N° 52, mars 2010

Les contes africains : une école vivante de la transmission de la tradition


Odile Puren


Les contes africains constituent une littérature orale servant à transmettre les valeurs de la société dans laquelle ils sont contés.

Nul ne connaît l’origine des contes africains, qui sont en général le reflet de la société et n’ont pas d’auteur. Ils appartiennent à la société dont ils sont issus. Aussi parle-t-on de contes maliens, ou de contes béninois. Dans un même pays, on différencie les contes par leur ethnie d’origine. Ainsi, on entend dire au Bénin par exemple : ce conte est fon (ethnie du centre du Bénin) ou bien cet autre conte est yoruba (ethnie du sud-est du Bénin).

Les personnages des récits africains sont des êtres humains, des animaux, des éléments de la nature, des génies de la forêt, mamiwata (personnage mi-humain mi-poisson que l’on peut assimiler à une sirène), des esprits, des dieux, etc. Tous sont différents mais se comprennent. On retrouve surtout plusieurs aspects de l’enfant dans les contes africains : l’enfant ange, l’enfant curieux, l’enfant malin, les jumeaux (ils sont vénérés dans certains pays africains), mais le plus fréquent demeure l’enfant orphelin.

Contrairement à ce que l’on croit, le public des contes africains n’est pas uniquement jeune. Lors des veillées africaines, enfants, adolescents et adultes se rassemblent pour écouter le conteur, bien que le niveau de compréhension diffère selon l’âge de l’auditoire.

Dans la plupart des villages africains, l’espace du conte est le même. Le public est assis (par terre sur des nattes ou sur des tabourets) en demi-cercle face au conteur de façon à ce qu’il puisse voir et être vu de toute l’assistance. Lorsque cette dernière est composée uniquement d’enfants, il arrive parfois que ceux-ci s’alignent assis devant le narrateur. La séance a toujours lieu la nuit en toute saison.

Le conteur est un artiste polyvalent : il doit être à la fois comédien, poète, chanteur et danseur. Le conte africain se situe au carrefour de tous les arts, et c’est cette caractéristique qui fait sa richesse.

Le conteur ou la conteuse peut être le grand-père ou la grand-mère de la famille. Le conteur public est généralement un griot ou un traditionnaliste confirmé. Chez les Peulhs du Mali, on l’appelle « le maître de la parole ».

Le conteur doit avoir :

- De l’éloquence, pour bien convaincre son public car tout conte est porteur de message.

- De la mémoire, pour se souvenir non seulement de tous les récits de son pays, mais aussi de ceux qui lui ont été rapportés par des étrangers, car les contes se transmettent depuis plusieurs siècles de bouche à oreille. Cette tradition basée sur l’oralité reste encore très forte aujourd’hui dans certains villages africains mais tend à disparaître dans d’autres, et les veillées de contes n’ont plus lieu tous les soirs comme il y a trente ou quarante ans. La transcription des contes traditionnels africains est un phénomène récent.

- De l’humour pour faire rire les personnes qui l’écoutent.

- De l’imagination.

- De la culture : dans les sociétés africaines traditionnelles, il n’existe pas d’écoles où l’on apprend la littérature, les sciences, la philosophie, les mathématiques, la technologie. Tout cela s’apprend au contact des anciens, mais il faut savoir les écouter. Le conteur peut donc acquérir ces diverses connaissances en fréquentant les vieux de façon très assidue.

- De l’intelligence pour donner des réponses claires et intelligibles aux questions qui lui seront posées à la fin de chaque conte.

Il doit savoir rendre son récit vivant, provoquer l’intérêt et de la motivation afin que ceux qui l’écoutent ne s’ennuient pas car toute séance de conte a pour but d’instruire en amusant.

Les thèmes des contes africains sont extrêmement variés. Ils sont tous moralisateurs et peuvent aborder toutes sortes de sujets relatifs à la vie quotidienne tels que : la cosmogonie, les saisons, la disette, la fécondité, la stérilité, la mort, l’initiation, la richesse, la pauvreté…

Le contenu de certains thèmes ressemble à une légende. C’est le cas du conte béninois intitulé « Les abeilles et la mort » où, après l’enterrement d’un sage, les villageois se rendent devant la maison mortuaire pour continuer à présenter leurs condoléances à la famille. « Lorsque les proches arrivèrent au domicile du défunt, ils durent se frayer un passage à travers la file de ceux qui attendaient devant le portillon peint en vert, pour avoir l’autorisation de se manifester. La famille entra dans la maison. Le premier en tête de la file tenta de lui emboîter le pas. Soudain un essaim d’abeilles arriva, envahissant les lieux… » [1] . C’est alors qu’une voix retentit en apprenant à la foule que le vieux avant de mourir, avait donné pour consigne que chacun rentre chez soi après les funérailles officielles.

Dès que les villageois se dispersèrent, les abeilles disparurent.

Ces abeilles peuvent aussi prendre la défense de l’homme quand il est attaqué injustement.

De nombreuses légendes nous relatent comment des abeilles ont pris la défense d’un village qui devait être rasé et les habitants envoyés en esclavage…

Les contes révèlent des valeurs qui sont chères aux sociétés traditionnelles. Il s’agit notamment de l’écoute, l’obéissance, la discrétion, la maîtrise de soi, l’hospitalité, la justice, l’honnêteté, la gratitude, la bonté, la générosité… Ces valeurs sont fondamentales à la morale africaine. Tout héros d’un conte en carence de l’une de ces valeurs est sévèrement puni.

Prenons l’exemple du « Chasseur égoïste ».

Le protagoniste de cette histoire est, comme l’indique son titre, un chasseur célèbre pour son égoïsme. Un jour, il alla chasser dans une très grande forêt qui appartenait à un génie. Ce dernier avait la réputation d’être généreux envers les gens de bon cœur, mais indifférent au mauvais sort réservé aux méchants. Notre chasseur ignorait tout cela. Il captura beaucoup de gibiers et en devint très fier. A un moment donné, le génie de la forêt se transforma en vieillard et lui demanda

de la viande fraîche parce qu’il était trop vieux pour chasser. Le chasseur refusa de la lui donner. Le vieillard partit tristement. Plus tard, lorsque le chasseur eut faim, il se cuit de la viande pour manger. A peine eut-il avalé un morceau que la voix du génie retentit dans un arbre proche, lui demandant s’il pouvait venir partager son repas. L’homme refusa à nouveau. Puis il se comporta de la même manière envers toutes les personnes rencontrées dans la forêt.

Lorsqu’il eut fini de chasser, il prit le chemin du retour, très chargé. Mais il ne se souvenait plus du chemin qui menait à son village. C’est alors qu’il rencontra à nouveau le vieillard à qui il demanda son chemin. Celui-ci ne voulut pas le lui montrer. Le chasseur tourna en rond dans la forêt. Ce conte finit ainsi :

« Des jours et des nuits entières, il marcha infatigable mais sans succès. Ses forces s’épuisèrent. Il maigrit fortement mais ne s’arrêta pas de marcher.

Aujourd’hui encore, il semble qu’il marche dans cette très grande forêt, errant à la recherche d’une issue vers son pays, sa terre et sa famille ». [2]

On voit bien ici que non seulement le chasseur est puni pour son égoïsme, mais en plus il subit une initiation qui prend aussi l’allure d’une purification. Ce chasseur n’est pas un exemple à suivre parce qu’il agit contre les valeurs de la société traditionnelle africaine.

Les contes ont ainsi pour but de dicter à chacun les règles de vie à adopter pour son propre épanouissement et pour celui de la société.

La plupart des contes comportent des situations difficiles pour permettre à l’enfant de prendre conscience des difficultés de la vie de tous les jours. Si le héros s’en sort vaillamment, cela aide l’enfant à réfléchir mûrement avant d’agir. A force de s’identifier aux héros intelligents des contes, l’enfant apprend à résoudre ses problèmes tout seul ; les contes ont donc une influence positive sur lui.

Certains contes très courts étaient souvent utilisés par des villageois pour appuyer leurs arguments lorsqu’une affaire était amenée devant le roi.

La séance d’un conte ne se déroule pas de la même manière dans toute l’Afrique. Dans certains pays, il existe :

- Une séance d’ouverture.

- Une formule d’introduction.

- Le récit du conte entrecoupé de chants et parfois de danses. Au Mali, chez les Peulhs, il arrive qu’un griot joue de la musique en sourdine pour accompagner le récit. Dans ce cas, le griot n’est pas le conteur.

- Une formule finale.

Dans la plupart des pays africains, la séance d’ouverture est inexistante.

La formule d’introduction quant à elle varie d’un pays à l’autre et même d’une ethnie à l’autre.

Au Bénin, le conteur dit pour introduire son conte : « Mon conte a couru vite pour tomber sur les abeilles et la mort ». Le récit sera entrecoupé de chants et de danse.

A la fin du conte il tire une leçon de morale. Dans le cas du récit ci-dessus la leçon est : « Depuis ce jour mémorable, les abeilles ont gardé un certain pouvoir sur les vivants. Lorsqu’il est question de vie ou de mort, que le danger menace réellement, elles réapparaissent pour

mettre en garde les humains contre un fléau qui les menacerait collectivement ».

Puis pour clore la séance, il déclare « Je remets le conte là où je l’ai pris ».

Au Sénégal, le conteur commence par « Lébon » ce qui signifie « Il était une fois » et les enfants répondent « Lépen » c’est-à-dire « Les enfants écoutent ».

Quand il finit son récit, il dit « Le premier qui va respirer ça (le conte) ira au paradis ». A ces mots, tous les enfants se mettent à respirer vite.

En Côte d’Ivoire, le traditionnaliste introduit ainsi le conte « Lahaoo yoo » ce qui veut dire « Il était une fois ». Ensuite il commence son récit qui sera entrecoupé de chants.

A la fin, il tire une leçon de morale.

Chez les Bambara du Mali, le conteur dit en introduction : « Ziri » c’est-à-dire « Il était une fois ». Après la leçon de morale, il affirme : « Niata yoromé niablayé » ceci signifie « J’ai laissé mon conte là où je l’ai commencé ».Chez les Peulhs du Mali, le maître de la parole fait son introduction en disant : « Conte conté à conter es-tu véridique ? Pour les bambins qui s’ébattent au clair de lune, mon conte est une histoire fantastique. Pour les fileuses de coton pendant les longues nuits froides, mon récit est un passe-temps délectable. Pour les mentons velus et les talons rugueux, c’est une véritable révélation. Mon conte est à la fois futile, utile et instructeur » [3].

Pour finir son conte, il explique la leçon de morale qui lui est associée.

Les contes africains, malgré leurs richesses ne sont pas exploités comme il se doit. Les veillées africaines au cours desquelles l’on a du plaisir à écouter le narrateur disparaissent peu à peu des villages. Pourtant, elles constituaient des moments forts de cohésion sociale. Dans les villes, rares sont les femmes qui disent des contes traditionnels à leurs enfants. Parmi les femmes qui vivent loin de l’Afrique, très peu se souviennent encore de la formule introductive des contes de leur ethnie.

De nos jours, ce sont les médias qui se chargent d’éduquer les enfants par les contes. Certains enseignants essaient également de les introduire dans leur projet pédagogique. Des écrivains prennent conscience de la situation et organisent des concours de contes traditionnels africains dans leur pays d’origine. Les meilleurs sont transcrits et édités. L’un de ces ouvrages est intitulé Contes et légendes du Bénin et est édité chez Karthala.

Notes

[1Aguessy, Dominique, Contes du Bénin. L’oracle du Hibou, p. 59.

[2Kamanda, Kama, Les contes des veillées africaines, Editions L’Harmattan, p. 45.

[3Hampate Ba, Amadou, Il n’y a pas de petites querelles, p. 2.


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