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En cet automne 2010, La Galerie Seyhoun à Téhéran paraît bien vide, malgré la belle exposition de l’artiste-peintre Hamideh Sadeghieh qui en illumine l’espace. Puis Nâder Seyhoun arrive et il se met à parler de sa mère, Massoumeh Seyhoun, qui a quitté ce monde au printemps dernier. Cette évocation rend sa présence bienveillante, à nouveau palpable dans cet environnement qui lui était si familier.
« Ma mère est née en 1935 à Rasht dans la province caspienne du Guilân. Elle venait de terminer ses études secondaires quand deux de ses amies lui ont proposé de participer au concours d’entrée à la Faculté des Beaux-arts de Téhéran. Elle y est allée sans conviction, elle aimait dessiner mais ma grand-mère voulait qu’elle soit médecin. Ses deux amies étaient déjà artistes peintres d’un bon niveau. Finalement, c’est elle qui a réussi le concours, ses amies ont été recalées. Elle a suivi les cours des Beaux-arts, mon père était son professeur. Ils se sont mariés quelques années plus tard. Je suis né de cette union ainsi que ma sœur Maryam.
En 1965, ma mère participa à une exposition avec le Groupe 5 composé d’artistes déjà connus à cette époque - Bahman Mohasses, Sohrâb Sepehri, Hossein Zendehroudi, Abolghasem Saïdi et le sculpteur Parviz Tanavoli. L’exposition était organisée dans une galerie de Téhéran appartenant à Mme Baghai d’origine française. La propriétaire de la galerie avait décidé de mettre la sculpture de Parviz Tanavoli à l’extérieur en raison de sa grande taille. Ma mère était furieuse, pour elle c’était une insulte faite à l’artiste le plus connu de son pays. Le soir même elle annonçait que, d’ici un mois, elle aurait ouvert sa propre galerie. Personne ne la prit au sérieux, d’autant qu’à l’époque très peu de galeries existaient à Téhéran, deux ou trois tout au plus. C’est pourtant ainsi que la Galerie Seyhoun est née. Après 1979, elle a arrêté de peindre pendant quelque temps puis, quelques années plus tard, cela lui a manqué et elle a recommencé à peindre. Ses œuvres sont des peintures abstraites utilisant comme medium de la peinture industrielle. Elle ne voulait pas trop exposer ses œuvres mais j’ai réussi à la convaincre et finalement elle a organisé, en 2003, une exposition dans notre galerie intitulée « ةlégie pour moi-même ».
Elle était passionnée par son travail et l’art contemporain iranien. Elle avait l’œil expert pour découvrir les artistes de talent. Sa galerie n’était pas uniquement l’endroit où l’on présentait les œuvres d’art des artistes, c’était plutôt la maison des artistes. Il me semble qu’elle considérait les artistes comme ses enfants. Elle n’était pas une galeriste qui voulait se faire de l’argent, sa priorité était plutôt d’exposer, de promouvoir et d’aider les artistes.
La galerie Seyhoun a été la première à exposer des artistes iraniens dans les grandes expositions internationales, notamment à New-York, à la Biennale de Venise, à Bâle en Suisse. La Galerie Seyhoun est l’une des seules galeries iraniennes à avoir participé à Art Basel, l’une des plus importantes foires annuelles d’art contemporain du monde, qui existe depuis 1970 et à y avoir exposé des artistes iraniens.
Quand j’étais enfant, j’accompagnais ma mère à Art Basel. J’y voyais toutes les œuvres qu’elle exposait à la Galerie Seyhoun. La galerie était une sorte de pâtoq, terme persan qui désigne un lieu que l’on fréquente souvent, où l’on reste des heures, pas simplement un lieu d’exposition. Il s’y passait une foule d’événements, on y rencontrait des artistes, des journalistes qui discutaient sans fin, qui analysaient les œuvres d’art.
A présent, de nombreuses galeries iraniennes participent aux foires internationales. C’est durant la période où Alirezâ Sami Azar fut directeur du Musée d’art contemporain de Téhéran (de 1999 à 2005), que les premières expositions vraiment intéressantes en dehors de l’Iran ont été organisées. Rose Issa, organisatrice d’expositions basée à Londres, venait de temps en temps en Iran. Il y a dix ou quinze ans, elle avait contacté ma mère et lui avait proposé de participer à une exposition de peintres de grande renommée au Barbican Art Center de Londres. Ma mère a donc participé à cette exposition, ainsi que M. Sami Azar et deux ou trois autres galeries iraniennes. Ce fut, à mon avis, l’une des meilleures expositions organisées après la Révolution.
De son côté, mon père est resté en Iran au début de la Révolution puis il est parti à Paris où il est resté deux ou trois ans. En France, il peignait beaucoup car, depuis son plus jeune âge, il adorait se livrer à cette activité. Il était artiste-peintre et architecte en même temps. Il s’est ensuite installé à Vancouver au Canada où il réside. Mais actuellement, il se rend souvent à Los Angeles où ma sœur Maryam a ouvert la Galerie Seyhoun en 2004.
Quant à moi, cinq ans avant la révolution, je suis parti en Suisse puis j’ai voulu m’engager dans des études d’architecture aux Etats-Unis, la Révolution a éclaté et je n’ai pas pu avoir de visa pour m’y rendre. Je suis donc resté en France et j’ai suivi des études d’administration des affaires à l’Université américaine, ce qui n’avait rien à voir avec ce que je voulais faire. Dans le domaine artistique, j’étais surtout intéressé par la photographie. C’est la raison pour laquelle pendant un an, j’ai suivi des cours de photographie au Parson School of Design à Paris. Je suis rentré en Iran en 1992, c’est à cette époque que j’ai commencé à travailler avec ma mère. Elle était très indépendante. Elle sollicitait mon aide mais en même temps elle voulait tout faire elle-même. Quelques années plus tard, elle a dû subir une transplantation cardiaque à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Elle m’a alors demandé de m’occuper de la galerie.
Ma mère était une femme au caractère bien trempé, elle ne cachait rien de ce qu’elle pensait. Elle était animée d’un esprit nationaliste qui la poussait à défendre son pays coûte que coûte. Ainsi, elle s’opposait fréquemment à Alirezâ Sami Azar, le directeur du Musée d’art contemporain de Téhéran, lui reprochant d’exposer les œuvres de la collection du Musée à l’étranger. Elle pensait qu’il eut été bien plus profitable de faire venir le public étranger en Iran en organisant une exposition sur la collection privée du musée pour développer le tourisme local et aussi pour empêcher le risque d’endommager des œuvres de cette importance. On trouve dans le musée des œuvres de Claude Monet, Van Gogh, Fernand Léger, Pablo Picasso, Alberto Giacometti, Francis Bacon, Max Ernst, René Magritte, etc.
Son dernier défi date de quelques années : un certain nombre d’artistes avait été exclu d’exposition à la Biennale des artistes iraniens. Ma mère loua alors la plus grande salle du Palais de Niâvarân pour y organiser un « salon des refusés » où elle exposa tous les artistes recalés.
Après sa transplantation cardiaque, et au fil des années, elle devint de plus en plus fragile. Mais elle ne cessa jamais de travailler. Et finalement, elle est décédée à son domicile de Téhéran, le 22 mai 2010, à l’âge de 75 ans. »
La Revue de Téhéran vous remercie, Nâder, pour cet entretien. Nous sommes confiants sur votre capacité à refaire ce lieu, le pâtoq, comme ce qu’il était devenu par la grâce de Massoumeh, cette femme exceptionnelle, votre mère, dont nous nous souvenons avec tendresse et admiration.
Pour compléter cet hommage à Madame Seyhoun, nous vous présentons la traduction d’un court article d’Alireza Sami-Azar, ancien directeur du Musée d’art contemporain de Téhéran, publié le 26 mai 2010 (5 khordâd 1389) dans le quotidien Shargh.
(Traduit du persan par Shahla Emamjomeh)
Massoumeh Seyhoun, personnalité reconnue de l’art en Iran, a quitté notre société artistique en laissant ses nombreux amis dans le chagrin. Pendant un demi-siècle, elle a consacré toute son énergie à élever jusqu’à la perfection le niveau de l’art iranien, et a largement participé au développement artistique de son pays. Créatrice de la première galerie d’art à Téhéran, elle a été l’une des personnes les plus actives du milieu artistique des dernières décennies. Ses efforts constants ont permis l’établissement de relations profondes et durables entre le milieu artistique et la société iranienne.
Femme d’avant-garde, elle fut pendant longtemps la seule galeriste de Téhéran. Elle était davantage une protectrice de l’art qu’une directrice de galerie. Les professionnels de l’art reconnaissent depuis longtemps le rôle prédominant joué par la Galerie Seyhoun de Téhéran dans la découverte de jeunes talents. Cette reconnaissance a permis à de nombreux jeunes artistes de vivre de leur art. Nombre d’artistes aujourd’hui célèbres ont été connus grâce à la présentation de leurs œuvres dans cette galerie.
Massoumeh Seyhoun s’est longtemps battue contre la maladie, ce qui ne l’a jamais empêchée de jouer un rôle très actif sur la scène artistique de son pays. Elle a légué à ses deux enfants l’envie de poursuivre sa tâche de soutien aux beaux-arts et aux artistes.
Massoumeh Seyhoun a été actrice et témoin d’une période importante pour l’art en Iran, organisant de nombreuses expositions qui ont permis de faire connaître d’éminents artistes comme Sohrâb Sepehri, Faramarz Pilaram, Rezâ Mafi, Hossein Kâzemi et beaucoup d’autres dont les noms restent, dans nos mémoires, associés à celui de Massoumeh Seyhoun.
Je tiens à exprimer à ses chers enfants, Maryam et Nâder, ainsi qu’à tous les artistes d’Iran, mes plus sincères condoléances pour la perte de cette artiste remarquable, grande protectrice des arts.