N° 91, juin 2013

Du yoga en Afghanistan,
ou comment guérir les blessures de la guerre
Entretien avec Amandine Roche


Elodie Bernard


Militante des droits de l’Homme et de la non-violence, la Française Amandine Roche est consultante au sein de l’Union européenne et des Nations-Unies. Basée en Afghanistan, Amandine a créé sa fondation, Amanuddin Foundation, en vue de promouvoir la culture de paix et de non-violence dans le pays grâce, entre autres, aux pratiques de yoga et de méditation.

- Enseigner le yoga et la méditation en Afghanistan est un projet qui peut paraître audacieux pour des personnes qui n’ont jamais pratiqué le yoga.

Comment pourriez-vous expliquer la philosophie sous-jacente au yoga ?

Le yoga est l’union du corps et de l’esprit. Nous pouvons faire du yoga sans en connaître la philosophie, et en tirer beaucoup de bénéfices. Toutefois, le yoga n’est pas seulement des postures (asanas) ou de la respiration (pranayama), le yoga est un vrai Art de vivre. Le yoga est né du besoin d’alléger la souffrance humaine. Les deux branches du yoga : Yamas et Niyamas sont des principes de vie envers les autres et envers nous-mêmes et comprennent :

- Ahimsa : la non-violence, envers soi-même comme envers autrui, autant verbale que psychologique.

- Satya : l’honnêteté et la vérité.

- Aparigraha : prendre seulement ce qui nous est nécessaire, sans essayer d’avoir plus.

- Santosha : le contentement. Se réjouir de ce que nous avons.

- Svadhyaya : l’étude de soi, mieux se connaître.

- Isvarapranidhana : agir sans espérer récolter les fruits de nos actions.

Exercices respiratoires avec les élèves de l’Ecole nationale afghane de Musique, Kaboul, 2012

- L’Afghanistan est un pays en guerre depuis 30 ans.

Selon vous, qu’apportent des pratiques comme le yoga et la méditation aux Afghans et en particulier aux enfants d’Afghanistan qui n’ont connu que la guerre ? Quelle est votre idée, votre « vision » ?

Ma vision est que l’on ne peut contribuer à la paix extérieure - chez soi, en Afghanistan, ou dans le monde- si l’on ne travaille pas à la paix intérieure. Tout commence par soi.

Apprendre à méditer est le plus beau cadeau que vous puissiez vous offrir dans cette vie. En effet, seule la méditation vous permet de partir à la découverte de votre vraie nature et de trouver ainsi la stabilité et l’assurance nécessaires pour vivre heureux. La méditation est la route qui mène vers l’ةveil.

La méditation a pour but de nous introduire à notre conscience pure et immuable.

La méditation est le moyen de revenir à nous-mêmes.

La méditation nous permet de réellement faire l’expérience de notre être dans sa plénitude.

Dans le silence de la méditation, nous nous reconnectons avec notre âme - notre nature intérieure profonde- que nous n’avons jamais rencontrée ou que nous avons perdue dans les distractions de notre esprit.

Offrir cela aux enfants d’Afghanistan, qui n’ont connu que la guerre est le plus beau des cadeaux, car cela leur donne un outil pour prendre leur destin en main. Leur apprendre à construire un destin beau et serein, plutôt que se laisser aller aux flots d’émotions perturbatrices - très souvent liées au passé - tel un esprit de revanche animé par la haine, colère et jalousie qui ne peut conduire qu’à la destruction.

Nous avons créé la première école de la paix en Afghanistan, où nous enseignons les valeurs essentielles telles que « Ne commettre aucune action négative », « Cultiver des actions vertueuses », « Dompter votre esprit ». C’est-à-dire que nous apprenons aux enfants afghans à dompter leur esprit et à abandonner toutes les actions nuisibles et négatives qui sont la cause de la souffrance et à adopter les actions positives et bénéfiques qui sont la cause du bonheur. Nous leur apprenons à être conscients. Nous sommes ce que nous pensons, et tout ce que nous sommes s’élève de nos pensées. Avec nos pensées, nous créons le monde. Parlez et agissez avec un esprit pur et le bonheur s’ensuivra. 65 % de la population afghane a moins de 25 ans. C’est dans les générations futures que nous pouvons construire les fondations solides d’un Afghanistan de paix.

- Pour quel type de public enseignez-vous ? Qui en sont les principaux bénéficiaires ?

J’enseigne principalement aux enfants de notre école. Dans le passé, j’ai enseigné aux femmes sorties de prison, aux enfants des rues, aux enfants des écoles publiques, aux ministres, aux anciens talibans et aux soldats de l’OTAN.

- Pourriez-vous nous raconter comment s’est déroulée votre première séance d’enseignement dans les prisons afghanes ?

Avec mon partenaire, nous avons enseigné la méditation, aux gardes de la prison Pul-e-chakri, qui est la prison des anciens talibans, criminels de guerre. A notre grande surprise, les gardes ont immédiatement apprécié les bienfaits de la méditation, certains avaient déjà fait des recherches sur Internet pour apprendre à méditer. Je n’ai pas enseigné aux prisonniers. Je leur ai rendu visite à la prison américaine de Bagram, pour voir dans quelles conditions les cours pourraient avoir lieu. Les prisonniers étaient parqués par trentaine dans des cages. Des gardes américains, armés, faisaient la ronde et les surveillaient de près en marchant sur le grillage au dessus de leur tête. Des lunettes spéciales m’ont été données, pour me protéger des éventuels crachats que je pourrais recevoir des prisonniers, cela ne m’a guère donné envie d’enseigner dans de telles conditions. J’ai en revanche enseigné le yoga et la méditation aux femmes battues, violées, sorties de prison et ce fut un réel bonheur de les voir se réapproprier leur corps.

- Pourriez-vous nous raconter comment s’est faite votre rencontre avec les enfants afghans, notamment les enfants des rues ?

Nous avons enseigné le yoga et la méditation au sein de l’école des enfants des rues créée par Afghanistan Demain. Nous avons reçu un accueil chaleureux, le yoga fut très ludique pour les enfants. Ils ont pris cela pour de la gymnastique. Les cours de méditation ont été appréciés, nous leur avons demandé ce qu’ils avaient ressenti, leurs réponses étaient : un profond sentiment de paix, ou la sensation d’être enveloppé dans la lumière. Nous avons renouvelé l’expérience dans un orphelinat à Bamyan et les enfants nous ont demandé de revenir.

- Avez-vous constaté des améliorations chez les personnes qui ont suivi vos enseignements ? Moins d’angoisse ou de stress post-traumatique par exemple ?

J’ai suivi de près une femme qui a survécu à une attaque dans un restaurant au bord du Lac Qargha, l’an dernier. Son mari a été assassiné devant ses yeux et elle a reçu, par ricochet, deux balles dans la tête. Pour protéger ses filles du massacre, elle a enduit leur visage de son sang et elles ont fait semblant d’être mortes pendant douze heures, pendant que 80 autres personnes du restaurant se faisaient abattre. Quand je l’ai rencontrée, elle n’avait ni mangé ni dormi depuis 27 jours, elle ne pouvait fermer les yeux de peur de revivre le cauchemar. Ensemble, nous avons fait un travail de respiration, de méditation de pleine conscience. Je lui ai appris à être pleinement dans l’instant présent. Cesser le film du mental. Car le passé est mort. Apprendre à reconnaître la voix du mental qui prétend être notre vraie Nature et qui ne cesse de nous distraire. Lui apprendre à reconnaître cette voix et apprendre qu’elle n’est pas cette voix, mais au contraire celle qui est consciente de cette voix. Se connaître comme la conscience qui est derrière cette voix. C’est cela la vraie liberté.

L’école Torche de Lumière, Afghanistan @Amanuddin Foundation

- Le yoga est une pratique venue de l’Inde. Les Afghans ont-ils été méfiants, voire suspicieux, vis-à-vis d’une pratique qui pourrait être considérée comme de l’influence étrangère, au vu de ses racines bouddhistes et hindouistes ? Comment votre initiative a-t-elle été perçue par les Afghans ?

L’initiative a été mieux perçue par les Afghans que par les étrangers qui m’accusaient à tort de faire du prosélytisme hindouiste ou bouddhiste. J’ai fait des recherches et ai découvert que le yoga venait de la région du Baloutchistan au Pakistan et la méditation était originaire… d’Afghanistan. Je n’ai fait que redonner à César ce qui lui appartenait. Réveiller les origines bouddhistes et soufies de ce pays. Mais nous ne parlons pas de Dieu. Nous parlons d’âme et d’esprit. Alors, où est le mal ?

- Avez-vous présenté vos activités aux chefs religieux locaux et dialogué avec eux sur vos intentions et vos activités ?

J’ai rencontré la plupart des ministres, aucun n’était réticent à l’idée de promouvoir une éducation à la paix, à la non-violence et aux valeurs morales qui font de l’homme un véritable humain.

- Quels sont vos projets ?

Je continue à faire de la levée de fonds pour notre école, nous cherchons des parrains-marraines pour les 215 enfants de l’école, et également pour financer notre programme de santé mentale qui consiste à envoyer des psychologues, psychanalystes spécialistes en stress post-traumatique enseigner aux médecins Afghans.

- Quel regard posez-vous sur l’Afghanistan de demain ? Etes-vous optimiste, ou à l’inverse pessimiste, sur le devenir du pays ?

Je crois en l’homme, je suis donc très optimiste, mais je le suis à la condition que l’on se concentre sur l’éducation et la santé dans ce pays.

Amandine Roche est l’auteure de plusieurs livres, notamment Nomade sur la voie d’Ella Maillart (Arthaud, 2003), Le Vol des colombes, Journal d’une volontaire en Afghanistan (Robert Laffont, 2005).


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