N° 77, avril 2012

VIDEO VINTAGE
1963-1983
Centre Pompidou, Paris


Jean-Pierre Brigaudiot


Photos de l’exposition Vidéo Vintage
au Centre Pompidou

Une exposition modeste mais…

Il s’agit d’une exposition relativement modeste organisée à partir de pièces puisées dans la collection des œuvres nouveaux médias du Centre Pompidou, donc ce n’est pas l’une de ces énormes expositions qui attirent la foule et sont bruyamment relayées par les médias. Pour autant, le fait d’organiser des expositions comme Vidéo Vintage, à partir de la collection du musée, permet de redécouvrir, ou tout simplement de découvrir des œuvres qu’on ne peut évidemment voir en permanence. En effet, les collections des grands musées dépassent largement leur possibilité de les exposer et pour certains d’entre eux, quoi qu’ils fassent, le public ne pourra jamais qu’en voir des bribes. L’espace muséal est limité et le temps d’organisation d’une exposition de quelque envergure se mesure souvent en années.

Cette exposition intitulée Vidéo Vintage (le terme vintage renvoie globalement à quelque chose de remarquable dans le passé de la mode ou des arts, un peu comme l’est une vendange exceptionnelle) présente une sélection de vidéos du début de ce qu’on appelle l’art contemporain, c’est-à-dire et pour l’instant, depuis le début des années 60 (la notion d’art contemporain se déplace dans le temps et désigne de manière peu précise un art actuel ou encore à l’œuvre). Le Centre Pompidou a commencé dès son ouverture, au milieu des années 70, à collectionner et à exposer des œuvres nouveaux médias, à un moment où celles-ci relevaient plutôt de l’expérimentation et étaient relativement confidentielles, présentées le plus souvent dans les circuits de l’art d’avant-garde, avec un public fervent mais restreint et peu de collectionneurs. Malgré quatre décennies de reconnaissance institutionnelle, malgré les manifestations qui lui sont consacrées, malgré un accueil désormais généralisé dans les musées et les différentes institutions artistiques, malgré une présence systématique sur la scène artistique, l’art des nouveaux médias, dont fait partie la vidéo, reste relativement marginal, ne touchant pas ce qu’on appelle le grand public des musées. En effet cet art des nouveaux médias, qui prend le plus souvent appui sur les nouvelles technologies en matière de communication, s’avère différent des autres formes d’art, à la fois en ce qui est l’une de ses caractéristiques : sa temporalité et d’autre part, en ce qui le conduit à se confondre, peu ou prou, avec les médias de notre environnement quotidien. La vidéo en tant qu’art ressemble au cinéma, au clip publicitaire, au film documentaire, aux animations sur écrans qui peuplent l’espace urbain. Les vidéastes, c’est-à-dire les artistes qui pratiquent la vidéo en tant qu’art, comme les modalités de diffusion des œuvres vidéo, peuvent contribuer à entretenir une certaine confusion entre la vidéo comme média ordinaire et la vidéo comme art. Et certains artistes sautent allégrement d’un médium à l’autre, de la vidéo au cinéma, comme Matthew Barney, un certain nombre d’entre eux éditent des DVD qui se vendent parmi les DVD des espaces commerciaux culturels comme les boutiques des musées ou les librairies. Outre la vidéo, désormais numérique (ou numérisée par nécessité de conservation) se définit comme un art sans original où chaque exemplaire est identique à tous les autres, en tirages éventuellement illimités ; cela va à l’encontre du principe de l’unicité qui contribue à installer la fameuse aura de l’œuvre (selon Benjamin) et à faire monter les prix.

Avec Vidéo Vintage, le Centre Pompidou présente exclusivement des vidéos qui, comme le titre l’indique, sont des œuvres remarquables d’une époque révolue, celle d’artistes pionniers opérant sur un terrain quasiment vierge. La vidéo, pour dire les choses sommairement, est en quelque sorte une ramification du cinéma, un cinéma alternatif et individuel, alternatif à la lourde machinerie du grand cinéma, individuel car se jouant essentiellement à la première personne, celle qui tient la machine à filmer, le plus souvent le vidéaste. Les vidéos présentées dans le cadre de cette exposition sont attachantes comme le sont les films du début du cinéma, en noir et blanc où les acteurs se meuvent en mouvements saccadés. Ici l’image, souvent de piètre qualité - par rapport à l’image produite de nos jours qui à l’inverse serait peut-être trop belle - est émouvante et davantage encore, cette médiocre qualité la dote d’une esthétique particulière, différente de celle du pixel dont ont usé et peut-être abusé, plus récemment, certains vidéastes du numérique. Cette esthétique de la vidéo pionnière est sans doute aussi celle du bricolage, de l’expérimentation, de la pensée artistique prospective, loin d’un savoir-faire et d’une technicité qui trop souvent encombrent la création. La vidéo est donc à son origine une sorte de cinéma allégé, un médium pensé pour un usage familial et amateur mais dont les artistes vont s’emparer, comme ils l’ont fait d’un certain nombre de techniques ou de technologies : machines rustiques pour Tinguely, lumière pour les artistes de l’art optique et de l’art cinétique, puis dans les années quatre-vingt-dix, Internet en passant par le téléphone mobile. Les appareils dont se servent les premiers vidéastes (le Portapack, par exemple) sont dotés de bandes analogiques, fragiles, cassantes, et dont les montages restent souvent approximatifs. Cependant, très tôt dans l’histoire de la vidéo, un média comme la télévision attire les pionniers de l’art vidéo, comme Nam June Paik, elle est un moyen de sortir l’art du musée pour le diffuser massivement dans la vie quotidienne, ce qui rejoint l’un des objectifs annoncé par les artistes de la mouvance Fluxus pour qui la vidéo se fait témoin, outil d’interrogation critique, politique, sociale, anthropologique, conceptuelle, autotélique.

Partis pris muséographiques très vintage

L’exposition Vidéo Vintage présente une soixantaine de vidéos réalisées entre le début des années soixante et le début des années quatre-vingt. Elles sont très diverses quant aux postures qu’elles véhiculent, et elles sont classées par les commissaires de cette exposition selon des catégories muséales et selon une muséographie au parti pris très affirmé, celui de projections, le plus souvent sur des écrans de téléviseurs mis en scène comme chez soi, dans des salons d’appartements ordinaires avec fauteuils, canapés et plantes vertes, tout cela dans un design très années soixante. Le visiteur de cette exposition effectue donc une plongée assistée par le cadre muséographique dans les origines de la vidéo. En fait, l’idée de ce contexte familial ordinaire est la reprise de ce que proposa l’exposition de 1976 au Long Beach Museum de Californie pour présenter la vidéo The Eternal Frame, la muséographie reconstituait un intérieur d’américains ordinaires. Ici il s’agit sans doute de mettre l’accent sur l’entrée de l’art vidéo dans l’intimité familiale par le biais du téléviseur, celui qui est quasiment partout, mais conçu à d’autres fins que la réception de l’art ou du moins de celui-là. Accent mis par l’institution muséale sur une forme d’art d’avant-garde dont le rêve fut de sortir du musée, celui-ci dénoncé comme étant un lieu de conservation coupé de la vie réelle. Curieux jeu, vaguement ironique, du musée qui installe notre coin-salon en ses propres espaces. Ce parti pris est intéressant lorsqu’on sait à quel point l’art des nouveaux médias, bien que désormais très prisé par les institutions muséales, peine à recueillir une réelle adhésion du grand public, l’une des raisons semblant en être cette réquisition du temps de visite qu’implique un art inscrit dans la durée filmique, une autre étant peut-être le contenu même des vidéos bien souvent dénué de scénario ou autrement dit de dimension narrative.

L’autre parti pris muséographique également vintage de cette exposition, est celui de la projection vidéo sur les écrans de téléviseurs cathodiques posés sur des socles parallélépipédiques blancs rigoureusement alignés, ainsi qu’il s’en est beaucoup fait, notamment dans les années soixante-dix, avant que dans les musées des espaces spécifiques ne soient réservés à la vidéo. Et puis l’exposition est parsemée de quelques projections murales, comme cela se faisait également beaucoup avant que les musées n’utilisent le vidéoprojecteur et ne se dotent d’écrans spécifiques.

Plusieurs modes d’utilisation du médium vidéo et différentes postures artistiques sont répertoriés dans cette exposition, un classement sans doute un peu lourdement didactique tant les vidéastes ont ouvert et diversifié leur pratique d’un médium avec lequel ils opèrent à titre principal ou bien dont ils se servent occasionnellement. Mais répertorier différentes modalités de la pratique de la vidéo et un certain nombre de postures adoptées par les artistes, c’est aussi permettre au visiteur une meilleure compréhension de la manière dont elle se joue.

La vidéo, un art au cœur même des avant-gardes

Ainsi, l’exposition répertorie la performance, art de l’éphémère et de l’improvisation, du moins dans sa définition, qui va faire appel à la vidéo pour conserver des traces pérennes de ce qu’elle fut. Dès lors, cela pose la question de ce qui, lorsqu’il y a une performance et sa vidéo, est œuvre d’art. Certes la performance est une œuvre, mais le film de la performance dépasse-t-il le contexte du simple document ? Question complexe dont la réponse est indécise, même si filmer une performance ou une œuvre du Land Art peut indéniablement revêtir une dimension créative : le simple constat de l’événement implique un enchainement de choix de la part de celui qui filme, tout comme un orchestre va interpréter une symphonie, et quelquefois on parlera de création lors de cette interprétation. Le répertoire des pratiques de la vidéo range l’auto-filmage aux côtés de la performance. C’est que des performeurs se filment eux-mêmes afin de pérenniser et de travailler leur art, et dans ce cas, la performance et la vidéo sont indissociables bien que ne persiste que la vidéo. Bien souvent, le vidéaste se sert de la caméra comme d’un regard scrutateur porté sur lui-même, regard d’un témoin à priori neutre, objectif et incisif, celui du psychanalyste peut-être, porté sur un mal-être existentiel. Fonction thérapeutique de l’objectif ? Et puis il y a ce parti pris social, voire anthropologique, avec par exemple un vidéaste comme Les Levine, qui filme les habitants d’un quartier de New York, ou encore celui de Nil Yalter, en France, avec ses vidéos sur des immigrés de banlieues parisiennes. Dans l’exposition Vidéo Vintage, certaines vidéos portent leur regard sur le spectateur, cet éternel absent ; ainsi font Valie Export (Facing a Family de 1971) et Bill Viola (Reverse Television-Portraits of Viewers, Compilations Tape de 1983-84).

La télévision attirera certains vidéastes non seulement en tant que moyen de diffusion massive de leurs œuvres ou de création d’œuvres conçues pour ce média, mais également dans le but d’interroger et de critiquer celui-ci. Certaines chaines de télévision vont solliciter des artistes afin de diversifier leurs programmes. Dans les années soixante et soixante-dix, on est à un moment où l’industrie télévisuelle n’est pas encore une machine économique soumise à l’audimat, autrement dit à la rentabilité immédiate, du moins en France où les principales chaînes sont publiques. Jean-Christophe Averty réalisera plusieurs œuvres spécialement conçues pour la télévision. Lorsqu’on parle de télévision, l’œuvre de Nam June Paik est incontournable : il fut pionnier et champion du détournement de la télévision, comme par exemple avec ses installations de téléviseurs à l’image brouillée ou la création de sculptures anthropomorphiques faites également de téléviseurs. Ailleurs, par exemple, aux Etats-Unis, les chaines de télévision contribuent à soutenir certaines créations vidéo. Au Royaume-Uni, c’est la BBC qui passe commande à Samuel Beckett pour des vidéos spécifiquement destinées à la télévision. Certaines initiatives privées soutiennent la création des avant-gardes par le biais de la commande ; ainsi, la galerie télévisuelle de Gerry Schum, à Berlin va permettre entre 1969 et 1970 la réalisation d’œuvres reproductibles qui témoigneront du Land Art, de l’Art Conceptuel, d’Arte Povera ou du Minimal art. Ici encore, le projet est d’outrepasser le musée et le cadre institutionnel pour aller à la rencontre d’un plus vaste public.

La télévision n’est pas seule à être interrogée, voire dénoncée par les vidéastes ; le médium vidéo lui-même concentre analyses et critiques, en tant qu’appareillage, en tant que système qui peu ou prou impose ses lois techniques et un certain regard à ceux qui l’utilisent. Il est certain que passé le temps des expérimentations, les artistes vidéastes ont pu rencontrer concomitamment la liberté offerte par la vidéo et toutes les contraintes qu’elle impose en tant que médium technique.

L’artiste exclusivement vidéaste ou connu exclusivement comme tel semble en fait assez rare ; les artistes plasticiens, corps principal des artistes des avant-gardes de la période couverte par Vidéo Vintage, ont utilisé la vidéo un peu comme les peintres du dix-neuvième siècle se sont emparés de la photo. La vidéo a souvent été un outil de création accompagnant une autre création, comme la performance, mais aussi l’installation, voire la peinture ; elle a aussi été témoignage de l’éphémère et elle a été et est nécessairement plasticienne car l’image, même mobile est plastique. Au-delà de l’expérimentation pionnière qui apparait fortement dans cette exposition, il y a le projet ou le concept sur lequel repose chaque vidéo. Néanmoins, elle est formaliste en ce sens que pour dire, elle révèle des univers formels (pas nécessairement issus du réel visible) les scrute, les travaille et les enchante. Ainsi, bien souvent, les contenus sont indissociables d’une esthétique qui fait partie du langage cinématographique de l’auteur, comme il en est par exemple chez Bill Viola.

En ligne

Bien évidemment, beaucoup des vidéos présentées dans le cadre de cette exposition du Centre Pompidou peuvent être au moins aperçues via Internet, même si elles sont compressées et si seuls des extraits sont accessibles. Le Centre Pompidou œuvre à mettre en ligne sa collection d’œuvres nouveaux médias et cela permet réellement une plus large diffusion de celle-ci.


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