N° 77, avril 2012

Un chien vagabond et malade


Elhâm Kâghaztchi
Traduit du persan par

Faribâ Ashrafi


Cette histoire inaugure le recueil de douze nouvelles intitulées Tchahârshanbeh divâneh (Le mercredi fou) de Elhâm Kâghaztchi.

Je lève les mains en signe que je suis vivant. Mais personne ne me voit. Je mets mon doigt dans la bouche des morts, j’accuse les vivants de vol. Je vole un album de timbres et je l’emporte chez l’enseignant. Je mendie et agace les fous. Je lutte avec de vieux champions de lutte et je les bats. Je vais volontairement à l’asile de fous et m’y hospitalise. Je creuse une fosse et m’enterre dedans. Je vise la maison de Ghamar Tâj avec une pierre en verre. Je joue de la guitare électrique au lieu de prononcer un chant funèbre. Je vomis sur la vie.

Je passe au clignotant rouge. Je vole à main armée le magasin situé en bas de chez moi. Je ne travaille plus. Je mens beaucoup. Je pleure. J’injurie. Je me frappe contre le mur et me casse le nez. Je me coupe les veines de la main. Je fais grève de la faim. Je fais des peintures étranges. Je me fais raser les cheveux. Je crie dans la rue. Je me passe des boucles d’argent dans les narines. Je me fais opérer le nez. Je me rase les sourcils. J’achète les chaussures de marque les plus chères. Je monte sur le toit de la maison en signe de paix, et je fais s’envoler les pigeons du voisin. Je dis des gros mots. Je publie un livre et des poésies ambiguës. Je parle très fort dans mon téléphone portable à l’hôpital, mais il n’y a personne au bout du fil. J’aide les vieux contre leur gré. Je me jette au milieu de la rue pour sauver les enfants. Mais personne ne me voit. Personne ne se rappelle le jour de ma naissance. Personne ne me donne un bouquet de fleurs. Je n’ai aucun ami pour lui parler du temps qu’il fait et des palombes du grenier.

Je ne sais de qui je suis né. Tout le monde a une famille, mais moi, je n’ai personne. Aux fêtes, je suis seul et je m’achète des petits cadeaux. Personne n’est aussi seul que moi. Personne ne s’inquiète de moi. Personne ne me voit sauf pour me demander quelque chose et pour que, juste pour un moment, je devienne son chéri !

J’arrache les fleurs du milieu de la place. Mais personne ne me voit. J’invite des chats à déjeuner à la boucherie d’Ayat et personne ne me voit. Je laisse entrouverte la salière de la sandwicherie du quartier. Je lance une souris dans le bain des femmes. A l’Imâm Zâdeh Zayd, j’épingle les voiles des femmes. Je mets une pierre dans les boules de neige, les lance aux enfants et ne m’enfuis pas. Je reste debout, je les regarde et eux, ils passent sans aucun souci.

Mon état s’améliore de sorte que personne ne peut en croire ses yeux. Tous les jours, je fais le marché pour les femmes du quartier. J’apprends le Coran par cœur. Je fais la prière du soir à la mosquée du quartier. Je jeûne. Je rends visite aux vieux et prie pour les morts. J’organise un groupe capable de faire des actes de charité. Je chante dans les cérémonies religieuses et fais pleurer tout le monde. Je donne mes chaussures aux pauvres. Dans une montée, je pousse le chariot d’un charretier. Je consacre tout mon argent aux institutions pieuses et reste sans abri. J’erre dans les rues. Je vais au front. Mais, par malheur, je disparais. Il est impossible qu’on me retrouve. Il ne reste rien de moi, pas même une plaque.

Je baisse les mains en signe que je ne suis plus être vivant. Je ne peux plus rien supporter. Je me fous de tout…

Je respire du fond du cœur et je me rappelle…


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