N° 91, juin 2013

Brève histoire de la province de l’Ilâm


Afsaneh Pourmazaheri, Esfandiar Esfandi


L’actuel Ilâm, situé entre le plateau iranien et l’Irak, a toujours bénéficié au cours de son histoire, d’un statut stratégique particulier. De là les nombreuses excavations archéologiques dont il fit l’objet, notamment au XIXe siècle.

Vue de la ville d’Ilâm ; photo : Ali Hayâtiniâ

Riche histoire que celle des métamorphoses patronymiques successives de la province de l’Ilâm. Elle tient son nom d’une appellation babylonienne qui signifiait originellement "région haute et montagneuse", d’un lieu que les autochtones situaient à l’ouest de leur territoire et qui jouissait des mêmes particularités que leur propre territoire. « Ellamu » ou « Ellamutu », probablement d’origine assyrienne, voulait dire « montagne ». Cette région donc, portait dans le passé de nombreux patronymes. Selon les sources écrites, son nom le plus ancien fut « Arboush » ou « plaine d’Arboush ». Antérieurement au XIIIe siècle av. J.-C., elle a aussi porté l’appellation d’Arbouhân. Avant qu’ait eu lieu l’invasion d’Alexandre le Grand, « Arbouh » avait déjà changé pour « Sabad » et ce fut sous les premières dynasties arabes que la région prit le nom de Mâsabadân. [1] Strabon, géographe et historien de la période hellénistique, également rattachée, par son propos, à la période romaine, évoqua à plusieurs reprises cette région en la nommant Mâsâbâtis [2]. Pline, écrivain et naturaliste romain, retint le nom de Mozobâten pour son Histoire naturelle, monumentale encyclopédie écrite au Ier siècle, pour la rédaction de laquelle il avait alors consulté pas moins de 2000 ouvrages appartenant à 500 auteurs différents. [3] Les habitants de l’actuel Ilâm étaient, selon Ptolémée, les Sâmbâtâïs. Cet astronome et astrologue du IIe siècle avait eu recours, pour la réalisation de sa Géographie, à une somme compilée de connaissances relative à la géographie mondiale de l’époque d’Hadrien. Quand aux données relatives aux Empires perse et romain, qui ne manquent pas dans son ouvrage, c’est aux travaux d’un géographe nommé Marius de Tyr qu’il les doit. [4] Les Elamites écrivaient eux-mêmes le nom de leur région en cunéiforme comme Haltâmi et les spécialistes pensent qu’il était prononcé Eltâmat et signifiait « le Territoire de Dieu » dans leur parler.

Colline Ali-Kosh à Dehlorân, un reste significatif et unique de l’Ilâm de l’époque Néolithique

Cette région fut habitée pendant la préhistoire par des troglodytes puis par des nomades qui tiraient l’essentiel de leurs subsistances de la chasse, comme l’attestent les refuges et les habitations rocheuses remontant à l’époque paléolithique et retrouvés majoritairement dans la vallée de Halilân et le détroit de Ghoutch-Ali, ainsi qu’à Arghavân, ville homonyme de cette province. Suite aux fouilles menées dans cette partie de la province, il s’est avéré que l’homme paléolithique occupait lesdites demeures il y a déjà deux millions cinq cents mille années, et qu’il continua à les occuper jusqu’à dix mille ans av. J.-C. La majeure partie des excavations, notamment celles menées par Arthur Christensen, iranologue danois du début du XXe siècle [5], ont permis de mettre à jour de nombreux vestiges qui apportent de précieux éclairages sur le mode de vie des habitants de la vallée de Halilân, vers la fin du Néolithique, autrement dit au Ve et VIe millénaire av. J.-C.

La colline Ali-Kosh à Dehlorân est un reste significatif et unique de l’Ilâm de l’époque Néolithique. Selon la thèse soutenue par l’archéologue australien Vere Gordon Childe [6] la région est devenue pour ses habitants, au cours de la Révolution Néolithique, le décor d’un bouleversement rapide et radical du mode de vie, marqué par le passage d’une économie de prédation à base de chasse et de cueillette, à une économie de production marquée notamment par l’agriculture et l’élevage. [7] A la suite des travaux de l’archéologue américain Frank Hole, au cours des années 1961 et 1962, les vestiges architecturaux et les outillages déterrés dans cette contrée, et qui datent des VIe et VIIe millénaires av. J.-C., confirment la formation, au cours de cet intervalle, des premières communautés humaines et donc des premiers villages dans la région. [8]

A la suite des fouilles effectuées dans la colline Gourân, située au cœur de la vallée de Halilân, les archéologues ont pu mettre à jour des couches historiques remontant au VIIe millénaire av. J.-C. Ces excavations ont permis de dévoiler un village semi-nomade dont les habitants recouraient majoritairement au bois pour bâtir leurs abris. Vers la fin du même millénaire, ce village fut transformé en véritable bourg. La brique y prit rapidement la place du bois dans les travaux de construction.

On a retrouvé également dans la région de l’Ilâm et dans ses alentours de hauts fourneaux destinés à la fonte des métaux, selon les spécialistes, parmi les premiers dans leur genre en Mésopotamie, alimentés grâce aux mines situées non loin des montagnes Zagros, autrement dit, près de la région Poshtkouh ou encore, de l’Ilâm d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle les experts estiment que cette contrée a joué un rôle incontournable dans le développement de l’industrie du métal au cœur des régions occidentales de l’Asie.

Objet en bronze trouvé dans la région Poshtkouh ou Ilâm d’aujourd’hui
Objet en bronze trouvé dans la région Poshtkouh ou Ilâm d’aujourd’hui

L’âge de bronze, au IIe millénaire av. J.-C. environ, correspond à l’âge d’or de la technologie des civilisations proto-élamite et élamite, et donc à la période où arrivèrent les Kassites et les Elamites, précurseurs incontestés dans le maniement du bronze. A cette époque, divers outils faits de différents alliages de métaux furent créés notamment à base de cuivre et d’étain. Des techniques de métallurgie nouvellement acquises furent, dans ce but, mises en application. Il est à noter entre parenthèses que les travaux de classification archéologique du préhistorien Nicolas Mahudel ont permis de réviser la chronologie des différents âges de l’histoire et de replacer l’âge de bronze (dont il est ici question) en position médiane, entre l’âge de la pierre et l’âge du fer. Cette thèse qui avait tout d’abord été rejetée à plusieurs reprises par les autorités archéologiques, fut finalement acceptée et publiée par l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1740 sous le titre "Les Monuments les plus anciens de l’industrie des hommes, des Arts et reconnus dans les pierres de Foudres." [9]

Plusieurs expéditions archéologiques ont effectué des recherches dans la province de l’Ilâm afin de prouver l’appartenance de cette province aux grandes civilisations kassite et élamite. La plus importante fut l’expédition menée par L. Vanden Berghe qui se concentra sur les cimetières de l’Ilâm notamment ceux de Varkaboud, Tcham Jabeh, Djoub-Gohar, Damgar-Partchineh et Bordbâr-Tchenâr-Bâshi. [10]

Pont Gâvmishân, ville de Darreh-Shahr

La civilisation de la province de l’Ilâm prit son essor pendant le premier tiers de l’âge de bronze (1800 à 1400 av. J.-C. environ). De cette époque ancienne, le vestige le plus fameux qu’il nous est encore possible d’admirer est la colline de Patk à Moussiân, mais aussi l’inscription cunéiforme connue sous le nom de Golgol Malekshâhi qui fut saisie en guise de trophée de guerre par les Assyriens au moment de la conquête de l’Ilâm. A en croire les "Ilâmologues" de métier, notamment les spécialistes de l’âge du bronze, la colline Patk à Moussiân correspondrait à l’ancienne ville de Madaktou, la capitale perdue de l’ancien Ilâm. [11]

Malgré les conflits plurimillénaires entre la région actuelle de l’Ilâm, les dynasties régnant en Mésopotamie et les tentatives successives de mainmise de ces dernières sur les riches mines de lapis-lazuli, de cuivre, de fer et sur les ressources naturelles (notamment le bois) des régions iraniennes, les habitants de l’Ilâm parvinrent à conserver l’autonomie de leur précieux territoire.

La fin du IIIe millénaire et les débuts du IIe millénaire av. J.-C. marquèrent l’entrée de la terre et des habitants de l’Ilâm dans une ère politique et historique mouvementée. Les conflits avec les voisins Akkadiens, Sumériens, Babyloniens et Assyriens devinrent le lot quasi quotidien de la population. A la suite de l’occupation de la région par les Sumériens, puis par les Babyloniens et les Elamites au cours du IIe millénaire av. J.-C., l’Ilâm tomba sous le contrôle des Kassites au XIVe siècle av. J.-C. avant de retrouver son indépendance à la fin du XIVe siècle.

Ainsi deux siècles plus tard, plus précisément entre les années 1207 et 1171 av. J.-C. la province de l’Ilâm, qui venait de traverser une période faste, retomba sous l’emprise des Babyloniens et l’ensemble du territoire iranien. [12] Les VIe et VIIIe siècles av. J.-C. furent marqués par les guerres successives entre les Assyriens et les Iraniens. Sous le règne d’Assurbanipal (roi d’Assyrie au VIIe siècle av. J.-C.), la région fut attaquée et un grand nombre d’habitants massacrés. Sa brutalité n’épargna pas même les rois morts dont les dépouilles furent exhumées et envoyées à Ninive. [13]

A l’époque Mède, 708-550 av. J.-C., la province de l’Ilâm faisait partie de l’Etat de Cyaxare (ou Hovakhshathra) fils de Phraortès et souverain du royaume mède de 625 à 585. Autrement dit, l’Ilâm occupait le huitième satrape de la dynastie Mède. [14] Etant dirigé avec fermeté par un solide pouvoir central et bénéficiant de sa proximité avec les grandes villes de l’époque telles que Suse, Ecbatane et Bisotoun, l’Ilâm put devenir un lieu stratégique de première importance. [15]

Tangeh Bahrâm-e-Choubin, Darreh-Shahr

A l’époque Achéménide, cette province fut gérée sous l’égide des rois achéménides, notamment Cyrus Ier, souverain d’Anshan, et Cambyse Ier, père de Cyrus II qui, d’après Hérodote, fut le vassal du roi des Mèdes, Astyage et qui épousa la fille de ce dernier, Mandane. [16] Avant l’arrivée au pouvoir de Cyrus II (Cyrus le grand), ces derniers n’exerçaient aucun pouvoir concret sur cette contrée et l’Ilâm appartenait dans la pratique au roi de Babylone et d’Assyrie. Après son arrivée au pouvoir en 550 av. J.-C., Cyrus le Grand prit soin d’élargir son règne à la Perse entière, y compris à la province de l’Ilâm. Ainsi, il partagea son territoire en vingt satrapes et désigna un gouverneur pour chaque satrape. L’Ilâm devint alors partie intégrante d’un satrape élamite. Sous Darius Ier, cette province aspira à plusieurs reprises à l’indépendance. Elle fut ainsi la première à se rebeller contre le pouvoir central et menaça l’équilibre hégémonique interne du pays avec plus de trois révoltes en moins de cinq ans. Pourtant, chacune de ces tentatives furent autant d’échecs car aussitôt réprimées par Darius Ier. [17]

A la suite de la mort de Darius III et de la mainmise d’Alexandre le Grand sur les territoires achéménides, ceux-ci furent partagés entre ses généraux et la province de l’Ilâm fut intégrée aux satrapes du Grand Mède. A l’époque séleucide et arsacide, la province de l’Ilâm, comme d’autres provinces iraniennes, tomba sous contrôle du pouvoir central. A la suite des fouilles archéologiques effectuées dans la colline de Farrokh-Abâd à Dehlorân, on a découvert qu’à cette époque, cette communauté était incluse dans le nouvel Etat de l’Ilâm. Les objets appartenant aux différentes communautés de l’époque ont amené les archéologues à considérer que la plupart des habitants de la région menaient une vie nomade et se déplaçaient uniquement le long des rivières et dans les vastes plaines. Sous les Arsacides qui régnèrent de 250 av. J.-C. jusqu’en l’an 225 ap. J.-C., l’Ilâm et le Lorestân étaient les principaux lieux stratégiques de gouvernance. Au cours de la première moitié du règne des roi arsacides, l’art et l’architecture furent fortement imprégnés de tendances hellénistiques mais vers la fin de cette période, l’architecture et l’urbanisme connurent un grand essor et donnèrent naissance à la magnificence de l’art sassanide. [18]

Le progrès fut une fois de plus au rendez-vous pour la région de l’Ilâm sous les Sassanides (224-651 ap. J.-C.) notamment, et comme à l’accoutumée, grâce à sa situation géostratégique. Située entre Ctésiphon (proche de la ville actuelle de Bagdad), la capitale des Sassanides, et les autres cité-Etats importantes comme Suse, Bisotoun et Fârs, cette province vécut un grand mouvement de mutation urbaine surtout dans le domaine des ponts et chaussées et celui des forteresses. Quelques-uns de ces monuments font aujourd’hui partie des pièces maîtresses du patrimoine architectural de cette époque comme le pont Gâvmishân, Tcham Namashte,

Kour o Doute, la forteresse Sâm et Hezâr Darreh, les villes historiques comme Sirvân, et les temples du feu comme celui de Moushekân et Siâhgol ainsi que le fameux Arc de Shirin et Farhâd.

Pendant cette période, l’Ilâm fut divisé en deux parties, Mehrdjândak à l’est, avec sa capitale Simreh (aujourd’hui Darreh Shahr) et Mâsabzân à l’ouest, dont la principale ville était Siravân. On suppose que s’y trouvait le palais d’Anushiravan ou Khosro Ier. Avant que cette partie de la province ne soit anéantie par un énorme tremblement de terre, elle faisait partie des terres prospères et peuplées de l’Iran. [19] Un autre site appartenant à la province de l’Ilâm qui concerne une période décisive pour la région à l’époque sassanide abrite les vestiges du détroit de Vahram VI ou Bahrâm-e-Choubin (général, chef d’état-major et ministre de la guerre sous le règne de Hormizd IV), un monument érigé en l’honneur du général sassanide et situé à Darreh Shahr. Celui-ci chassa du trône le roi Khosro II, fils du roi Hormizd IV, appelé Khosro Parviz et le talonna jusqu’à Rome où ce dernier venait de trouver asile. Celui-ci, après s’être marié avec la fille de l’empereur romain de l’époque, parvint ensuite à réunir ses troupes pour revenir en Perse et reconquérir le trône. Il existe de nombreux contes et poème relatant les exploits de Vahram VI, comme c’est le cas d’ailleurs pour beaucoup de héros des cycles épiques de la tradition littéraire iranienne. [20]

Forteresse Sâm, village de Cham-Bour, Shirvân va Tchardâval

La conquête arabe débuta en 637 ap. J.-C. sous le califat d’Omar. Après s’être emparés de Ctésiphon, la capitale de l’empire sassanide, les musulmans vainquirent l’armée sassanide à Nahâvand entre 641 et 642. L’Iran fut assez rapidement conquis, sans avoir opposé aux assaillants une trop forte résistance. On sait, sources historiques à l’appui, que les habitants de cette province accueillirent l’islam à bras ouverts et que ce territoire, au début de la conquête arabe, fit partie du califat musulman dont le cœur du pouvoir se situait alors à Koufa et à Bassora. La ville la plus importante de la province en ce début de règne musulman était la ville de Simreh qui donna plus tard lieu à d’importantes excavations de vestiges décoratifs, architecturaux et urbains, notamment des moulures finement rehaussées par des lignes d’écriture coufique. [21]

Au moment de la conquête arabe de l’Iran, le gouverneur de l’Ilâm, du Khouzestân et du Lorestân se trouvait être un dénommé Hormozân. A la suite de sa défaite contre les Arabes, il se réfugia au sein de sa tribu et de sa ville qu’il fortifia avec armes et hommes pour tendre aux Arabes un guet-apens dans le champ de Mishân, en bordure de la rivière Tiri. La bataille s’engagea et s’acheva au profit des Iraniens dont les adversaires, à bout de force, durent se retirer du champ de bataille. [22] Suite à sa victoire et pour défendre les habitants de Fârs contre les Arabes, l’infatigable Hormozân conduisit une expédition vers Ahvâz. Après quelques jours de bataille, il fut emprisonné et amené à Médine auprès d’Omar, le calife musulman, pour être converti à l’islam de gré ou force. Voilà pourquoi, vengeance oblige, quand il arriva au pouvoir, son fils Azine rassembla une énorme armée et se rendit à Mâsabadân pour croiser le fer avec les Arabes. [23] Omar, à son tour, envoya une armée à sa rencontre afin d’empêcher sa progression. Les deux troupes se rencontrèrent à Handaf. Azine fut tué pendant le combat. Après sa mort, son armée ébranlée se retira du champ de bataille. C’est ainsi que Mâsabadân entra à Koufa dirigé par les califes omeyyades puis devint protectorat des Marwanides au début du VIIIe siècle, avant de tomber dans l’escarcelle des Abbassides à partir de la seconde moitié du même siècle. [24]

Sous les Abbassides (750-1258), dynastie suivant celle des Omeyyades, et parallèlement aux insurrections d’aspiration indépendante survenues en Espagne, Hâroun al-Rashid (786-809) dût apaiser le mécontentement des Iraniens. Il fit par conséquent éliminer les vizirs Barmakides en 803, famille originellement zoroastrienne qui adopta l’islam et dont les membres occupèrent des postes décisifs sous le règne des Abbassides. [25] Cette action ne résolut pas pour autant le problème et les troubles se poursuivirent en Iran, contre le califat abbasside, notamment dans la province de l’Ilâm. La région était à l’époque dirigée par Ali ibn-e Hesham, l’un des gouverneurs de Ma’moun Abbasside (786-833), deuxième fils d’Hâroun al-Rashid. Elle devint l’un des principaux lieux d’agitation pour ceux parmi les Iraniens qui aspiraient à l’indépendance. A l’époque des Bouyides, l’Ilâm fut gouvernée par Ali Bouyeh (l’un des gouverneurs de Mardavij ben Ziyâr, premier des émirs Zyarides (928-1043) qui précédèrent les Bouyides (934-1055)) et ensuite par son frère Rokn-od-Doleh. Après celui-ci Fakhr-od-Doleh, puis Azd-od-Doleh et finalement Mo’bed-od-Doleh gouvernèrent successivement toutes les régions iraniennes, y compris l’actuel Ilâm. C’est pourtant à la suite de la mort d’Azd-od-Doleh que la dynastie hassanwahide décida de prendre en main la gouvernance de cette région. C’est après la mort du dernier des Bouyides que cet objectif fut atteint. D’origine kurde, les Hassanwahides (959-1015) furent de fervents amateurs de l’art musulman et, sous leur patronage, de nombreux caravansérails et mosquées (trois mille environ) furent construits. [26]

Temple du feu Chârtâghi, époque sassanide

Après la chute de la dynastie hassanwahide et l’arrivée au pouvoir de la dynastie Atâbak, Shâhverdi-Khân nommé à la tête de la dynastie atâbak, désigna Hossein-Gholi Khân Feyli gouverneur de la ville de Khorram-Abâd. Celui-ci fit graver de nombreuses inscriptions et ordonna la construction de forteresses, de canaux souterrains aux quatre coins de son territoire, surtout dans la province de l’Ilâm et en bordure de la rivière Kandja-Tcham. Malheureusement, en raison du développement urbain, un grand nombre de ces sites ont aujourd’hui disparu. Concernant cette période historique, ce qui intéresse en particulier les historiographes est surtout l’indépendance relative des gouverneurs de la dynastie de Myreh à Darreh-Shahr, qui comprenait à l’époque les territoires Lors.

Jusqu’à la première moitié du Xe siècle, la vie urbaine garda son plein essor dans cette province mais suite à un tremblement de terre ravageur ainsi qu’à la destruction de la quasi-majorité des structures de la ville, la vie sédentaire céda la place à la vie nomade. Dans les ouvrages majeurs des historiens de renom comme Yaghout Homavi, Ebn-e Assir, Hamdollâh Mostowfi, Tabari, etc., on remarque l’allusion faite à cet évènement important à la suite duquel vingt mille habitants de la ville de Simreh périrent sous les débris tandis que le restant de la population émigrait ailleurs. Ceci explique la disparition progressive de cette ville. Alard (ancien nom de la ville actuelle d’Ilâm) était à l’époque une région verdoyante. De plus, la ville jouissait de sa proximité avec le centre du pouvoir abbasside. Elle devint ainsi le lieu de repos et de distraction de prédilection des rois et de leur entourage. C’est dans cette même ville que le frère d’Hâroun al-Rashid, un dénommé Al-Mahdi Bellâh, perdit la vie au cours d’une séance de chasse et fut enterré. Son mausolée au nom de Seyeh Meh-Ye, fut transformé en parc au cours de la seconde moitié du XXe siècle.

Au début du XIIe siècle, le Lorestân fut divisé en deux parties, le « grand Lor » et le « petit Lor ». Le petit Lor comprenait Khorramâbâd et l’Ilâm. Avant l’attaque des Mongols et après la chute des Ilkhânides, ces deux régions étaient dirigées par des gouverneurs semi-indépendants qu’on nommait les " Atâbaks". En 1169, Shodjâoddin Khorshid prit en main la gestion de l’ensemble du petit Lor. C’était quelqu’un d’honnête et grâce à son savoir-faire politique et à son sens de la stratégie, il parvint à agrandir toujours plus son territoire en consolidant les soubassements géopolitiques du petit Lor. [27]

Après l’arrivée au pouvoir des Safavides, le grand Lor prit l’appellation de Bakhtiâris et le petit Lor celui du Lorestân Feyli. Les Atabeks du Lorestân payaient leurs impôts à Bagdad au temps de l’anarchie des débuts du pouvoir safavide et sous la pression exercée par l’Etat ottoman. Plus tard, avec la consolidation de l’Etat safavide, ils décidèrent de les soutenir. Les gouverneurs de ce territoire, notamment le roi Rostam, et son fils Oghour, entretenaient dans l’ensemble de bonnes relations avec les rois safavides dont le centre du pouvoir était situé à Ispahan. Malgré cela il arrivait que quelques-uns s’insurgeassent contre le pouvoir principal. Djahânguir entre autres, deuxième fils du roi Rostam et frère d’Oghour. C’est après la mort de celui-ci, au cours d’une bataille livrée contre l’armée du roi safavide, que l’on coupa de nouveau cette région en deux parties, le Poshtkouh et le Pishkouh. Après cette division, le chaos succéda à la guerre pour perdurer, dans cette région et dans les alentours. [28]

A l’époque afsharide, du nom d’une dynastie semi-autonome du XVIIIe siècle, l’Ilâm subit de nombreuses attaques de la part de l’Etat ottoman. En 1724, Nâder Shâh Afshâr entra en guerre contre les Ottomans et parvint à défaire leur armée près de Hamedân. En même temps les Afghans assiégèrent le Khorâssân et Nâder Shâh fut forcé de détourner son armée pour leur faire face. Entre temps, Shâh Tahmasp II chargea les armées ottomanes et fut vaincu. Par conséquent, Shâh Tahmasb signa la même année un contrat avec les Ottomans qui plaça l’Ilâm et le Lorestân sous contrôle turc. Ayant appris la nouvelle, Nâder Shâh s’indigna et refusa les termes du contrat. C’est la raison pour laquelle les attaques et les contre-attaques de ces deux pays se poursuivirent jusqu’en 1738.

A l’époque Zand et à l’arrivée au pouvoir de Karim Khân Zand (1760-1779), celui-ci détrôna le gouverneur du Lorestân et de l’Ilâm, Esmâïl Khân. Celui-ci, incapable d’accepter une telle défaite, résista au nouveau gouverneur et, après sa seconde défaite, se réfugia dans la montagne. Il y demeura jusqu’à la mort de Karim Khân et reprit la gestion de la région après l’arrivée au pouvoir d’Aghâ Mohammad Khân, fondateur de la dynastie qâdjâre (1786-1925). Sous les Zands, l’Ilâm perdit progressivement de son importance. La seule œuvre digne d’intérêt parue à cette époque est l’ancien tombeau d’Ali Sâleh "Khâseali" qui remonte aux Zands, rénové et conservé jusqu’à ce jour. [29] Sous Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr, Esmâïl Khân régna sur l’Ilâm mais, l’estimant insuffisamment compétent, Aghâ Mohammad Khân le destitua et nomma à sa place Aligholi comme gouverneur de l’Ilâm. Quelques années plus tard, sous Fath Ali Shâh Qâdjâr, le Lorestân fut de nouveau divisé en deux parties : la région de Pochtkouh (l’Ilâm) et le Pichekouh (Khorram-Abâd). Après la mort d’Esmaïl Khân, c’est à Hassan Khân, fils de Mohammad Khân, que revint le pouvoir. Il régna quarante ans sur l’Ilâm et la région de Pochtekouh et transmit le pouvoir à ses enfants après sa mort. [30]

Arc de Shirin et Farhâd, ville d’Eyvân, époque sassanide

L’époque contemporaine coïncide avec l’arrivée au pouvoir de Rezâ Shâh et la défaite du dernier gouverneur de la province de l’Ilâm, Gholâm-Rezâ Khân Feyli, et sa fuite en Iraq. Cela marque de surcroît la fin de la féodalité en Iran et notamment dans la province d’Ilâm. Ceux qui le précédèrent dans la lignée des Feyli, étant désignés par les pouvoirs Atâbaks, symbolisèrent inévitablement le féodalisme dans cette province. Après la mort de Gholâm-Rezâ Khân Feyli à Najaf, en 1936, Rezâ Khân intégra l’Ilâm à la cinquième province de l’Iran de l’époque, c’est-à-dire à Kermânshâh. Pourtant en 1958, l’Académie des langues proposa de redonner à la province son ancien patronyme et également son autonomie par rapport à Kemanshâh. Après de longues années de discussion, la proposition fut ratifiée en 1973 et la province recouvrit son ancien nom et redevint la province d’Ilâm.

Notes

[1Réf. Briant, Pierre, Histoire de l’Empire perse, de Cyrus à Alexandre, 1996, éd. Fayard, Paris.

[2Saïd, Suzanne, La littérature grecque d’Alexandre à Justinien, coll. « P.U.F. », 1990, pp. 31-32.

[3Yeo, Richard, Encyclopaedic Visions, Cambridge University Press, 2001, p. 107.

[4Ferdinand, Jean Chrétien, Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Firmin Didot, Paris, 1866, tome 41, p. 161.

[5Vahman, Fereydoun, revue Yaghmâ, no. 254, éd. Tehrân, 1348, p. 435.

[6V. Gordon Childe, 1936, Man Makes Himself, London, Watts & Co., p. 274.

[7Leclerc, J ; Tarrete, J., « Néolithique », in : Dictionnaire de la Préhistoire, Leroi-Gourhan A., éd. PUF, 1988, pp. 773-774.

[8Digard, Jean-Pierre ; Cribb, R., Nomads in Archaeology. In : L’Homme, 1995, tome 35, n°133. pp. 170-171.

[9Hamy, M.E.T. (1906), Matériaux pour servir à l’histoire de l’archéologie préhistorique, Revue archéologique. 4e Série, no. 7 (mars-avril), pp. 239-259.

[10Mahmoudiân, Habibollâh, Asâr-e bronzi-e Irân va lorestân dar hezâreh aval ghabl az milâd (Les objet en bronze en Iran et dans le Lorestân pendant le premier millénaire avant J.-C.), Enteshârât-e Sanz Rouyeshe, Téhéran, 1998, p. 67.

[11Ref. Vanden Bergue, L., Bibliographie analytique de l’assyriologie et de l’archéologie du Proche- Orient, L’archéologie, 1954-1955, Volume 1.

[12Richard, F., Babylone dans la tradition iranienne, dans Babylone 2008, p. 392-393.

[13Joannes, Francis, La Mésopotamie au Ier millénaire avant J.-C., Paris, Armand Colin, coll. « U », 2000, pp. 84-87.

[14Zarrinkoub, Abdolhossein, Târkh-e mardom-e Irân pish az eslâm (Histoire des peuples iraniens avant l’Islam), Amir Kabir, Téhéran, 1985, p. 94.

[15Sedghi Nejâd, Hamid ; Abarasheh, Pegâh, Atlas-e Târikhi-e Irân (Atlas historique de l’Iran), Université de Téhéran, 1972, p. 11.

[16Dandamayev, Mohammad A., Cambyses, In Encyclopaedia Iranica, vol. 6, New York : Bibliotheca Persica Press, 1993, pp. 726-729.

[17Réf. Briant, Pierre, Histoire de l’Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Fayard, 1996, Paris.

[18Réf. Rezâ’i, Târikh-e dah hezâr sâleh-ye Irân (Histoire dix fois millénaire de l’Iran), tome 1, VIe édition, Eghbâl, 2005.

[19Zarrinkoub, Abdolhossein, Târkh-e mardom-e Irân pish az eslâm (Histoire des peuples iraniens avant l’Islam), Amir Kabir, Téhéran, 1985, p. 470.

[20Réf. Pourshariati, Parvaneh, Decline and fall of the Sasanian Empire, New York, I. B. Tauris & Co Ltd, 2011.

[21Petersen, Anderew, Dictionary of Islamic Architecture, Routledge, Reprint edition June 23, 1999, p. 120.

[22Akram, A. I ; A.B. al-Mehri, The Muslim Conquest of Persia, Maktabah Publications September 1, 2009, ch. 8.

[23Katouzian, Homa, Iranian History and Politics : The Dialectic of State and Society, p. 25.

[24Le Strange, Guy, trad. Mahmoud Erfân, Joghrâfiây-e târikhi-e sarzamin-hâye khelâfat-e sharghi, beinonahrein, irân va âsia-ye markazi az zamân-e fotouhât-e moslemin tâ ayyâm-a teimour (Géographie historique des territoires sous le califat de l’Est, la Mésopotamie, l’Iran et l’Asie centrale depuis la conquête des musulmans jusqu’à l’époque de Tamerlan), Bongâh-e Tardjomeh va Nashr-e Ketâb,1958, p. 1.

[25Tabari, Mohammad Djarir, trad. Zotenberg, Hermann, Chronique historique des prophètes et des rois, vol. II, Actes Sud, Sindbad, coll. « Thésaurus », 2001, « L’âge d’or des Abbassides », pp. 127-133.

[26Sourdel, Janine et Dominique, Dictionnaire historique de l’islam, PUF, article Ziyarides, pp. 870-871, et article kurdes, p. 491.

[27Masâ’eb Gholâmhossein, L’encyclopédie persane, Dâyerat-ol-ma’âref-e fârsi, Frankline, 1956, tome II, p. 2492.

[28Mashkour, Mohammad-Djavâd, Djogrâfiâ-ye târikhi-e irân-e bâstân (Géographie historique de l’Iran ancien), Donyâ-ye Ketâb, Téhéran, 2002, p. 231.

[29Molesworth Sykes, Sir Percy, A History of Persia, Macmillan and co., limited, 1930, p. 277.

[30Ibid., trad. Farrokh Dâi Ghuilâni, Mohammad Taghi, Târikh-e Irân (Histoire de l’Iran), tome II, Téhéran, pp. 431-432.


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