiome mélangé des deux langues aryenne et locale. Il y a une autre hypothèse selon laquelle, la langue actuelle des habitants du Mâzandarân est directement héritée des Aryens qui ont conquis la région et y ont imposé ensuite leur langue et leur culture. Cette supposition est renforcée par le fait que l’on ne connaît pas les éléments lexicaux et syntaxiques originaux de la langue mâzandarâni contemporaine.

Couverture de l’ouvrage Marzbân-nâmeh

Avec l’avènement du zoroastrisme au XIe siècle avant J.-C., on voit la diffusion de l’avestique, langue officielle des Zoroastriens et celle de leur livre saint, l’Avesta. En outre, deux autres idiomes sont alors utilisés par les habitants du centre et de l’ouest du pays : le persan archaïque et le mède. Il se pourrait que le mâzandarâni ait été influencé par lesdites langues. Cette supposition est fortifiée par des mots et expressions qui s’utilisent dans le mâzandarâni contemporain et qui auraient des origines avestique et pahlavie. En voici quelques exemples : kad (mur), varzâ (bœuf), verg (loup), makenâ (écharpe), ash (ours).

Toutefois, selon les textes historiques, avant l’arrivée au pouvoir des Sassanides, la région de Tabarestân, bénéficiant d’une situation géographique particulière, resta à l’abri des influences sassanides. Elle était gouvernée en autonomie par les chefs des tribus locales. Au siècle suivant, le gouvernement sassanide assura sa suprématie sur la région en y expédiant des gouverneurs étatiques. Dès lors, le mâzandarâni fut largement influencé par la langue pahlavie, langue officielle des Sassanides. Suite à cette influence à la fois syntaxique et lexicale, on peut trouver beaucoup de mots et expressions dans la langue mâzandarâni qui sont toujours en usage. En voici des exemples : vashtan (brûler), vashteh (tison), hikhtan (rincer), hitcheh (seau), dahiz (verse de l’eau !).

Une page de l’ouvrage Marzbân-nâmeh

Avec l’arrivée de l’Islam en Iran et la domination des musulmans sur les villes iraniennes et malgré les changements politiques aussi bien que culturels et économiques de la société iranienne, le Tabarestân subit peu d’influence étrangère. C’est ainsi qu’on peut voir dans nos musées, des métaux monnayés en langue pahlavie datant du IIe siècle de l’hégire. D’ailleurs, selon les données disponibles, tous les documents écrits en langue tabarie remontent à l’époque islamique. Autrement dit, malgré l’introduction de la langue arabe dans toutes les régions iraniennes, on a rédigé de nombreux ouvrages en langue tabarie qui sont pour la plupart toujours disponibles de nos jours. On peut ainsi en déduire que malgré la domination des Arabes, les habitants musulmans du Mâzandarân avaient non seulement sauvegardé leur langue maternelle, mais qu’ils ont pu créer de nombreux documents historiques et littéraires en langue tabarie. L’ouvrage disponible le plus ancien en mâzandarâni est sans doute le Marzbân-nâmeh. C’est un livre littéraire rédigé au IVe siècle de l’hégire par Marzbân ebn Rostam Shervin. L’auteur a également écrit un livre intitulé Nikinâmeh qui présente les figures les plus éminentes du Tabarestân. La version originale des deux livres n’est pas accessible de nos jours. On peut également citer le nom de Qâbous-nâmeh (Miroir des rois), livre rédigé par le gouverneur d’un royaume local du Tabarastân, Amir Onssorol Ma’âli Keykâvous. Cet ouvrage, à la fois pédagogique et littéraire, est dédié par son auteur à Guilân Shâh, et se présente comme un traité de morale théorique et pratique. L’auteur y enseigne notamment le savoir-vivre, ce qui donne de précieuses informations sur les us et coutumes de son temps.

Ces dernières décennies, on a découvert certains manuscrits comportant la traduction vers le tabari de textes littéraires arabes aussi bien que des interprétations du Coran en langue mâzandarâni. Ces traductions confirment que durant les premiers siècles de la présence de l’Islam en Iran, la langue tabarie était la langue d’usage de la majorité des habitants du littoral nord de l’Iran et qu’elle jouissait d’une importante production écrite et d’une riche littérature. En outre, il y a certains manuscrits datant du Xe siècle de l’hégire qui sont conservés dans les bibliothèques et les musées européens et qui comportent la traduction de documents religieux et philosophiques en langue tabarie. Les manuscrits tabaris disponibles dans les bibliothèques iraniennes relatent entre autres, certains poèmes qui figurent dans l’Encyclopédie médicale d’Avicenne, Al-Qanun datant du VIIe siècle de l’hégire, les poèmes tabaris chantés lors de la musique d’Abdolghâder Gheybi, chanteur et poète du IXe siècle de l’hégire, la traduction du Coran et celle du Maghâmât-e Hariri en tabari, ce dernier ayant été rédigé au Ve siècle de l’hégire par Qâssem ben Ali Hariri, écrivain arabe.

La dernière page d’un manuscrit Qâbous-nâmeh situé dans la bibliothèque du Musée national de Malik, datée de 1349.

En 1997, M. Goudarzi, chercheur iranien en langue et littérature mâzandarâni, a fait publier un recueil lyrique en mâzandarâni intitulé Tâleb et Zohreh. Composé au XIe siècle de l’hégire par un poète du Mâzandarân nommé Tâleb Amoli, le livre comprend plus d’un millier de vers qui racontent l’histoire de l’échec amoureux du poète. Il y a également un autre recueil poétique en langue mâzandarâni intitulé Divân-e Amiri qui est attribué à Amir Pâzvâri, un poète du Mâzandarân. Ce livre fut découvert par un orientaliste russe qui le fit publier à Saint-Pétersbourg.

Malgré de profondes influences exercées par les différentes langues sur la langue mâzandarâni, cette dernière est toujours vivante de nos jours et continue à être d’usage chez les habitants du Mâzandarân. Il faut souligner qu’outre la province de Mâzandarân, berceau du mâzandarâni, cette langue est répandue dans certaines provinces sud dont Téhéran et Alborz. C’est le cas pour les régions de Damâvand, Tâleghân, Lavâssânât, Emâmzâdeh Davoud, etc. où l’on s’exprime en mâzandarâni. En outre, cette langue est également d’usage chez une partie de la population de la province de Gorgân, à l’est du Mâzandarân aussi bien que par la population de Tonkâbon et Râmsar, villes situées à l’ouest de la province.

Comme toute autre langue, le mâzandarâni jouit de plusieurs dialectes pratiqués dans les différentes régions de la communauté linguistique mâzandarâni. Selon les linguistes, l’ensemble de ces dialectes se divisent en 12 branches qui diffèrent les unes des autres selon la zone où on les pratique. En voici une liste : le dialecte Ali-âbâd Katouli, le dialecte kordkou’i, le dialecte behshahri, le dialecte sâravi, le dialecte ghâ’emshahri, le dialecte bâboli, le dialecte âmoli, le dialecte nouri, le dialecte tchâloussi, le dialecte tonkâboni, le dialecte firouzkouhi, le dialecte ghasrâni, le dialecte elikâ’i.

Illustration de Maghâmât-e Hariri

Etant donné que les habitants des régions ouest de la province ont des rapports très fréquents avec la province voisine, le Guilân, le mâzandarâni a été influencé par la langue guilaki, langue locale des habitants de Guilân. En plus, du point de vue géographique, la province de Mâzandarân est divisée en deux territoires bien différents : la plaine s’étalant depuis les rives de la mer Caspienne jusqu’aux pentes nord d’Alborz et la région montagneuse qui abrite les sommets nord de la chaîne d’Alborz. Ces deux parties ont beaucoup de points de divergence sur différents points dont le climat, la nature, la société mais aussi et surtout les dialectes. La langue mâzâni parlée par les habitants des montagnes a été mieux préservée des influences extérieures et de ce fait, on peut y trouver de nombreux éléments originaux de la langue mâzandarâni.

Il reste à dire que durant ces dernières décennies et suite à l’immigration des autres peuples iraniens vers la province de Mâzandarân, on voit le développement de certaines autres langues et dialectes dont le turc, le kurde, le semnâni, le khorâssâni, etc. dans les différentes parties de la province. C’est le cas pour la région de Galougâh à Behshahr où l’on s’exprime en langue turque.


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