N° 166, septembre 2019

L’apparence et la réalité profonde du hadj selon un hadith chiite


Traduction de

Sarah Mirdâmâdi


Circombulation autour de la Kaaba (Tavâf)

Dans la tradition chiite, toute réalité et tout acte religieux ont une apparence (zâher) et une réalité profonde (bâten), donnant tout son sens et qui est la raison d’être de la première. Le hadj n’échappe pas à cette logique, et au-delà de leur aspect formel, ses rituels revêtent des significations cachées qui, si elles ne sont pas comprises et vécues profondément par le pèlerin, vident le pèlerinage de son sens et de sa vérité profonde. En vue d’illustrer ce propos, nous allons traduire ici une partie d’un long hadith de l’Imâm Sajjâd, fils de l’Imâm Hossein et quatrième Imâm des chiites.

Alors que Shebli revenait de son pèlerinage obligatoire à La Mecque (hadj), l’Imâm Zeyn-ol-Abedin lui dit : « As-tu effectué le pèlerinage, Shebli ? » Shebli répondit : « Oui, ô fils du Messager de Dieu. » L’Imâm lui dit : « Lorsque tu es arrivé au lieu prévu (où commencent les rites du pèlerinage), as-tu ôté tes vêtements et as-tu fait tes grandes ablutions ? » Shebli répondit oui. L’Imâm lui demanda : « Et à ce moment-là, as-tu formulé l’intention d’ôter les vêtements du péché et de revêtir ceux de l’obéissance et de l’adoration ? » Shebli répondit : « Non ! »

L’Imâm dit encore : « Lorsque tu as enlevé tes vêtements cousus, as-tu attentivement mis de côté toute hypocrisie et acte douteux ? Shebli répondit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « Par conséquent, tu n’es pas réellement arrivé au lieu du pèlerinage, tu n’as pas ôté tes vêtements cousus, et tu n’as pas non plus effectué tes grandes ablutions ! »

Puis l’Imâm demanda : « As-tu nettoyé la crasse de ton corps et rasé tes cheveux ? As-tu ensuite revêtu les vêtements de pèlerinage (ehrâm) [1], et t’es-tu engagé à faire le hadj avec l’intention de mettre un terme à toute affaire avec un autre que Dieu (contraire à la volonté de Dieu) ? T’es-tu engagé uniquement auprès de Dieu, à L’adorer et à te soumettre à Lui ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « Alors comme tu n’avais pas cette intention, en vérité, tu ne t’es ni lavé, ni n’as revêtu l’habit du pèlerinage, et tu n’as pas pris l’engagement de faire le hadj ! »

Jabal al-Rahmat, à Arafat

L’Imâm demanda encore : « As-tu posé le pied sur le lieu du pèlerinage, as-tu fait la prière de deux ra’kat avec l’intention d’entrer en rituel (ehrâm), et as-tu dit labbeyk [2] ? » Shebli répondit : « Oui ! » L’Imâm dit alors : « Lorsque tu es entré en ce lieu, l’as-tu fait avec l’intention d’y effectuer le pèlerinage ? » Shebli répondit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « As-tu fait ta prière de deux rak’at avec l’intention de te rapprocher de Dieu, étant donné que la prière fait partie des meilleurs actes et compte parmi les plus belles actions des serviteurs de Dieu ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit : « Lorsque tu as dit « labbeyk », avais-tu dans ton cœur l’intention de parler à Dieu et de sceller un engagement d’adoration totale vis-à-vis de Lui, en lui obéissant en toutes circonstances, en t’imposant le silence, et en t’abstenant de toute rébellion ? » Shebli répondit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « Dans ce cas, tu n’es pas entré dans le lieu de pèlerinage, tu n’as pas véritablement prié, et tu n’as pas dit un vrai « labbeyk » !

Puis l’Imâm lui demanda : « Es-tu entré dans l’enceinte sacrée, as-tu vu la Kaaba et y as-tu fait une prière ? » Shebli dit : « Oui ! » L’Imâm dit encore : « Lorsque tu es entré, as-tu formulé l’intention de t’interdire tout type de médisance au sujet des musulmans, et en pénétrant dans l’enceinte sacrée sûre de Dieu, as-tu formulé le vœu qu’à partir de ce moment, l’ensemble de la communauté de l’islam soit préservé de la méchanceté de tes pensées et de ta langue ? » Shebli répondit : « Non ! » L’Imam dit : « Lorsque tu es arrivé à La Mecque, t’es-tu dit en ton cœur que le seul but et souhait de ton voyage était Dieu, et que tu ne souhaitais que la satisfaction du Vrai, le Très-Haut ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « Par conséquent, en réalité, tu n’es pas entré dans l’enceinte sacrée de Dieu, ni n’as vu la Kaaba, ni n’as fait ta prière ! »

La station d’Abraham

Puis l’Imâm dit : « As-tu effectué les tours rituels autour de la Kaaba (…) en t’efforçant de le faire de la meilleure façon possible ? » Shebli répondit : « Oui ! » L’Imâm dit : « Lorsque tu t’efforçais du fond du cœur d’effectuer ces actes, sentais-tu en toi que tu t’étais en vérité libéré du mal des ruses du Diable ainsi que des tentations de l’âme incitatrice au mal, et que tu t’étais refugié auprès de Dieu ? As-tu senti que son Eminence, Celui qui connaît le secret des Mondes invisibles, a reconnu et cru en ton intention de fuir tout ce qui n’est pas Lui et de trouver refuge en Lui ? Est-ce que tes actes n’étaient pas purement formels et avaient un fond réel ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit : « Alors tu n’as pas fait les tours rituels autour de la Kaaba (…) et tes efforts ont été vains ! » Puis, l’Imâm dit à Shebli : « As-tu embrassé la Pierre Noire, t’es-tu tenu à la station d’Abraham et as-tu fait une prière de deux rak’at ? » Shebli dit : « Oui ! » Alors, l’Imâm poussa un gémissement, cria et dit : « Oh… oh… Toute personne qui embrasse la Pierre Noire a en vérité embrassé Dieu ! Alors, considère bien cela et fais bien attention à ne pas perdre la rétribution d’un acte dont le respect et l’aspect sacral auprès de Dieu sont immenses. » (…)

Puis, l’Imâm dit : « Lorsque tu te tenais à la station d’Abraham, étais-tu animé par l’intention qu’en t’arrêtant à cette station – le lieu où s’est tenu Abraham le fidèle compagnon de Dieu, ce serviteur monothéiste et sincère qui incarne la détermination ultime – tu montrais ainsi ta ferme décision d’obéir à Dieu et de t’abstenir de toute rébellion et de tout péché ? » Shebli répondit : « Non ! » L’Imâm demanda encore : « Lorsque tu priais en ce lieu, as-tu eu l’intention que ta prière soit comme celle du vénérable Abraham, et que tu te vois ainsi vaincre le Diable ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit : « Alors en vérité, tu n’as pas embrassé la Pierre Noire, tu ne t’es pas tenu à la station d’Abraham, et tu n’as pas fait une prière comme il se doit en ce lieu ! »

Jamrah

L’Imâm dit ensuite : « T’es-tu rendu à la source Zamzam et as-tu bu de son eau ? » Shebli répondit : « Oui ! » L’Imâm dit alors : « Lorsque tu t’es rendu auprès de cette source et que tu as bu de son eau – une eau qui, sous l’effet de la sincérité pure et de la remise à Dieu confiante d’une femme dotée de foi a jailli de la terre il y a mille ans et continue de couler jusqu’à aujourd’hui -, l’as-tu fait avec l’intention que l’obéissance à Dieu et le fait de Le servir en toute sincérité deviennent réalité dans ton cœur ? As-tu réellement voulu te détourner du péché et de la désobéissance, afin que la source de l’eau de vie jaillisse des tréfonds de ta personne et se ravive dans tout ton être ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit : « Dans ce cas, dans le monde du sens et de la vérité, tu ne t’es pas rendu auprès de Zamzam et tu n’as pas bu de son eau ! Et tu n’en as pas tiré de bénéfices spirituels, ton cœur ne s’est pas purifié et tu n’as pas bénéficié de la guérison des maladies intérieures que procure le fait de boire cette eau. »

Puis l’Imâm dit : « As-tu parcouru le trajet entre Safa et Marwa, es-tu allé et venu entre les deux monts ? » Shebli dit : « Oui ! » L’Imâm dit alors : « Étais-tu dans un état à la fois de crainte et d’espoir que tes actes soient acceptés par Dieu, sans savoir si tu allais être accepté ou refusé auprès de Lui ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « Alors, tu n’as pas fait ce trajet, et tes allées et venues entre Safa et Marwa n’ont aucun sens et sont dépourvues de vérité, comme si tu n’avais rien fait ! » (…)

Minâ

L’Imâm dit encore : « Es-tu allé à Minâ et as-tu lancé des cailloux aux trois Jamrah, t’es-tu rasé la tête et as-tu sacrifié un mouton, as-tu fait une prière dans la mosquée de Khaif et après, es-tu rentré à La Mecque pour de nouveau faire un tour rituel autour de la Kaaba ? » Shebli dit : « Oui ! » L’Imâm dit alors : « Lorsque tu es arrivé à Minâ et que tu as lancé des cailloux aux trois Jamrah, as-tu prêté attention au fait qu’il te faut atteindre le but poursuivi par tes actes, et que Dieu a subvenu à l’ensemble de tes besoins et t’a octroyé tout ce que tu désirais ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « Lorsque tu as lancé des cailloux aux trois Jamrah, as-tu fait cet acte avec l’intention de fracasser ton ennemi Iblis, et en achevant le hadj, as-tu ainsi désobéi aux ordres du Diable ? » Shebli dit : « Non ! » L’imâm dit alors : « Lorsque tu t’es rasé la tête, l’as-tu fait avec l’intention de te purifier de tous les bassesses et fléaux de l’âme, de te purifier de la volonté de faire subir toute injustice à tes semblables ou de bafouer leurs droits, et de redevenir pur de tout péché, comme au jour de ta naissance ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit : « Lors de ta prière à la mosquée de Khaif, es-tu parvenu à ce niveau de vérité consistant à ne craindre que Dieu et tes propres péchés, et à ne fonder ton espoir que sur la miséricorde de Dieu ? » Shebli dit : « Non ! »

Mosquée de Khaif

L’Imâm dit : « Lorsque tu as offert un animal en sacrifice, l’as-tu fait avec l’intention de suivre fermement la vérité, de t’abstenir de toute convoitise, et de suivre la voie d’Abraham qui, en étant prêt à sacrifier son fils, le fruit de son cœur, a fondé la voie de la servitude sincère vis-à-vis de Dieu et la façon de se rapprocher de Lui pour les générations suivantes tout en montrant au monde le sens réel de l’unicité divine, de la satisfaction et de la soumission ? » Shebli dit : « Non ! » L’Imâm dit alors : « Lorsque tu es rentré de Minâ à La Mecque et que tu as effectué les tours rituels, avais-tu à l’esprit que grâce aux bénéfices de la miséricorde divine, tu étais entré dans le lieu de l’obéissance et dans le giron de l’amour divin, que tu avais effectué l’ensemble des actes obligatoires et que tu avais ainsi établi une demeure à proximité de Dieu ? » Shebli dit : « Non ! »

A ce moment, l’Imâm Zeyn-ol-Abedin dit : « Par conséquent, tu n’es pas allé à Minâ, ni n’as lancé des cailloux aux trois Jamrah ; tu ne t’es pas rasé la tête ni fait de sacrifice… Tu n’as pas prié au sein de la mosquée de Khaif ni n’as fait de tours rituels autour de la Kaaba ! Et enfin, tu n’es pas parvenu à la station de la proximité avec Dieu… Rentre chez toi, car tu n’as pas fait le hadj ! »

Mirza Ali al-Nouri, Mostadrak al-Wasâ’el, vol. 10, p. 166, hadith 11770.

Notes

[1Habits blancs non cousus, marquant l’entrée dans un état de consécration rituelle et dans un univers sacré.

[2Expression signifiant « me voici », ici adressée à Dieu.


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