N° 93, août 2013

La peinture persane,
un modèle pour l’Empire Ottoman et l’Inde


Bahrâm Ahmadi


La peinture classique persane, au sens académique, est un phénomène limité à une période de deux siècles et demi. L’époque classique commença peu après le milieu du XIVe siècle, à la fin des Ilkhanides, et dura jusqu’au milieu du XVIIe siècle. [1] Après cette période, la peinture dite « classique » perdit ses caractéristiques en se rapprochant de la peinture occidentale ; puis, à l’époque qâdjâre, avec les changements culturels et sociaux, une nouvelle peinture naquit. La peinture classique persane était un mode d’expression assez important pour servir de modèle à l’Empire Ottoman et aux royaumes indiens. [2] Sous le règne de Shâh Esmâïl, la peinture persane devint un modèle pour l’Empire Ottoman et l’Inde.

Dessin ornemental d’un dragon. Encre, couleurs et or sur papier ; 17, 3 x 2, 2 cm, XVIe siècle, attribué à Shâhgholi, conservé à Istanbul

Un modèle pour l’Inde

La migration des artistes persans vers l’Inde commença sous le règne de Shâh Esmâïl et coïncida avec le règne du Grand Moghol Bâber. Ce phénomène atteignit son apogée à l’époque de son successeur Humayun Akbar, contemporain de Shâh Tahmâsb.

En 1540, Humâyun fut forcé par une révolte afghane à se réfugier à la cour de Shâh Tahmâsb. Lors de son séjour à la cour du roi safavide, il proposa à de nombreux artistes des places à sa cour. Le soutien offert par les souverains moghols de l’Inde aux artistes et poètes persans fut une cause importante de l’immigration artistique vers l’Inde. [3] Par ailleurs, Shâh Tahmâsb cessa peu à peu de soutenir les artistes et de les financer et il semble que ce soit une autre raison de l’intensification de cette migration. [4] Le résultat fut l’apparition de l’Ecole hendi-irâni (indo-iranienne) connue aussi sous le nom de l’Ecole moghole. [5]

Jahangir admire une peinture, Collection du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France

A la cour de Shâh Tahmâsb, le roi Humâyun découvrit les travaux des peintres persans, et invita deux d’entre eux, Mir Seyyed Ali et Abdol Ahmad à rejoindre sa cour. [6] Ces deux peintres peuvent être considérés comme les fondateurs de l’Ecole moghole de peinture. [7] Certains historiens pensent que Doust Mohammad/Doust Moayyer, qui avait rejoint la cour du prince indien Kâmrân Mirzâ (le frère de Humâyun), a également eu un rôle efficace comme chef de file de cette école moghole. [8]

Finalement, en s’intéressant à la peinture persane, en invitant des peintres, artistes et hommes de lettres persanes à sa cour, Humâyun institua un intérêt durable pour le style « persan » en Inde. Après lui, son fils Akbar fut aussi un mécène, ainsi que le successeur de ce dernier, Jahângir (1605-1628) (son successeur). Ses goûts, toutefois, s’inclinaient davantage vers la représentation des événements de sa vie et les portraits que vers les illustrations persanes et indiennes classiques. Il était particulièrement enthousiasmé par le travail d’Abol-Hassan Nâder-oz-Zamân, fils du peintre Aghâ Rezâ Herâti. [9]

Pendant ses voyages, ce roi se faisait toujours accompagner de deux ou trois peintres pour qu’ils croquent les événements importants. Amoureux de la nature, le roi Jahângir ordonna également à des artistes tels que Mansour et Morâd de peindre de beaux spécimens d’oiseaux, d’animaux et de fleurs, dans un style assez nouveau. L’art du portrait moghol, quant à lui, atteignit son apogée sous Shâh Jahân, qui, comme ses prédécesseurs, fut aussi un grand mécène et collectionneur.

Combat de deux chameaux, attribué à Behzâd, école de Herât, 1540, Bibliothèque du Palais du Golestân à Téhéran, Moragha-e Golshan
Combat de deux chameaux, œuvre de Nanhâ, copiée en Inde moghole, 1608, Bibliothèque du Palais du Golestân à Téhéran, Moragha-e Golshan

Un modèle pour l’Empire Ottoman

A la même époque, la cour ottomane d’Istanbul accueillit également plusieurs artistes venus de Perse. Soltân Selim Ier (1512-1520), ayant vaincu les Safavides à Tchâldorân et pris la capitale iranienne Tabriz en 1514, força un grand nombre d’artistes de Tabriz à s’installer à Istanbul. [10] Cela permit à l’école de Tabriz d’étendre son champ d’influence aux territoires ottomans. Plus tard, Shâhgholi (disciple d’Aghâ Mirak) devint l’artiste le plus éminent de la cour du sultan ottoman Soliman le Magnifique (1520–1566). Valijân Ben Ghâssem Tabrizi, disciple de Siâvash Gorji, se fit également une place dans les arts ottomans. C’est notamment avec ces deux artistes que l’impact de l’école de Tabriz dans l’Empire Ottoman se poursuivit et fut durable. [11] Il faut cependant préciser que la miniature ottomane a également été influencée par l’art européen. Ainsi, la peinture ottomane des XVIe et XVIIe siècles suit les modèles persans dans l’ensemble, mais les personnages sont habillés de costumes turcs, parfois dans des mises en scène propres à l’art occidental et certaines couleurs vives propres à la Turquie ont été utilisées avec un effet très décoratif. [12]

Notes

[1La deuxième moitié du XIVe siècle a été choisie comme début de l’époque classique, d’après le document théorique de Doust Mohammad et les œuvres qui nous sont parvenues. Doust Mohammad, chroniqueur des arts sous Shâh Tahmâsb (1524-1576), décrit cette période comme celle de l’invention de la peinture persane qu’il associe avec le travail d’Abou Saïd et le talent qu’il décèle chez un certain Ahmad Moussâ. Il écrit à ce propos : « Ahmad Moussâ […] a retiré le voile du visage de la peinture et a inventé le type de peinture qui est en cours à l’heure actuelle. »

[2Voir Oleg Grabar, “Toward an Aesthetic of Persian Painting,” in : Islamic Visual Culture, p. 220

[3Abolfazl Allâmi, Akbar-nâma, éd. Mawlawi Aghâ Ahmadi va Abd-ol-Rahim, vol. 1, Calcutta, 1877, p. 220.

[4Ghâzi Ahmad, Golestân-e honar (Le jardin de l’art), éd. Soheyli Ansâri, Téhéran, 1973, pp. 113-114 ; Eskandar BeygMonshi, Târikh-e âlam ârâ-ye Abbâsi (Histoire universelle d’Abbâs), éd. Iraj Afshâr, Téhéran, vol. 1, 1955, pp. 174, 178.

[5Percy Brown estime que cette école était une branche de la peinture safavide. (Percy Brown, Indian Painting under the Mughal, Oxford, 1924, pp. 56, 112).

[6Ghâzi Ahmad, op. cit., p. 161.

[7Vincent Arthur Smith, A History of Fine Art in India & Ceylon, 1969, p. 182 ; S.C. Welch, The Art of Mughal India, New York, 1975, p. 17.

[8Voir Adl, Shahryâr, “Les artistes nommés Dust-Mohammad au XVIe siècle”, Studia Iranica, 1993, vol. 22, n° 2, pp. 249, 252, 256.

[9Voir Jahângir, Tûzok-e Jahângiri (Memoirs of Jahângiri from the first to the twelfth year of his reign), trad. Rogers, A., éd. H. Beveridge, London, 1914, p. 20

[10Kühnel Ernest, “History of Miniature Painting and Drawing”, In : Arthur Upham Pope, A survey of persian art, Vol. V, Téhéran, éd. Soroush, 1977, p. 182.

[11Voir Pâkbâz Ruyin, Dâerat al-ma’âref-e Honar (Encyclopédie de l’art), Téhéran, 1999. p. 629.

Pour Valijân, voir Mossaffâ Ali, Manâgheb-e Honarvarân (Les mérites des artistes), éd. et trad. H. Sobhâni, Téhéran, 1990, p. 106.

[12Voir Dimand Maurice S., “Islamic Miniature Painting and Book Illumination”, The Metropolitan Museum of Art Bulletin, Oct. 1933, Vol. 28, n° 10, p. 171.


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