N° 163, juin 2019

Les pétroglyphes de Teimareh


Babak Ershadi


La région de Teimareh s’étend entre la ville de Khomein (province Markazi) et Golpaygân (province d’Ispahan).

Au cours de ces dernières années, un grand nombre de gravures rupestres ont été identifiées dans différentes régions iraniennes. La grande majorité de ces pétroglyphes représente un bouquetin. Selon les estimations, plus de 50 000 pétroglyphes ont été découverts dans tout le pays.

Les pétroglyphes comptent parmi les œuvres les plus anciennes laissées par l’humanité, qui nous aident à découvrir différents aspects de la vie préhistorique. D’après les experts, les outils permettant de créer des pétroglyphes peuvent être classés par âge et par époque. Les pictogrammes les plus anciens de l’Iran ont été découverts dans la grotte de Yafteh (province du Lorestân) et datent d’il y a 40 000 ans, et le plus ancien pétroglyphe du pays appartient au site Teimareh, près de la ville de Khomein (province Markazi), et date d’il y a 40 800 ans.

L’archéologue iranien Mohammad Nasserifar devant des pétroglyphes de Teimareh.
Selon les études de Mohammad Nasserifar, près des trois quarts des pétroglyphes de Teimareh représentent des bouquetins.

* * *

En décembre 2016, l’archéologue iranien Mohammad Nasserifar, spécialisé dans le domaine des œuvres rupestres, a annoncé la découverte des plus anciens pétroglyphes du monde dans une formation rocheuse près de la ville de Khomein, au centre de l’Iran. Le site des pétroglyphes de Teimareh était connu depuis de longues années, mais un groupe d’archéologues néerlandais qui a visité le site en compagnie de M. Nasserifar a confirmé, en 2016, que certains des pétroglyphes de Teimareh, à proximité de la ville de Khomein, pourraient être vieux de 40 000 ans.

Chasse collective des bouquetins.

Termareh (ou Taïmorah) est le nom historique d’une région du centre de l’Iran qui s’étend actuellement sur trois provinces (Markazi, Ispahan et Lorestân). La région se situe entre trois villes : Mahallât et Khomein (province Markazi) et Golpaygân (province d’Ispahan). Les pétroglyphes de Teimareh se concentrent dans 31 zones dispersées essentiellement sur une terre d’une superficie approximative de 50 kilomètres carrés entre Khomein et Golpaygân.

Gravés dans la roche, ces anciens pétroglyphes sont abondants dans la vallée de Teimareh, située dans les monts Zagros du centre de l’Iran. Ils racontent probablement une histoire de chasseurs et d’animaux trouvés dans la vallée et les régions voisines il y a 6000 ans ou plus, gravés par des « artistes » de l’âge préhistorique. Les pétroglyphes présentent une diversité thématique incroyable : des figures humaines et animales, des scènes de différentes activités humaines, des idéogrammes, des signes symboliques, et même des inscriptions en pahlavi, en persan et en arabe.

Grand tableau de pétroglyphes à Teimareh. (Photo : Bâbak Amin Tafreshi)

Les plus anciens pétroglyphes de Teimareh laissent croire que ces œuvres ont été créées par des habitants de cette région iranienne à l’époque de l’usage des outils en pierre, les débuts de l’apprivoisement des animaux puis de leur domestication, les débuts de l’agriculture, etc. Le thème le plus important des pétroglyphes de Teimareh est la chasse. En effet, près de trois quarts de ces images rupestres représentent des bouquetins, le gibier le plus répandu et le plus accessible pour les habitants de la quasi-totalité du plateau iranien et symbole de la prospérité dans la culture ancienne de l’Iran. Il y a donc de nombreux pétroglyphes répétant plus ou moins le même motif, celui du bouquetin. Mais les images d’autres animaux ne sont pas rares à Teimareh, dont certaines représentent des espèces éteintes dans le pays (lions, tigres), des espèces qui vivent toujours aujourd’hui dans le pays (dromadaires, chevaux, cerfs, ânes sauvages de Perse, panthères, loups, sangliers, gazelles, serpents, tortues, etc.) ou des quadrupèdes difficilement reconnaissables.

Chasseurs à pied ou à cheval équipés de lasso ou d’arc
(Photo : Bâbak Amin Tafreshi)
Homme à l’arc devant un gibier. (Photo : Bâbak Amin Tafreshi)

Les images humaines des pétroglyphes de Teimareh montrent des hommes, des femmes et des enfants dans différentes situations, surtout en train de chasser des animaux. On remarque l’existence d’outils sur ces images. Les chasseurs sont souvent à pied, cependant, de nombreux pétroglyphes montrent aussi des chasseurs à dos de cheval ou de dromadaire. Pour chasser le gibier, les chasseurs utilisent des outils diversifiés : pierres, lances, arcs, lassos, pièges, etc. Les pétroglyphes qui montrent des scènes de chasse de bouquetins en utilisant un arc sont relativement plus nombreux.

Homme ailé. (Photo : Bâbak Amin Tafreshi)

Des études archéologiques à travers le monde prouvent que la création des pétroglyphes date de la fin du paléolithique au néolithique, c’est-à-dire l’époque pendant laquelle les hommes quittaient les cavernes pour s’installer dans les plaines. Ce fut à cette période que sont apparus les signes des premiers foyers de peuplement humain dans diverses régions du monde. Concernant Teimareh, il faut souligner que si les quelques rares pétroglyphes les plus anciens du site datent d’il y a 40 000 ans (fin du paléolithique), nombreux sont ceux qui datent de plus de 17 000 ans, c’est-à-dire du mésolithique (âge moyen de la pierre), tandis que les œuvres appartenant au néolithique sont abondantes. Les études archéologiques prouvent que les pétroglyphes les plus récents de Teimareh datent du IIe millénaire avant notre ère. Cela prouve que la région de Teimareh au centre de l’Iran comptait parmi les foyers de peuplement les plus anciens du pays et était une région habitée au moins depuis la période du dernier maximum glaciaire, il y a environ 20 000 ans. Pendant l’Antiquité, Teimareh fut également un foyer important de peuplement au centre du plateau iranien.

Une panthère guette des bouquetins.

D’après les experts, l’abondance des pétroglyphes à Teimareh prouve que pendant la fin du paléolithique ainsi que durant toute la période néolithique, cette région bénéficiait de ressources suffisantes en eau et d’un gibier abondant. Comme nous l’avons déjà indiqué, le bouquetin est le thème d’une grande majorité de pétroglyphes de Teimareh et de toutes les autres régions iraniennes. Ce n’est donc pas un hasard si dans la culture iranienne de l’Antiquité, le bouquetin symbolise tantôt un ange venu aider les hommes, tantôt le soleil (Lorestân), tantôt la pluie.

Un pétroglyphe isolé gravé sur un rocher.

Après les bouquetins, les figures humaines sont les images les plus nombreuses des pétroglyphes de Teimareh. Les œuvres les plus anciennes montrent des hommes dépourvus de tout vêtement, tandis que des œuvres ultérieures présentent des êtres humains habillés. Des pétroglyphes plus récents montrent des hommes et des femmes habillés de vêtements plus ou moins différents.

Des cavaliers.

Certains pétroglyphes représentent des scènes de l’apprivoisement d’un chien par une femme ou la domestication d’un cheval par un homme. Si les scènes de chasse sont les plus abondantes, il y a aussi d’autres pétroglyphes qui montrent des scènes de culte ou de danse, notamment une scène où un homme est en train d’apprendre à un enfant comment chasser un serpent. Quelques pétroglyphes de Teimareh nous montrent aussi des images inhabituelles, comme celle d’un homme-oiseau ou d’hommes portant des habits comparables aux combinaisons des astronautes ou d’êtres extraterrestres.

Un symbole gravé sur un rocher indique curieusement les quatre points cardinaux.

A Teimareh, les chercheurs ont découvert un pétroglyphe qui montre un chasseur équipé d’un lasso bizarre et inhabituel. Au pied du chasseur, l’artiste de la préhistoire a gravé l’image d’un quadrupède non identifiable dont le corps est couvert d’une carapace similaire à celle des tatous vivant aujourd’hui en Amérique centrale. Les experts croient qu’il ressemble plutôt à un Doedicurus, genre de mammifère préhistorique éteint depuis au moins 11 000 ans, doté d’une grande carapace de plaques cornées dont les fossiles n’ont été découverts qu’en Amérique. Selon l’archéologue Mohammad Nasserifar, la découverte de telles images parmi les pétroglyphes de Teimareh constitue une ouverture pour les paléontologues et les biologistes pour mieux étudier les évolutions géographiques et climatiques de l’Iran depuis la fin du paléolithique.

Un grand tableau de carnivores à Teimareh. (Photo : Bâbak Amin Tafreshi)
Cette photo de Bâbak Amin Tafreshi a été choisie comme « Photo du jour » par la Nasa, le 12 juillet 2012. Au-dessus des pétroglyphes de Teimareh, le photographe s’est servi de ses techniques professionnelles pour graver dans le ciel le trajet nocturne des étoiles produit par la rotation de la planète Terre au cours de la longue exposition réalisée avec un appareil photo numérique moderne. ہ gauche, l’ةtoile polaire se trouve au centre du mouvement circulaire des étoiles dans le ciel nocturne de Teimareh.

En outre, Mohammad Nasserifar estime que la diversité des signes représentés dans les pétroglyphes de Teimareh fait de ce site immense de 50 km² un musée en plein air des évolutions des premiers temps de l’écriture, bien avant l’invention des écritures alphabétiques. ہ Teimareh, on peut découvrir les exemples les plus anciens d’idéogrammes et l’apparition progressive de signes abstraits évoluant au fur et à mesure pour devenir des éléments d’une sorte d’écriture linéaire. Ici, à Teimareh, M. Nasserifar a découvert des premiers signes et symboles qui réapparurent plus tard dans l’écriture proto-élamite, à des centaines de kilomètres plus loin, dans le royaume d’ةlam (sud-ouest), sur les tablettes d’argile proto-élamites datant de 3200 à 2900 av. J.-C. [1] Cela pourrait peut-être prouver que l’écriture élamite ne s’est pas uniquement inspirée des écritures mésopotamiennes. Il est également intéressant de savoir que des images de bouquetin utilisées dans l’écriture pro-élamite existaient déjà sous forme de pétroglyphes à Teimareh. [2]

Il y a quelques années, une série de photos prises par Bâbak Amin Tafreshi a contribué à la présentation internationale des pétroglyphes de Teimareh. L’une de ses photos a été choisie comme « Photo du jour » par la NASA, le 12 juillet 2012.

Le photographe Bâbak Amin Tafreshi devant des pétroglyphes à Teimareh.

Bâbak Amin Tafreshi (né en 1978 à Téhéran) est un photographe, journaliste scientifique et astronome amateur. Il est le créateur et directeur du projet « The World At Night » (TWAN), un programme international de photographie nocturne. Il est également membre du conseil d’administration d’Astronomie sans frontière (Astronomers Without Borders).

Un homme équipé d’une lance chasse un cerf. (Photo : Bâbak Amin Tafreshi)

Notes

[1Au fil des siècles, trois systèmes d’écriture se sont développés dans le royaume d’ةlam (sud-ouest du plateau iranien).

Le photographe Bâbak Amin Tafreshi a photographié les pétroglyphes de Teimareh dans le cadre de son projet de photographie nocturne (« The World at Night »).

Le proto-élamite est le plus ancien. L’écriture proto-élamite se serait développée à partir d’une écriture cunéiforme. Elle compte environ un millier de signes, et serait partiellement logographique. Ces tablettes n’ont pas été déchiffrées. L’élamite linéaire est une écriture toujours non déchiffrée, peut-être dérivée du proto-élamite et utilisée entre 2250 et 2220 av. J.-C. L’écriture cunéiforme élamite fut en usage de 2500 à 330 av. J.-C., adaptée à partir de l’akkadien. Cette écriture consiste en 130 symboles, soit bien moins que la plupart des autres écritures cunéiformes.

[2Hedjâzi, Arefeh, « Petite histoire de l’écriture en Iran », in : La Revue de Téhéran, n° 87, février 2013, pp. 28-35, Accessible à : http://www.teheran.ir/spip.php?article1694#gsc.tab=0


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