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p>Nerval a toujours eu une attirance quasi physiologique pour l’Orient, terre de rêves, pays mystérieux, nourri de légendes. On trouve souvent dans sa correspondance des expressions telles que : "LE CAIRE, la ville des Mille et Une Nuits", "LA SYRIE, ce beau et célèbre pays", pour qualifier des sites que Nerval n’a encore jamais vus de ses propres yeux. Or, c’est dans cette même correspondance qu’il fait état de ses déceptions de plus en plus nombreuses à mesure qu’il découvre la profonde différence entre l’Orient qu’il comptait voir et celui qui s’offre à sa vue.
"Pourtant, j’en conviens, l’Orient n’est plus la terre des prodiges, et les péris n’y apparaissent guère, depuis que le Nord a perdu ses fées et ses sylphides brumeuses." (Cf. Lettre 100 Page 878).
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"En somme, l’Orient n’approche pas de ce rêve éveillé que j’en avais fait il y a deux ans, ou bien c’est que cet Orient-là est encore plus loin ou plus haut, j’en ai assez de courir après la poésie ; je crois qu’elle est à votre porte, et peut-être dans votre lit. Moi je suis encore l’homme qui court, mais je vais tâcher de m’arrêter et d’attendre." (Cf. Lettre 106 page 891).
Nerval a donc été cruellement déçu dans ses espérances, et tous les préjugés favorables qu’il avait sur l’Orient se trouvent anéantis en face de la réalité des pays qu’il visite. Pourtant, il s’est opéré en Nerval, au cours même de ce Voyage, une transformation assez puissante, pour que malgré ces déceptions qui ont dû le toucher fortement, Aristide Marie puisse écrire dans son livre Gérard de Nerval Le poète et l’homme : "ہ Marseille, il fut reçu au débarcadère par Piety et quelques amis, enchantés de son retour. Tous furent frappés du reflet lumineux qui spiritualisait sa figure, de l’éclat extatique de ses yeux et de son front. Il semblait que la flamme intérieure qui le consumait eût reçu un aliment nouveau".
Cette double attitude du poète déçu mais qui semble d’autre part avoir trouvé en Orient de nouvelles sources pour son génie littéraire permet de mieux comprendre l’originalité artistique de son Voyage en Orient. D’un journal, d’un feuilleton, Nerval a fait une œuvre d’art.
En effet, le Voyage n’est pas un simple document. Nerval, parti comme journaliste, a finalement tiré de ses carnets de Voyage un ouvrage élaboré en sept années (1ère parution en 1851) à mi-chemin entre le récit et le roman. Nerval se sent obligé parfois de rappeler le but primitif de son ouvrage :
"J’interromps ici mon itinéraire, je veux dire ce relevé jour par jour, heure par heure, d’impressions locales, qui n’ont de mérite qu’une minutieuse réalité". (Cf. Druses et Maronites - IV les Akkals - l’Antiliban - chapitre 4 (fragment de correspondance) Page.492).BB
Nerval se défend ainsi de transformer la réalité, ce que pourtant il a fait à maintes reprises si ce n’est presque tout au long du livre. Le Voyage est donc une œuvre littéraire réelle, qui nécessite une création artistique de la part de l’auteur. C’est en ce sens qu’il se différencie du simple "Journal de bord". La réalité, l’observation des faits sont la base du livre, mais ne sont que des matériaux utilisés en vue d’un travail original, et non le but d’une œuvre qui serait essentiellement descriptive, et la plus objective possible. L’observation des faits se trouve ainsi modifiée par plusieurs facteurs capitaux chez l’auteur : le souvenir, l’imagination et le rêve.
Il a été établi que toute création part d’un souvenir, on ne crée rien à partir du néant. (Cf. La philosophie du souvenir chez Bergson - l’imagination créatrice n’existe pas). En ce qui concerne le Voyage en Orient, il est sûr que Nerval a fait appel à toute sa culture orientale pour pallier l’insuffisance de ses propres connaissances. Les éléments qui appartiennent au domaine du souvenir se situent à deux niveaux d’égale importance : primo, l’emprunt pur et simple à des œuvres littéraires ou artistiques et secundo, l’environnement socio-culturel de Nerval et toute la mode orientaliste qui triomphait chez les artistes de l’époque de l’autre.
a) Nerval ne s’est pas gêné pour trouver chez les autres ce qui lui manquait dans ses notes. On ne peut faire un catalogue des ouvrages dont il s’est servi. En voici toutefois quelques uns : Le principal est celui de Williams Lane (Maners and custums of the modern Egyptiaris), qu’il dit lui-même avoir utilisé : cf. correspondance "Voyage") ou encore " Contes des Mille et Une Nuits ".
Il a même été montré que parfois il s’agissait d’emprunts textuels pour lesquels on ne peut plus vraiment parler de souvenir.
b) Il est peut-être plus intéressant de voir l’influence qu’a eu sur Nerval tout le contexte culturel de son époque. L’orientalisme était à la mode en littérature, en art et en peinture. Dans ses descriptions, Nerval gardera le souvenir des œuvres de Delacroix, Chasseriau, Gleyre, de la lumière et des couleurs utilisées par ces peintres :
"On sent une grande privation en Orient, c’est la musique et les intérieurs éclairés. Ensuite on sait trop ce qu’on va voir. Partout les peintres nous ont découpé l’Asie en petits carrés pendus au mur ; hormis en Syrie, je n’ai pas trouvé un paysage imprévu". (Cf. Correspondance page 886).
Mais les souvenirs chez Nerval n’existent pas non plus à l’état pur ; ils entrent dans le cadre de ce qu’on appelle l’imagination combinatoire du poète. Nerval rêve ses souvenirs et les recompose en leur adjoignant d’autres réminiscences. Comme ce qu’il a vu le déçoit, et que ses souvenirs évoquent un Orient plus attrayant, l’imagination du poète s’empare de cette conception d’un Orient merveilleux, et Nerval se compose un Orient personnel et original. Nerval reconnaît lui-même dans le Voyage ce processus comme étant le sien.
"Je quitte à regret cette vieille cité du Caire, où j’ai retrouvé les dernières traces du génie arabe, et qui n’a pas menti aux idées que je m’en étais formé d’ après les récits et les traditions de l’Orient. Je l’avais vue tant de fois dans les rêves de la jeunesse, qu’il me semblait y avoir séjourné dans je ne sais quel temps ; je reconstruisais mon Caire d’autrefois au milieu des quartiers déserts ou des mosquées croulantes ! Il me semblait que j’imprimais les pieds dans la trace de mes pas anciens ; j’allais, je me disais : En contournant ce mur, en passant cette porte, je verrai telle chose... et la chose était là, ruinée, mais réelle". (Cf. Femmes du Caire - IV Les Pyramides - 4 - Le départ -page 265).
Notons à cet égard l’antithèse : merveilleux / ruine ; rêve / réalité.
Toutes les formes d’art sont présentes dans le Voyage : musique, peinture danse, théâtre.... Mais toutes ne peuvent être analysées sur le même plan. Nerval est lui-même l’acteur et le peintre, mais il se contente de noter les danses qu’il voit et la musique qu’il entend. Quant au conte, il se situe à mi-chemin, puisque Nerval, sous le couvert d’un autre personnage (cheik druse, conteur professionnel) est le vrai conteur.
Nous voyons donc deux niveaux en ce qui concerne l’analyse des formes d’art dans l’œuvre : un premier niveau où Nerval est passif, qui est descriptif et assez neutre et un second niveau plus personnel où Nerval, actant, est l’artiste.
La musique est en quelque sorte le symbole de l’art oriental selon la tradition européenne. À l’époque de Nerval, Paris offre d’ailleurs toutes sortes de spectacles dits orientaux, où l’originalité de cette forme d’expression est cristallisée à tel point qu’elle perd sa vivacité. (Cf. Correspondance). Dans le Voyage, Nerval s’efforce de décrire quels en sont précisément les caractères spécifiques, tout en restant le plus impartial possible.
La musique fait effectivement partie intégrante des composantes de la société orientale et ne peut être analysée hors de son contexte social. Elle est présente aussi bien au spectacle, dans les fêtes, que dans la vie quotidienne. (Chanson populaire, bruits de la foule et voix même des indigènes). C’est donc essentiellement une musique populaire. Or ce qui frappe d’abord l’oreille de Nerval, c’est l’étrangeté de cette musique.
"C’est avec un étonnement toujours plus vif .. que j’ouvre mes sens peu à peu aux vagues impressions d’un monde qui est la parfaite antithèse du nôtre. La voix du Turc qui chante au minaret voisin, la clochette et le trot lourd du chameau qui passe, et quelque fois son hurlement bizarre.... tout cela me surprend, me ravit.., ou m’attriste, selon les jours". (Cf. Page. 154, Femmes du Caire, II - Les Esclaves - 1 Lever de soleil)
Ce n’est pas seulement la musique dans un sens instrumental, mais tout son et particulièrement la voix humaine, qui résonnent aux oreilles de Nerval. Cette musique étrange blesse d’abord son oreille.
"Mon premier sommeil se croisait d’une manière inexplicable avec les sons des vagues d’une cornemuse et d’une viole enrouée qui agaçaient sensiblement mes nerfs". (Cf. Femmes du Caire Page. 109 - 1- Mariage Cophte - 1. Le Masque et le Voile).
Mais rapidement Nerval est convaincu du charme de cette musique. La langue des pays qu’il traverse, sa musique naturelle l’enchante :
"Il y a dans certaines langues méridionales un charme syllabique, une grâce d’intonation qui convient aux voix des femmes et des jeunes gens, et qu’on écouterait volontiers des heures entières sans comprendre. Et puis ce chant langoureux, ces modulations chevrotantes qui rappellent nos vieilles chansons de campagne, tout cela me charmait avec la puissance du contraste et de l’inattendu ; quelque chose de pastoral et d’amoureusement rêveur jaillissait pour moi de ces mots riches en voyelles et cadencés comme des chants d’oiseaux."(Cf. Page. 295 Femmes du Caire : Vl La Santa Barbara - 1 Un compagnon).
Nerval est littéralement envoûté par cette musique qui peut l’émouvoir jusqu’aux larmes lors d’une cérémonie en l’honneur d’un saint derviche.
Nerval s’est souvent plaint de ne pas savoir peindre. Dans une lettre à son père, regrettant de ne pas mieux lui décrire ce qu’il avait vu, il s’exclame même :"Oh, si j’étais peintre !"
Pourtant le Voyage est presque une véritable fresque. Toutes les descriptions pourraient être celles d’un peintre qui n’ayant pas de crayon ou de papier à dessin, note ce qu’il voit pour un futur tableau (Cf. L’édition du Club français du livre : le texte de Nerval y est mis en image dans sa presque totalité). Il y a deux types de "tableaux" que Nerval affectionne particulièrement : les paysages qui s’étendent à l’infini et les portraits de femmes.
a. les paysages
Quand Nerval décrit une rue ou un quartier, il travaille plutôt en journaliste, en donnant maints détails sur l’architecture, la disposition des lieux et la vie du quartier et de la rue.
"Lorsqu’on a tourné la rue en laissant à gauche le bâtiment des haras, on commence à sentir l’animation de la grande ville...Le lieu est d’ordinaire très frayé, très bruyant, très encombré de marchandes d’oranges, de bananes, et de cannes à sucre encore vertes, dont le peuple mange avec délice la pulpe sucrée."(Cf. Page. 127 : Femmes du Caire : 1 - Les mariages cophtes ; 5- Le Mousky)
Nerval s’attache à montrer une population grouillante, la richesse et l’exubérance de ces couleurs surtout les jours de marché. Bref, on y trouve tout l’éclat de la vie méditerranéenne.
Au contraire, quand il décrit des points de vue, de vastes étendues où son regard peut errer à l’infini, son esprit est plus porté à la réflexion. Dans ces pages, on trouve de la poésie et tout ce cortège de sentiments teintés de mélancolie chers aux romantiques. Tous ces paysages peuvent être situés dans le temps à quelques heures près. Nerval a assez contemplé les tableaux de Delacroix et de tous les peintres qui se sont attachés à faire ressortir l’importance de la lumière. C’est la lumière de l’aube et celle du couchant qu’il aime le mieux décrire. Peut-être parce qu’à cette heure les couleurs dominantes sont le rouge et l’or, couleurs Nervaliennes par excellence, et surtout couleurs du feu que Nerval se plaît à rapprocher de la lumière.
"Le matin, vous vous colorez si doucement, à demi rose, à demi bleuâtre, comme des nuages mythologiques, du sein desquels on s’attend toujours à voir surgir de riantes divinités ; le soir, ce sont des embrasements merveilleux, des voûtes pourprées qui s’écoulent et se dégradent bientôt en flocons violets, tandis que le ciel passe des teintes du saphir à celles de l’émeraude, phénomène si rare dans les pays du nord."(Cf. P. 325 : Femmes du Caire- VI - La Santa Barbara 9 Côtes de Palestine)
Mais Nerval aime aussi la clarté de la lune qui incite peut-être plus que celle du soleil à la rêverie :
" La nuit tombait lorsque nous entrâmes dans le port de Saint-Jean d’Acre... la ville endormie ne se révélait encore que par ses murs à créneaux, ses tours carrées et les dômes d’étain de sa mosquée, indiquée de loin par un seul minaret. ہ part ce détail musulman, on peut rêver encore la cité féodale des templiers, le dernier rempart. Le jour vint dissiper cette illusion en trahissant l’amas des ruines informes". (Cf. Page 478 : Druses et Maronites - IV- Les Akkals et l’Antiliban 3) Un déjeuner à Saint Jean d’Acre).
On retrouve dans cette opposition nuit / jour, réalité / rêve, merveilleux / ruine, illusion / trahison, celle qui est une des origines de la création artistique chez Nerval, l’opposition entre rêve et réalité, par ailleurs si constamment présente dans l’œuvre de l’auteur d’Aurélia et de Sylvie.
b. le portrait
On peut remarquer dans les portraits que Nerval nous livre dans le Voyage une nette prédominance des portraits de femmes. Tous ces portraits présentent un certain nombre de constantes : Nerval est d’abord préoccupé par l’allure générale de ses personnages. Quand il fait une description sommaire, c’est ce détail qu’il retiendra d’abord. Par exemple, en ce qui concerne les femmes, c’est l’ampleur de leur vêtement, symbole d’abandon et de mystère, qu’il nous décrit. Nerval conçoit ensuite la plus grande partie de ses portraits sur l’opposition des couleurs : couleur naturelle de la peau et des yeux et couleur du vêtement :
"Madame Bonhomme appartient à ce type de beauté blonde du midi que Gozzi célébrait dans les Vénitiennes, que Pétrarque a chanté en l’honneur des femmes de notre Provence. Il semble que ces gracieuses anomalies doivent au voisinage des pays alpins l’or crespelé de leurs cheveux, et que leur œil noir se soit embrasé seul aux ardeurs des grèves de la Méditerranée. La carnation fine et claire comme le satin rosé des Flamandes, se colore aux places que le soleil a touchées d’une vague ambrée..." (Cf. Femmes du Caire page 268 - V - La Cange 1. Préparatifs de navigation)
"La circassienne... Ses grands yeux noirs contrastant avec un teint d’un blanc mat... Sa coiffure formée de gazillons mouchetées d’or et tordus en turban, laissait échapper des profusions de nattes d’un noir de jais, qui faisaient ressortir ses joues avivées par le fard. Une veste historiée de broderies et bordée de fanfreluches et de festons de soie, dont les couleurs bariolées formaient comme un cordon de fleurs autour de l’étoffe, une ceinture d’argent et un large pantalon de soie rose lamée complétaient ce costume aussi brillant que gracieux." (Cf. Page. 545 : Nuits du Ramazan 1 Stamboul et Pera 7. Quatre portraits)
Il faut remarquer aussi l’importance que Nerval accorde aux yeux et au regard (Cf. Chez Balzac le caractère visionnaire du regard dans La fille aux yeux d’or).
"Alors on sent le besoin d’interroger les yeux de l’ةgyptienne voilée, et c’est là le plus dangereux... C’est derrière ce rempart que ces yeux ardents vous attendent, armés de toutes les séductions qu’ils peuvent emprunter à l’art. Le sourcil, l’orbite de l’oeil, la paupière, en dedans des cils, sont avivés par la teinture, et il est impossible de mieux faire valoir le peu de sa personne qu’une femme a le droit de faire voir ici." (Cf. Page 107 : Femmes du Caire 1. Mariage cophte 1. le masque et le voile).
Rien qu’à lire ses descriptions, le lecteur se réfère automatiquement aux tableaux de Delacroix où sont majorées d’une part l’importance de l’allure générale (Un arabe en prières ; Femme marocaine ; un marocain) et de l’autre, celle du regard (Sept visages orientaux) et de la richesse des couleurs (Femmes d’Alger dans leur intérieur).
a. le théâtre
Nerval a toujours été attiré par la scène, le théâtre. Là, il n’y a plus de barrière entre la réalité et le rêve ; le spectateur croit à ce qu’il voit tout en hésitant pour savoir si le spectacle est vrai ou faux. L’illusion de la scène d’ailleurs est un peu la même que celle que la nuit permet de conserver (Cf. La scène dans le port de Saint-Jean-d’Acre, Page. 478). De plus, le spectacle et le théâtre sont une forme de récit agréable au lecteur, ce qui pour Nerval était essentiel, puisque son œuvre devait être publiée en feuilleton. Le lecteur participe davantage à cette forme littéraire qu’aux formes classiques et traditionnelles des récits de voyage. Nerval a donc élaboré une série de petits spectacles à l’intérieur du Voyage.
"Je voudrais mettre la chose en scène" (en parlant des almées). (Cf. Page. 161)
"On peut s’arrêter un instant aux spectacles de la place de Sérasquier, à ces scènes de folie qui se renouvellent dans tous les quartiers populaires." (Cf. Page. 573).
Décor, personnages, mise en scène, tout ce qui constitue l’essence du théâtre se trouve réuni dans ces petits spectacles. Générale-ment, Nerval joue lui-même un rôle : celui d’un Européen ingénu mais débrouillard (Cf. Mariages coptes) ou d’un homme séduisant, et le rôle de Nerval est vraiment ici celui d’un artiste, qui prend part à la situation subjectivement ; parfois, il se contente d’être un spectateur, un figurant ; là il agit plus en journaliste, dont le rôle est d’observer, d’être objectif.
b. le conte
Le conte tient une très grande place dans le Voyage. C’est une forme littéraire très répandue en Orient que ces récits oraux dont on ne sait jamais quelle est la part réelle d’authenticité (Cf. Homère et les aèdes), mais c’est surtout une forme littéraire qui convient parfaitement à Nerval. Ce dernier veut faire croire à son lecteur qu’il se contente de copier des récits de conteurs professionnels, tels le Cheik druse, mais la plupart du temps, il est lui-même le véritable auteur de ces contes ainsi que le souligne Théophile Gauthier dans ces pages :
"La légende du calife Hakem, l’histoire de Balkis et de Salomon montrent à quel point Gérard de Nerval s’était pénétré de l’esprit mystérieux et profond de ces récits étranges où chaque mot est un symbole ; on peut même dire qu’il en garde certains sous-entendus d’initié, certaines formules cabalistiques, certaines allures d’illuminé, qui feraient croire par moments qu’il parle pour son propre compte. Nous ne serions pas très surpris s’il avait reçu comme l’auteur du Diable Amoureux, la visite de quelque inconnu aux textes maçonniques, tout étonné de ne pas trouver en lui un confrère." (Cf. Th. Gautier, page XXI)
Un peu comme le théâtre, le conte préserve l’illusion du rêve, et d’autant plus que la scène (le plateau scénique) n’est pas là pour nous mettre en garde et dire : Attention, maintenant nous sommes au théâtre ; ce n’est plus la réalité.
Par-delà les contes des Nuits du Ramadan, et celui du Cheik druse, on peut voir dans le Voyage en général l’ébauche d’un conte dans le style de ceux des Mille et une Nuits. Dans ces deux œuvres en effet, on retrouve le mystère qui émane de tous les personnages mis en scène, l’étrangeté de l’Orient, la beauté sublime de certains êtres, particulièrement des femmes, et les sites merveilleux que la lumière rend presque irréels.
Ainsi, dans son Voyage, Nerval réussit-il à faire une œuvre littéraire et artistique de ce qui aurait pu n’être qu’un journal en forme de reportage. Le problème reste celui de la sincérité de Nerval dans cet ouvrage. En effet, le Voyage qu’il nous présente est en partie fictif et nombre des affirmations du poète sur la vie orientale sont en partie erronées. Mais, en matière d’art, il ne faut sans doute pas se situer à un premier niveau de la sincérité, celui de la simple véracité des faits. Il s’agit plutôt d’être sincère envers soi-même et d’accéder à une vision originale du monde et “à la création d’un univers clos et achevé, se suffisant à lui-même, plus vrai que la réalité quotidienne, plus vivant que la vie, bien que différent d’elle”.
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