N° 52, mars 2010

Cité de l’architecture et du patrimoine Palais de Chaillot, Paris. 20 janvier-2 mai 2010.

Architecture contemporaine.
Exposition Claude Parent, l’œuvre construite, l’œuvre graphique.


Jean-Pierre Brigaudiot


Claude Parent

La Cité de l’architecture et du patrimoine s’est implantée au palais de Chaillot, tel qu’il fut bâti en 1937 avec son architecture très solennelle et grandiloquente, dont elle occupe une large partie. Ce projet de musée consacré à la fois à l’architecture et au patrimoine fut longuement débattu et suscita une polémique que le résultat semble justifier. Ce musée de 23 000 m² réunit à la fois les collections de l’ancien Musée des monuments français et des échantillons de l’architecture contemporaine. Pari difficile certes que de présenter en un même lieu des moulages de la statuaire gothique, des vitraux de cathédrales, des reproductions de peintures murales et certains aspects de l’architecture contemporaine. Il en résulte pour ma part un sentiment mitigé sur le désamour de la France à l’égard de l’architecture contemporaine qui eut certainement mérité un musée à elle seule, et un musée bâti pour elle seule. Evidemment les budgets alloués à la culture connaissent des limites et après l’interminable rénovation du Louvre, il y a eu récemment la construction du musée du quai Branly.

Architecture Principe (Claude Parent & Paul Virilio), "Pulsion humaine", 1966
Architecture Principe (Claude Parent & Paul Virilio), Sans titre, s.d., vers 1965

Cette Cité de l’architecture et du patrimoine accueille également des expositions temporaires dont celle actuellement consacrée à l’architecte Claude Parent. La scénographie de l’exposition a été confiée à l’architecte Jean Nouvel et cela se perçoit immédiatement avec un long parcours très sombre qui devient vite pesant car de nombreux panneaux de photographies suspendus au plafond contribuent, avec la pénombre, à faire de cet espace un lieu quelque peu labyrinthique et étouffant, comme il en est d’ailleurs au Musée du quai Branly, œuvre du même Jean Nouvel.

Architecture Principe (Claude Parent & Paul Virilio), "Eglise Sainte-Bernadette-du-Banlay, Nevers", 1963-1966
Eglise Sainte-Bernadette-du-Banlay, Nevers

Claude Parent ouvre sa première agence d’architecture au début des années 50. Cependant, ce qui semble caractériser cet architecte, ce sont ses liens et échanges intenses avec les autres, architectes, artistes, penseurs et philosophes. Son œuvre porte par exemple clairement la marque de ses relations avec André Bloc, l’architecte, et avec la revue que celui-ci dirige : Architecture d’aujourd’hui, une revue luxueuse, ouverte sans frontières à l’architecture contemporaine mais également aux artistes et notamment aux sculpteurs. Il y a chez Claude Parent cette fréquentation intime et suivie du monde de l’art contemporain parisien avec des artistes comme Victor Vasarely, Jean Dewasne, Emile Gilioli, Pol Bury, Jean Tinguely, Nicolas Schِffer et Yves Klein, et bien d’autres encore. En France, il y a relativement peu d’échanges de plain pied entre les architectes et les artistes, ceci dans un contexte de rivalité, de crispation, voire de contestation mutuelle. Parent collaborera avec certains des artistes cités ici pour différents projets et cela se ressent dans l’esthétique de son œuvre architecturale ; en effet, la majorité des artistes avec lesquels il entretient des liens s’inscrivent dans une continuité incontestable du cubisme et des abstractions constructivistes issues du néoplasticisme. Les nombreuses maquettes présentées dans cette exposition évoquent précisément une époque de la sculpture en France, l’époque de l’après guerre ; ces maquettes ont un charme un peu désuet, elles sont massives, lourdes, opaques, le plus souvent faites de bois et d’acier. Elles sont à la fois des maquettes et des sculptures, c’est-à-dire qu’elles jouissent d’une autonomie, ne se donnant pas comme nécessairement liées à un devenir architectural. Les maquettes d’architecture sont habituellement des promesses, des annonces, mais ici on peut les apprécier tout autant ou même davantage dans leur seule dimension de sculpture.

Architecture Principe (Claude Parent & Paul Virilio), "Les Grandes Oreilles I, les Conques", 1969

Claude Parent est devenu avec le temps un architecte très officiel et très médaillé dont l’œuvre se définit autour de trois pôles : l’Architecture principe, avec par exemple, en 1964 l’église Sainte Bernadette du Banlay, à Nevers, puis l’architecture des supermarchés, entre 1968 et 1974 et enfin entre 1974 et 1984 l’architecture du nucléaire. Mais cela ne saurait résumer l’œuvre dans son ensemble qui est parsemée de projets non aboutis et de nombreuses constructions individuelles, notamment des maisons d’artistes. Il y a également la fameuse Maison de l’Iran, désormais Fondation Avicenne implantée à Paris, au cœur de la Cité internationale universitaire au bord du périphérique.

Architecture Principe (Claude Parent & Paul Virilio), "Tout est incliné = circulation habitable, plans horizontaux = meublés", 1966
Architecture Principe (Claude Parent & Paul Virilio), "Immeuble à parcourir - Echangeur", 1965

Le principe essentiel sur lequel repose l’œuvre de Claude Parent est l’oblique qui traverse celle-ci, tant dans les très nombreux dessins présentés dans cette exposition, que dans les maquettes et les photos des œuvres bâties. L’oblique traverse l’œuvre de Claude Parent comme une colonne vertébrale et lui donne tout son sens. Du simple basculement de l’orthogonalité propre au néoplasticisme il va, notamment avec son ami Paul Virilio (penseur et philosophe), faire de l’oblique l’outil d’une manière de penser autrement l’architecture, qu’elle soit individuelle ou collective, urbaine ou commerciale et industrielle. Dans le groupe Architecture principe, et avec la revue du même nom, Virilio et Parent veulent changer la vie et le rapport de l’homme au bâti. On peut ainsi penser aux projets modernistes développés notamment autour de Mondrian et par le Bauhaus dans la première moitié du vingtième siècle, qui visaient à changer le monde par l’art. L’oblique est l’emblème de Claude Parent, le béton et l’acier la permettent et la rendent possible à ce moment là, l’imaginaire et la technique œuvrent de pair.

Architecture Principe (Claude Parent & Paul Virilio), "Immeuble cratère", 1965
Fondation Avicenne implantée à Paris, au cœur de la Cité internationale universitaire au bord du périphérique

Chez Claude Parent, il y a donc ce rapport essentiel à l’art et à la pensée de son temps, il y a cette volonté de renouveler la manière d’habiter et de pratiquer le lieu. Le plan incliné, la rampe en pente douce, l’exaltation du matériau, tel le béton, tout cela est habituel aujourd’hui, et où que ce soit et il est bien difficile de dire à qui en revient la paternité ; mais est-ce vraiment la question ? Si l’on se réfère à une expérience vécue de l’oblique, notamment lorsqu’elle se substitue aux escaliers, celle-ci change effectivement le rapport physique et psychologique de l’usager à l’espace bâti. Parent, tout au long de sa carrière, se consacrera à des réalisations réellement innovantes, en tout cas pour ce qui est de la France : dans le domaine des grandes surfaces commerciales puis dans le domaine de l’architecture du nucléaire. Pour ce qui est des supermarchés, à Sens, Epernay ou Ris Orangis, nul doute que ses réalisations interviennent comme un indéniable apport et comme de réelles innovations, à la fois fonctionnelles et esthétiques, dans le ressenti que l’on peut avoir de tels lieux. Evidemment la question se pose différemment avec le nucléaire lorsque Parent est convié à émettre des propositions : le terrain est vierge et ce qui existe n’est que fonctionnel, ce qui est déjà beaucoup, mais pour autant ce n’est pas à proprement parler de l’architecture. Le nucléaire français des années soixante-dix a besoin d’une image et pour cela d’une architecture qui contribue à lui donner une image. C’est que va faire Claude Parent en concevant notamment les fameuses tours mais aussi en pensant globalement le site de la centrale nucléaire dans une relation à la fois d’opposition et de complicité avec le paysage d’implantation. Le pari n’était pas facile à tenir, quelles que soient les opinions que nous puissions avoir sur le nucléaire civil.

Claude Parent. Période 2000-2004
Claude Parent. Période 2000-2004

L’exposition, chronologique, montre des projets dessinés, des projets sous forme de maquettes et des photos qui rapportent principalement les réalisations de Claude Parent. Les maquettes, dont j’ai déjà parlé, méritent peut-être encore quelques mots ; elles me paraissent relever d’un fort désir de sculpture, plus peut-être que d’une fonctionnalité. Le choix des matériaux dont elles sont faites les éloigne de la maquette légère de carton plume ou de balsa que nous rencontrons fréquemment et ces matériaux les conduisent à être des œuvres alors qu’en principe, en matière d’architecture, la maquette n’est pas l’œuvre. Les dessins quant à eux sont présents en grand nombre et pour une partie d’entre eux, ils sont simplement fonctionnels en donnant précisément les informations techniques nécessaires à la construction à venir, mais pour beaucoup ces dessins sont des rêves, des utopies, et c’est peut être en tant que tels qu’ils sont les plus intéressants, même si quelquefois ils évoquent la bande dessinée de science fiction avec des perspectives accélérées quelque peu pesantes.

Claude Parent. Période 2000-2004
Claude Parent. Période 2000-2004

Le temps passe et le travail de Claude Parent revêt aujourd’hui un aspect indéniablement historique, et là est aussi l’intérêt de l’exposition qui nous révèle à quel point l’architecture a bougé au cours des décennies les plus récentes. J’ai eu de la même manière un sentiment de mutation rapide, sinon brutale de l’architecture lorsque j’ai découvert la rénovation de Pékin se préparant aux jeux olympiques : je n’ai pu m’empêcher de penser que New York est désormais une ville à l’architecture datée, simplement moderne et non pas postmoderne. L’architecture d’aujourd’hui se joue autrement que ne l’a pratiquée Claude Parent, elle est nécessairement un travail d’entreprise et elle passe par l’outil informatique, l’imagerie numérique et une technicité extrêmement pointue qui sont les tremplins d’un imaginaire sans limites et de réalisations inouïes.

Claude Parent. Période 2000-2004
Claude Parent. Période 2000-2004

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4 Messages

  • Cher Monsieur Claude PARENT, vous avez très bien connu mon mari JEAN CLAISSE, Architecte DPLG.
    Il vous a même aidé dans certains travaux de diplôme. Vous êtes venu le 29 Aout 1964 dans la Sarthe, assister à notre mariage à Aubigné-Racan, dans la maison renaissance du 15ème siècle de mes parents le Dr et madame Yves BIRAUD et vous connaissiez bien mes beaux-parents Pierre et Suzanne CLAISSE.
    Quant Jean a gagné le Concours national d’Architecture en 1972 pour la Mairie de La Baule, vous avez eu la gentillesse de le féliciter par un courrier que je garde précieusement.
    Il est décédé le 20 avril 2001 à 62 ans, en 10 secondes sur notre voilier à Cuba, pendant notre "tour de l’Atlantique " à deux. J’ai eu la chance de vivre 37 ans de bonheur avec cet homme épatant.
    Depuis fin 2013 j’habite le Var.
    Je vous exprime par ce message mon admiration et ma fidèle amitié. Respectueusement. Anne CLAISSE

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    • Madame, je ne suis pas Claude Parent mais un rédacteur de le Revue de Téhéran et j’avais effectivement réalisé un article sur cet architecte. Quant à joindre Claude Parent, je n’ai aucun moyen de connaitre ses coordonnées, j’avais simplement visité son exposition et consulté les différentes documentation accessibles. Peur-être le musée où s’est tenue l’exposition pourrait-il lui transmettre un courrier ?
      Avec mes meilleures salutations.

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