N° 77, avril 2012

Esthétique et maladies de la peau :
remèdes et traitements de la médecine populaire iranienne contemporaine
A partir de l’ouvrage La beauté menacée, anthropologie des maladies de la peau en Iran de Niloufar Jozâni*


Sarah Mirdâmâdi


Les piliers de la médecine populaire iranienne reposent sur des ouvrages religieux incluant des paroles du prophète Mohammad et des Imâms. Néanmoins, ce savoir populaire est loin de constituer une tradition figée et immuable au cours des siècles car "il ne fait pas abstraction de toutes les données scientifiques et se révèle perméable aux connaissances scientifiques, occidentales ou orientales, qu’il a assimilé et assimile encore de façon fidèle ou en les déformant à sa manière." [1] Cette médecine peut donc être qualifiée de "syncrétique" et susceptible d’évolutions dans le temps : "elle se sert de données diverses pour le diagnostic des maladies ou de leur étiologie, mêle plusieurs niveaux de savoirs, emploie des traitements d’ordre symbolique mais aussi empirique et utilise dans sa pharmacopée non seulement des plantes, mais aussi des substances d’origine animale, humaine, minérale et même chimique ou pharmaceutique." [2]

Cet article aborde les remèdes prescrits par la médecine populaire iranienne contemporaine sur la base d’une étude réalisée par Niloufar Jozâni, qui définit cette médecine comme "l’ensemble du savoir populaire – considéré dans le sens de savoir domestique – concernant les maladies : le diagnostic établi par la reconnaissance des symptômes, les causes et effets, les traitements, les croyances et pensées relatifs à chaque maladie." [3] L’aspect anthropologique de l’étude de Niloufar Jozani et le regard que les Iraniens portent sur les différentes maladies ne seront pas ici abordés [4] : nous nous contenterons de citer des exemples de remèdes et de traitements de certaines maladies de la peau et de problèmes esthétiques dans le but de donner à nos lecteurs une image plus précise de genre de pratiques médicales populaires encore utilisées actuellement par de nombreuses familles iraniennes. Nous avons délibérément choisi des sujets comme celui de la préservation du teint ou de la santé des cheveux, se situant à mi-chemin entre la médecine et la cosmétique, ceci permettant de souligner que la médecine populaire et traditionnelle a des frontières plus étendues que le domaine strictement médical.

Cette étude se base sur 82 entretiens réalisés entre 1978 et 1986 auprès d’hommes et d’une majorité de femmes résidant à Téhéran aux origines géographiques et sociales très diverses, et dont la plus grande partie ont entre 45 et 65 ans. Etant donné l’importance du processus de transmission du savoir oral des parents aux enfants qui, à l’adolescence et à l’âge adulte, demandent conseil à leurs parents pour eux-mêmes et leur propre famille, ce savoir demeure bien vivant même s’il subit certaines modifications, du fait de son aspect perméable, aux multiples influences extérieures évoquées précédemment.

Miniature représentant une princesse iranienne illustrant les canons de beauté iraniens, XVIe siècle, style de Tabriz, Fogg Art Museum, Harvard University
(Fig. 9 de l’ouvrage de N. Jozâni)

La préservation et l’embellissement du teint

La préservation de la jeunesse de la peau est importante surtout pour les femmes, la médecine populaire iranienne invitant à recourir à diverses pratiques dans ce but dès l’adolescence. A titre d’exemple, asperger sa peau d’eau de pluie printanière (bârân-e neysân) est souvent recommandé, ainsi que d’étaler de la vaseline sur le visage, nettoyer la peau à sec avec un mouchoir une heure après, pour ensuite pulvériser quelques gouttes de jus de pomme dilués dans une petite quantité l’eau. Un masque fait à partir d’une cuillérée d’huile d’olive, de concombres râpés, de jus de citron frais et d’un jaune d’œuf est également censé permettre de préserver son teint. D’autres masques existent, notamment faits à base d’oignons pilés et de radis noir ; de raisin, d’huile d’amandes douces et de cire d’abeille ; de farine ou d’orge… Dans ce même but, on pourra également appliquer du jus de raisin sur le visage, ou le laver avec du jus de pastèque.

D’autres solutions plus générales touchant le domaine de l’alimentation sont préconisées, comme le fait de boire du lait d’ânesse, de manger du riz au lait (shirberenj) ou des fruits tels que des grenades, ou encore de consommer une mixture composée de lait, de noix et de dattes. Des clous de girofles macérés dans un mélange de miel et de jus de concombres permettent également de préserver la beauté du teint. La consommation de pommes, de coings, d’huile de pois chiches, de jus de citron ou de verjus est également censée favoriser l’unification du teint. [5]

De nombreux remèdes concernant avant tout le mode d’alimentation sont également destinés à remédier aux problèmes liés au fait d’avoir une peau grasse ou sèche. Contre une peau grasse, une consommation importante d’aliments gras devra êtres proscrite. Des traitements externes, tels que l’application d’un masque à base de farine de riz (permettant d’absorber le gras) ou de farine de pois chiche et d’eau de rose (golâb) sont aussi préconisés. Pour éviter d’avoir une peau sèche, des masques à base de cèdre et de henné sont recommandés. L’Imâm Sâdeq conseille également de consommer des olives de Bohême (senjed) dans ce but. Un mélange de graisse de baleine et de vitamine B4 agrémenté d’une faible dose d’huile d’olive permet également d’hydrater la peau.

Les imperfections de la peau

Selon la médecine populaire iranienne, les petites imperfections de la peau telles que les rougeurs sont souvent dues à un excès de "chaud" [6] ; l’application d’un cataplasme à base de farine de riz ou la consommation de persil frais à jeun permettant de les faire disparaître. Contre les rides, des masques à base de farine de blé, blanc d’œuf (pour les personnes ayant une peau grasse) ou de jaune d’œuf (pour les peaux sèches), et d’une cuillérée de poudre de fleurs de camomille appliqués trois fois par semaine durant une demi-heure, ou encore à base d’un peu de miel mélangé à un jaune d’œuf deux fois par semaine durant une demi-heure sont préconisés.

Les boutons font également partie des problèmes de peau dus, selon la médecine traditionnelle, à un excès de "chaud". Le traitement de base consiste donc à recommander de consommer des aliments "froids", ou encore des prunes et de la camomille. On peut également boire à jeun une décoction de violette odorante, un jus de citron pouvant être agrémenté de jus d’oignon, d’ail, de carottes, de navets crus, de yaourt… Des traitements cutanés directs sont également préconisés, tels que les recouvrir de cèdre et de yaourt. [7]

Jeune femme persane, début du XVIIIe siècle, école safavide d’Ispahan, Bibliothèque nationale d’Iran
(Fig. 4 de l’ouvrage de N. Jozâni)

Les mauvaises odeurs corporelles

La médecine iranienne propose plusieurs traitements destinés à éliminer les mauvaises odeurs dues à la transpiration ou à la juguler. Dans le premier cas, un cataplasme à base de poudre de raisins verts séchés (gard-e gûreh) pourra être utilisé. Pour limiter la transpiration, un mélange de pétales de roses agrémenté d’une poudre de feuilles de myrte séchées pourra être appliqué sur le corps. De manière générale, la pâte de henné aide à éliminer les mauvaises odeurs corporelles, notamment provenant des pieds. [8]

La mauvaise haleine peut quant à elle être combattue grâce à un mélange de thym et de sel, ou encore, selon une recommandation de l’Imâm Rezâ, en consommant des figues. [9] D’autres solutions indirectes, telles que l’utilisation de henné pour la peau et les cheveux, ou de kohl pour les yeux sont également citées comme ayant un effet bénéfique. [10]

Les cheveux

La médecine populaire iranienne propose également de nombreuses "recettes" permettant de fortifier les cheveux, notamment lors de leur lavage qui peut être effectué en utilisant différentes compositions telles qu’une infusion de feuilles et de tiges d’orties blanches, ou encore de feuilles de noyer. Une infusion de thym ou une décoction de fleurs de guimauve officinale pourront également être utilisées dans ce but. Le cuir chevelu peut être massé avec un mélange de feuilles macérées dans de l’eau de bardane, ou encore avec une décoction à base de fleurs de camomille, de rosiers des chiens ou de souci et d’huile d’olive. Dans un autre genre, l’application de la mousse de cuisson du bouillon de tête et pattes de mouton (kaf-e kalleh pâtcheh) permet également de fortifier la racine des cheveux. De nombreux cataplasmes capillaires sont aussi recommandés pour fortifier les cheveux sous formes de pâtes composées de feuilles de cèdre et de myrte, de fleurs de guimauve, de grains de café non torréfiés, de pois chiches, d’un jaune d’œuf et enfin d’huile d’amande douce ou d’olive. On peut y rajouter du yaourt ou des graines de pavot. Ces cataplasmes doivent être appliqués plusieurs nuits à la suite, ou un jour avant chaque lavage de cheveux et ce durant plusieurs heures. [11]

Les plaies

De nombreux remèdes sont préconisés pour soulager et guérir différent types de plaies. Pour les coupures, leur lavage est particulièrement important : à cette fin, on pourra avoir recours au jus de citron, à des infusions de fleurs de marronniers d’Inde, de feuille de sauge, et de différents types de feuilles et de racines. Un lavage à l’eau claire est déconseillé, étant donné qu’elle suscite une augmentation de l’humidité de la plaie. Une décoction de fleurs de guimauve officinale permettra d’adoucir la plaie, et le recours aux racines permettra de la cicatriser. D’autres plantes et végétaux sont recommandés pour leur effet cicatrisant : le brou de noix, les feuilles de noyer, les graines de trigonelle, les fleurs de guimauve officinale…

En vue d’aider la fermeture d’une plaie ou d’une fracture, différents remèdes sont préconisés tels que l’application de toile d’araignée connue comme permettant d’arrêter les hémorragies et aidant à la cicatrisation des plaies. Il existe également d’autres remèdes à base de substances brûlées : les cendres de pelures de courgettes, les feuilles brûlées de tabac pour narguilé, les cendres de brasero pouvant éventuellement êtres mélangées à de la chaux, les plumes de poule et coquilles d’œufs brûlés… Un mélange composé de coriandre séchée et pilée ainsi que de cendres de plumes de poule est particulièrement réputé pour ses vertus cicatrisantes. Des remèdes à base de plâtre pilé ou de boue séchée raclée saupoudrés sur la plaie sont également préconisés. [12]

Concernant les brûlures, les traitements diffèrent en fonction de la cause de la brûlure et de son degré. Néanmoins, les traitements de première main destinés à calmer la douleur et éviter les cloques consistent en l’application d’un blanc d’œuf monté en neige à l’aide d’une cuillère en argent. Lorsque la brûlure a été causée par le feu, on pourra masser la plaie avec de l’huile de lin usuel, de l’huile de graines de sésame, ou encore avec de la gomme arabique. Des feuilles pilées de mûrier noir mélangées à de l’huile d’olive peuvent également être utilisées pour faire un cataplasme. De manière générale, l’huile d’olive est reconnue pour ses effets apaisants et calmants. Il est également recommandé d’enduire une brûlure au premier degré causée par le feu d’un mélange de blanc d’œuf et de lait ou de yaourt, ou encore d’y appliquer un cataplasme composé d’un mélange de farine de blé et de lait (ou d’eau). Il est aussi possible de masser la brûlure avec du jus de pomme de terre ou celui d’un oignon écrasé. On peut également appliquer directement un cataplasme de pommes de terre crues et râpées à même la brûlure, que l’on peut mélanger avec de l’huile d’olive. De manière générale, l’application de dentifrice sur la brûlure est recommandée.

Outre les matières végétales, les produits minéraux peuvent aussi être utilisés comme remèdes : la partie brûlée peut être massée avec du pétrole, du bicarbonate de soude, du sel, ou encore un certain type d’encre. L’oxyde de zinc ou l’acide borique (pouvant être mélangé avec de la moelle de bœuf) sont aussi utilisés dans ce sens.

Pour les brûlures causées par de l’eau chaude, l’un des remèdes consiste à y appliquer un oignon pilé avec du sucre. La plaie occasionnée par la brûlure pourra être asséchée avec de la poudre de henné, de coquilles d’œuf, ou encore des cendres de fleurs de grenadier.

Droguerie-épicerie à Téhéran, où l’on peut se procurer les ingrédients des remèdes proposés par la médecine populaire iranienne (Fig. 2 de l’ouvrage de N. Jozâni) - Photo : Niloufar Jozâni

Si les brûlures sont plus profondes et font apparaître des cloques, il est recommandé de percer ces dernières avec une aiguille dont la pointe a été chauffée. Diverses solutions sont également préconisées pour désinfecter les plaies dues aux brûlures : y appliquer du miel, désinfectant par excellence, du jus de citron, de l’ail pilé dans du vinaigre… D’autres traitements et cataplasmes peuvent ensuite être utilisés pour aider la plaie à cicatriser : un "sucre en pâte" (ghand-e khamir), ou encore un lavage au permanganate. Une autre pratique consiste à utiliser le noir de fumée des marmites pour masser la plaie, et y déposer ensuite de la pomme de terre râpée. Deux jours après, on la remplace par un mélange de henné et d’une faible quantité de graisse qui permet de cicatriser les cloques s’étant formées. Ces remèdes n’ont néanmoins rien d’exhaustif, et la liste peut facilement s’allonger selon les régions et les personnes interrogées…

L’ensemble de ses traitements et "recettes" cosmétiques sont parfois fabriqués directement chez eux par les Iraniens qui se procurent les ingrédients chez un herboriste (’attâr).

En conclusion et comme le souligne Niloufar Jozani, le pilier de la médecine populaire est la croyance selon laquelle "l’équilibre est la clé de la santé" [13] : équilibre dans l’alimentation, entre les différentes activités, entre les quatre "humeurs" [14] … Il concerne donc l’ensemble des comportements et embrasse les différentes périodes de la vie. La médecine populaire iranienne invite donc à éviter tout type de déséquilibre psychologique ou physique intérieur afin de demeurer préservé de tout problème de santé pouvant également affecter l’apparence physique - dont la préservation est si importante dans la culture iranienne. La médecine populaire iranienne constitue dans tous les cas une invitation à resituer l’homme dans son lien avec l’univers et ses différents éléments, ainsi qu’à vivre selon une meilleure harmonie avec lui.

* Publié par l’IFRI en 1994.

Notes

[1Jozani, Niloufar, La beauté menacée, anthropologie des maladies de la peau en Iran, Institut Français de Recherche en Iran, Téhéran, 1994, p. 13.

[2Ibid.

[3Ibid, p. 12.

[4Cet article ne se veut donc pas être un résumé de cet ouvrage, mais une présentation non exhaustive de certains passages. Pour découvrir l’aspect anthropologique de l’étude, nous invitons nos lecteurs à consulter l’intégralité du riche ouvrage de Mme Jozani. Pour les références et sources précises des remèdes évoqués dans l’article, nous invitons également le lecteur à se référer à l’ouvrage original.

[5Jozani, Niloufar, La beauté menacée, anthropologie des maladies de la peau en Iran, Institut Français de recherche en Iran, Téhéran, 1994, pp. 78-79.

[6A propos des notions de "froid" et de "chaud", voir l’article de Mireille Ferreira et de Shahla Emamjomeh dans ce même cahier.

[7Jozani, Niloufar, La beauté menacée, anthropologie des maladies de la peau en Iran, Institut Français de recherche en Iran, Téhéran, 1994, pp. 82-83.

[8Ibid, p. 108.

[9Ibid.

[10Ibid, p. 110.

[11Ibid, pp. 120-121.

[12Ibid, pp. 170-172.

[13Ibid, p. 223.

[14A propos des notions de "froid" et de "chaud", voir l’article de Mireille Ferreira et de Shahla Emamjomeh dans ce même cahier.


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