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Avec sa riche culture, son histoire politique et ses racines religieuses, l’Azerbaïdjan oriental a été le lieu de naissance et de formation de figures marquantes. Tabriz, la plus grande et la plus peuplée des villes de cette province, a toujours été témoin de la naissance d’importantes personnalités. Nous avons choisi de présenter les plus éminentes d’entre elles dans les domaines littéraire, artistique, religieux et culturel.
Mohammad Hossein Behjat Tabrizi, poète d’origine azérie, est né en 1906 à Tabriz d’un père avocat. Dans l’histoire de la poésie persane, aucun poète n’a connu un tel succès de son vivant. Les années de son enfance se déroulèrent durant les révolutions de Tabriz. Pour cette raison, il a vécu avec sa famille dans un village d’où il a gardé d’agréables souvenirs et des images de paysages merveilleux qu’il a ensuite mêlés à sa créativité poétique, donnant naissance à une poésie riche, simple, douce, attirante et innovante, utilisant des expressions familières, tout autant appréciée des masses que respectée par les élites. Il a commencé à composer des poèmes dès l’âge de sept ans.
Shahriâr a fait ses études primaires et une partie de ses études secondaires à Tabriz. Il les a ensuite poursuivies à l’école Dar-ol Fonoun, à Téhéran. Néanmoins, du fait de l’amour qu’il ressentait pour une jeune femme, il abandonna ses études de médecine alors qu’il était en dernière année pour séjourner au Khorâssân et commencer une carrière de poète. L’infidélité de la bien-aimée fit que l’Iran perdit sans doute un grand médecin pour gagner un poète légendaire. Les odes de ce passionné du Divân de Hâfez sont marquées par l’influence de celui-ci ainsi que de Saadi et d’Iraj. Même si ses poèmes ne sont pas dépourvus de nouveautés, les thèmes anciens et classiques en constituent le fondement. Il les publia sous le nom de plume de Behjat, qu’il abandonna pour Shahriâr, après avoir consulté le Divân de Hâfez, tombant sur ce mot qui signifie « roi » et « souverain ». L’ensemble de ses vers dépassent sans doute dix mille. Il a toujours aimé l’Azerbaïdjan et l’a dépeint dans ses recueils ainsi que dans son travail majeur, Heydar Bâbâ.
Il passa ensuite de longues années à Tabriz puis retourna à Téhéran avec sa femme et ses enfants. Malade, il meurt en 1988 et est enterré au Mausolée des poètes (maghbarat-ol-sho’arâ), à Tabriz, selon son testament. Avec la mort de Shahriâr, la poésie persane a non seulement perdu son plus remarquable représentant romantique, mais c’est également la voix d’un amoureux qui s’est éteinte ; ses chefs-d’œuvre témoignant de l’un des plus grands talents poétiques du siècle dans le domaine de la littérature persane et azérie.
Kamâleddin Behzâd, miniaturiste du XVe siècle, est sans doute l’une des plus célèbres figures de la miniature, dont l’œuvre constitue le couronnement des traditions grandioses de cet art persan fin et délicat. Dans les siècles qui suivirent, chez les poètes et littéraires, son nom évoquait un artiste subtil à l’habileté unique. Les informations et les dates concernant les événements marquants de sa vie ne sont que partiellement fiables. D’après le témoignage des historiens et des personnes qui le fréquentaient comme Qâzi Ahmad, il est probablement né en 1450 à Herat (actuel Afghanistan). Comme le précise ce dernier, Behzâd, devenu orphelin, fut pris en charge par Mirak Naqqâsh (Mirak le peintre), directeur de l’atelier royal du Sultan timouride. En ce lieu où l’on accordait une grande importance et valeur à l’art, sous l’influence de Mirak, Behzâd manifesta un enthousiasme croissant pour la peinture, et devint bientôt un grand maître miniaturiste dans une période bouleversée de l’Histoire de l’Iran - entre la décadence des Timourides et l’épanouissement des Safavides. Grâce à Mirak, il fut d’abord employé par le ministre Amir Alishir Navâï puis par le grand émir timouride, Sultan Hossein Bâyqarâ, à Herat, où il dirigea un atelier. Après la chute de ce dernier, il resta dans la ville désormais gouvernée par Mohammad Khân Sheybâni, et dessina même le portrait du nouveau sultan. Malgré son excellente réputation, suite à l’échec de Sheybâni, il quitta Herat pour entrer au service du premier roi des Safavides, Shâh Esmâ’il, à Tabriz. Celui-ci ressentait un profond attachement pour Behzâd, de telle sorte qu’on raconte qu’au retour de la bataille de Tchaldorân, il s’enquit d’abord de l’état de son peintre favori. Par la suite, Behzâd attira également l’attention du deuxième roi safavide, Tahmâsp. Durant le règne de la dynastie safavide, il fut nommé à la tête de l’atelier royal, le Ketâb Khâneh, où il dirigea l’ensemble des peintres, calligraphes et autres artistes.
Le style de Behzâd est un maillon qui relie les éléments « traditionnels » de l’art de l’ancien Khorâssân à l’école d’Ispahan et safavide. La cour d’Herat, qui était en réalité l’héritière des traditions de Samarkand, était également marquée par l’influence mongole. Mais le travail de Behzâd était loin de se limiter à une simple imitation, et grâce à sa créativité et son audace, il a pu renouveler les formes et les couleurs de cet art. Ses personnages et paysages sont marqués par un réalisme authentique et novateur. De nombreuses œuvres lui ont été attribuées, mais seulement quelques unes reflètent réellement son propre style, comme les illustrations du Boustân de Saadi ou le Zafarnâmeh-ye Teymouri (Le livre des victoires de Teymour), qui présente les images des victoires et batailles des Timourides.
Behzâd a quitté ce monde en 1535, sous le règne de Tahmâsp, et est enterré à Tabriz même, à côté du tombeau de Sheykh Kamâl Khojandi. Il a donné naissance à un style de miniature persane qui a continué d’influencer cet art après sa mort. Tout au long de sa vie professionnelle, il a formé de nombreux élèves devenus à leur tour d’éminents maîtres. Lié à ses mécènes, il refusait de signer ses œuvres par modestie, ou le faisait discrètement sous le nom de
« Al-abd Behzâd » (Le serviteur [de Dieu] Behzâd). De son vivant, il acquit une telle réputation qu’il fut surnommé "le second Mâni" (Mâni-e sâni), du nom du peintre et prophète légendaire de la Perse antique.
Avec plus d’un demi-siècle d’activités scientifiques et religieuses profuses dans le but d’analyser de nombreux aspects des questions liées à la religion et à la raison, Mohammad Taghi Ja’fari est l’auteur de plus de cent ouvrages précieux dans les domaines de la culture, de la science et de la théologie. Ce grand érudit est né en 1925 dans un quartier de Tabriz, Jamshid Abâd, qui fut rebaptisé Allâmeh Ja’fari en son honneur. Il effectua ses études primaires à Tabriz mais fut obligé d’abandonner l’école, faute d’argent. Mécontent de sa nouvelle condition, son père l’inscrivit à l’école Tâlebieh, pour l’engager dans les études religieuses. Étudiant le matin et travaillant le soir, il fit tout son possible pour gagner sa vie et continuer ses études. À l’âge de quinze ans, il quitta sa ville natale pour continuer sa formation à Téhéran, à l’école Marvi, chez des professeurs remarquables. Il partit ensuite à Qom pour devenir religieux. Un an après, il se rendit à Najaf, en Iraq, pour assister aux cours de philosophie, de gnose, de religion et de jurisprudence islamique (fiqh) à l’école Sadr. Il atteignit le niveau de l’ijtihâd [1] à 23 ans. Il vécut dix-sept ans à Najaf, et y enseigna la philosophie et la théologie. Il retourna en Iran en 1958 pour continuer sa carrière de professeur à l’école Marvi.
Pendant son séjour à Najaf, il étudia les livres venant d’Egypte, de Turquie ou du Liban et s’initia aux pensées orientales et occidentales. Il effectua notamment des études approfondies sur la pensée de Bertrand Russell, philosophe et logicien britannique. Il a même entretenu une correspondance avec lui qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage.
Il n’avait que 32 ans lorsqu’il publia le livre Relation homme-monde. Pour rédiger cet ouvrage, il se référa à près de 2500 livres dans les domaines scientifique et philosophique. Faisant preuve d’un intérêt marqué pour le Masnavi de Mowlânâ, il publia 15 volumes d’interprétations et de critiques à ce sujet. Il rédigea également d’autres ouvrages sur le Nahj-al Balâqa de l’Imam ’Ali, ainsi que sur les poètes Nezâmi et Khayyâm.
Allâmeh Ja’fari se distinguait de par sa mémoire exceptionnelle, qui lui permit de retenir plus de cent mille vers persans et arabes, dont il parsemait ses cours, ainsi que par l’ampleur de ses connaissances. Il s’intéressait à des domaines divers comme la psychologie, la sociologie, le droit, la physique théorique ainsi que d’autres sciences expérimentales. Il a passé sa vie à étudier le fiqh, la philosophie et les sciences humaines. Il éprouvait un grand intérêt pour les littératures persane, arabe et occidentale - il accordait ainsi beaucoup d’attention à certains écrivains comme Shakespeare, Victor Hugo, Dostoïevski, Tolstoï, Balzac et Lamartine, dont il se servait dans ses discours. Il étudia en profondeur les œuvres de penseurs du monde entier et se référait sans cesse aux paroles de personnalités célèbres, analysant leurs aspects positifs et négatifs, comme celles de Machiavel, Nietzsche, Freud, Sartre, etc. Durant 24 ans, il participa à des réunions se déroulant une fois par semaine dans la demeure de Mahmoud Hessâbi avec des intellectuels qui y débattaient de questions religieuses, scientifiques et philosophiques. Sa modestie a également contribué à faire de lui un très grand homme n’étant pas toujours estimé à sa juste valeur. Il mourut d’un cancer du poumon, en 1998.
Enseignant par excellence des enfants d’Iran, Jabbâr Bâghtchebân a rendu un service immense à la culture du pays, la faisant progresser au travers de ses efforts inépuisables et de sa créativité incomparable, en consacrant cinquante ans de sa vie à l’éducation des enfants, en instaurant la première école pour sourd-muet et le premier jardin d’enfants en Iran. La publication du premier livre de jeunesse lui est également attribuée.
Mirzâ Jabbâr Asgarzâdeh est né en 1885 à Erevan (Arménie actuelle). Ses ancêtres étaient d’origine iranienne et il ressentait une vive fierté vis-à-vis de son identité persane. Il fut durement éduqué par son père et suivit ses premières études chez lui et à la madrasa. Son père ne croyait pas aux nouvelles écoles, étant donné Sheykh Ali Akbar, le maître de la madrasa, lui avait dit que l’œil et la langue de tout enfant qui verrait l’écriture russe et parlerait cette langue deviendraient impurs, et qu’il renoncerait finalement à sa religion. Pour cette raison, il dût abandonner l’école à l’âge de quinze ans pour travailler comme apprenti de son père à la pâtisserie. Les circonstances des dernières années de la Première Guerre mondiale l’obligèrent à quitter sa ville natale pour partir vers la patrie paternelle. Arrivant en Iran, il s’installa à Marand, à proximité de Tabriz.
Ses activités dans le domaine de la didactique commencèrent en 1919, alors qu’il enseignait à l’école primaire d’Ahmadieh à Marand. En 1923, sa première innovation surprit les habitants de Tabriz : Jabbâr inaugura le premier jardin d’enfants à Tabriz, idée encore étrangère et inconnue en Iran. Cet institut fut baptisé Bâghtcheh Atfâl, littéralement « le jardin des enfants ». Avec son génie et son audace, sans même avoir d’expérience ni un modèle particulier en tête, il mit en place des activités faisant intervenir du bricolage, des chants, des histoires et des pièces de théâtre afin de créer des méthodes d’instruction pour enfants. Plus tard, de manière symbolique, Jabbâr Asgarzâdeh accorda le titre de Bâghtchebân (jardinier) à ses enseignants ainsi qu’à lui-même, en tant que jardiniers des vrais jeunes arbres de la société. Employant ensuite ce nom pour désigner sa profession, il changea également son nom de famille d’Asgarzâdeh en Bâghtchebân. Il réalisa ensuite l’un de ses précieux aboutissements : l’instauration de la première école pour sourds-muets, malgré de nombreux désaccords de la part du Ministère de la culture de l’époque. Il travailla pendant six mois avec quatre enfants sourds-muets, employant des méthodes qu’il inventait lui-même. Après cette période, il présenta un examen en public afin de montrer les progrès réalisés par ses élèves. Le résultat suscita de nombreux éloges. Bâghtchebân ouvrit également le premier jardin d’enfants à Shirâz. Par la suite, il inaugura la première école primaire de sourds-muets à Téhéran. Sur la base de sa vision de l’être humain, de l’importance de l’éducation et du rôle du professeur, il mit en place ses propres méthodes d’enseignement, affirmant que l’apprentissage des sourds-muets devait être basé sur la stimulation et l’amélioration de leurs capacités mentales. Bâghtchebân a rédigé le livre Enseignement des sourds pour apprendre à lire sur les lèvres, et le livre Calcul destiné à l’éducation de la mémoire des enfants. Il a également créé de nouveaux instruments pédagogiques en vue de faciliter l’apprentissage et la communication en général, dont certains demeurent utilisés de nos jours.
Révolutionnant les méthodes d’éducation et brisant le silence des sourds-muets, Jabbâr Bâghtchebân a laissé un trésor inestimable aux générations suivantes. Il quitta ce monde en 1966.
De nombreuses autres personnalités ont marqué l’histoire, la culture, ainsi que le progrès scientifique et artistique de l’Azerbaïdjan et de l’Iran, parmi lesquelles Parvin E’tesâmi (poétesse), Sattâr Khân et Bâgher Khân (chefs révolutionnaires), Mohsen Hashtroudi (mathématicien), Allâmeh Amini, (philosophe), Mirzâ Fath Ali آkhoundzâdeh (dramaturge), Kamâl Tabrizi (réalisateur du cinéma), etc.
Bibliographie :
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Alizâdeh, Jamshid, Be hamin sâdegi va zibâyi : Yâdnâmeh-ye ostâd Mohammad Hossein Shahriâr (Si simple et si beau : en mémoire du maître Mohammad Hossein Shahriâr), éd. Markaz, 1995 (1374), Téhéran, 717 p.
Monzavi, Hossein, Shahriâr shâ’er-e sheydâ’i va shivâ’i (Shahriâr, ce poète de d’amour et d’éloquence), éd. Barg, 1993 (1372), Téhéran, 295 p.
Nasri, Abdollah, Takâpougar-e andisheh-hâ, zendegi, âsâr va andisheh-hâye ostâd Mohammad Taghi Ja’fari (Infatigable chercheur des réflexions, vie, œuvres et réflexions du maître Mohammad Taghi Ja’fari), éd. Pajouheshgâh-e farhang va andisheh-ye eslâmi, 1999 (1378), Téhéran, 599 p.
Ariân, Ghamar, Kamâleddin Behzâd (Kamâleddin Behzâd), éd. Hirmand, 2003 (1382), Téhéran, 95 p.
Rajabi, Mohammad-Ali, Behzâd dar golestân, (Behzâd dans la roseraie), éd. Farhangestân-e Honar, 2003 (1382), Téhéran.
Mohammadi, Fahimeh, Ahvâl va didgâh-e Jabbâr Bâghtchebân, (Etats et points de vue de Jabbâr Bâghtchebân), éd. Sâzman-e Amouzesh va parvaresh-e estesnâyi, 2001 (1380), Téhéran, 75 p.
[1] Interprétation des textes religieux pour en déduire les principes du droit musulman.