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Avec Saadi [1] , Ferdowsi [2] et Rumi [3], Hâfez [4] est l’un des poètes les plus illustres d’Iran. En hommage à ce grand poète persan qui vécut au 14ème siècle à Shiraz, capitale de la province du Fars de l’époque, le centre culturel iranien à Paris a organisé le mercredi 12 octobre, à une vingtaine de kilomètres de la capitale et en collaboration avec le domaine national du Château de Versailles, une soirée commémorative à la Chapelle Royale dudit Château.
C’est la première fois que ce prestigieux établissement de renommée mondiale accueillait l’Iran, comme le rappelle le Dr Ayoubi, conseiller culturel iranien auprès de l’ambassadeur de la république islamique d’Iran. L’administrateur général de l’établissement public, M. Tardieu, a estimé que c’était un grand honneur, pour lui qui s’est, il y a trois ans, recueilli sur la tombe de ce grand poète persan, à Chiraz, lors d’un voyage en Iran ; voyage au cours duquel il avoue avoir découvert la poésie persane et avoir été enthousiasmé par les ghazals d’Hâfez qu’avait récité alors le guide francophile du groupe de touristes dont il faisait partie. M. Tardieu s’est aussi dit surpris de tant de sensibilité chez les Iraniens qui semblaient presque tous férus et imprégnés de poésie. Que la poésie persane ait pu inspirer de grands auteurs tels que Goethe [5], ne le surprenait donc plus. Il n’est pas inutile de rappeler ici quelques éléments biographiques au sujet d’Hâfez.
Après de brillantes études en langue et littérature arabes ainsi qu’en théologie, ce dernier enseigna ces matières, ainsi que l’exégèse coranique dans une "madreseh" de Chiraz. Il récitait aussi Le Coran par cœur. Hâfez a su doser savamment l’harmonie musicale et les images expressives dans ses ghazals qui ne sont ni tout à fait hédonistes ni complètement mystiques, comme l’affirment certains.
En tout cas, il a su sentir et exprimer l’âme des Iraniens, ce qui explique qu’il ait conservé à travers les siècles une aussi large audience et une autorité incontestée auprès de ses disciples et même au-delà.... Le grand poète et dramaturge allemand, Goethe le définissait ainsi : union de l’expression et de la pensée, on reconnaît chez Hâfez une grande aptitude à la clarté et à la simplicité. Le nombre des vers écrits par Hâfez sont évalués entre 4000 et 5000. Près de 400 de ses vers ont été chantés et traduits dans des dizaines de langues.
Dans un éloquent discours, le Dr. Elahi Ghomshei évoqua au cours de la cérémonie, la qualité de ce poète " inspiré ", relatant des épisodes pittoresques d’une vie austère mais suffisamment confortable en raison de la protection dont il bénéficiait de la part de certains vizirs de l’époque [6]. Même si le public non persanophone a dû faire preuve de patience en laissant s’exprimer l’érudit durant plus de trois quart d’heures, il en fut néanmoins récompensé, car la prestation de Ghomshei fut suivie de près par la présentation non moins émouvante du cinéaste et écrivain Jean-Claude Carrière qui récita quelques poèmes de Hâfez traduits en français par ses propres soins et ceux de son épouse avec qui il avait auparavant traduit d’autres poètes mystiques persans, tels que Mowlana. Pour cet amoureux du cinéma et du théâtre, "consacrer toute une journée à un grand poète tel que Hâfez relève du merveilleux". Il a formulé le souhait de voir se renouveler ce type de manifestation... Le Dr. Elahi Ghomshehi et Jean Claude Carrière ont déclamé à tour de rôle trois poèmes, "Mystère" , "Les yeux noirs", "Sur le métier de la vie" l’un s’exprimant en persan, l’autre en français.
Seraj, chanteur classique de poésie mystique iranienne, très connu en Iran, semblait à l’aise dans ce cadre religieux entouré d’un groupe de huit musiciens venus spécialement d’Iran pour l’occasion. Elevé dès son enfance au son des poèmes de Hâfez, il affirma avoir hérité de son père l’amour de la poésie chantée de Rumi ou de Saadi. Seraj s’est dit honoré de pouvoir transmettre sa passion à un tel public. Il a également souhaité communiquer de la sorte un message de paix et d’amour dans le cœur des hommes. C’est ainsi que durant 1h30, le public put savourer la voix suave du chanteur et les sons envoûtants du ney, du daf, ou du kemanstsheh, et les sonorités cristallines du santour, du tar et setar. S’il est vrai que la signification des ghazals ne pouvait être saisie par la majorité du public présent dans la chapelle, au moins la musicalité de la rime alliée à la magie du lieu, a-t-elle envoûté nombre d’entre eux, comme en a témoigné l’un des responsables du centre de musique baroque de Versailles [7]. Jeunes, vieux, hommes, femmes, iraniens, non iraniens, ils étaient venus nombreux, parfois même de loin, pour participer à cette manifestation qui laissera sans doute un souvenir inoubliable dans le cœur des amoureux de la poésie et de la musique. Même si, certains pouvaient reprocher les mauvaises conditions acoustiques du concert, beaucoup sur le parvis de la Chapelle Royale ne se lassaient pas d’échanger leurs impressions. Certains formulèrent même le vœux d’aller savourer cette ambiance sur place, c’est-à-dire en Iran, tandis que d’autres, ont seulement espéré voir se renouveler ce genre de manifestation. Pour finir, tous se sont félicités de cet hommage rendu à Hâfez, ainsi qu’à ses Ghazals [8], dans le prestigieux cadre du Château de Versailles.
[1] Abu Abdul’lah Mucharraf od-Din ibn Muslih od-Din, connu sous le nom de plume de Saadi (Chiraz en ?- 1291Chiraz) auteur notamment du Boustan (Verger) en vers, et du Golestan (Jardin des roses) en vers et en prose.
[2] Ferdowsi, (930 à Tus- 1020) auteur du "Shahnameh " ou Livre des Rois.
[3] Mawlawi Djalal a din Muhammad (Balkh- mort en 1213) appellé Rumi ou Mowlana, auteur du Mathnawi.
[4] Shams al din Muhammad, Khawadja ou Hâfez, est né entre 1317 et 1326 , à Shiraz, mort en 1390.
[5] Johann Wolfgang von GOETHE (1749-1832) auteur notamment de Faust, Werther, et du Divan occidental-oriental 1814-1819.
[6] Le prince Abou Ishaq Indju qui régna près de dix ans, à partir de 1343 fut le protecteur d’Hâfez.
[7] La mission du centre de musique baroque de Versailles est de faire redécouvrir et de promouvoir la musique des XVIIème et XVIIIème siècles. Ses actions s’articulent autours de trois axes : la recherche (un atelier d’études est associé au CNRS), la pédagogie (proposée aux Pages et Chantres de la Maîtrise), et la production (organisation de concerts et manifestations). Depuis 1996, le Centre de musique baroque s’est installé à l’Hôtel des Menus Plaisirs. Construit en 1739 pour abriter les ateliers organisant les plaisirs du Roi et de la cour, ces bâtiments retrouvent leur vocation initiale : concevoir des spectacles pour le Château de Versailles.
[8] Ghazal : signifie "vers" et remplace la qasida qui est la forme choisie chez les persans pour la panégyrique (éloge).