N° 171, printemps 2020

Le nisaen, une race de cheval iranien éteinte


Babak Ershadi


Un cheval persan représenté sur un bas-relief de Persépolis.

Grâce aux pratiques et au savoir-faire dans le domaine de l’élevage de chevaux depuis des siècles, la lignée de presque tous les chevaux modernes, que ce soient des chevaux de course ou des chevaux de labour ordinaires, remonte aux mêmes ancêtres masculins. Des recherches scientifiques prouvent aujourd’hui que les chevaux modernes de différentes races descendent de quelques étalons « orientaux ». En Europe, par exemple, ces étalons furent amenés il y a environ 700 ans. La dernière recherche dans ce domaine, qui date de 2017, a été réalisée sous la direction de Barbara Wallner, biologiste moléculaire de l’Université de médecine vétérinaire de Vienne. L’équipe internationale de scientifiques qu’elle a dirigée a analysé les chromosomes Y de plus de 50 chevaux représentant 21 races. Leur ouvrage intitulé Le chromosome Y laisse découvrir l’origine orientale récente des étalons modernes (« Y Chromosome Uncovers the Recent Oriental Origin of Modern Stallions ») révèle la façon dont des choix faits il y a longtemps par les éleveurs de chevaux qui vivaient pendant l’Antiquité, le Moyen Âge, puis vers les débuts de l’Empire ottoman, eurent une influence indéniable sur la plupart des races de chevaux partout dans le monde aujourd’hui.

« Hormis les lignées d’étalons des races d’Europe du Nord, toutes les lignées d’étalons détectées dans d’autres races modernes proviennent d’ancêtres orientaux introduits plus récemment », a affirmé Barbara Wallner. « La tendance à importer des étalons de mâles reproducteurs étrangers pour améliorer les troupeaux locaux était particulièrement importante », écrivent les auteurs. En effet, pendant des siècles, les éleveurs ont importé ces étalons orientaux parce qu’ils étaient beaux et que les éleveurs de chevaux voulaient produire une nouvelle génération de chevaux plus rapides, plus forts et plus légers.

Un mors datant de l’époque des Achéménides, Musée national d’Iran (Téhéran).

Les auteurs soulignent qu’en Europe centrale, cette pratique avait commencé au XVIe siècle avec la popularité des étalons espagnols et napolitains. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la population de chevaux d’Europe centrale fut façonnée par l’introduction des étalons orientaux. Par exemple, il est avéré aujourd’hui que l’origine des étalons fondateurs de pur-sang anglais peut être retracée à un étalon turkmène. Même les mustangs, ces chevaux emblématiques du monde occidental, sont les descendants de chevaux espagnols qui appartenaient fort probablement à une des lignées orientales.

Dans leur conclusion, Barbara Wallner et ses collaborateurs soulignent que les données du chromosome Y montrent clairement l’influence des étalons du Moyen-Orient sur les races européennes et américaines, et que le réseau chromosomique Y servira de colonne vertébrale utile dans la classification ultérieure des lignées d’étalons de différentes races.

 

Une gravure égyptienne du XIXe siècle représente une scène de chasse de l’empereur achéménide Darius Ier.

Le nisaen

 

Le nisaen (ou nisaean) est une race de cheval éteinte, dont les origines sont attribuées à la ville de Nisa qui se trouverait probablement dans le sud des montagnes Zagros en Iran. Les premières références écrites concernant le cheval de nisaen remontent à environ 430 avant notre ère. Dans Histoires, Hérodote écrit : « Devant le roi arrivent d’abord un millier de cavaliers, des hommes d’élite de la nation perse ; puis un millier de lanciers, du même choix de troupes, avec leurs fers de lance pointés vers le sol ; ensuite dix chevaux sacrés appelés Nisaen, tous délicatement caparaçonnés. Ces chevaux sont appelés Nisaen parce qu’ils viennent de la plaine de Nisa, une grande plaine de la Médie, donnant des chevaux de taille inhabituelle. »

Ces chevaux étaient très recherchés dans le monde antique. Les nisaens auraient des robes de différentes couleurs : le bai foncé, le marron et le seal brown (bai-brun), mais aussi des couleurs plus rares telles que le noir, le rouan, le palomino (doré) et divers motifs tachetés.

Bien que la race du cheval nisaen soit éteinte, le pur-sang moderne du Kurdistan garde une similitude avec le cheval disparu, notamment en ce qui concerne la forme de la tête.

Les descriptions inscrites dans des documents anciens insistent surtout sur la forme de la tête du nisaen. Il n’avait pas la tête allongée du cheval arabe qui était également élevé au Lorestan (Zagros) dans l’Antiquité, mais une tête plus robuste qui était caractéristique du grand cheval de guerre. Cela suggère que le Nisaen pourrait être un descendant du cheval primitif appelé « cheval de la forêt ». À l’époque de la dynastie des Achéménides (559-330 av. J.-C.), les Grecs appelaient ce cheval nisaen en l’attribuant à la ville de Nisa. Plus tard, sous les Arsacides parthes (250 av. J.-C.-224 de notre ère), les Chinois l’appelaient le tien-ma (cheval céleste). Le nisaen fut vraisemblablement le cheval le plus apprécié de l’Antiquité, et considéré également comme le plus beau cheval du monde. Pour décrire la beauté de sa robe, on disait parfois que certains nisaens étaient merveilleusement « tachetés comme des léopards », ou qu’ils étaient « aussi dorés qu’une pièce nouvellement frappée ».

Une miniature médiévale.

Dans l’ancienne Perse, le nisaen était la monture royale et hautement appréciée par la noblesse. Selon la tradition, deux nisaens gris tiraient le chariot royal du shâh, tandis que selon la légende, quatre de ces chevaux royaux tiraient le chariot du dieu Ahura Mazda. Des pièces d’argent du temps de Cyrus le Grand (559-530 av. J.-C.) le montrent en train de chasser à cheval avec une lance.

Pendant le règne de Darius Ier le Grand (521-486 av. J.-C.), les chevaux nisaens étaient élevés d’Arménie (Caucase) à Sogdiane (Asie centrale) et sur le plateau iranien. Le nisaen était si recherché que les Grecs (principalement les Spartiates) en importaient et les élevaient. À l’ouest, les tribus nomades (comme les Scythes) importaient, capturaient ou même volaient des chevaux nisaens.

D’après des descriptions anciennes, les nisaens pur-sang avaient plusieurs traits caractéristiques qu’ils transmettaient à leurs descendants. L’un deux était des boutons osseux sur le front souvent appelé « cornes ». Plus tard, les Grecs exportèrent de nombreux nisaens sur la péninsule ibérique où ces chevaux orientaux ont fortement influencé les ancêtres des chevaux espagnols d’aujourd’hui.

Le nisaen était le cheval préféré des légions byzantines.

À l’époque des Achéménides, les nisaens blanc pur étaient les chevaux des rois. Mais certains documents soulignent qu’avant les Achéménides, les Mèdes furent les premiers éleveurs des nisaens. Les Assyriens qui appréciaient beaucoup ces chevaux organisaient souvent des campagnes militaires au printemps pour attaquer les Mèdes et s’emparer de leurs chevaux qu’ils amenaient dans le nord de la Mésopotamie. La bataille qui eut lieu près de la ville actuelle de Harran (Turquie) finit par une victoire décisive des Arsacides conduits par Suréna, le grand général de la cavalerie parthe, sur les légions romaines dirigées par Crassus.

En 36 av. J.-C., le consul romain Marc Antoine voulut venger la mort de Crassus en attaquant la Médie avec seize légions. Mais les Parthes ne se livrèrent pas à la guerre de la manière à laquelle s’attendait le consul romain. Cela ramena Marc Antoine à ravager l’Arménie. Il conduisit en Égypte le roi arménien Artavazde II (55-34 av. J.-C.) qu’il considérait comme traître. Parmi les butins de guerre obtenus par les Romains en Arménie, il y avait les premiers chevaux nisaens, les premiers que les conquérants amenèrent à Rome. À la mort de Marc Antoine, ces chevaux tombèrent entre les mains d’Auguste (-27 av. J.-C.-14 apr. J.-C.).

L’empereur sassanide Shâpour Ier capture l’empereur romain Valérien à l’issue d’une bataille en 259 de notre ère en haute Mésopotamie et négocie avec Philippe l’Arabe la libération des prisonniers ; bas-relief à Naqsh-e Rostam.

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