N° 128, juillet 2016

La religion de l’Élam


Babak Ershadi


Ziggourat de Tchogha Zanbil

Histoire

 

Notre connaissance de l’histoire élamite reste très largement fragmentaire, la reconstitution se basant principalement sur les sources de leurs voisins mésopotamiens.

L’histoire de l’Élam est traditionnellement L’histoire de l’Élam est traditionnellement divisée en quatre périodes, s’étendant sur plus de deux millénaires :

  1. A) Période proto-élamite (de 3200 à 2700 av. J.-C.) : à Suse, la période proto-élamite se termine par l’établissement de la dynastie d’Awan.
  2. B) Période paléo-élamite (de 2700 à 1600 av. J.-C.) : de la dynastie d’Awan jusqu’à la dynastie Epartide.
  3. C) Période médio-élamite (de 1500 à 1100 av. J.-C.) : le règne du Roi Untash-Napirisha (1345-1305) marque l’apogée de la puissance de l’Élam.
  4. D) Période néo-élamite (de 1100 à 539 av. J.-C.) : la période est caractérisée par l’influence perse ; l’an 539 marquant le début de la période achéménide.

L’Élam est une civilisation ancienne du sud-ouest de l’Iran actuel, là où se situent aujourd’hui les provinces du Khouzestân et du Fârs. D’ailleurs, une province du sud-ouest iranien porte encore son nom, Ilâm. D’après les textes anciens, la civilisation daterait de la fin du IVe millénaire av. J.-C au Ier millénaire apr. J.-C.

Nos informations au sujet de la religion et des cultes élamites sont limitées et imprécises. Pourtant, nous savons que les Élamites appelaient leur pays « Hatamti » ou « Haltamti », ce qui signifiait « Pays de Dieu ». Les populations élamites dispersées du point de vue géographique et politique s’unirent vers 2700 ans av. J.-C. et fondèrent leur royaume autour de leur capitale Suse. Jusqu’à la défaite face aux troupes assyriennes d’Assurbanipal (631 av. J.-C.) et la conquête perse (Ve siècle av. J.-C.), plusieurs dynasties régnèrent sur ce royaume de la Susiane. Les Élamites formèrent la plus grande civilisation du sud-ouest de l’Iran pendant plus de 2600 ans, de la période paléo-élamite (d’environ 2600 à 1500 av. J.-C.) à la période néo-élamite (environ 1000 à 539 av. J.-C.).

Avant l’apparition des religions mazdéennes en Iran, nos informations sur les religions de différentes régions du plateau iranien se limitent pratiquement à la religion élamite, les habitants d’autres contrées n’ayant guère laissé de documents écrits sur leurs croyances. Les découvertes archéologiques ont mis à jour des textes anciens en élamite mais aussi des vestiges qui permettent aux spécialistes d’examiner les croyances religieuses de l’Élam. Les spécialistes se servent aussi des documents produits par des civilisations voisines en Mésopotamie pour étudier la culture et la religion élamites.

L’Élam et l’Akkad vers 1200 av. J.-C.

Tout porte à croire que la religion élamite était un polythéisme. Malheureusement, les noms de plusieurs dieux et déesses élamites n’ont été inscrits qu’en idéogrammes akkadiens, ce qui veut dire que ces transcriptions ne conservent pas la forme orale de ces noms.

Dans les documents royaux et administratifs, les noms de deux dieux sont le plus souvent mentionnés :

1) Huban ou Humban, dieu de la ville ancienne d’Awan (et d’une région du même nom). Awan était le siège de la première dynastie élamite. Les archéologues et les historiens n’ont pas pu localiser cette ville perdue qui devrait se trouver au nord de la Susiane, c’est-à-dire près de Dezful ou au sud du Lorestân actuel. « Huban » était donc le roi principal de cette dynastie élamite du IIIe millénaire av. J.-C. Dans le système d’idéogrammes akkadiens, son nom signifiait « grand » ou « celui qui commande ».

2) L’essentiel de nos informations sur la religion élamite vient de Suse et du royaume de Susiane. Là, existait apparemment une religion propre, avec un grand dieu appelé Inshushinak. Son nom signifiait littéralement « dieu de Suse ». Mais aujourd’hui, nous ignorons si le culte d’Inshushinak a été populaire ou non dans d’autres régions élamites comme à Anshan (plus à l’ouest) ou à Awan (vers le nord). La déesse Shala, femme d’Inshushinak, était égalementevénérée par les Élamites.

De nombreux indices prouvent qu’il y avait des ressemblances et des différences entre la religion élamite et les religions mésopotamiennes. Mais il faut souligner que chaque période de la civilisation élamite a eu ses propres dieux. Comme nous l’avons déjà dit, Huban était le dieu principal de la dynastie élamite d’Awan. Dans des textes mésopotamiens, ce dieu élamite est comparé au dieu sumérien Enlil.

Tablette : traité d’alliance conclu entre Naram-Sin d’Akkad et Kitta, roi d’Élam, Musée du Louvre

La religion élamite accordait une place importante à la féminité. A côté de Huban, il faut sans doute parler aussi de la déesse Pinikir, qui avait une fonction de déesse-mère. Au début de la période paléo-élamite (2300 av. J.-C.), elle constituait un couple divin avec Huban. Les Élamites accordaient, comme les Mésopotamiens, une place importante à la magie, aux forces du monde d’En-Bas, et vouaient un culte au serpent.

Les archéologues ont découvert un traité de paix entre le roi d’Awan, Hita ou Khita (vers 2250 av. J.-C.) et le roi Naram-Sin d’Akkad. Les experts estiment que ce traité, conservé aujourd’hui au Musée du Louvre, date de 2223 av. J.-C. Ce document porte les noms de presque toutes les divinités élamites, vénérées jusqu’à la défaite de l’Élam en 631 av. J.-C. face aux troupes assyriennes d’Assurbanipal. Ce document prouve aussi que pendant une période de 1500 ans, le panthéon de la religion élamite est demeuré plus ou moins inchangé.

Les six colonnes du traité entre Khita et le roi d’Akkad, rédigé en cunéiforme, portent les noms de 37 dieux et déesses des Élamites. Khita les prend pour témoins de son amitié pour le roi d’Akkad. Dans ce texte, une place privilégiée est donnée à une déesse : Pinikir. Le traité commence avec cette phrase : « Ecoute ! Ô déesse Pinikir ! Et vous, les dieux bons du ciel ! » En effet, dans le panthéon élamite, la divinité supérieure était une déesse, qualifiée de « Celle qui commande le ciel ». D’après les Élamites, cette divinité supérieure avait le pouvoir de faire peser sa malédiction sur les humains. Pour les peuples mésopotamiens, Pinikir était une équivalente d’Ishtar (déesse akkadienne, babylonienne et assyrienne) ou d’Inanna (déesse sumérienne).

Bas-relief de Kul-e-Farah

D’après les spécialistes, il n’y a aucun doute que pour les Élamites, Pinikir était la « Mère vénérée de tous les dieux ». Ils estiment que la supériorité de cette divinité féminine serait un signe de l’existence d’un régime social matriarcal dans les communautés élamites. Certains savants croient que Pinikir, déesse ancienne élamite, fut supplantée plus tard par une autre déesse principale des Élamites : Kiririsha.

D’après les rares documents qui ont été découverts dans les fouilles archéologiques, il semble que la déesse Kiririsha apparut d’abord dans un texte paléo-élamite (XIXe-VIIe siècles av. J.-C.), mais cette déesse n’occupa sa place centrale dans la religion élamite qu’à partir de la période médio-élamite (XIVe-XIIe siècles av. J.-C.).

Les historiens ont découvert que Kiririsha fut d’abord la grande déesse locale des Élamites qui vivaient sur les côtes du golfe Persique, surtout dans la ville antique de Liyan (Boushehr actuelle). Mais au fur et à mesure, cette déesse étendit son influence et devint aussi la grande déesse de Suse. Les rois élamites construisirent de nombreux temples pour elle. A Suse, elle était surnommée « Mère des dieux » ou « Dame protectrice du grand temple ».

Bas-relief de Kul-e-Farah

Pourtant, il faut éviter de confondre Kiririsha avec la déesse ancienne Pinikir. En réalité, la première prit la place supérieure de la seconde, sans la faire disparaître. Vers 1250 av. J.-C., le roi de Suse fit construire en même temps un temple pour Pinikir et un autre pour Kiririsha » à Dur-Untash (appelé aujourd’hui, Tchogha-Zanbil). Une œuvre de bronze, conservée au Musée du Louvre, porte les noms des deux déesses et énumère les temples qui furent dédiés séparément à ces deux divinités.

Il faut souligner aussi que dans la langue élamite, Kiririsha, n’était pas un nom propre, mais un nom commun qui signifiait littéralement « grande déesse ». Au début, chaque région élamite avait sa propre déesse-mère et protectrice. Tout porte à croire que pendant les périodes plus anciennes, les déesses furent les divinités principales des communautés élamites. Mais vers le deuxième millénaire avant notre ère, les déesses cédèrent progressivement leur place privilégiée aux divinités masculines, sans disparaître pour autant du panthéon élamite.

Dans le traité de paix du roi Khita avec le souverain d’Akkad, le nom de Huban occupe la deuxième place après la déesse Pinikir. Huban était « Seigneur du ciel » et mari de la déesse-mère qui portait le même titre au féminin. Huban a été un dieu vénéré à toutes les époques et dans toutes les régions élamites. Il était considéré comme protecteur et tout-puissant. C’était aussi lui qui donnait force et légitimité au roi.

Les dieux protecteurs des villes étaient les plus grands adversaires de Huban. Le plus important était sans doute Inshushinak, dieu de Suse. Inshushinak est passé du statut de dieu local à celui de dieu principal quand Suse s’est définitivement imposée comme la capitale de la Susiane et de l’Élam. Ainsi, Inshushinak a été considéré à égalité avec Huban. Dans le traité de Khita avec le roi d’Akkad, son nom occupe la sixième place.

Pendant la période médio-élamite, Huban, Kiririsha et Inshushinak formaient un triangle divin. Les deux premiers gardèrent toujours leur place privilégiée par rapport à Inshushinak, tandis que le dieu de Suse ne fut jamais placé en haut de ce triangle.

Pourtant, les surnoms donnés par les Élamites au Dieu de Suse montrent la place profonde qu’il occupait dans leur cœur. Pour eux, il était le « père des pauvres ». Comme Huban, il était aussi considéré comme un roi. Vers le Ve siècle avant notre ère, Inshushinak était vénéré en tant que protecteur des dieux du ciel et de la terre. A Suse, la liste des dieux et des déesses du panthéon commençait naturellement avec le nom d’Inshushinak. Or, dans d’autres villes élamites, le nom du dieu local était naturellement placé plus haut que celui du Dieu de Suse. Pourtant, dans toutes les communautés élamites, les gens juraient en son nom.

Bas-relief de Kul-e-Farah

Parmi toutes les divinités élamites, il nous paraît que le dieu de Suse Inshushinak a été celui qui avait la plus grande influence sur les fidèles et qui suscitait le plus de ferveur. Dans les textes religieux des Élamites, les dieux et les déesses étaient toujours invoqués dans un langage officiel, mais dès que le nom d’Inshushinak y apparaissait, le texte prenait un ton émotif.

Tchogha-Zanbil était un grand temple fondé vers 1250 av. J.-C. par le roi Untash-Napirisha. Le roi donna l’ordre d’accrocher des milliers de prières et de textes spirituels sur les murs du temple. Les plus émotifs sont sans doute ceux qui invoquent Inshusshinak : « Est-il possible que ce dieu, Inshushinak, ait le désir de s’approcher de nous, de nous donner sa grâce et de réaliser sa parole ? »

Revenons encore une fois au traité de paix du roi Khita avec le roi d’Akkad. Dans ce texte, après les noms de Pinikir et de Huban, la troisième place est attribuée non pas à Inshushinak (sixième sur la liste), mais à un dieu étranger, celui d’Akkad. Il est certain que le roi d’Awan voulait, pour des raisons politiques et diplomatiques, obtenir la faveur du roi Naram-Sin, mais il faut souligner ici que pendant les périodes où l’Élam fut dominé, entièrement ou partiellement, par les puissances mésopotamiennes, les divinités akkadiennes, sumériennes ou babyloniennes entrèrent dans les religions élamites.

Les Élamites effectuaient des offrandes rituelles à leurs divinités. Nous connaissons deux types de sacrifices d’animaux réalisés à l’occasion d’un festival religieux dédié à la « Grande Dame » qui est sans doute Pinikir ou Kiririsha. Les cérémonies avaient lieu chaque année, à la première nouvelle lune de l’automne. Les meilleurs moutons du début de l’automne étaient choisis pour être sacrifiés lors d’une cérémonie appelée Goshom. L’autre cérémonie de sacrifice était pratiquée chaque année au milieu du printemps. Lors de ces cérémonies appelées Shimot, un taureau était offert aux divinités.

Les six bas-reliefs élamites de Kul-e Farah, découverts près de la ville d’Izeh dans le Khouzestân, montrent les différentes scènes d’une cérémonie d’offrande à la déesse Niarzina. Les bas-reliefs de Kul-e Farah portent plus de 400 figures humaines qui participent à des scènes différentes d’une cérémonie de sacrifice d’animaux. Nous les voyons en train de porter des idoles, de sacrifier des animaux, de prier et de jouer de la musique.

Le premier bas-relief comprend un texte de 24 lignes en cunéiforme. Certains autres bas-reliefs portent aussi de courtes épigraphes.

D’après le texte en cunéiforme, sur le premier bas-relief, le texte mentionne le nom du roi Hanni, fils de Tahhi, ce qui suggère que le bas-relief appartiendrait au VIIe siècle avant notre ère. En effet, le roi occupe la place centrale du bas-relief néo-élamite. Derrière lui se tiennent deux personnages que le texte décrit comme deux fonctionnaires : un ministre et un commandant militaire. D’après le texte élamite, le ministre s’appelait Shutruru Shutrurura. Devant le roi, on voit trois musiciens, l’un bat le tambour et les deux autres jouent de la harpe. Au-dessous des musiciens, nous voyons d’abord un chasseur et un bouquetin, puis trois prêtres qui font marcher deux taureaux et un bouquetin. Sous leurs pieds se trouvent les têtes de trois animaux immolés.

Le deuxième bas-relief ne porte pas d’inscription. Il montre un homme - probablement un roi ou un prêtre - qui élève ses mains en signe de prière devant une scène de sacrifice. Devant lui, un homme est en train d’immoler un taureau. Six autres animaux immolés sont rangés devant le prêtre. Derrière lui, quatre hommes se tiennent debout par respect.

Ziggourat de Tchogha Zanbil

Les Élamites n’ont jamais gravé sur la pierre les images de leurs principales divinités. Les informations portant sur les cérémonies religieuses élamites sont disparates. Selon les historiens, le problème provient évidemment du niveau de connaissances à propos de la civilisation élamite, mais aussi de la nature des croyances religieuses des Élamites. Selon la tradition, les Élamites évitaient de prononcer ou d’écrire les vrais noms de leurs dieux et déesses. Il leur était aussi interdit de décrire avec précision les divinités. Pour désigner les dieux et les déesses, les Élamites se servaient donc de leurs surnoms.

Les spécialistes ont découvert que la langue élamite est sans rapport avec les groupes linguistiques voisins. Elle n’appartient ni aux langues sémitiques, comme l’akkadien, ni aux langues indo-européennes, comme le hittite ou le persan ancien, ni aux langues afro-asiatiques non sémitiques (langues hamites) et n’a pas de rapport non plus avec le sumérien voisin.

Leur religion, quant à elle, n’a pas de parenté directe avec les religions des peuples voisins. Comme leur langue, leur religion a disparu au fil du temps, bien que l’écriture cunéiforme élamite resta utilisée pendant au moins deux siècles, en tant que l’une des écritures officielles de l’Empire des Achéménides. Le panthéon élamite comprenait certaines divinités mésopotamiennes introduites lors des invasions de la Susiane. La religion Élamite n’était pas structurée et il existait un ensemble de divinités provenant des différentes régions de ce pays.


Visites: 1155

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.



2 Messages

  • La religion de l’Élam 15 août 2016 05:57, par Alain LOPPINET

    Merci de ces informations intéressantes sur les religions anciennes de l’IRAN

    repondre message

  • La religion de l’Élam 5 août 2017 12:54, par Robert Bindel

    Bonjour,

    Article sur l’Elam, très intéressant avec une belle iconographie.

    Manque un peu de renseignements sur la religion et les mythes des anciens Elamites.

    Cordialement.

    R. Bindel

    repondre message