N° 113, avril 2015

Persépolis, la cité rituelle de l’Empire achéménide


Shahâb Vahdati


Persépolis vue d’oiseau, par Charles Chipiez – 1884

Le complexe palatin de Persépolis est l’un des plus célèbres de l’Antiquité. Depuis de nombreuses années, il a été l’objet de fouilles archéologiques et malgré de nombreuses études approfondies, le site conserve encore un grand nombre de mystères et d’énigmes. Il y a plus de deux mille ans, Persépolis était la capitale sacrée et rituelle de l’empire achéménide, l’une des plus anciennes puissances du monde. Symbole de la grandeur et la splendeur de l’Empire, Persépolis est également devenu celui de sa chute. Il témoigne également d’un tournant dans l’histoire de la guerre entre l’Occident et l’Orient, tournant attesté et vécu pendant les campagnes militaires d’Alexandre III de Macédoine (dit Alexandre le Grand). De nos jours, Persépolis contient la valeur spirituelle d’un sanctuaire zoroastrien. Au fil des siècles, les Iraniens ont inventé des légendes autour de son mystère, pour finir par le nommer takht-e-Djamshid qui signifie "le Trône de Djamshid", souverain mythique de l’Iran. Il est intéressant de savoir que les premiers explorateurs européens de Persépolis ont découvert dans ses bas-reliefs des éléments du christianisme primitif, et ce n’est pas surprenant quand on constate que le zoroastrisme est l’une des racines de l’arbre de la religion chrétienne.

Plan de Persépolis

Le complexe de Persépolis a été construit entre 520 et 450 av. J.-C., pendant les règnes de trois générations de rois achéménides. Sa construction a débuté sous Darius Ier (Dârayavaûche signifiant "il protège tout ce qui est bon") qui a gouverné la Perse de 522 à 486 av. J.-C. Il est le fils de Hystaspes l’Achéménide (Vichtâspa Hahamanishiya, à ne pas confondre avec Hystaspes cité dans l’Avestâ, roi légendaire de Bactres, contemporain de Zoroastre et l’un de ses premiers prophètes). En construisant Persépolis, Darius voulait atteindre l’immortalité, et on peut dire qu’il a dans un sens réussi : malgré la chute de l’Empire achéménide tombé sous le coup des Macédoniens, les ruines de cette ville, ses colonnes et ses bas-reliefs qui s’étendent sur des centaines de mètres, les inscriptions gravées sur les monuments, survivant aux millénaires, nous racontent la vie, les croyances et la culture spirituelle et matérielle de l’époque.

Bas-relief de Ahourâ Mazdâ sur le mur du palais de Xerxès Ier

Les rois achéménides se déclaraient Aryens et dans une de ses inscriptions rupestres, Darius Ier annonce fièrement qu’il est un Perse de descendance aryenne. Le peuple aryen s’est vraisemblablement installé sur le plateau iranien il y a environ quatre mille ans. Leur territoire précédent se situait entre le fleuve du Dniepr et les montagnes de l’Oural, traversant l’Amou-Daria (anciennement Oxus), qu’ils ont quitté pour s’installer sur les vastes territoires qui sont actuellement ceux de l’Iran et de l’Afghanistan. Plus tard, une branche de ce peuple a quitté le plateau iranien pour l’Inde. Le mot Iran signifie « la terre des aryens (nobles ou libres) », bien que ce nom n’apparaisse sur les documents officiels qu’à partir de l’Empire achéménide.

Les Aryens menaient une vie de pasteurs nomades. L’Avestâ, compilation d’hymnes anciens et de textes en prose, fournit des savoirs de base sur la culture et la religion de cet ancien peuple, précisant qu’il est originaire du nord sur le plateau iranien et qu’il a étendu son territoire jusqu’aux bords des plaines de la Mésopotamie. Une inscription datant d’environ 1370 av. J.-C. contient les noms des dieux aryens. Avec le temps, les Aryens se sont unis avec d’autres peuples du plateau iranien pour former de nouvelles nations telles que celle des Mèdes (signifiant "furieux dans la bataille") et les Perses (signifie "grand héros"). Le nombre des peuples de culture aryenne a donc suffisamment augmenté pour qu’ils puissent imposer leur volonté aux populations avoisinantes, menaçant les puissances assyrienne et babylonienne.

L’Empire perse a été mentionné dans les inscriptions assyriennes datant de 843 av. J.-C. sous le nom de Parsua ou Parsâmâche comme s’étendant sur le Zâgros central avec la ville de Suse comme capitale et avoisinant les Elamites.

Bas-relief de Darius sur l’escalier nord de

l’Apâdânâ

La zone où l’on construira plus tard Persépolis s’appelait alors Anshan, qui a longtemps été l’un des principaux centres de la civilisation élamite ainsi que, à certaines périodes de son histoire, un puissant royaume indépendant. En 690 av. J.-C., les Perses s’allient avec les Elamites pour se battre contre l’Assyrie et Anshan passe progressivement sous leur contrôle, devenant peu à peu une ville perse, bien qu’elle conserve son ancien nom sacré. En 609 av. J.-C., alors que l’Empire assyrien est tombé sous les coups des Mèdes et des Babyloniens, Elam devient dépendante de Babylone comme la Perse qui sera conquise par le roi mède Cyaxare. A cette époque (640-600 av. J.-C.), Cyrus Ier (Kourosh, qui signifie "celui qui ressemble au soleil"), appartenant à la famille royale des Achéménides, régnait sur la Perse. Son grand-père Achaemenes, fondateur de la dynastie, était le roi des Perses (700-675 av. J.-C.) et avait un palais résidentiel tout près des montagnes Bakhtiâri (le nom moderne du monument étant Masdjed-e-Solyemân).

En 550 av. J.-C., les tribus perses dirigées par Cyrus II (dit Cyrus le Grand), petit-fils de Cyrus Ier, se révoltent contre le roi mède Astyage et s’emparent de son pouvoir. Par la suite, une série de conquêtes et de succès militaires permet à Cyrus II de créer un immense empire, allant de l’Egypte à l’Asie centrale et à la vallée de l’Indus. Ainsi commence l’histoire de l’une des plus grandes puissances de l’Antiquité.

Si la capitale de Cyrus II est la ville d’Ecbatane (la capitale des Mèdes qu’il a vaincus), il construit également une résidence royale à Pasargades au cœur de la Perse proprement dite, ce qui fait de Pasargades la première grande ville construite par les Achéménides. Cyrus est généralement considéré comme la figure la plus importante parmi les quinze souverains achéménides. Il réussit à unifier Perses et Mèdes pour fonder une grande nation, assurant la paix et la sécurité pour ses sujets (Iraniens ou non) et leur permettant de restaurer les temples de leurs dieux.

Naqsh-e Rostam. De droite à gauche : tombeau de Xerxès Ier, Darius Ier, d’Artaxèrxes Ier et Darius II

Les peuples conquis sont bien traités et Cyrus respecte leurs coutumes et croyances religieuses. Il établit des satrapies, permettant ainsi aux responsables locaux de diriger chaque pays. Il décrète également que les rois perses reconnaîtront les rites de tous ces peuples. Ne violant jamais le mode de vie des peuples conquis, les Achéménides autorisent à chacun de vivre à sa manière. Zoroastriens, ils estimaient que leur mission principale était d’établir l’ordre dans le monde (asha ou le bon agencement selon l’Avestâ).

Cette politique libérale s’oppose diamétralement à celle des dirigeants assyriens et babyloniens qui avaient l’habitude de réduire en esclavage les peuples conquis et de raser intégralement des villes florissantes à des buts punitifs ou dissuasifs. Ce respect des peuples permit à l’armée perse, accueillie en libératrice, de prendre Babylone sans combat.

En 530 av. J.-C., Cyrus est tué lors d’une bataille et enterré dans un tombeau érigé à Pasargades. Avec le court règne de son fils Cambyse II (530-522 av. J.-C.), portant le titre de « Conquérant d’Egypte », l’empire est à l’apogée de sa puissance. Pourtant, bientôt, la Perse connaîtra un soulèvement populaire précisément en 522 av. J.-C., sous l’égide de Gaumata le Mage. Ensuite, une série de péripéties mène au couronnement de Darius Ier, auquel on attribue la construction de Persépolis. Darius Ier a laissé des traces historiques importantes, contrairement à d’autres rois achéménides. Sur une inscription découverte sur sa tombe à Naqsh-e Rostam, il se décrit comme tel : « Je ne suis pas colérique. Je connais la colère et je sais comment la maîtriser. Ce qu’une personne dit d’une autre ne me convainc pas, jusqu’à ce que j’entende le mot des deux. Ce que fait une personne selon ses capacités, j’en suis heureux et satisfait. Je récompense généreusement les gens loyaux. Si tu vois ou entends ce que j’ai fait dans mon palais et sur le champ de bataille, tu seras témoin de mon effort et de mon intelligence. Car mon corps est fort, je suis un guerrier expérimenté. Mes bras et mes jambes sont bien formés. Je suis un bon coureur. Que ce que tes oreilles entendent de moi ne te paraisse pas invraisemblable. »

Sur une autre épitaphe gravée à un relief de la roche de Behistun, il poursuit son discours : « Je n’ai pas été menteur ou méchant, j’ai agi conformément à la justice. Je n’ai fait aucun mal ni au faible ni au puissant. Je récompense gracieusement celui qui essaie (de faire le bien) pour ma maison et je punis sévèrement celui qui me blesse. » Il cite ensuite ses ancêtres achéménides et continue : « Depuis des siècles, nous avons été des nobles. Depuis toujours, ma famille est celle des rois. Par la grâce du dieu Ahourâ Mazdâ, je suis roi. »

Porte des Nations

Muni de sa vérité, de son intelligence et de ce corps d’athlète, Darius Ier parvient donc à écraser le soulèvement des mages pendant un jour qu’Hérodote appelle la Magophonie, durant lequel les mages ne sortent pas de chez eux. Il met ensuite en place une série de réformes contribuant à renforcer le gouvernement et à simplifier la collecte des impôts et la gestion, et divise son pouvoir en vingt divisions administratives ou satrapies. Ce système de caste appuyé par la féodalité agricole est connu depuis longtemps en Iran et n’étant point une nouveauté, il ne sera aboli qu’au XXe siècle. Le pays connaît une certaine prospérité sous Darius Ier. Le commerce et l’artisanat sont largement développés. Darius crée également un système judiciaire célèbre et dont le code sera respectueusement mentionné dans le monde antique.

Afin de renforcer sa position, Darius commence alors la construction d’un édifice magnifique, le complexe palatin de Persépolis dont le travail sera poursuivi par son fils Xerxès I (Khchâyârshâ signifiant "héros parmi les rois") qui monte sur le trône en 486 av. J.-C. et son petit-fils Artaxèrxes I (Artâchâssâ signifie "celui qui possède un royaume de justice") qui a régné de 465 à 425 av. J.-C.

Darius rend hommage à l’architecte inconnu qui a hardiment conçu et magistralement exécuté ce bâtiment, un défi majeur pour l’Empire, qui est alors à l’apogée de sa puissance. Avant la construction de Persépolis, les architectes avaient soigneusement conçu un système de drainage et d’approvisionnement en eau, fonctionnel même avec des changements de l’emplacement des bâtiments à une période ultérieure. Les édifices ont été orientés selon un axe nord-sud et les salles des palais témoignent du génie de ces hommes. La maîtrise parfaite des sculpteurs fait que tous les détails d’importance ont été représentés avec un soin et un naturel excellents. Les reliefs de Persépolis donnent une représentation très précise des arts et de l’artisanat des Achéménides. Plus tard, en Occident, les architectes se sont inspirés de ces travaux pour bâtir les toreutiques (produits métalliques artistiques), glyptiques (faites de pierres précieuses et semi-précieuses avec du fil), des costumes, tissus, bijoux de ces artisans arméniens, médians, anatoliens et iraniens pour créer des statues canoniques de taille similaire dans les églises, allant parfois jusqu’à copier les bas-reliefs de Persépolis.

Porte orientale des Nations

À quelles fins Persépolis a été construite ? Pendant longtemps, de nombreux chercheurs ont tenté de trouver une réponse claire à cette question. La capitale administrative de l’Empire achéménide est l’ancienne cité élamite de Suse qui, avec Babylone et Ecbatane, passe pour avoir été la résidence principale des rois achéménides. Ces villes étaient, suivant les saisons, les sièges de la cour royale : jouissant d’un climat de montagne, la ville d’Ecbatane était la résidence d’été et Babylone, la ville la plus riche du pays, celle de l’hiver, tandis que le roi passait ses printemps dans la ville de Suse. A Persépolis, aucune trace d’usure sur les marches ni sur le sol ni sur les ustensiles de ménage royal, sculptés dans la pierre, n’a été observée. Ainsi, on a pu suggérer que c’était une ville sacrée, où on couronnait les rois achéménides et où on les enterrait après leur mort. En effet, dans le voisinage de Persépolis, se trouve le site de Naqsh-e Rostam, une falaise en pierre où tous les rois achéménides sont enterrés, à commencer par Darius Ier. Toutefois, la biographie d’Artaxerxés II, écrite par Plutarque et basée sur des sources antérieures, indique que la cérémonie d’inauguration avait lieu à Pasargades et celui qui montait sur le trône devait porter les vêtements de Cyrus II, manger des figues séchées et des pistaches, et boire une tasse de lait aigre avant d’être couronné. Par conséquent, Pasargades garde la valeur d’une ancienne capitale, et c’est là que les rois ont tous été couronnés en conformité avec les rites anciens.

Persépolis a également été le lieu des fêtes du Nouvel an iranien, qui a lieu lors de l’équinoxe de printemps, symbolisant la victoire tant attendue du printemps sur l’hiver, de la lumière sur les ténèbres, la renaissance du monde et le retour de l’harmonie perdue. Les Achéménides célébraient les fêtes religieuses de Norouz ("nouveau jour") à Persépolis, et c’est dans ses temples que lors des rituels de la fête, ils pouvaient interpréter à partir de signes mystérieux les augures de toute l’année. L’importance de ce complexe en tant que lieu liturgique est telle qu’on estime que chaque bâtiment a peut-être été construit selon une signification rituelle et festive précise. En outre, une hypothèse existe selon laquelle la ville aurait été une sorte d’observatoire astronomique où l’on calculait les solstices et les équinoxes, et où l’on étudiait les mouvements des corps célestes. Si ces hypothèses sont correctes, Persépolis peut être considérée comme la capitale religieuse de la Perse, son sanctuaire spirituel. Ni Suse ni Ecbatane ni Babylone ne pouvaient revendiquer le titre de capitale religieuse, les rites religieux ayant été soigneusement préservés par les Achéménides d’un mélange avec les traditions des autres peuples du plateau iranien.

Détail du bas-relief au nord de l’escalier du Tripylon

Les Iraniens pré-achéménides, qui étaient principalement des nomades habitués naturellement à se déplacer en permanence, ne connaissaient ni l’architecture, ni la sculpture et par conséquent, n’avaient pas développé d’école ou de style en la matière. Cependant, après l’acquisition soudaine d’un vaste territoire où se trouvait une grande diversité de civilisations antiques toutes à l’apogée de leur maturité culturelle, les Achéménides ont ressenti le besoin de créer leur propre style. Et s’ils ont emprunté certaines choses, ce n’est jamais sans modifier l’héritage artistique d’autres nations et les talents de maîtres étrangers. Ainsi, tous les peuples sujets des Achéménides ont participé à la construction de Persépolis. Des inscriptions à Persépolis rapportent que les maîtres émailleurs sont des Mèdes, les orfèvres sont Egyptiens et les maîtres-maçons, les forgerons et les charpentiers grecs, babyloniens et assyriens. Mais malgré cela, l’art achéménide ne peut être considéré comme une somme d’emprunts de différents styles. Cet art était le reflet direct de leur politique, de leur vision du monde et de leur idéologie, et surtout, de leur religion ; il était destiné à glorifier leur empire. Par conséquent, sur la base des motifs visuels et architecturaux empruntés aux traditions étrangères qui fournissent une image purement formelle fut créé un art achéménide nouveau et destiné à refléter le sens profond de l’ancienne foi iranienne. Dans Pasargades, la première ville construite par les Achéménides, ce style commence à peine à prendre forme et ce n’est qu’à Persépolis que leur art atteint son apogée. Les Achéménides y créent ici un style impérial, strictement canonisé, et à mesure que l’Empire s’étend, il s’approprie les éléments culturels de peuples divers qu’il entend unifier, de la vallée de l’Indus à l’Asie Mineure.

Reconstruction de l’Apâdânâ par Charles Chipiez (1884)

Bibliographie :
- Pirniâ Hassan, Târikh-e Irân-e bâstân (Histoire de l’Iran antique), Téhéran, éd. Negâh, 2012.
- Moussavi Ali, « Takht-e-Djamshid » (Persépolis), in Dânesh-nâmeh jahân-e eslâm (Encyclopédie du monde musulman), tome 14, archivé le 18 février 2013.
- Pope, Arthur Upham, Perspolis as a ritual city, Archeological Institute of America, Cincinnati, 1957.


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