N° 93, août 2013

DYNAMO
Un siècle de lumière et de mouvement dans l’art. 1913-2013
Grand Palais, Paris, 10 avril-22 juillet 2013


Jean-Pierre Brigaudiot


Un lieu historique débordant d’activités

Le Grand Palais, bâtiment de style Beaux-Arts, érigé en 1900, trône dans la perspective des Invalides entre les quais de la Seine et les Champs Elysées. C’est une imposante bâtisse surmontée d’une immense verrière qui recouvre ce qu’on appelle la grande nef. Le Grand Palais a accueilli un nombre invraisemblable de manifestations très hétérogènes quant à leur nature et il a connu divers usages au fil du vingtième siècle : hôpital durant la Première Guerre mondiale, accueil de concours hippiques, de salons comme celui de l’automobile, de l’aviation ou des arts ménagers. Après 1947 s’y tiendront des salons artistiques annuels, alors nombreux et très en vogue, avant qu’ils ne cèdent la place aux foires d’art ; parmi ces salons d’art on trouve par exemple le Salon des artistes français, le Salon des artistes indépendants, ou le Salon d’automne. On y a vu également et un certain nombre de fois, la FIAC (Foire internationale d’art contemporain), Art-Paris et Paris-Photo, ces foires étant avant tout commerciales, ceci parmi d’autres manifestations d’art contemporain comme par exemple Monumenta pour laquelle la grande nef est confiée à l’imaginaire créatif d’un seul artiste. Ainsi on y a vu opérer Daniel Buren, Anselm Kiefer et Anish Kapoor. C’est en 1964 que se sont ouvertes, à côté de la grande nef, les Galeries Nationales (où se tient l’exposition Dynamo), destinées à accueillir des expositions artistiques temporaires prestigieuses en même temps que fort diverses quant à l’époque et à la nature des œuvres. Ainsi et pêle-mêle peuvent être évoquées des expositions comme celles consacrées à Chagall, Picasso, Léonard de Vinci, Confucius, Manet-Velasquez, Afghanistan, Rodin, ou des expositions thématiques comme Mélancolie. Le Grand Palais, en matière d’expositions artistiques reçoit un public nombreux (en témoignent les files d’attente), fidèle et plutôt bourgeois, les tarifs d’entrée jouant efficacement leur rôle de filtre social ; l’accès à l’art pour tous fut un rêve qui s’est dissous dans la raison financière.

Logo de l’exposition

Une trop grande exposition ?

Dynamo est une très grande exposition, si grande que peut-être seul le Grand Palais, à Paris, la pouvait accueillir dans de bonnes conditions. Exposition ambitieuse et plutôt exhaustive quant à l’utilisation de la lumière et du mouvement réel ou virtuel dans l’art depuis le début du vingtième siècle jusqu’à aujourd’hui. Revers de la médaille : l’exposition, à trop vouloir montrer, répète un peu la même chose et prend fin avec des œuvres d’aujourd’hui qui peuvent paraître un peu faibles ou placées là sans raison convaincante, sinon pour utiliser un peu de mouvement et un peu de lumière, en tout cas dénuées de cette dimension pionnière et moderniste dont sont dotées les œuvres créées autour du mouvement et de la lumière jusqu’aux années 70. Ces œuvres d’aujourd’hui sont en réel décalage idéologique par rapport à cet esprit moderniste qui caractérise celles qui sont la raison d’être de l’exposition.

Slow arc inside a Cube IV de Conrad Shawcross, 2009, grille magnétique, système mécanique et lumière électrique, 1,2 x 1,2 x 1,8 m © Angus Leadley Brown. Cette photo et les suivantes sont issues de l’exposition Dynamo

Au cours de l’histoire, les artistes ont pour beaucoup d’entre eux, témoigné d’un réel intérêt pour l’évolution des techniques puis des technologies et n’ont pas manqué de les employer pour faire œuvre, plus ou moins en les détournant de leurs fonctions, ceci avec une compétence variable sur des territoires autres que ceux fréquentés dans les académies puis les écoles d’art, notamment pour l’époque concernée par cette exposition. Pour ce qui est du mouvement et de la lumière, ils ont certes beaucoup préoccupé des artistes et ce depuis longtemps, ainsi peut-on citer, parmi d’autres, Turner, Claude le Lorrain et les Impressionnistes ; cependant il s’agit de représentations du mouvement et de la lumière chez les premiers et de ses effets rétiniens chez les seconds (la figure de Chevreul est là, en arrière plan). Si l’on se rappelle un peu le travail des Futuristes italiens, ceux-ci représentaient le mouvement en s’appuyant à la fois sur un vocabulaire formel issu du Cubisme et assez explicitement sur les chronophotographies de Marey ou d’autres pionniers de l’expérimentation, œuvrant entre photo et cinéma. La naissance du cinéma, comme l’avait fait celle de la photo auparavant, va bouleverser beaucoup de choses dans le Landerneau des arts visuels. Pour autant et longtemps, la peinture et la sculpture persisteront à représenter tant bien que mal le mouvement et la lumière, et cela continue puisque figurer le visible reste un objectif pour un certain nombre d’artistes. C’est avec les premières décennies du vingtième siècle que des artistes vont en arriver à mettre en œuvre le mouvement et la lumière eux-mêmes (et non plus représentés) dans les œuvres d’art, et cela va contribuer à redéfinir l’art ou au moins à en élargir le champ d’action. Il a donc fallu pour ce faire que l’art se débarrasse, dans sa manière de se penser, de sa mission principale de représentation et de narration. Ainsi le noyau de l’exposition et les œuvres qu’elle présente sont constitués par des œuvres abstraites et géométriques inscrites dans la descendance de l’Art construit et de l’Art concret, c’est-à-dire si l’on simplifie, de Mondrian et du Bauhaus, deux pôles déterminants dans cette aventure résumée au Grand Palais. Le contexte idéologique moderniste de cette époque, entre le début du vingtième siècle et les années soixante-dix ne peut être ignoré, contexte où la modernité est un objectif en soi, supposé permettre de s’affranchir des archaïsmes du passé afin d’accéder à une ère où un certain bonheur baignerait l’humanité, ceci avec l’art et grâce à l’art.

Le prisme de Nicolas Schِffer, 1965- Paris, Éléonore de Lavandeyra Schِffer © Adagp

Sans titre (pour toi, Heiner, avec admiration et affection) de Dan Flavin, 1973, © TB – Time Out

L’exposition Dynamo se veut donc exhaustive, depuis les premiers désirs de mouvement et de lumière réels manifestés par certains artistes au début du vingtième siècle jusqu’au-delà de la modernité et même de la postmodernité avec des artistes comme Anish Kapoor, Bruce Nauman ou James Turrel qui sans nul doute travaillent davantage sur une perturbation de la perception orientée plus vers une certaine contemplation que sur le mouvement et la lumière comme matériaux et fins. Il est indéniable que l’exposition est ambitieuse quant à vouloir établir ce panorama d’un siècle d’art autour et sur les questions de la lumière et du mouvement, trop ambitieuse peut-être à racoler au-delà et en deçà du cœur même de la question posée ici. Pour ce qui est des prédécesseurs en matière d’opticalité et de mouvement, on rencontre des artistes incontournables et pionniers comme Kupka, Duchamp, Delaunay, Albers, Pevsner, Gabo, Rodtchenko, Calder, certains de ceux-ci n’ayant d’ailleurs qu’occasionnellement traité la question du mouvement et de la lumière et n’en ayant certes pas fait leur cheval de bataille.

Sans titre (pour toi, Heiner, avec admiration et affection) de Dan Flavin, 1973, © TB – Time Out

L’éphémère et l’effet, un art sans âme ? Un art du spectacle en symbiose avec la société du spectacle ?

Pour l’essentiel de cette exposition, c’est-à-dire l’art optique et l’art cinétique, des questions se posent quant au statut de ces formes d’art, quant à l’idéologie de l’art qu’ils véhiculent lorsqu’on prend un peu de recul et lorsqu’on place cela dans un contexte global de ce que furent les formes et les idéologies de l’art au cours du vingtième siècle. Le recul en question permet d’échapper à l’emprise d’une acceptation sans conditions de l’art optique et de l’art cinétique comme art à l’égal de l’art des temps passés et présents. Or malgré la patine du temps, quelques décennies, l’art présenté dans le cadre de Dynamo reste un art froid, géométrique et technique dont le faire manuel est absent, invisible, dont le pathos, si présent dans les formes d’art expressionniste, est également absent ou déporté ; bref, l’art montré ici est un art un peu sans âme, un art mécanique et sans passion, un art de calcul et d’opérations techniques. L’objet d’art, dans cette exposition est aussi un objet technique avec une fonction. Cet art côtoie, historiquement une forme d’art qui lui est pour partie contemporaine : le Minimal Art, un art également sans facture, un art de la mesure, réalisé le plus souvent avec des matériaux issus de l’industrie, bruts. J’ai cité comme filiation celles de l’Art Construit et de l’Art Concret, arts qui ont tant bien que mal éliminé la facture et la subjectivité au profit de ce qui se mesure. Dynamo par ailleurs présente des œuvres fondées sur des effets d’optique, sur des perceptions de mouvements virtuels, tant dans la peinture, comme chez Vasarely, que dans les objets animés comme ceux de Marta Boto et Gregorio Vardanega. Cet art peut aussi apparaître comme un avatar de la modernité urbaine, celle des lumières qui clignotent, des néons, des supermarchés, des jeux électroniques, des aéroports. Serait-ce ici un simple reflet de notre modernité avec tout ce qu’elle implique d’illusoire et d’éphémère ? Cet art ne serait-il que trompe-l’œil -au sens propre - ? Ne serait-il que croyance un peu sommaire en une modernité de surface supposée changer le monde ? Serait-ce seulement un art du jeu ? Un art ambiantal dont l’advenir est le supermarché, le hall de gare ou l’aéroport ?

Pénétrable BBL Bleu de Jesús Rafael Soto, métal et PVC, 400 x 450 x 600 cm, collection AVILA/Atelier Soto, © Adagp.

C’est pourtant ce qu’il en fut de l’œuvre de Vasarely, l’un des artistes présentés à Dynamo, dont la mode et la grande consommation s’emparèrent, une œuvre dissoute dans ses propres effets pour se transmuter en simple produit de consommation d’où l’art a finalement disparu. Les pénétrables de Soto, les tableaux de Bridget Riley ont cette dimension ludique, superficielle et éphémère qui semble en exclure une réelle profondeur, celle que justement on va trouver dans les œuvres d’artistes opérant davantage vers la fin du vingtième siècle et le début du siècle actuel, comme Anish Kapoor ou Bruce Nauman. Sur la question de l’épaisseur d’une œuvre, je pense à celle d’un artiste contemporain de cette période, entre Art conceptuel et Minimal art : Walter de Maria avec le kilomètre enterré et le kilomètre brisé, œuvre à double détente, invisible et située en deux lieux, Kassel, en Allemagne et New-York. Evidemment, les œuvres et les artistes présentés à Dynamo varient sur cette question du ludique et du superficiel : par exemple, si Vasarely exploite, surexploite, le système qu’il a mis au point jusqu’à le dissoudre dans la mode et le décoratif, il n’en va pas du tout de même avec François Morellet dont l’œuvre est douée d’une réelle épaisseur et dépasse largement le contexte artistique donné par l’exposition : art en partie fondé sur les mathématiques et la pure géométrie, intégrant cependant l’informe, en opposition à l’extrême rigueur de la ligne, avec des branchages. Et puis Morellet œuvre avec les néons, à peu près à la même date que Dan Flavin, un artiste du Minimal Art, ce qui donne à son œuvre une dimension d’écho à ce mouvement américain. Et puis encore, avec Morellet, la composition des œuvres faites de réseaux linéaires orthogonaux (tableaux ou œuvres tridimensionnelles) se propose comme équipotentielle, c’est-à-dire sans aucun point de focalisation dans l’œuvre, et rejoint ainsi certains aspects du Minimal Art et du monochrome d’où la composition traditionnelle est exclue. Une autre artiste de la même génération, et parmi d’autres, est Véra Molnar, pionnière de l’art à l’ordinateur et de la combinatoire, qui mérite l’attention avec une œuvre assez discrète mais d’une remarquable qualité à la fois esthétique et d’une profondeur de pensée à caractère poétique, car il peut y avoir de la poésie dans les ordres géométriques et mathématiques, peut-être lorsque cela dépasse le clinquant. Alors, cette exposition révèle les contradictions d’une forme d’art où se côtoient des œuvres d’une indéniable qualité et d’autres, comme par exemple le labyrinthe réalisé par le GRAV, qui évoquent inexorablement la fête foraine. Avec le GRAV, parmi d’autres, la revendication de faire participer le public à l’œuvre est un peu simpliste : il ne suffit pas en effet, en tant que visiteur, de parcourir un labyrinthe pour contribuer à faire l’œuvre, il ne suffit pas d’être ébloui par les flashes de quelques lampes pour être partie prenante d’une œuvre. Quant à Nicolas Schِffer, quelles que soient les qualités techniques de ses œuvres spatioluminodynamiques, elles restent des objets d’une froideur indéniable et dont le substrat théorique, c’est-à-dire les écrits de Schِffer sont assez peu convaincants dans leur projet de société. Malgré ces réserves, on peut dire que l’art optique et l’art cinétique vont ouvrir le champ de ce qu’est l’art en y faisant entrer de plain-pied un certain nombre de matériaux tels la lumière et le mouvement comme nouveaux médiums. Et ne serait-ce que cette introduction d’un matériel de cet ordre contribue, malgré certaines réserves, à faire bouger la création artistique.

Hanging Neon de Stephen Antonakos, 1962, Collection particulière © 1965 Stephen Antonakos

L’exposition révèle sans nul doute que l’art optique et l’art cinétique ont été une véritable pandémie et se sont développés aux quatre coins de la planète, en tout cas dans les principaux pays où existait la notion d’art moderne et contemporain, en même temps que celle d’avant-garde. Beaucoup des artistes qui ont contribué à l’art optique et à l’art cinétique en France vinrent notamment d’Amérique latine et bénéficièrent du soutien d’une galeriste qui milita sans réserve pour les défendre : la fameuse galerie Denise René, d’ailleurs toujours active.


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