N° 156, novembre 2018

La représentation de l’identité iranienne dans Mâdar, le dernier film d’Ali Hâtami


Ali Delâver*
Résumé et traduction :

Khadidjeh Nâderi Beni


Roghayeh Tchehreh Azâd joue le rôle principal de Mâdar.

L’identité individuelle et sociale est l’une des problématiques centrales de la structure culturelle et sociale d’une société. L’identité est en général étudiée dans divers contextes, notamment celui de la nation, au travers de la thématique de l’identité nationale. Cette dernière peut être définie comme étant le sentiment ressenti par une personne d’appartenir à une nation, et, de façon conséquence, à une culture, une histoire, une langue, voire une religion en tant que symboles distinctifs de toute nation.

Le cinéma est l’un des médiums où s’exprime et est représentée une vision de l’identité nationale iranienne. Ali Hâtami est l’un des rares cinéastes à avoir porté une attention toute particulière à la thématique de l’identité iranienne. Dans toutes ses œuvres, il a essayé de représenter les différentes dimensions de l’identité dont la tradition, la religion, les rites et cérémonies, la littérature, la politique, l’histoire, etc. La mise en relief de l’identité iranienne est plus particulièrement perceptible dans les séries télévisées qu’il a réalisées. Il est avant tout un bon connaisseur de la tradition et la culture iraniennes. Faisant preuve d’un grand intérêt pour les valeurs traditionnelles, il se fait le narrateur de la société et la vie iraniennes tout au long de l’histoire. De par sa grande maîtrise de la littérature, de l’art, ainsi que de la culture folklorique, Hâtami a aussi essayé de faire connaître à la société iranienne des éléments de son patrimoine national dans les champs littéraires et artistiques. En illustrant les divers aspects de l’identité iranienne, Hâtami cherche à faire connaître et à préserver la culture, la tradition et les mœurs de son pays. Pour ce faire, il a recours à l’usage de proverbes et expressions, d’éléments architecturaux, de costumes, d’œuvres d’art, ainsi que des décors proprement iraniens. En outre, il met abondamment en valeur la magnanimité, la générosité, l’hospitalité, le respect - surtout envers les plus âgés - et la grandeur d’âme qui sont des qualités admirées depuis toujours par les Iraniens. Dans les œuvres de Hâtami, chacun des caractères jouit de l’ensemble des traits correspondant au « type iranien » tel que défini par ce réalisateur. Dans ce sens, son film intitulé Mâdar (La mère) est considéré comme un poème cinématographique qui exalte la grandeur de la mère et son amour envers ses enfants.

Akbar Abdi (à gauche) et Ali Hâtami (à droite) lors du tournage de Mâdar.

Tourné en 1989, Mâdar est un film qui resta inachevé à cause de la mort de son réalisateur, mais qui fut la même année complété par Behrouz Afkhami, un autre grand réalisateur du cinéma iranien. Nous allons ici donner un bref aperçu des éléments de l’identité nationale et des codes identitaires iraniens utilisés dans le film.

Le personnage principal du film est une vieille femme qui, peu avant sa mort, quitte la maison de retraite où elle résidait pour retourner dans sa propre maison. Elle souhaite ainsi passer les derniers jours de sa vie aux côtés de ses enfants. Ces derniers vivent tous éloignés les uns des autres. Dans le film, c’est la tendresse de la mère qui regroupe les frères et sœurs dans un même lieu : la maison paternelle où ils ont passé leurs années d’enfance et d’adolescence.

Jamshid Hâshempour, dans le rôle de demi-frère de la famille, est habillé en costume arabe dans le film Mâdar (La mère), 1989.

Le costume est l’un des dispositifs permettant de présenter un aspect de l’identité iranienne : le vêtement des personnages a en effet des liens directs avec la structure socioculturelle de l’époque et les individus qui les portent. Les habits de la vieille mère participent à incarner une femme traditionnelle iranienne qui est avant tout une mère tendre et dévouée. Cette femme se coiffe d’un long fichu autour de la tête et porte une longue robe décorée de fleurs descendant jusqu’aux chevilles. La tenue vestimentaire de la fille aînée de la famille (Mâh Tal’at) représente le costume des femmes de la classe moyenne. Il s’agit d’un foulard noué avec un style particulier, un chemisier et une jupe longue noire. Mâh Monir, la deuxième fille, est une femme de la classe aisée qui porte un tailleur et une écharpe autour de la tête ; toutefois, elle laisse ses cheveux sortir partiellement. Pour ce qui est des hommes, ils ont presque la même tenue : un complet avec ou sans gilet. Toutefois, leur demi-frère, en tant qu’Arabe du sud de l’Iran, est habillé en costume arabe.

La plus grande partie des aventures du film se déroulent au sein de la maison paternelle. C’est une grande habitation qui possède toutes les caractéristiques de la maison traditionnelle iranienne. Il faut souligner que selon la culture iranienne, la maison symbolise la famille et le foyer familial au sens large ; c’est le lieu par excellente du vivre ensemble. Dans ce film, la maison paternelle comprend plusieurs espaces caractéristiques dont les pièces qui donnent sur la cour, un bassin à motif de cœur au milieu de la cour, un petit jardin où poussent diverses fleurs colorées, et un très large banc orné d’un tapis persan utilisé pour se reposer en soirée. On y voit également un hashti, vestibule octogonal de l’entrée principale qui sert de communication avec l’extérieur. Outre l’architecture résidentielle typiquement iranienne, on y voit la structure traditionnelle des quartiers. Dans le film, le quartier de l’enfance comprend une ruelle étroite, où les bâtiments sont construits de briques d’adobe et de blocs de boue séchée. On y trouve des équipements publics comme le garmâbeh (les bains) ou le salmâni (salon de coiffure). En outre, la ruelle est entourée par de hauts murs d’adobe à intervalles réguliers. Cette architecture fournit à la fois un espace de tranquillité et d’intimité.

Akram Mohammadi joue le rôle de Mâh Tal’at dans Mâdar (La mère), 1989.

Hâtami divise les personnalités de son film en deux groupes : les hommes et les femmes. La mère incarne les aspects spécifiques des mères iraniennes : elle est la source du caractère chaleureux du foyer familial, elle incarne le soutien et l’affection pour ses membres. Quant au père, il symbolise le pouvoir, la noblesse, la générosité et l’ardeur. Le fils aîné de la famille (Mohammad-Ebrâhim) est un nouveau riche qui s’est élevé au-dessus de sa condition initiale. Ses comportements et son aspect gauche font rapidement comprendre qu’il est un parvenu. Bien qu’il ait fait fortune, il reste un membre de la classe inférieure sur le plan sociologique. Mâh Tal’at incarne une mère compétente, une femme fidèle qui a hérité des bonnes qualités de sa mère. Son mari Mehdi est un homme respectueux, de bon caractère, et qui est très attaché à sa femme. Il symbolise un type idéal d’homme iranien.

Amin Târokh dans le rôle de Djalâloddin et Farimâh Farjâm dans le rôle de Mâh Monir

La littérature et l’art, qui font partie de l’identité nationale, sont très présents dans le film. En tant que diplômé du collège des arts dramatiques, Hâtami connait bien les questions liées à l’art et à la représentation artistique. La plupart des dialogues renferment une esthétique littéraire, ce qui fait aussi du film un poème agréable. On y entend nombre de phrases versifiées, ainsi que des proverbes et expressions persans. Chacune des personnalités a un langage particulier qui nous révèle des traits de sa personnalité, de son milieu social, et même de sa profession. Mohammad-Ebrâhim, le riche parvenu, utilise des mots vulgaires et des expressions argotiques. Son frère, Djalâloddin, membre d’une élite littéraire, étoffe ses paroles de citations philosophiques ou lyriques persanes. La mère, qui symbolise entre autres la sagesse et l’expérience, insiste dans ses paroles sur la valeur des vertus morales et sociales.

Pour finir, citons un autre élément auquel Hâtami porte une grande attention : la musique traditionnelle. Ce film donne aussi l’occasion d’écouter de la musique savante persane dans différents répertoires (radif) et systèmes modaux (dastgâh) y compris Mâhour, Ispahan, Tchahârgâh, Dashti et Bayât.


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