N° 40, mars 2009

La 28e réunion du "Club Art et Nature" à La Maison des Artistes


Djamileh Zia


Les amoureux de la nature se réunissent chaque premier dimanche du mois iranien de 18h à 20h à la Maison des Artistes de Téhéran, pour voir les nouveaux documentaires réalisés par les membres du Club Art et Nature. Ce club regroupe en son sein un bon nombre d’écologistes iraniens, jeunes ou moins jeunes, célèbres ou anonymes. Les membres de ce club tentent de faire connaître au public les richesses et les beautés naturelles de l’Iran grâce à des conférences, des films documentaires ou des photos.

Le Club Art et Nature, créé il y a plus de deux ans, est l’une des activités de l’Institut Tabi’at [1], qui organise par ailleurs des voyages écotouristiques aux quatre coins de l’Iran, et des cours de formation de guides pour ce type de voyages. Le fondateur de l’Institut est M. Mohammad-Ali Inanlou, que la plupart des Iraniens connaissent grâce à ses émissions de télévision ayant pour thème la protection de la nature et ses reportages à propos des sites naturels en Iran. L’Institut Tabi’at a également fondé une organisation non gouvernementale dont les activités de recherche et d’information ont pour but de mieux connaître et protéger la nature et les écosystèmes de l’Iran [2].

Les réunions mensuelles du Club Art et Nature sont en général l’occasion de montrer au public les films ou les photos pris par les membres du club lors de leurs voyages à des endroits connus pour la beauté de la nature ; cependant, la réunion du dimanche 6 Bahman 1387 (25 janvier 2009), qui avait pour thème principal l’eau, était moins gaie que d’habitude : deux des trois sujets abordés pendant cette réunion - l’eau de Téhéran, et les marais et les lacs d’Iran - ont tiré la sonnette d’alarme.

Mohammad-Ali Inanlou

La première heure de la réunion fut consacrée à un film réalisé récemment par l’Institut Tabi’at à propos des deux rivières principales qui fournissent l’eau de Téhéran. Ce film, produit à la demande du Bureau de la Protection de la Nature de la province de Téhéran qui est très préoccupé par la baisse de la qualité de l’eau mise à la disposition des Téhéranais, montre les différents facteurs qui polluent l’eau des deux rivières Karadj et Djâdjroud en amont des barrages Karadj et Latiâne qui approvisionnent en eau Téhéran. Les habitations de plus en plus nombreuses au bord de ces rivières (résidences secondaires des Téhéranais aisés ou résidences principales des villageois de la région), les restaurants et les hôtels qui accueillent chaque fin de semaine des milliers de touristes déversent leurs déchets et leurs eaux d’égout dans ces rivières. Les milliers de familles qui pique-niquent au bord de la rivière y laissent leurs ordures. Les organismes militaires ont des camps d’entraînement et des résidences au bord de ces rivières. Les exploitations minières et agricoles des terrains avoisinants seraient l’une des causes de la présence de produits chimiques dans l’eau de Téhéran. De plus, il existe des abattoirs au bord des rivières, et le sang des animaux tués se déverse directement dans l’eau. Les eaux de quelques bains publics et d’un lavoir pour les morts des villages avoisinants s’y déversent également.

Après la projection du film, M. Mohammad-Bâgher Sadough, Directeur Général du Bureau de la Protection de l’Environnement de la province de Téhéran, et M. Hariri, haut-fonctionnaire du Ministère de l’Energie et expert dans le domaine de l’eau qui alimente Téhéran, ont respectivement pris la parole.

M. Sadough a souligné que ce film était principalement destiné à être montré aux responsables des différents organismes publiques et aux hauts-fonctionnaires, afin de les sensibiliser à ce problème. Il a rappelé qu’à l’époque préislamique, l’eau était pour les Iraniens un élément sacré, au même titre que la terre, l’air et le feu ; les Iraniens attribuaient à l’eau la plus grande déesse de leur culture (la déesse Anahitâ) et avaient une fête consacrée à l’eau dans leur calendrier. M. Sadough a rappelé que la culture islamique insiste également sur l’importance de l’eau, source de vie. Il a déploré que les Iraniens aient oublié ces éléments essentiels de leur culture.

Le barrage de Karadj

M. Hariri a pris ensuite la parole. Il a dit que le film réalisé par l’Institut Tabi’at était un très bon film, et a insisté sur le fait que les responsables du Ministère de l’Energie ont toujours le souci de fournir aux citoyens une eau de bonne qualité, qui soit conforme aux critères définis par les Nations Unies. Cependant, les installations de raffinage d’eau de Téhéran datent de plus de 40 ans et raffinent l’eau selon une méthode conventionnelle qui ne permet que l’élimination des microorganismes et des polluants de grande taille. Il a ainsi souligné la nécessité de leur modernisation afin de pouvoir enlever les polluants chimiques de l’eau. M. Hariri a rappelé que nous sommes actuellement en période de sécheresse, et le premier souci des responsables du Ministère de l’Energie est de ne pas laisser les millions d’habitants de Téhéran sans eau. Actuellement, environ la moitié de l’eau de Téhéran provient d’eaux souterraines. Celles-ci sont mélangées à l’eau raffinée provenant des deux rivières Karadj et Djâdjroud. C’est ce mélange qui est distribué dans la ville. M. Hariri a émis le vœu que les différents organismes publiques qui ont une responsabilité dans le domaine de l’eau (tels que le Ministère de la Santé, l’Organisation de Protection de l’Environnement, le Ministère de l’Energie, etc.) coordonnent leurs actions. Il a également souhaité que tous les citoyens prennent conscience de la valeur de l’eau et ne la souillent pas.

Au cours de la deuxième heure de la réunion, M. Vâlédi, l’un des guides de voyage de l’Institut Tabi’at, a présenté à l’occasion de la "Journée Mondiale des Zones Humides" [3] un bref exposé sur les marais et les étangs, leur importance sur le plan écologique et les facteurs qui provoquent leur destruction (destruction souvent causée par des interventions humaines inconsidérées, telles que la construction de canaux et routes, ou l’introduction d’une espèce animale ou végétale nouvelle qui nuit à l’écosystème de la zone humide). M. Vâlédi a ensuite montré des diapositives du lac Hâmoun [4] dont l’eau provient de la rivière Hirmand, mais les multiples barrages construits en Afghanistan sur le cours de cette rivière ont malheureusement abouti à l’assèchement de ce lac.

M. Esmâ’ïl Kahrom, professeur en écologie, a par la suite évoqué un souvenir de sa visite à la NASA au moment où des chercheurs expérimentaient les robots qui furent envoyés sur Mars. La personne qui servait de guide pendant cette visite avait expliqué que la tâche principale de ces robots était de trouver de l’eau sur la planète Mars, car dans ce cas il serait possible qu’il y ait une forme quelconque de vie sur cette planète. M. Kahrom rappela que dans l’un des versets du Coran, il est dit explicitement que toute forme de vie provenait de l’eau. Il ajouta qu’il existait des animaux qui pouvaient vivre dans un milieu sans air, comme par exemple ceux que l’on a découvert dans une cavité sous-terraine créée il y a plusieurs centaines de milliers d’années. Ces animaux s’étaient adaptés à ce milieu sans oxygène et sans lumière ; ils n’avaient plus de couleur ni d’yeux et leur nourriture provenait de sulfates décomposés par des bactéries. Par contre, aucune forme de vie n’est possible sans eau, et la dépendance à l’eau des premières espèces animales qui ont quitté les mers pour vivre sur la terre sèche est telle que pour se reproduire, ils doivent retourner en mer.

L’ensemble des intervenants a insisté sur la nécessité de changer les mentalités des citoyens et les responsabiliser, pour qu’ils ne contribuent pas à aggraver le processus de dégradation de l’environnement et participent aux efforts de la protection de la nature.

Le lac Hâmoun

La dimension négative des sujets abordés lors de cette réunion fut compensée par deux entractes : des diapositives de photos prises au cours d’un voyage dans les réserves d’animaux sauvages au bord de la mer Caspienne, et un exposé d’une jeune femme - dont le nom de scène est Gordâfarid - à propos de la fête de Sadeh,

La fête de Sadeh est célébrée par les Iraniens depuis l’Antiquité. Le 10 Bahman au soir, les Iraniens allument un grand feu de joie. Mme Gordâfarid a ainsi évoqué plusieurs légendes liées à cette grande fête, très importante chez les zoroastriens et très populaire pour tous les Iraniens jusqu’à l’arrivée au pouvoir de la dynastie safavide. La naissance du centième enfant de Kioumars (le premier homme sur la Terre dans la mythologie iranienne), la présence de cent vaillants jeunes hommes qui s’étaient réfugiés dans la montagne Alborz et qui allumèrent chacun un flambeau pour montrer leur présence à Fereydoun quand celui-ci avait décidé de combattre Zahâk, et la découverte du feu par Houchang font partie des légendes qui accompagnent la fête de Sadeh. Ces légendes nous ont été transmises par Ferdowsi, ce grand poète épique dont le souci était de préserver la culture et la langue iraniennes. Mme Gordâfarid enseigne le "naghâli" [5] aux jeunes filles. L’une de ses élèves a ensuite déclamé les vers de Ferdowsi relatant l’épisode de la découverte du feu par Houchang.

Les membres du Club Art et Culture ont invité tous les amoureux de la nature à assister à leur prochaine réunion, qui aura lieu le premier dimanche du mois de Esfand [6] à la Maison des Artistes de Téhéran.

Notes

[1Tabi’at signifie "nature" en persan.

[2Pour plus d’information sur l’Institut Tabi’at et son fondateur, M. Inanlou, vous pouvez consulter le site de cet institut à l’adresse www.tabiat.ir Par ailleurs, il y a un entretien avec M. Inanlou dans le numéro 23 de la Revue de Téhéran (octobre 2007).

[3La journée mondiale des zones humides commémore chaque année, le 2 février, la signature en 1971 de la convention Ramsar sur les zones humides. Ramsar est la ville où cette convention a été signée ; elle est située au bord de la mer Caspienne, en Iran.

[4Le lac Hâmoun est situé en Iran, dans la province du "Sistân et Baloutchestân".

[5Le naghâli est une forme de narration orale des épopées mythiques perses.

[6Esfand est le douzième mois du calendrier iranien.


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