N° 52, mars 2010

Origines du conte en Iran (2)

La tradition orale aux débuts de la période islamique


Shadi Oliaei

Voir en ligne : Origines du conte en Iran (3)


Mutation culturelle

La difficile conquête arabe de l’Iran a mis fin à la pratique de la religion zoroastrienne instaurée sous les Sassanides. Les Iraniens se sont pliés aux nouvelles coutumes de la religion musulmane mais ont conservé leurs traditions culturelles ancestrales qu’ils ont adaptées pour les rendre conformes à ce nouveau mouvement religieux. C’est ainsi que la pratique de la représentation picturale a pu, malgré l’interdit islamique qui la frappait, demeurer intacte grâce à une interprétation favorable du Coran.

Il en est de même des rituels préislamiques autour de héros légendaires, tels que la célébration de la mort de Siâvosh, qui a été adaptée en une histoire assez vague pour faire référence autant à la défaite du héros mythologique iranien qu’au martyre de l’Imâm Hossein. [1] L’islam ayant interdit l’usage du chant et de la musique lors des narrations, les conteurs ont intégré des introductions chantées célébrant le deuil de héros populaires ainsi que des odes au milieu du récit afin de contourner cet obstacle. On pense toutefois que des conteurs ont continué, notamment dans les zones rurales moins soumises aux grandes évolutions nationales, à pratiquer le chant et la musique dans le prolongement des traditions préislamiques. Ces arts continuaient néanmoins à être pratiqués à la cour des rois qui appréciaient les représentations de contes accompagnées de musique, de chants et de danse. Ceux-ci permettaient de rompre avec la monotonie de l’oralité et la tristesse de certains récits.

La lamentation durant les récits était une pratique courante et un moyen pour le conteur de souligner son talent, donc sa capacité à susciter les émotions. On racontait des histoires du Eskandar-nâmeh [2] (Le Livre d’Alexandre), roman écrit entre le XIIe et le XIVe siècle, les aventures du chevalier Samak Ayâr [3], roman du XIIe siècle, transposé par écrit d’après le récit d’un conteur, ou encore Abu Moslem-nâmeh [4] (Le Livre d’Abu Moslem), roman du Xe-XIe siècle, dont seuls quelques conteurs étaient spécialistes, parmi lesquels Abu Tâher Tarsusi. Cette histoire, qui raconte la lutte de ce héros contre les califes des Omeyyades, a été répétée de bouche à oreille durant trois siècles avant d’être rédigée au XIVe siècle (avec quelques ajouts destinés à la rendre plus distrayante), à l’époque timouride (1370-1506) par un conteur chiite de la ville de Samarkand qui en a tronqué les passages faisant trop explicitement référence au sunnisme.

La poésie était, à l’époque islamique comme auparavant, un important vecteur de transmission de contes et de légendes nationales. Les conteurs adaptaient leurs récits sous une forme versifiée plus apte à satisfaire le goût du public, mais la poésie était utilisée sur des supports très variés tels que les murs, les ustensiles de cuisine ou d’autres objets de la vie courante. Les bâtiments publics ou les maisons des notables portaient souvent des messages sous forme poétique afin qu’ils soient lus par le plus grand nombre.

Dans l’étude de la tradition orale en Iran depuis la fin du Xe jusqu’au XIe siècle, aucun texte ne semble être plus informatif que Târikh-e Beyhaqi (Histoire de Beyhaqi). Abol-Fazl Mohamad b. Hoseyn Beyhaqi († 1077) était secrétaire à la cour qaznavide (977-1186). Il a servi dix souverains qaznavides depuis Mahmud (r. 998-1030) jusqu’à Zahir al-Dowleh Ebrâhim (r. 1059-99) durant environ 50 ans (1021/22-1077). Il a commencé à écrire dans ses vieux jours une histoire des Qaznavides, dont une partie portant sur le règne de Mas’ud I est restée intacte. Sa proximité avec le centre du pouvoir durant une longue période lui a permis d’observer en détails l’actualité et la politique ainsi que les usages, les rites et les cérémonies de la cour. On trouve dans le Târikh-e Beyhaqi de nombreuses informations sur la vie à la cour qaznavide. Particulièrement intéressantes pour notre objectif, les descriptions des activités quotidiennes du prince dans lesquelles on trouve des références à des professions relatives à la tradition orale telles que : shâ’er/ân ou sho’arâ (poètes), motreb/ân (ménestrels ou musiciens) et mohadeth/ân ou qavâ/ân (conteurs). Ce livre, en plus de dépeindre des évènements du règne de Mas’ud, roi qaznavide, se réfère également à l’époque sassanide. Le roi Bahrâm Gur de la dynastie sassanide avait marqué un animal de son nom, et ce geste est imité par Mahmud dans le Târikh-e Beyhaqi. Cette référence à une très ancienne dynastie iranienne marque implicitement une influence du Shâhnâmeh dans une époque où les musulmans avaient depuis longtemps affirmé leur domination. On retiendra de cette période le nom de Kârâsi, poète et chanteur, qui a officié successivement à la cour sous la dynastie bouyide (932-1069) puis sous les Qaznavides et connu un grand succès avec ses récits des histoires du Shâhnâmeh et du Hezâr Afsân. On constate donc que, malgré l’interdit imposé par l’islam sur la musique et le chant, les conteurs ont pu continuer à pratiquer des arts devant certains publics, notamment les souverains qui avaient souvent à leur service des conteurs attitrés.

Ferdowsi entouré de poètes de Qazneh, artiste inconnu, Shâhnâmeh de Shâh Ismâ’il II, 1576, Musée Rezâ Abbâsi

C’est sous le règne du même Mahmud de Qazneh que Ferdowsi, l’auteur du Shâhnâmeh, a pu composer son recueil de la mythologie iranienne. Celui-ci présentait régulièrement le fruit de son travail en cours de composition devant le roi, accompagné de musiciens et de danseuses. Ce type de représentations existait déjà sous le règne sassanide et n’était pas limité à l’Iran.

Poètes, ménestrels et conteurs de cour

Des trois professions représentées à la cour qaznavide, les poètes bénéficiaient de la position la plus importante. Ils étaient toujours présents à l’occasion de cérémonies telles que nowruz (le Nouvel An qui correspond, selon le calendrier iranien, à l’équinoxe de printemps), mehregân (un festival d’automne) ainsi que des banquets d’Etat. A ces occasions, ils présentaient généralement des qasideh [5] ou panégyriques à leurs mécènes et étaient récompensés selon la mesure dans laquelle leurs poèmes satisfaisaient les besoins et les goûts de ceux-ci. Certains voyaient leurs œuvres archivées dans les chroniques de Beyhaqi ou avaient leurs propres divân (recueils). [6]

Comme l’a montré J.T.P. De Bruijn [7], les ménestrels remplissaient une fonction différente de celle des poètes. Contrairement à ces derniers, ils n’étaient pas autorisés à chanter des chansons de leur propre composition et se cantonnaient à l’interprétation de chansons très connues. C’étaient des artistes exécutants. Ils étaient cependant comme les poètes, indispensables dans les festivals religieux et les banquets d’état, traditionnellement appelés après ces derniers : "[…] Amir [Mas’ud I] s’attabla à la fête de nowruz. Il avait amené de nombreux présents et s’était donné beaucoup de peine dans la préparation de la fête. Il entendit des poèmes (she’r/hâ) récités par des poètes (shâ’er/ân) pour s’amuser en cette période d’hiver, se détendre et se relâcher. Quand les poètes eurent fini leurs récitations, il leur offrit des cadeaux, puis demanda des musiciens (motreb/ân)." [8]

Les ménestrels étaient également de proches serviteurs du roi, à l’instar des nadim/ân (bons compagnons), des qolâm/ân (pages), et des conteurs. Ils étaient appelés à toute occasion de fête et de beuverie [9]
, et suivaient fréquemment leurs mécènes dans les pique-niques et les expéditions de chasse. [10] D’un côté, leur tâche recoupait celle des poètes sur le plan de l’interprétation publique, et de l’autre celle des conteurs sur celui de leur présence assidue aux côtés des princes.

Les conteurs faisaient également partie des courtisans. Il est souvent fait référence à eux avec un groupe de nadim et de ménestrels qui servaient les princes qaznavides : "Et chaque jour j’avais l’habitude de l’attendre [Mas’ud] avec mes compagnons [qui étaient] des musiciens (motreb/ân), des conteurs (qavâl/ân) et de vieux nadim/ân. On me donnait quelque chose à manger et je revenais pour la prière du soir." [11]

Les conteurs, quant à eux, ne se produisaient pas à l’occasion de cérémonies, étant plutôt confinés aux quartiers privés des princes. Le passage suivant fait allusion à l’un des rôles des conteurs : "Une nuit il [Abu Ahmad-e Khalil] vint à la cour pour requérir un chambellan dans une affaire qui l’avait retenu tard. Lorsqu’il s’en alla, la nuit s’était depuis longtemps effacée. Considérant qu’il était peu prudent de rentrer il demeura dans un vestibule privé, où il fit une rencontre qui le tint en respect. […] Un serviteur entra et demanda un conteur. Comme cela arrivait parfois, aucun conteur n’était présent. Abu Ahmad se tint debout avec dignité et s’en alla avec le serviteur qui l’avait pris pour un conteur. En arrivant au pavillon de l’émir il se mit à raconter une histoire (hadith). L’émir, entendant une voix inconnue, regarda à travers les rideaux. Il reconnu Abu Ahmad mais ne parla pas avant la fin de l’histoire, qui était délicieusement intéressante. Lorsque Abu Ahmad eut achevé l’histoire l’émir demanda : « Qui es-tu ? », et Abu Ahmad répondit : « Je suis Abu Ahmad Khalil, père d’Abu Moti’, qui est le compagnon de votre seigneurie… »." [12]

Les conteurs étaient habituellement présents à la cour, prêts à servir les rois à tout moment. Le serviteur était venu appeler un conteur alors qu’Abu Ahmad avait abandonné l’idée de rentrer chez lui. Il est probable que les conteurs étaient fréquemment appelés tard dans la nuit pour raconter des histoires. Cela semble être confirmé par le compte-rendu de l’encyclopédiste arabe du Xe siècle Ebn Ishâq al-Nadim : "Ainsi parlait Mohamad Ebn Ishâq [al-Nadim] : la vérité est, si Allah le veut, que la première personne à apprécier les histoires du soir était Alexandre, qui avait un groupe [de compagnons] pour le faire rire et lui raconter des histoires. Il n’attendait pas d’eux que l’amusement mais il cherchait aussi à les protéger et les préserver." [13]

Al-Nadim a plus tard expliqué que les rois qui ont suivi Alexandre écoutaient également des histoires du soir, en particulier Hezâr Afsân. [14] Il est fort possible que les rois sassanides aient aussi eu des conteurs qui leur racontaient des histoires du soir. « Il était interdit au conteur de se répéter, à moins que cela ne soit sur ordre du roi » [15]. L’injonction des rois sassanides aux conteurs peut alors impliquer que le conte n’était pas seulement utilisé pour la distraction mais aussi pour la vigilance, la nouveauté apparaissant dans ce but comme la principale application. Grâce à l’absence des conteurs la nuit où Abu Ahmad se trouvait être à la cour, nous savons que cette même tradition des contes du soir s’est maintenue, bien que de manière peut-être indirecte, jusqu’à l’époque qaznavide.

Bahrâm Gur tuant un lion lors de la chasse, miniature attribuée à Abd-ol-’Aziz, Shâhnâmeh de Shâh Tahmasb, première moitié du XVIe siècle, Musée d’art contemporain de Téhéran

Un autre récit de Beyhaqi laisse supposer que les conteurs tenaient le rôle d’agents entre les rois et leurs rivaux potentiels : "Il existait une correspondance constante mais fortement dissimulée entre Amir Mas’ud et Manutchehr-e Qâbus, gouverneur (vâli) de Gorgân et Tabarestân. […] Il [Manutchehr] avait envoyé à Amir Mas’ud un homme appelé Hasan le conteur (mohadeth) qui, en plus de pratiquer le conte, apportait de temps en temps des lettres et des messages. Et lorsque Mas’ud envoyait le conteur à Gorgân il le faisait sous prétexte de l’envoyer ramener des graines de basilic parfumé, des oranges et d’autres choses." [16]

Le conteur avait donc sa place à la cour avec un rôle significativement différent de celui du poète et du ménestrel. Par contraste avec ceux-ci, il agissait dans la simple mesure de ses capacités à assister et à tenir compagnie à son mécène, et se trouvait peut-être dans une position inférieure aux autres. Il n’était pas autorisé à se produire lors des occasions formelles, au cours desquelles le poète et le ménestrel jouaient un rôle important, et n’interprétait ni poésies, ni chansons, ce que faisait le ménestrel. Sa principale tâche consistait à raconter, de façon implicite, des histoires en prose le soir et à rapporter des messages.

Les conteurs populaires en Iran après l’arrivée de l’islam

De tout temps les conteurs en Iran ont bénéficié d’un grand succès auprès du peuple. Ils étaient même parfois appelés pour seconder les poètes car leur éloquence permettait de captiver des foules et de rendre accessibles des histoires aux personnes illettrées ou peu éduquées. Leur rôle d’éducateurs auprès du peuple s’est encore renforcé après l’arrivée au pouvoir des turcs seldjoukides au début du XIe siècle et les luttes pour le pouvoir qui ont suivi, malgré une brève période florissante pour la culture et notamment l’art du conte. Les conflits intervenus durant cette période ont en effet empêché les artistes impériaux de se maintenir dans les cours, celles-ci subissant diverses influences religieuses antagonistes. Ne trouvant plus un auditoire favorable auprès des souverains, chassés par les religieux aussi bien chiites que sunnites et remplacés par les nadim, sortes de troubadours-musiciens comiques, ils se mirent à diffuser les légendes et l’histoire iranienne parmi le peuple. Certains mythes, telles que celui de Veis va Râmin, étaient frappés d’interdit par les tenants sunnites et chiites de la charia qui les accusaient de pervertir la jeunesse. Mais il existait aussi des conteurs de rue sunnites et chiites dont les histoires se concurrençaient entre elles en mettant en avant tel ou tel héros de l’islam, ’Ali pour les chiites, Abu Bakr et ’Omar pour les sunnites. La visée de ces conteurs religieux, appelés monâqeb-khân ou monâqebi chez les chiites, consistait principalement à répandre leurs croyances à l’inverse des conteurs traditionnels qui attachaient une grande importance au style du récit et à la forme. [17] On peut cependant rapprocher ces deux types de contes en ce qu’ils reposaient sur un arrière plan de vérité auquel se rajoutent des exagérations destinées à mythifier les héros, telles que la prise d’une forteresse par ’Ali.

Les conteurs des deux doctrines s’accusaient réciproquement de mentir ou d’exagérer certains traits de leurs contes, mais ils s’accordaient pour rejeter également les conteurs des légendes nationales.

Les monâqebi sont évoqués avec précision dans le livre Alnaq [18] , qui raconte que les sunnites avaient incité des conteurs d’histoires nationales à se produire, ce qui a pu faire penser qu’ils auraient encouragé la pratique du conte traditionnel, et donc contribué à répandre des affabulations allant à l’encontre de leur foi. Il est probable qu’il s’agisse d’une tentative pour discréditer les tenants du sunnisme, placés en position de faiblesse après la montée du chiisme. Un regard approfondi sur l’historique du conte montre en effet que la narration des mythes et légendes nationales est bien antérieure à l’arrivée des musulmans et que, même sous leur domination, elle a persisté de façon quasiment marginale.

L’occupation mongole au XIIIe siècle voit se confirmer encore ce rejet par le pouvoir des traditions narratives ancestrales, ce qui a eu pour effet de renforcer la détermination des adeptes des récits légendaires, mythiques et épiques, qui souhaitaient perpétuer cette tradition, à l’opposé du courant historico-religieux qui s’imposait alors dans la société. Leurs récits étaient en effet déconsidérés par les chefs religieux ainsi que les rois mongols, l’un d’entre eux, Hulagu Khân, allant même jusqu’à vouloir les éliminer totalement de la société, comme le décrit ’Obeid Zâkâni [19], écrivain et poète satirique du XIVe siècle. Une grande partie du peuple est cependant restée fidèle aux récits anciens, à l’instar de la confrérie du Fotovvat [20]qui défendait une vision chevaleresque de l’art du conte englobant certains principes définitoires de la qualité d’un conteur : le rythme, la capacité à retenir l’attention du public et à rendre son récit accessible ainsi qu’à le divertir, l’interdiction de la mendicité et enfin la citation des sources originales.

Il arrive qu’un conteur évoque le contexte de son époque politique de façon détournée, pour critiquer par exemple la dureté du régime, comme le fait Sa‘di lorsqu’il dépeint une scène de son Golestân (Jardin de roses) dans laquelle est raconté un passage du Shâhnâmeh évoquant la chute d’un tyran. [21] Cette situation est susceptible de rappeler fortement l’oppression subie par les Iraniens durant la domination mongole. Le conte devient alors un moyen détourné d’exprimer le ressentiment d’un artiste envers un empire qui a sévèrement restreint l’expression artistique et s’est refusé au plein épanouissement de la culture iranienne.

L’influence mongole a donc entraîné la composition de contes à la teneur plutôt épique que poétique ou légendaire mais qui ont été publiés ultérieurement, à l’époque safavide.

Le répertoire des conteurs

L’une des archives les plus anciennes concernant la transmission orale des légendes nationales à l’époque islamique date de la moitié du VIIe siècle. Selon l’universitaire arabe du IXe siècle Ebn Hesham († 833), un certain al-Hâreth divertissait le peuple de La Mecque avec les contes de Rostam et des rois iraniens qu’il avait appris durant son séjour en Iran. [22] Au VIIIe siècle, les contes de Rostam s’étaient diffusés jusqu’en Arménie. L’historien Mo’ed Khorâsâni cité Rostam en référence à un certain Turk, gouverneur de l’ouest : "Mais si vous préférez, je suis moi-même en train de raconter des mensonges inappropriés et méprisables à son sujet [Turk le gouverneur], tout comme les Iraniens disent que Rostam Sagdjik avait la force de cent vingt éléphants. Les chansons à propos de sa force et de sa vigilance semblaient très disproportionnées ; elles n’étaient même pas égalées par les contes de Samson, d’Hercule et de Sagdjik." [23]

Différents contes étaient racontés chez les Iraniens au Xe siècle. Al-Nadim dans son ouvrage Al-Fehrest, a cité quelques unes de ces œuvres, les suivantes semblent faire partie des légendes nationales : Rostam et Esfandiyâr, Bahrâm-e Cubin, al-Kârnamak, sur la vie d’Anushirvân, Dârâ et l’idole d’or, Khodây-nâmeh (Le Livre des Seigneurs), Bahrâm et Narsi, Anushirvân. [24] Cela indique que les légendes nationales iraniennes étaient, au moins en partie, connues chez les peuples extérieurs aux régions persanophones.

Ces légendes étaient également racontées à la cour qaznavide. Beyhaqi fait le récit suivant dans lequel il est dit que Mahmud de Qazneh a entendu l’histoire de Bahrâm-e Gur : "Ici, à Bost, Amir Mahmud donna l’ordre de chasser et d’attacher une antilope. Puis il a ordonné qu’elle soit relâchée après qu’elle eut été marquée du nom de Mahmud, comme l’avait fait Bahrâm Gur, dont il avait entendu le récit par les conteurs." [25]

Le récit de ces contes héroïques était sans doute si répandu que les termes Shâhnâmeh khân (le conteur de Shâhnâmeh) et kârnâmeh-khân (le conteur de chroniques) en sont venus à désigner une catégorie de conteurs spécialisés dans le récit des légendes nationales. Dans le poème panégyrique qui suit, dédié à Mahmud, Farokhi († 1037) fait allusion à un conteur de Shâhnâmeh : "Tous les rois parlent de sa souveraineté [celle de Mahmud] et de sa noblesse ; le ciel n’a jamais nourri une telle personne parmi les princes, cela je l’ai entendu d’un Shâhnâmeh khân." [26]

Parmi les noms des Shâhnâmeh khân, celui de Kârâsi nous est parvenu. C’était un conteur courtisan renommé à la cour de Mahmud. Il a été nadim à la cour des Buyides, il a servi ’Ezz al-Dowleh (r. 967-977, Arâq), Fakhr al-Dowleh (r. 099-997, Rey ; 083-997, Hamadân), Majd al-Dowleh (r. 997-1029, Rey) jusqu’à ce qu’il trouve le chemin de la cour de Mahmud. [27] La référence suivante à Kârâsi se trouve dans un recueil de manuscrits du Shâhnâmeh : "Le Sultan Mahmud l’aimait [Kârâsi] au point de le garder tout le temps en sa compagnie. Le sultan lui accorda finalement une telle faveur qu’il préférait écouter ses histoires plutôt que celles du poète ‘Onsori." [28]

Kârâsi était également glorifié par les poètes durant la période seldjoukide (1038-1157). Dans le vers qui suit Amir Mo’edi évoque une scène typique de divertissement au cours duquel des contes étaient proposés ainsi que du jonglage : "Kârâsi récitait Hezâr Afsân comme un conteur, tandis que Sardânak exécutait toutes sortes de tours tel un jongleur." [29]

Dans le Mathnavi-ye Tohfat al-’Erâqeyn, Khâqâni Shervâni († 1199) fait référence à Kârâsi comme un conteur légendaire des légendes nationales :

"Tu as fait parler persan à un pigeon

et fait de Kârâsi un kârnâmeh-khân" [30]

Les conteurs ne récitaient pas seulement les légendes nationales mais également d’autres types d’histoires. Le passage suivant décrit des exemples de récitation de tels contes : "La plupart des roturiers sont tels qu’ils préfèrent écouter des choses improbables et absurdes tels que les contes de div, de paris et de monstres dans un désert, dans la montagne et la mer. Un idiot rassemble un public et d’autres comme lui arrivent et il dit : « Dans telle et telle mer j’ai vu une île et j’y ai accosté avec 500 hommes. Nous avons cuisiné un repas et mis une casserole sur le feu. Lorsqu’il s’est allumé sa langue a touché le sol, l’île s’est éloignée. Nous vîmes que c’était un poisson » ; « sur une montagne j’ai vu ceci ou cela », « et une vieille sorcière transforma un homme en derrière et une autre sorcière mit de l’onguent dans son oreille pour le retransformer en homme » et tels genres de fables qui endormaient l’innocent quand elles étaient racontées la nuit." [31] Ce passage, bien que bref, en dit beaucoup sur le conte durant la période qaznavide. Premièrement, le conte n’était pas seulement populaire dans les cercles courtisans mais aussi parmi le peuple. De plus, il existait deux types majeurs de contes : les histoires du soir et les « représentations de rue » qui avaient lieu de façon occasionnelle, sans doute dans les rues animées ou les places de marché. La description que fait Beyhaqi de ces représentations est si vivante qu’il se peut qu’elle soit basée sur une observation réelle. L’expression « hengâmeh sâkhtan » qu’il emploie pour décrire la représentation de façon générale signifiait « faire du bruit » et en est venue à désigner, par extension, « rassembler une foule de spectateurs ou un public pour une représentation de contes, de jonglage, de danse à la corde ou d’acrobaties ». [32] Plus tard durant la période safavide entre le XVIe et le XVIIIe siècle, ces amusements populaires étaient proposés en même temps que des contes pour la clientèle des cafés mais la pratique était évidemment en place bien avant l’apparition des cafés en Iran. [33] Enfin, les éléments narratifs, réminiscences de romans populaires, et en particulier de contes ou d’aventures merveilleuses, étaient racontés par les conteurs. Bien que Beyhaqi soit montré évidemment critique à propos des contes populaires, il est involontairement devenu le témoin de la transmission de la matière des romans au XIe siècle.

Les bases historiques de la tradition du naqqâli

D’après les sources historiques et les indices apportés par les transcriptions de la tradition orale, nous savons que le conte a été pratiqué en Iran depuis l’époque préislamique jusqu’à aujourd’hui. Les conteurs pouvaient se produire devant un grand nombre de gens dans le bazar, ou, s’ils en avaient la chance, être au service d’un roi ou d’un gouverneur provincial. Dans cette mesure, la tradition du ménestrel de l’Iran préislamique s’est perpétuée et est toujours active de nos jours. Les conteurs actuels puisent toujours leurs contes dans le matériau du passé légendaire de l’Iran.

L’ouvrage historique d’Abol-Fazl Beyhaqi, daté du XIe siècle, nous donne des exemples de différents types de conteurs. Il raconte l’anecdote d’un homme que l’on a confondu avec un conteur (mohadeth). Dans cet épisode, on envoya un serviteur chercher le conteur afin de distraire l’émir (voir ci-dessus). On imagine que Bu Ahmad a conté l’histoire sans aucune préparation ni accessoire. On peut donc supposer que les histoires étaient racontées, en comparaison avec la façon dont elles le sont aujourd’hui, dans une forme simplifiée, c’est à dire sans matériel ni instrument de musique. On peut aussi en déduire que l’on connaissait bien les histoires et la manière de les raconter.

Beyhaqi nous donne quelques exemples des genres d’histoires racontées et indique avec quelle efficacité elles stimulaient l’imagination des gens. Il apparaît que du temps de Beyhaqi, la profession de conteur était courante aussi bien à la cour que parmi les gens du peuple. Plus récemment, les conteurs des périodes safavide et qâdjâre semblaient être reconnus comme des érudits suscitant le respect et ils pouvaient aussi être musiciens et poètes. Parfois les histoires relatées par ces conteurs ont été retranscrites et se sont intégrées à la littérature écrite iranienne.

Plus loin dans son ouvrage, Beyhaqi mentionne de nouveau les conteurs. Il déplore que les gens du peuple passent du temps dans le bazar à écouter des histoires comme dans l’anecdote précédemment citée. Dans cet extrait, le conte est un phénomène populaire concentré dans les lieux où les gens du peuple se rassemblent le soir. Peu à peu, les conteurs ont élu domicile dans les cafés qui tenaient lieu de centre de divertissements et dans lesquels la récitation du conte faisait partie intégrante des distractions proposées. Ce mode de récit privilégie la figuration par l’imagination et se rapproche des rituels anciens dans lesquels l’acteur et le spectateur participaient à la recréation des événements de la vie de la communauté dans une même expérience unificatrice. Les conteurs pouvaient appartenir pleinement à cette communauté et être étroitement liés à leurs récits ou être rattachés à des cafés qui leur fournissaient un revenu stable et un public attentif.

Les cafés se sont finalement imposés comme le principal cadre de déroulement de la récitation pour une catégorie particulière de conteur épique : le naqqâl. Le terme naqqâl n’apparaît pas dans les textes anciens et semble en fait être d’un usage récent, mais la racine naql (transmettre) est déjà utilisée dans les anciennes transcriptions de ces contes qui ont sans doute été recueillis de l’oral. Dans Samak-e ’Ayâr [34] au XIIe siècle, le verbe naql kardan (transmettre) est souvent utilisé pour décrire l’activité du conteur. [35] Dans le Dârâb-nâmeh, une transcription du XIIe siècle, l’auteur Abu Tâher b. ’Ali b. Musâ al-Tarusi se pose comme l’un des « diffuseurs des traditions » (nâqelân-e âthâr). [36] Malheureusement aucune des sources littéraires, quand elles existent, ne nous informe de façon fiable sur la manière dont ces histoires étaient racontées, sur qui les racontait ou quels étaient leurs auditoires, et il faut examiner les textes historiques pour découvrir des indices sur ces questions.

Essor et évolution de la tradition du récit épique

La récitation d’un texte épique par un naqqâl était fortement influencée par le contexte socioculturel et suivait les tendances et les goûts des spectateurs. D’un rôle éducatif pour les publics peu instruits, il acquiert par la suite une valeur de transmission et de perpétuation de la culture et de l’identité ancestrale iranienne ainsi qu’une dimension morale et celle d’un code de conduite. Ces valeurs transmises par la religion venaient appuyer les récits en leur donnant une portée éthique et ont progressivement remplacé l’aspect de transmission de la culture nationale pour acquérir un caractère plus strictement religieux.

Les épopées ont progressivement perdu leur dimension narrative et se présentent plutôt sous forme de poèmes à mesure que la religion occupe une place de plus en plus importante dans la tradition iranienne. Deux types d’épopées se distinguent alors : l’épopée historique sous forme lyrique qui commence avec l’Eskandar-nâmeh et les épopées religieuses. Ce sont les conteurs eux-mêmes qui ont participé à l’intégration de la nouvelle religion dans la culture iranienne en racontant la vie des héros de l’islam sous forme épique, comme ils l’avaient fait pour les héros mythologiques et historiques de l’Iran, en opérant pour cela un rapprochement entre ces héros. L’analogie entre les qualités des héros mythologiques et les héros de l’islam permettait ainsi aux spectateurs de s’identifier aussi bien aux héros de leur culture ancestrale qu’à ceux de leur nouvelle religion.

Les exploits accomplis par les dieux peuvent ainsi être attribués au héros dont l’histoire est développée par le conteur. Ces histoires se sont multipliées avec l’apparition de divisions internes à l’islam et la mise en avant de héros propres à chaque faction. De nouveaux personnages ont ainsi été présentés sous l’angle de l’héroïsme plutôt que de la vertu afin de les rapprocher des héros nationaux et de s’adapter aux goûts des spectateurs.

La forme de la représentation naqqâli a donc fait une place à la célébration des héros de l’islam, notamment lors des jours de recueillement. Ces prières, les rowzeh, sont adressées, en signe de deuil, aux héros des contes mais aussi aux martyrs musulmans et sont prononcées à l’appel du naqqâl et à la demande du public, lequel attendait ce signe de reconnaissance mutuelle qui venait attester de la conformité de la représentation avec la religion musulmane.

Notes

[1Beizâ’i, Bahrâm, op. cit., pp. 55-56.

[2Mahjud, Mohamad Ja‘far, « Eskandar-nâmeh » [Le Livre d’Alexandre], in Sokhan, vol. 10, n° 7, pp. 735-742.

[3Al-Arjâni, Farâmarz b.‘Abd-Allâh al-Kâteb, Samak-e Ayâr [Le Héros Samak], Ed. Parviz N. Khânlari, 4 vols., Téhéran, éd. Bonyâd-e Farhang, 1959-1967, vol. 1, p. 1.

[4Tarsusi, Abu-Tâher b. ’Ali, Abu Moslem-nâmeh [Le Livre d’Abu Moslem], Ed. H. Yaqmâ’i, Téhéran, éd. Enteshârât Gutenbeg, 1968-1974.

[5Le qasideh est un poème de quatorze vers ou plus.

[6Beyhaqi a énuméré les thèmes caractéristiques de la poésie de cour et ces poèmes là qu’ils récitaient, sont enregistrés dans des divân.

[7Bruijn, J.T. P., « Poet and Ministers in Early Persian Literature », in transition Periods in Iranian History : Actes du Symposium de Fribourg-en- Brisagau, Paris, éd. Studia Iranica Cahier 5, 1987, pp. 15-23.

[8Beyhaqi, Abol-Fazl Mohamad b. Hosein Kâteb, Târikh-e Massudi yâ Beyhaqi [Histoire de Masudi ou Beyhaqi], Ed. Qâsem Qani et ’Ali Akbar Fayyâz, Téhéran, éd. Bânk-e Melli, 1945 (71), p. 815.

[9Beyhaqi, A., op. cit., pp. 6, 54, 145, 179, 207, 235, 290, 311, 373, 439, 527, 572, 618, 629 663, 715, 785, 793, 891.

[10Ibid., pp. 203, 232, 292, 647, 653-654, 689.

[11Ibid., p. 80.

[12Ibid., pp. 153-154.

[13Al-Nadim, al-Varraq al-Baqdadi Mahmad b. Eshâq b. Abi Ya’qub, Ketâb al-Fehrest [Catalogue], trad. B. Dodge, New York et Londres, éd. Presse de l’Université de Columbia, 1959-1973. Mac Donald D. B., « The Earlier History of the Arabian Nights », in Journal of the Royal Asiatic Society, Juillet 1924, pp. 353-397.

[14Ibid. p. 399.

[15Boycee, Mary, « The Parthian gosân and the Iranian ministrel tradition », in Journal of the Royal Asiatic Society, 1957, p. 34. Cela nous rappelle la forme de l’histoire des Mille et une nuits dans laquelle Shahrazade cherche à distraire le roi Shahriâr avec une variété d’histoires pour sa propre survie.

[16Beyhaqi, Abol-Fazl M., op. cit., p. 162.

[17Beizâ’i, Bahrâm, op. cit., p. 69.

[18Ce livre, Alnaq [le refus], écrit par Abdol Jalil Qaznavi Razi en 1181, est la source la plus importante traitant de l’activité de monâqebi.

[19’Obeid Zâkâni, Nedâm al-Din Mowlânâ, Montakhab latâef [Analogie de anecdotes], Ed. FERT, Istanbul, éd. Osman Yaicin, 1924, p. 19.

[20Le Fotovvat est la doctrine de la chevalerie et de la purification de l’âme. Elle fut d’abord une branche du mysticisme jusqu’à l’époque mongole. Ses adeptes la considéraient comme un métier. Par la suite, elle devint une voie personnelle de salut pouvant être cultivée par toute personne à côté de son activité professionnelle.

[21Sa’di, Abu ‘Abd-Allâh Mosharaf al-Din, Golestân [Jardin de roses], Téhéran, éd. Amir Kabir, 1960, p. 29.

[22Nِldeke, Theodor, The Iranian national epic or the Shahnama, trad. L.Th. Bogdanov, Philadelphia, éd. Porcupine, 1930, p. 19.

[23Khorâsâsi, Mo’ed, History of the Armeniens, trad. R. W. Thomson, Londres & Cambridge, éd. Presse de l’Université de Harvard, 1987.

[24Al-Nadim, op. cit., vol. II, p. 716. L’histoire apparaît après l’intitulé « Les noms des livres que les Persans ont compris sur la biographie et l’histoire du soir sur leur roi qui étaient réels ». Les histoires citées apparaissent dans le Shâhnâmeh à l’exception de Dârâ et l’idole d’or qui est racontée dans le Dârâb-nâmeh de Tarsusi (Biqami, Mohamad, Dârab-nâmeh, [Le Livre de Dârâb], Ed. Zhabiollâh Safâ, 2 vols., éd. Enteshârat ‘Elmi Farhangi, Téhéran, 2002).

[25Beyhaqi, Abol-Fazl M., op. cit., pp. 650- 660. L’épisode de Bahrâm-e Gur apparaît aux éditions du Shâhnâmeh de Mohl et partiellement dans l’édition de Bertel. Bahrâm donne des ordres pour réviser une horde de 300 guerriers sauvages avec un anneau en or portant son nom à leurs oreilles. Il leur donne l’ordre de se rendre. En suivant l’exemple de Bahrâm, Mahmud tente peut-être de montrer son propre dévouement. On trouve un épisode similaire dans Nezâmi (Nizâmi Gangavi, The Haft Peykar : a medieval persian romance, trad. J. S. Meisami, Oxford et New York, éd. Presse de l’Université d’Oxford, 1995).

[26Farokhi Sistâni, Abol Hasan ’Ali, Divân-e Hakim Farokhi-e Sistâni [Recueil de poèmes], Ed. M. Dabirsiâqi, Téhéran, éd. Moasese-ye Matbu’âti, 1956, p. 248.

[27Voir : Dehkhodâ, ‘Ali Akbar, Loghat-Nâmeh, Téhéran, éd. Presse de l’Université de Téhéran, 1969, pp. 395-397.

[28Dehkhodâ, ’A., op. cit., On trouve ce passage permi les manuscrits du Shâhnâmeh incluant ce que ‘Abbâs Eqbâl appelle « la préface de milieu ». Ceci est plus ancien que la préface Bâysonqor qui fournit la base pour de nombreuses éditions de Shâhnâmeh au XIXe siècle. C’est un petit condensé des variantes dans lesquelles Kârâsi est désigné comme poète, nadim (page) ou conteur de Hezâr Afsâneh. Mohl cite cependant une autre version dans laquelle il a dit que c’est plutôt ‘Onsori que Kârâsi qui a raconté au sultan les histoires du soir. On peut cependant prouver que Kârâsi était généralement connu comme un conteur comme l’on suggéré Mo’edi et Khâqâni.

[29Ibid., p. 395.

[30Khâqâni Shirvâni, Afzal al-Din Badil b. ’Ali, Mathnavi-e Tohfat al-’Erâqein, Ed. y. Qarib, Téhéran, 1955, p. 28.

[31Beyhaqi, A., op. cit., p. 905.

[32Cf ; le vers de Mo’edi cité plus haut.

[33A propos de l’influence de la tradition de voyages sur les romans populaires, voir Hanaway (Hanaway, William L., « Variety and continuity in popular literature in Iran », in Iran : Continuity and Variety, Ed. Peter J. Chelkowski, New York, éd. Presse de l’Université de New York, 1971, pp. 145-146). Comme l’a souligné Hodivala (Hodivala, S. H., Studies in Indo- Muslim History : A Critical Commentary on Elliot and Dowson’s History of India as Told by its own Historians, Bombay, éd. Popular Book Depot, 1939, p. 151.) Le second exemple est raconté dans le premier voyage de Sinbad le marin, Sinbad le porteur et dans Les Mille et une nuits comme suit : (Hodivala cite le quatrième plutôt que le premier voyage de Sindbad, mais l’épisode intervient dans le premier dans : Tales from the thousand and one nights, trad. Joseph N. Dawood, London, éd. Penguin Books, 1973, p. 115- 116) « Les passagers vinrent sur le rivage et se mirent au travail pour allumer un feu. Certains s’occupaient à cuisiner et à laver, certains tombaient dans la nourriture et la boisson et s’amusaient, tandis que d’autres, comme moi-même, se mirent à explorer l’île. Pendant que nous nous activions ainsi nous entendîmes le capitaine nous crier depuis le bateau : « Tous à bord, vite ! Abandonnez tout et courez pour sauver votre vie ! La pitié d’Allah soit sur vous, car ce n’est pas une île mais une gigantesque baleine flottant au fond de la mer et sur laquelle les sables se sont déposés et les arbres ont poussé depuis que le monde est jeune ! Quand vous avez allumé le feu elle a senti la chaleur et a tressailli. Hâtez-vous, dis-je ; ou bientôt la baleine va plonger dans la mer et vous serez tous perdus ! » (Ibid., pp. 115-116). Cet épisode est également raconté dans les versions persanes du Roman d’Alexandre. Dans le Shâhnâmeh, Alexandre voit une montagne sortir de la mer. Il veut aller voir ce dont il s’agit, mais un philosophe Rumi le persuade d’envoyer ses soldats à sa place. Ceux-ci s’approchent de la montagne et découvrent qu’il s’agit d’un énorme poisson. Lorsqu’ils s’approchent, le poisson disparaît soudain sous l’eau, renversant le bateau. Dans le Dârâb-nâmeh de Tarsusi, Dârâb combat ses ennemis sur une baleine qu’il prend pour une île. Dans l’Eskandar-nâmeh, Alexandre a une conversation philosophique avec une baleine.

[34Al-Arjâni, F., op. cit., vol. 1, p. 1.

[35Ibid., vol. 1, pp. 106, 123, 126.

[36Al-Tarsusi Abu Tâher b.’Ali, Dârâb-nâmeh [Le Livre de Dârâb], Ed. Zhabiollâh Safâ, 2 vols., Téhéran, 1959-1966, vol. 1, p. 30.


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