N° 40, mars 2009

Les calendriers et les systèmes de chronologie en Iran du VIIe siècle à nos jours


Farid Ghâssemlou*
Traduit par

Babak Ershadi


Après l’effondrement de l’Empire sassanide au VIIe siècle et l’islamisation de la Perse, l’usage du calendrier de l’Hégire s’est développé dans les différentes régions iraniennes. Cependant, au cours des huit siècles qui ont suivi l’islamisation de la Perse, d’autres systèmes de chronologie ont été utilisés parallèlement au calendrier de l’Hégire lunaire, car la nécessité de l’existence d’un calendrier solaire était toujours ressentie, surtout par les pouvoirs politiques, pour des raisons socioculturelles et économiques telles que la fiscalité et la collecte annuelle des tributs agricoles. Chaque fois qu’un pouvoir politique fort et centralisé a vu le jour en Iran au cours de la période islamique, les dirigeants du pays ont essayé de rectifier les systèmes de chronologie et d’établir un nouveau calendrier. Au XIe siècle par exemple, les Seldjoukides demandèrent aux savants iraniens d’établir le système de chronologie le plus précis du monde : le calendrier Djalâli.

A partir du XVe siècle et pendant 5 siècles, le calendrier de l’Hégire fut le calendrier prédominant en Iran. Mais la nécessité de l’existence d’un calendrier administratif officiel basé sur la chronologie solaire a été de nouveau ressentie il y a environ un siècle du fait de la modernisation progressive de l’administration publique, d’où la naissance d’un nouveau calendrier (un calendrier de l’Hégire solaire) qui était une nouvelle invention basée sur des données anciennes, notamment le calendrier Djalâli. Le calendrier religieux (calendrier de l’Hégire lunaire) n’a cependant rien perdu de son prestige, étant donné qu’il organise la vie religieuse des Iraniens et marque la date des cultes musulmans.

A) Période de la rivalité des calendriers solaires avec le calendrier de l’Hégire

1- Le calendrier "Yazdgardien"

Le calendrier "Yazdgardien" (en persan : "Yazdguerdi"یزدگردی) était le système de chronologie de l’époque sassanide ; il fut réemployé par les zoroastriens après la conquête de la Perse par les musulmans. Ce calendrier portait le nom du dernier roi sassanide, Yazdgard III. L’an 632, qui fut l’année du couronnement de Yazdgard III (et qui correspondait à l’an 11 de l’Hégire), était l’an 1 de ce calendrier. Le calendrier de Yazdgard est utilisé par les zoroastriens encore aujourd’hui, sous une forme quelque peu modifiée. Dans le calendrier Yazdgard, une année se divisait en douze mois de trente jours, auxquels il fallait ajouter les "cinq jours du seuil" (en persan : "Andargâh"اندرگاه). Ces cinq jours avaient été placés entre le septième et le huitième mois de l’année (Âbân et Âzar) dans les calendriers plus anciens que le calendrier Yazdgard. Le document le plus ancien qui porte une datation yazdgardienne est une pierre tombale sur laquelle est inscrite la date de l’an 6 du calendrier Yazdgard (637 apr. J.C.). Il est à noter que dans les ouvrages d’astronomie des premiers siècles de l’Hégire, les savants musulmans faisaient assez souvent référence à la chronologie perse (qui n’était autre que ce calendrier yazdgard).

L’importance historique du calendrier Yazdgard réside dans le fait qu’il a joué après la chute de l’empire sassanide et jusqu’à la consolidation de la présence de l’islam en Perse, un rôle d’intermédiaire en matière de calendrier. Pendant cette période charnière, les premiers documents de la Perse musulmane portent généralement des datations yazdgardiennes. Parmi ces documents, il faut citer surtout des pièces de monnaie frappées dans différentes régions de la Perse. Les plus anciennes de ces pièces de monnaie avaient été frappées en l’an 20 du calendrier Yazdgard (31 de l’Hégire) à Mary (actuellement au Turkménistan) et au Sistân (région du sud-ouest de l’Iran). Les archéologues ont découvert des pièces de monnaie similaires à Dârâbgard, ville ancienne située près de l’actuelle ville de Dârâb, dans la province de Fârs (au sud de l’Iran), frappées en l’an 60 du calendrier yazdgard (72 de l’Hégire). C’est à partir de l’an 30 de ce même calendrier que les pièces de monnaie ont été datées en chronologie musulmane. A Dârâbgard et à Zarandj, les archéologues ont découvert des pièces de monnaie datant de l’an 41 de l’Hégire.

Pendant le premier siècle de l’Hégire, les deux systèmes de chronologie (yazgardienne et musulmane) furent utilisés conjointement en Perse conquise par les Arabes. Après cette période de transition, le calendrier Yazdgard perdit au fur et à mesure de son prestige par rapport au calendrier des conquérants. Cependant, le calendrier Yazdgard fut utilisé pendant plusieurs siècles, notamment dans les ouvrages d’historiens et dans les inscriptions bilingues (écrites en arabe et persan). L’inscription de la tour Qhâbous (en persan : "Gonbad-e Qhâbous"گنبد قابوس) est l’un de ces documents bilingues qui portent à la fois la datation yazdgardienne et musulmane. Cette inscription porte la date de l’an 397 de l’Hégire et de l’an 377 du calendrier Yazdgard .

En l’an 375 de ce calendrier, plusieurs modifications furent introduites dans ce système chronologique. Les "cinq jours de Seuil" furent transférés de la fin du mois d’آbân à la fin du mois d’Esfand (qui est le dernier des douze mois de l’année iranienne).

Aujourd’hui, les zoroastriens d’Iran et d’Inde utilisent encore le calendrier Yazdgard . Pourtant, leur chronologie moderne est très différente du calendrier des origines. En 1635 (l’an 1005 du calendrier Yazdgard ), les mages zoroastriens en Iran s’aperçurent que leur calendrier avait une différence de trente jours avec le calendrier des zoroastriens de l’Inde. Cette différence était due aux bissextes que les zoroastriens de l’Inde avaient ajoutés à leur calendrier, par souci de rectification. Mais la notion d’année "bissextile" n’existait pas dans le calendrier Yazdgard . Les adversaires de l’ajout d’un jour tous les quatre ans rejetaient cette rectification au nom des traditions et de la religion, tandis que les partisans de la rectification du calendrier estimaient que le respect des années bissextiles n’était pas contraire aux questions religieuses. Les partisans de la prise en compte des bissextes appelèrent leur calendrier "calendrier impérial" (en persan : "Shâhanshâhi"شاهنشاهی) pour se distinguer des partisans de l’ancien calendrier Yazdgard .

Les calendriers que les zoroastriens d’Iran publient depuis plusieurs décennies montrent que leur système de chronologie tend de plus en plus à se rapprocher du calendrier de l’Hégire solaire (qui est le calendrier officiel de l’Iran). Dans le calendrier zoroastrien moderne, comme dans l’ancien calendrier Yazdgard , il n’y a pas de mois d’une durée de 31 jours ; le calendrier moderne des zoroastriens d’Iran place les "cinq jours du seuil" à la fin du mois d’Esfand, conformément aux règles du calendrier de l’Hégire solaire, et le bissexte est placé tous les quatre ans après les "cinq jours du seuil". Dans ce calendrier zoroastrien, le bissexte est appelé "Ourdâd" (en persan :اورداد) ; ce nom n’existait pas dans les anciens textes zoroastriens.

2- Le calendrier "Madjous"

Le mot "Madjous" a la même racine que les mots "magus" en latin et "magos" en grec. C’est ainsi que les arabes nommaient les "mages" et les "guèbres" (c’est-à-dire les zoroastriens). Le calendrier Madjous appartient à cette même période de transition vers la chronologie musulmane de l’Hégire. Selon des historiens, la seule différence entre le calendrier Yazdgard et le calendrier Madjous portait sur leur année de début : le premier prenait le couronnement du dernier empereur sassanide comme son point de départ (l’an 632 correspondant à l’an 11 de l’Hégire), alors que le second prenait la date de l’assassinat de Yazdgard III (l’an 651) comme son point de départ. Abou Reyhân Birouni (973-1048), savant et philosophe iranien, confirme que les deux calendriers ne se distinguaient que par une différence d’une vingtaine d’années quant à leur début respectif. Le document le plus ancien qui porte une datation Madjous est une pièce de monnaie frappée en l’an 26 du calendrier Madjous (l’an 58 de l’Hégire) à Dârâbgard. Ce système chronologique fut utilisé près de deux cents ans après la chute de l’Empire sassanide, notamment au Tabarestân (région que l’on appelle actuellement Mâzandarân et qui est située dans le nord de l’Iran). Les dernières pièces de monnaie qui portent des datations Madjous ont été frappées en l’an 161 de ce même calendrier (l’an 197 de l’Hégire).

3- Le calendrier "Kharâdji"

Vers le milieu du IVe siècle de l’Hégire (Xe siècle de l’ère chrétienne), un nouveau système de chronologie fut inventé en Iran. Ce nouveau calendrier fut appelé "Kharâdji" (en persan :خراجی, mot qui signifie littéralement "tributaire"). Ce calendrier trouvait ses origines dans la rectification du système chronologique au IIIe siècle de l’Hégire (IXe siècle), à l’initiative du calife abbasside Mutawakkil. Prototype du calendrier fiscal, le calendrier Kharâdji était une sorte de chronologie solaire reprenant un modèle appartenant aux dernières décennies de l’époque sassanide : un calendrier fiscal dont l’an 1 correspondait à la 21ème année du règne de Khosrô II Abharvez (en persan : "Khosrô Parviz", خسرو پرویز) empereur de la Perse de 590 à 628. Les études chronologiques montrent que la date du début du calendrier Kharâdji est le 19 mars 611 (qui est proche de la date du début du calendrier musulman). Cette date correspondait à l’équinoxe de printemps. Selon certaines sources, l’invention du calendrier Kharâdji avait pour objectif de réconcilier le calendrier musulman (qui est un calendrier lunaire) et la chronologie solaire, afin d’établir un système plus régulier pour la collecte des tributs, car la collecte était pratiquée en fonction de la succession des saisons et des activités agricoles pendant l’année.

4- Le calendrier "Djalâli"

Pendant les quatre premiers siècles qui s’écoulèrent après l’invasion arabe, une sorte de chaos régnait en Perse en matière de chronologie et de l’utilisation quotidienne du calendrier. Pendant cette longue période, le calendrier musulman fut toujours le système de chronologie officiel, mais il y avait une incompatibilité entre ce système lunaire et le rythme de la vie sociale et économique des Perses qui avaient utilisé pendant de nombreux siècles des calendriers fondés sur l’année solaire. Au Ve siècle de l’Hégire (XIe siècle), les rois seldjoukides décidèrent de mettre fin à ce chaos en établissant un nouveau calendrier en Perse, à côté du calendrier religieux. Le roi Djalâleddin Malik Shâh (1072-1092) et son vizir Nizâm al-Molk donnèrent l’ordre d’élaborer et de mettre en usage un nouveau calendrier ; celui-ci fut d’abord baptisé "calendrier du sultan", puis devint célèbre sous le nom de "calendrier Djalâli" (le mot "Djalâli" étant tiré du nom du roi seldjoukide).

Image d’un observatoire islamique montrant un astrolabe en fonctionnement, collection Whipple

L’histoire de l’élaboration de ce calendrier s’entoure de nombreuses légendes. L’historien Abolfazl Beyhaghi (995-1077) écrit que le roi seldjoukide et son vizir nommèrent un groupe de savants et d’astronomes, dont Omar Khayyâm (v.1050-v.1123), et chargèrent ce groupe de construire un observatoire et de faire des recherches dans le domaine de l’astronomie. Cette même équipe scientifique devait élaborer le nouveau calendrier. Cependant, certains historiens rejettent l’idée de la collaboration du mathématicien et astronome Omar Khayyâm au projet du calendrier Djalâli. Quoi qu’il en soit, ce nouveau calendrier fut mis en vigueur dès le Ve siècle de l’Hégire (XIe siècle).

Le calendrier Djalâli fut officiellement mis en vigueur en 471 de l’Hégire. Cinq ans plus tard, en 476 de l’Hégire, l’historien Mohammad Ibn Ayoub Tabari en donna une description détaillée, et Abdolrahmân Khâzéni rédigea un rapport au sujet de ce calendrier 44 ans après son usage officiel. Le calendrier Djalâli est considéré, à juste titre, comme l’ancêtre du calendrier de l’Hégire solaire actuellement utilisé en Iran, en Afghanistan et dans plusieurs régions des pays avoisinants.

D’après Khâzéni, les noms des douze mois de l’année du calendrier Djalâli étaient les mêmes que ceux du calendrier Yazdgard , mais Nassir al-Din Toussi (1201-1274), grand astronome et mathématicien iranien, écrit que les mois du calendrier Djalâli avaient des appellations originales, tirées du persan moderne. Quoi qu’il en soit, les noms des douze mois du calendrier Djalâli étaient les suivants :

Ces nouveaux noms choisis pour les douze mois de l’année tombèrent assez vite en désuétude, et furent remplacés par les noms des mois de l’ancien calendrier zoroastrien -qui sont d’ailleurs utilisés jusqu’à aujourd’hui dans le calendrier officiel de l’Iran.

Le calendrier Djalâli était basé sur la chronologie du calendrier Yazdgard ; le calcul du moment exact de l’équinoxe de printemps fut toutefois rectifié. La différence la plus importante du calendrier Djalâli par rapport aux autres systèmes chronologiques de la période islamique résidait dans le calcul des bissextes. Les premiers bissextes eurent lieu en 471 de l’Hégire (date de la mise en vigueur du calendrier Djalâli) : les savants et les astronomes qui avaient élaboré le calendrier Djalâli décidèrent de supprimer les 18 premiers jours du premier mois (le mois de Farvardin) de l’année 448 du calendrier Yazdgard , et de rectifier ainsi le moment du passage au nouvel an. En effet, comme nous le relate Tabari, les savants chargés de l’élaboration du nouveau calendrier avaient compris qu’aucun bissexte n’avait été appliqué entre les années 375 et 447 du calendrier Yazdgard . Les 18 premiers jours de l’an 1 du calendrier Djalâli furent donc supprimés. Selon les calculs faits plus tard par Nassir al-Din Toussi, le 10 ramadan 471 de l’Hégire (21 mars 1079) fut le premier jour du premier mois de l’an 1 du calendrier Djalâli.

Nom du mois en persan

signification de ce nom

1

ماه نو

Mâh-e nô

Nouveau mois

2

نو بهار

Nô Bahâr

Nouveau printemps

3

گرمافزای

Garmâ fazâï

Augmentant la chaleur

4

روز افزون

Rouz afzûn

Augmentant le jour

5

جهانتاب

Djahântâb

Eclairant le monde

6

جهان آرای

Djahân ârâï

Embellissant le monde

7

مهرگان

Mehregân

Temps de l’amour

8

خزان

Khazân

Temps de Flétrissement (des feuilles)

9

سرمافزای

Sarmâ fazâï

Augmentant le froid

10

شب افروز

Shab afrûz

Eclairant la nuit

11

آتش افروز

Âtach afrûz

Allumant le feu

12

سال افزون

Sâl afzûn

Augmentant l’année

Contrairement aux autres calendriers solaires de l’époque (pour lesquels chacun des douze mois de l’année durait, par convention, trente jours), la durée de chaque mois du calendrier Djalâli était exactement égale à la période de passage du soleil dans une constellation du zodiaque ; par conséquent, pendant les six premiers mois de l’année (au printemps et en été), chaque mois durait 31 jours, tandis que le dernier mois du calendrier ne durait que 29 jours (ou 30 jours pour les années bissextiles).

Le calendrier Djalâli introduisit un changement important dans la chronologie solaire ancienne du fait de ses calculs exacts des éléments astronomiques, et rendit inutile la tradition des "cinq jours de seuil" des anciens calendriers.

Le calendrier Djalâli est devenu dans le monde entier, et à juste titre, le symbole de l’exactitude dans le calcul de la durée de l’année. Ce calendrier fut largement utilisé en Iran jusqu’au XVIIe siècle, malgré la prédominance du calendrier de l’Hégire. Les dates du calendrier Djalâli sont mentionnées en abondance dans les documents iraniens et islamiques des siècles précédents. L’almanach de l’an 609 du calendrier Djalâli (1687 de l’ère chrétienne), imprimé à Rome en 1696, est l’un des plus anciens documents existant actuellement en Europe où figure le calendrier Djalâli.

5- Le calendrier "Ilkhânide"

La tour Qhâbous (en persan : "Gonbad-e Qhâbous"گنبد قابوس)

Après l’invasion de l’Iran par les troupes de Gengis Khân en 617 de l’Hégire (1217) et la création de la dynastie Ilkhânide par ses successeurs, des modifications furent introduites dans les systèmes de chronologie en vigueur en Iran. Pendant une courte période du règne des Ilkhânides, un nouveau calendrier baptisé "calendrier Ilkhânide" (ou "calendrier de Ghâzan Khân") fut utilisé dans les régions envahies par les Mongols. L’an 1 de ce calendrier correspondait à l’an 602 de l’Hégire, date de la réunification des tribus mongoles par Gengis Khân. Sous le règne du septième khân mongol, c’est-à-dire Ghâzan Khân (1271-1304), les percepteurs se plaignirent des irrégularités créées dans le système de la collecte d’impôts. Ces irrégularités étaient liées à une mauvaise correspondance entre les différents systèmes chronologiques utilisés en même temps dans les différentes régions iraniennes. Ghâzan Khân chargea donc son grand vizir iranien Rashideddin Fazlallâh de la mise en place d’un nouveau calendrier. Le calendrier Ilkhânide était parfaitement conforme au calendrier Djalâli, tant pour la durée de l’année que pour l’organisation des années bissextiles. La seule différence entre ces deux calendriers portait sur le calcul du moment exact de l’équinoxe de printemps : selon le calendrier Ilkhânide, le Jour de l’An (Norouz) était le jour où le soleil, dans son mouvement apparent dans le ciel, passe dans le zodiaque du Bélier avant le coucher du soleil ; le calendrier Djalâli était plus précis à cet égard, car peu lui importait que le moment de l’équinoxe soit avant ou après le coucher du soleil. Par conséquent, il était possible qu’il y ait une différence d’un jour entre les deux calendriers, en raison de deux interprétations différentes de l’équinoxe : une interprétation conventionnelle pour le calendrier Ilkhânide, et une interprétation scientifique, basée sur l’exactitude des calculs, pour le calendrier Djalâli.

Les douze mois de l’année du calendrier Ilkhânide avaient des noms turco-mongols qui étaient les noms de douze animaux différents. Cependant un document datant de l’an 52 du calendrier Ilkhânide (752 de l’Hégire) découvert au Mausolée du Sheikh Safi al-Din à Ardabil (au nord-ouest de l’Iran) montre l’usage occasionnel des noms des mois du calendrier de l’Hégire dans le calendrier Ilkhânide. Par ailleurs, une épigraphe datant de l’an 180 du calendrier Ilkhânide (886 de l’Hégire) témoigne également de l’usage des noms des mois du calendrier Djalâli dans le calendrier Ilkhânide.

B) Période de la prédominance du calendrier de l’Hégire

A partir du IXe siècle de l’Hégire (fin du XVe siècle), l’usage du calendrier de l’Hégire se développa de plus en plus en Iran, au détriment des calendriers locaux ou officiels basés sur la chronologie solaire qui se succédaient d’une période à l’autre. A partir du IXe siècle de l’Hégire, et pendant cinq siècles, tous les documents officiels et la majorité des documents populaires furent datés sur la base du calendrier de l’Hégire.

Cependant, de nombreux éléments indiquent que pendant cette longue période de la prédominance du calendrier de l’Hégire - qui est un calendrier basé sur les mouvements de la lune dans le ciel - d’autres systèmes chronologiques (essentiellement solaires) étaient utilisés de temps en temps à diverses occasions en Iran.

A l’époque de l’Empire safavide, le calendrier de l’Hégire était le calendrier officiel de la Perse, cependant, dans certains documents, lettres ou récits de voyage, les dates étaient parfois indiquées avec les noms des mois du calendrier de douze animaux (calendrier Ilkhânide). Par ailleurs, dans de nombreux documents officiels de l’époque, en marge des dates de l’Hégire, les secrétaires de la cour safavide indiquaient souvent le nom du mois de différents calendriers iraniens, dans un souci apparent de correspondance entre les deux systèmes de chronologie lunaire et solaire. Par ailleurs, dans les ouvrages scientifiques de l’époque, notamment dans des œuvres qui comportaient des tables astronomiques, les systèmes de chronologie solaires étaient largement mentionnés ou utilisés. Autrement dit, pour les savants et les astronomes iraniens, le système de chronologie solaire primait toujours sur le calendrier lunaire, en raison de sa précision et son exactitude.

A titre d’exemple, nous pouvons citer ici l’œuvre du chroniqueur officiel de la cour safavide, Eskandar Beyk, qui rapporte les événements survenus au cours du règne de l’empereur Abbâs Ier (1587-1628). Dans cette chronique, l’historien de la cour utilise une sorte de chronologie solaire semblable au calendrier Djalâli, en se fondant sur la date du couronnement de l’empereur(1587).

Du IXe siècle au XIVe siècle de l’Hégire, aucun changement important ne se produisit dans les systèmes de chronologie officiels ou non officiels, en Iran. C’est au cours des dernières décennies de la dynastie qâdjâre que de nouveaux changements eurent lieu dans le calendrier iranien.

C) Apparition du calendrier de l’Hégire solaire

1- Officialisation d’un calendrier fiscal solaire

Le 21 Safar 1329 de l’Hégire (1er Farvardin 1290 de l’Hégire solaire correspondant au 21 mars 1911), l’Assemblée Nationale d’Iran approuva le projet de loi des comptabilités publiques. Dans le cadre de cette loi, le parlement iranien établit que le calendrier fiscal du pays soit basé sur un système de chronologie solaire, et que toutes les affaires fiscales, financières et budgétaires soient désormais programmées sur la base de ce calendrier. Au cours des débats des parlementaires sur la loi des comptabilités publiques, la question de la durée des mois et de leur nomination donna matière à discussion.

Il est à noter que près de 25 ans avant l’officialisation de ce calendrier fiscal, des calendriers non officiels basés sur une chronologie solaire, dont l’an 1 était la date de l’Hégire du prophète de l’islam (l’émigration du prophète Mohammed de La Mecque à Médine, en 622 de l’ère chrétienne) avaient été publiés en Iran.

Calendrier persan montrant des signes du Zodiaque

En 1340 de l’Hégire (1301 de l’Hégire solaire), Seyyed Djalâleddin Tehrâni inventa un nouveau calendrier solaire dont l’an 1 était la date du couronnement du dernier monarque qâdjâr, Ahmad Shâh. Ce calendrier ne fut utilisé que dans les ouvrages de Tehrâni lui-même, mais ce type de tentatives témoignait de la tendance à l’usage du système de chronologie solaire au lieu de la chronologie lunaire, dans la société iranienne.

2- Officialisation du calendrier de l’Hégire solaire

Une quinzaine d’année après l’approbation de la loi des comptabilités publiques, le parlement iranien approuva, en mars 1925, une loi sur le changement du calendrier officiel du pays. Aux termes de l’article 1 de cette loi, le calendrier de l’Hégire solaire est devenu le calendrier officiel de l’Iran. L’article 2 de la même loi a abolit l’usage du calendrier des douze animaux.

Le calendrier de l’Hégire solaire, qui est le premier calendrier solaire fondé sur la date de l’Hégire (émigration) du Prophète de l’Islam de la Mecque à Médine, est donc une invention assez récente, contrairement à l’idée reçue qui lui attribue une ancienneté millénaire. Le premier calendrier de l’Hégire solaire (qui n’était pas un calendrier officiel) fut établi en 1886 de l’ère chrétienne par Abdol Qafâr Khân Nadjmodolleh. Pour la première fois dans l’Histoire de l’Iran, ce calendrier privé portait la date de 1265 de l’Hégire solaire. Le calendrier de Nadjmodolleh avait pris l’émigration du Prophète pour sa date de début (date qui correspond à vendredi 19 mars 622 de l’ère chrétienne), et utilisait les termes arabes des noms des douze signes du zodiaque pour la dénomination des mois.

Il est à noter que la date du début du calendrier de l’Hégire solaire, (c’est-à-dire le vendredi 19 mars 622 de l’ère chrétienne), est une convention, car elle précède de 179 jours l’émigration du Prophète de la Mecque à Médine ; elle précède aussi de 119 jours la date du début du calendrier de l’Hégire lunaire. En effet, les élaborateurs du calendrier de l’Hégire solaire ont choisi, par convention, le Jour de l’An de l’année de l’émigration du Prophète de l’Islam. Par conséquent, dans les correspondances exactes des deux calendriers de l’Hégire (lunaire et solaire), il faut prendre en compte cette différence de 119 jours au départ.

Style calligraphique nast’aliq ; Rouznamâ, calendrier destiné à calculer les jours de bon augure au travers de l’observation des étoiles, Iran, 1800.

En ce qui concerne la détermination de la durée exacte de l’année et le calcul des bissextes, les élaborateurs du calendrier de l’Hégire solaire voulaient se baser sur le système de chronologie du calendrier Djalâli, ancêtre bien légitime du nouveau calendrier. Mais en réalité, ils ont très vite compris que le calendrier Djalâli est, dans le calcul des bissextes, trop précis et trop scientifique pour être pratique ! C’est la raison pour laquelle le Conseil de surveillance du calendrier officiel à l’Université de Téhéran a décidé, après délibération, que le calcul des bissextiles soit conforme au système utilisé dans le calendrier grégorien (calendrier chrétien). En effet dans le système de chronologie Djalâli, le "bissexte réel" doit être respecté assez irrégulièrement à l’intervalle de quatre ou cinq ans, car en réalité, l’année solaire n’a pas une durée fixe tous les ans. C’est pourquoi l’Université de Téhéran et le Ministère des Sciences ont décidé d’adopter le système grégorien du calcul des bissextes, en supprimant quatre bissextes pendant chaque période de 500 ans. Il est à noter qu’aujourd’hui, l’Institut de Géophysique de l’Université de Téhéran prend en compte les deux idées à la fois : pour déterminer la durée exacte de l’année, il faut respecter le moment exacte du passage réel du soleil dans le zodiaque du Bélier (ce qui correspond au système Djalâli) et pour le calcul des bissextes, il faut essayer de s’adapter de mieux en mieux, dans la mesure du possible, au système grégorien (pour la commodité).

3- Calendrier impérial

La dernière modification dans le calendrier officiel iranien a eu lieu le 24 esfande 1354 (15 mars 1976) lors de la session commune de l’Assemblée Nationale et du Sénat iraniens, qui approuva une loi modifiant la date du début du calendrier de l’Iran. Aux termes de cette loi, l’année 559 avant J.C. (date présumée du couronnement de Cyrus le Grand) fut substituée à la date de l’Hégire. L’an 1 du calendrier fut donc reporté de 1180 ans, et l’année 1355 de l’Hégire solaire est devenue tout d’un coup l’année 2535 impériale. Le calendrier "impérial" (en persan : "Shâhanshâhi" : شاهنشاهی) était tout à fait conforme, dans son système chronologique, au calendrier de l’Hégire solaire et son ancêtre, le calendrier Djalâli. L’an 1 de ce calendrier était une pure convention, car on "admettait" que le couronnement du Cyrus le Grand remontait à 2500 ans avant l’année 1355 de l’Hégire solaire. Les deux chiffres de gauche (35) indiquaient les années du règne du roi Mohammad-Rezâ Pahlavi à la même date. C’est ainsi qu’on arrivait au chiffre 2535.

Le changement du calendrier officiel du pays a été très vite contesté, au seuil de la Révolution islamique. En effet, quelques mois avant la victoire de la Révolution, le Premier ministre de l’époque, Dja’far Sharif-Emâmi, a annoncé le 5 Shahrivar 1357 de l’Hégire solaire (27 août 1978) l’abolition du calendrier impérial et le retour au calendrier de l’Hégire solaire.


* Professeur et membre du comité du calendrier de l’Institut de Géophysique de l’Université de Téhéran.


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