85.N° 85, décembre 2012

Le printemps*


Houshang Morâdi Kermâni
Traduction :

Ebrahim Salimikouchi, Nikou Ghâssemi


Chaque jour, en rentrant de l’école, elle s’asseyait sur une grande pierre, jouait avec la bandoulière de son sac et attendait. L’attente pour le passage d’un train ; pour qu’elle puisse voir les voyageurs et les saluer d’un geste de la main.

Ceux-ci restaient debout derrière la fenêtre du train et saluaient la fillette. Le train frémissait et passait.

Les visages et les mains qui étaient visibles derrière les fenêtres disparaissaient rapidement. Elle les apercevait seulement un moment et puis plus rien. Le train, les figures et les mains se perdaient dans le tournant des montagnes. Elle rentrait au village en gardant le reste d’un souvenir pâle.

Un jour, un garçon qui avait une chemise bleue, les cheveux ébouriffés dans le vent et sifflait contre le train, salua la fille d’un geste de la main à travers la fenêtre du train et lui lança une grosse prune mûre. Elle ne savait pas quoi faire : regarder la prune ou le garçon. La prune tourna dans le vent et tomba derrière la fille.

Elle la chercha longuement mais ne put la retrouver. La prune se perdit parmi les herbes et les petites fleurs sauvages.

La fille rentra à la maison avec le souvenir du visage souriant et des cheveux ébouriffés du garçon. La huée du garçon était restée dans son oreille. Le train emporta la voix en sifflant.

La fille savait bien qu’elle ne pourrait plus le voir, mais si c’était possible, elle lui dirait : « J’ai perdu ta prune. Donne-moi une autre prune. »

Chaque jour, elle se souvenait du garçon et de la prune perdue. Tous les souvenirs du train et des voyageurs s’effaçaient et s’estompaient mais ce souvenir persistait.

Un jour, la fillette, qui était devenue mère, était debout derrière la fenêtre du train. Elle avait son bébé dans les bras. Cela faisait des années qu’elle était partie du village.

La mère regarda. Elle ne vit pas la pierre. La pierre sur laquelle elle s’asseyait autrefois s’était perdue parmi les pruniers. Les arbres étaient couverts de fleurs fines, blanches et roses telles une nouvelle mariée.

*

"Bahâr" (Le printemps) in Polo khoresh (Riz et ragoût), Téhéran, Moïn, 1388, pp. 47-48.


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