N° 86, janvier 2013

Les arts de l’islam au musée du Louvre


Jean-Pierre Brigaudiot


Photos : vues intérieures du nouveau département des Arts de l’islam du Louvre © Musée du Louvre

Premières impressions sur le nouvel espace dédié aux arts de l’islam

Le musée du Louvre est l’un des plus grands musées existant actuellement et ses collections en ce qui concerne les arts ont une ambition d’universalité, ne seraient-ce quelques exceptions concernant certains arts cantonnés dans d’autres musées. Pour autant ces exceptions, comme celle du musée Guimet, consacré aux arts asiatiques, n’empêchent pas le Louvre de présenter, en plus « d’échantillons » de ses immenses collections (qui ne pourront jamais être exposées de manière exhaustive) des périodes et des cultures auxquelles il ne se consacre traditionnellement point comme les arts premiers ou des réalisations et œuvres d’art contemporain. Les grands musées se sont ouverts peu à peu à des échanges et à des collaborations fructueuses au-delà de ce qui les caractérise. La rénovation du Louvre entreprise depuis plusieurs décennies en a fait un exemple de pertinence en matière de muséologie et en même temps, il est devenu l’une de ces gigantesques machines de l’industrie culturelle capable d’accueillir chaque jour dans de très bonnes conditions des cohortes de visiteurs ; machine culturelle mais également commerciale, les grands établissements culturels doivent désormais assurer une grande partie de leur autonomie financière. Le Louvre vient tout juste, en cette fin septembre, d’inaugurer un nouveau département consacré aux arts de l’Islam. Les plus anciens de ces objets d’art islamique proviennent des collections des rois de France et sont entrés au Louvre peu après son passage du statut de palais au statut de musée lors de la Révolution. C’est en 1893 que s’ouvre la première section des arts musulmans et en 1905, une salle est dédiée à la collection islamique. Aujourd’hui, enrichie de nombreuseset remarquables donations, la collection comporte environ 15 000 objets auxquels il faut ajouter plus de 1500 objets appartenant au Musée des arts Décoratifs, c’est dire qu’il s’agit d’une des plus importantes collections d’art islamique du monde. La période couverte par la collection telle qu’elle est présentée aujourd’hui va du VIIe siècle, c’est-à-dire depuis la période de la fondation de l’Islam, jusqu’au XIXe siècle et concerne de vastes territoires dont les limites se sont étendues, au gré de l’histoire et de l’expansion de l’Islam, de l’Europe de l’ouest jusqu’au-delà de l’Inde et du sud de l’ex Union Soviétique à l’Afrique, en ayant pour épicentre ce que nous appelons le Moyen Orient. Ce département des arts de l’Islam comporte, en sous-sol, d’immenses espaces qui accueillent notamment les plus grandes pièces comme les mosaïques. Au rez-de chaussée, dans la cour Visconti, a été bâtie une salle dotée d’une couverture translucide de verre doré et d’un vélum ondulant fait d’un réseau de câbles métalliques ; ce nouvel espace muséal de la cour Visconti jouit donc d’une architecture des plus actuelles dont les auteurs sont les architectes Rudy Ricciotti et Mario Bellini. On est ici dans la pratique postmoderne de la greffe, caractéristique d’un certain nombre de rénovations de bâtiments anciens. La fameuse pyramide de verre du Louvre est l’un des témoignages les plus notoires de cette pratique de la greffe d’une architecture contemporaine mise en place au cœur d’un site historique.

© Musée du Louvre

Un intérêt de néophyte pour un art trop peu connu

La visite laisse rapidement ressentir l’absence de l’architecture, notamment celle des palais et des mosquées, ce qui n’est pas rien dans l’histoire de cet art de l’Islam. On comprend bien que collectionner les sites architecturaux n’est guère envisageable mais l’exposition d’objets en un tel nombre, d’origines géographiques et d’époques très différentes, suscite chez le visiteur un besoin légitime de visualiser leur contexte d’origine, c’est-à-dire les lieux dans lesquels ils ont été utilisés, puisqu’il s’agit en majeure partie d’objets utilitaires d’usage courant, d’objets plus rares et précieux, ceux des palais, de manuscrits et de peintures et enfin d’objets liés aux cultes propres à l’Islam. Aussi peut-on regretter que la muséographie mise en œuvre, quelle que soit sa qualité, et bien qu’épaulée par les moyens du multimédia, ne soit pas accompagnée d’un corpus visuel permettant, peu ou prou, de se représenter le cadre d’existence initiale de ces objets. Pour le néophyte en matière d’art islamique, la richesse et le nombre des objets sont tels que cela nécessite une gymnastique mentale pour situer l’origine géographique et culturelle des merveilles présentées tout en faisant appel à ses connaissances d’une histoire des pays d’Islam que l’école n’enseigne point ou si peu dans nos contrées, celle d’empires comme l’empire perse des safavides ou comme l’empire ottoman ou encore celle d’émirats et de califats légendaires peu connus ici et depuis longtemps disparus. Les animations cartographiques sont peu lisibles et ainsi règne une certaine difficulté à situer dans le temps et dans l’espace l’origine d’un grand nombre d’objets. Bien évidemment le visiteur peut aussi choisir de se laisser porter et emporter par le charme et la beauté des objets, il peut se laisser fasciner par les différents types d’écritures arabes qui souvent les accompagnent, les ornent et les situent dans le cadre de l’Islam. Et puis je voudrais dire que si un contexte manque quelque peu à l’ensemble des œuvres réunies dans cette exposition, il manque également quelques repères sur des civilisations dont on connait plus ou moins le génie, les sciences et les techniques en d’autres domaines que ceux des arts, ainsi des noms de cités comme Bagdad, Cordoue, Le Caire, Damas, Boukhara, Shiraz ou Ispahan brillent comme des étoiles dont finalement, en tant que simple visiteur au Louvre, on ne sait généralement que bien peu de choses.

© Musée du Louvre

Ecritures

Les objets des débuts des arts de l’Islam, c’est-à-dire entre le septième et onzième siècle, selon le classement ici opéré, révèlent une période de progressive autonomisation, notamment de l’iconographie ; les figures en elles-mêmes ou présentes sur les différents objets, vases, tapis, mobilier, par exemple, témoignent de relations assez explicites avec les arts de la Chine, de l’Inde, de la Perse, de la Mésopotamie, de la Grèce et de la Rome antiques dont le visiteur a le plus souvent une certaine connaissance en tant que repères présents dans sa culture. Pour ma part, j’ai trouvé fascinante la montée en puissance de l’écriture, sa capacité à investir le quotidien, à dire les choses de la vie, la mémoire des défunts, à être poésie et citation des textes sacrés. Elle est partout, sur les stèles funéraires, sur les bassins de cuivre, sur les carreaux de faïence recouvrant les murs de l’intérieur comme de l’extérieur des palais et des mosquées. Elle est partout avec des déclinaisons différentes selon les époques et les régions, non pas neutre et distante de ce qu’elle veut énoncer mais calligraphie et poésie, existant concomitamment sur le terrain de l’esthétique, donc de l’art, et sur celui de la foi en l’Islam. Certes elle est également présente pour glorifier et conter la vie des puissants mais elle semble toujours échapper à une simple et élémentaire fonctionnalité, celle de dire le quotidien ordinaire, car en effet elle apparait comme douée d’une dimension spirituelle qui lui permet d’échapper à celui-ci. Elle ne se contente pas de n’être qu’écriture chargée de dire un certain réel pour conduire son lecteur et même celui qui n’en saisit point le sens littéral vers un au-delà à la fois poétique, esthétique et de ferveur. Lorsqu’elle est un extrait d’une sourate, elle en transcende le contenu pour qu’il soit aussi beauté de la ligne, pour que le regard et l’esprit soient enchantés. L’écriture est donc très présente dans ces nouveaux espaces consacrés aux arts de l’Islam, avec une grande variété stylistique des caractères selon les époques et sites d’origine, gravée, peinte ou sculptée en bas-relief dans le bois et la pierre. Cette plasticité de l’écriture lui confère une remarquable capacité à ne point s’effacer ou se laisser oublier derrière le sens et à rester constamment visuellement présente en tant qu’art, du moins selon la définition de l’art propre à l’Islam entre les septième et dix-neuvième siècles. Ainsi le lecteur est-il convié à ce double exercice de lecture et d’appréciation esthétique ; ici évidemment peu de visiteurs peuvent lire l’arabe ou le persan et leur appréciation porte principalement sur l’écriture en tant que calligraphie, un art bien spécifique dont l’enseignement est tout un pan de l’histoire des civilisations des pays d’islam, comme il l’est en Chine, en Corée ou au Japon.

© Musée du Louvre

Le carrelage, un art modulaire et mathématique ?

Dans les arts islamiques le carrelage, celui qui revêt l’extérieur comme l’intérieur des palais, des mosquées, des hammams et des maisons affirme une présence quasiment constante. L’exposition montre différentes époques de celui-ci et notamment la période flamboyante de cet art du feu qu’est la céramique dont l’apogée va du huitième au seizième siècle. Ses couleurs et ses formes témoignent d’une maîtrise savante et précoce qui semble s‘inscrire dans la continuité, par exemple, des bas-reliefs polychromes de Persépolis. Aujourd’hui, ayant séjourné ou non dans les pays d’Islam, chacun connait ce bleu extraordinaire des mosquées d’Ispahan ou de Samarcande, celui des céramiques qui les recouvrent. L’exposition du Louvre montre un certain nombre de ces pièces de céramique aux motifs géométriques en étoile ou en croix qui permettent au carreau d’être le module de base des surfaces planes ou courbes qu’il recouvre. Une grande fascination a existé à l’égard de ces carreaux et carrés modulaires supposés sous-tendre un ordre mathématique sur lequel seraient fondées les constructions les plus audacieuses. Les motifs géométriques en étoile, c’est-à-dire basés sur une symétrie rayonnante confirment ce rapport aux mathématiques. Et ce rapport aux mathématiques génère le sentiment d’une rationalité et d’une intelligence exceptionnelle, d’une capacité de penser le monde comme fondé sur des rythmes qui font écho aux cycles du temps. Au-delà de cette question un peu mythique d’un ordre mathématique caché, les arts du feu, c’est-à-dire la céramique des pays d’Islam, ont généré des merveilles en elles-mêmes, selon les bâtiments ou les objets, merveilles qui reposent sur une extrême maîtrise technique en matière de faïence et de lustre métallique.

© Musée du Louvre

Des objets remarquables

Si dans cet article, j’ai porté une attention particulière aux écritures et au carrelage, cela ne veut pas dire que j’ai porté un intérêt moindre aux autres objets exposés. Ainsi, bien des objets sont de véritables merveilles : vantaux de portes, miniatures, tapis de prière, vasques, plats, aiguières… accompagnés ou non d’écritures et témoins de la maîtrise acquise par les artisans et auteurs de ceux-ci. Ainsi tel plat iranien à la ronde de poissons de la fin du treizième siècle, doré et bleu, fait de pâte siliceuse au décor moulé et de glaçures témoigne d’une finesse rare du motif aux entrelacs et en symétrie rayonnante ; ces poissons, ce bleu évoquent les pots un peu rustiques, en faïence, ornés de motifs de poissons, qui se vendent encore pour quelques tomans au bazar d’Ispahan. Il y a des miniatures, des couvertures de Corans où textes et motifs géométriques floraux ou abstraits se conjuguent de la manière la plus parfaite. Et puis il y a tant et tant d’objets : une stèle de marbre rouge, revêtue d’inscriptions chiites, en provenance d’Iran, un vantail de porte sculpté de motifs géométriques, des miniatures où des scènes de cour se conjuguent avec des poèmes. Ici c’est un jali indien (cela rappelle le moucharabieh) sculpté dans le grès rouge, aux motifs géométriques faits de cercles concentriques. Ailleurs c’est un globe céleste d’origine iranienne en laiton gravé et incrusté d’argent où apparaissent les constellations. L’exposition actuelle est tellement riche qu’il faudrait y revenir encore et encore !

© Musée du Louvre

Pour conclure cette première visite en ce nouvel espace du Louvre consacré aux arts de l’Islam actuellement peuplé d’un nombre considérable d’objets magnifiques d’époques et d’origines différentes, j’exprimerai le souhait que soient organisées des expositions thématiques permettant de se mieux présenter les rapports entre les uns et les autres objets à un moment donné ou en certains espaces où s’est développé l’art de l’Islam. Nul doute qu’il y a fort à faire en matière d’expositions des plus diverses après une exposition introductive et généraliste comme celle-ci.

Astrolable sphérique d’Iran (1144) ©H. Dubois-C. Tabbagh © Musée du Louvre

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