N° 54, mai 2010

Mon ami


Gibran Khalil Gibran
Traduit par

Annette Abkeh



Ô mon ami, je ne suis pas tel que je parais
L’apparence est la chemise que je porte - une chemise tissée
Par le temps qui me met à l’abri de tes questions et qui te met à l’abri de mon oubli.
Ce « moi » qui est en moi, ô mon ami, demeure dans la maison de l’oubli et y restera à jamais ;
Inconnu et incompréhensible.
Je ne veux pas que tu croies tout ce que je dis et que tu acceptes tout ce que je fais-
Car mes paroles ne sont que le reflet de tes pensées et mes actes ne sont que la réalisation de tes souhaits.
Lorsque tu dis : « Le vent souffle vers l’est »
Je dis : « Oui, il souffle vers l’est » ;
Car je ne veux pas que tu saches que ma pensée n’est pas enchaînée par le vent mais qu’elle est sous l’emprise de la mer.
Tu ne peux pas comprendre mes pensées maritimes et moi non plus, je ne veux pas que tu les comprennes.
Je veux être seul sur la mer.
Mon ami, lorsqu’il fait jour chez toi, il fait nuit chez moi ;
Pourtant je parle de la danse de la lumière du jour par-dessus les collines,
Et de l’ombre violette qui traverse secrètement la vallée :
Car tu n’entends pas mes chansons nocturnes et tu ne t’aperçois pas du frottement de mes ailes contre les étoiles.
Et on dirait que je ne voudrais pas que tu voies ou que tu entendes. Je veux être seul avec la nuit.
Lorsque tu pénètres dans ton ciel, je m’enfonce dans mon enfer.
Même à ce moment-là, tu m’interpelles de l’autre côté du gouffre désert :
« Mon compagnon, mon ami » et je te réponds :
« Mon ami, mon compagnon » -
Car je ne veux pas que tu me voies en enfer.
Ses étincelles te brûlent les yeux et sa fumée gêne ton odorat.
Et moi j’aime tellement mon enfer que je ne voudrais pas que tu veuilles y entrer.
Je veux être seul en enfer.
Tu aimes la sincérité, la beauté et la véracité et moi, je te le dis pour toi qu’aimer ces choses-là est bon et convenable.
Mais je ris dans mon cœur à ta gentillesse,
Malgré que je ne voudrais pas que tu voies mon sourire. Je veux rire tout seul.
Mon ami, tu es bon, vigilant et savant ;
Ou encore plus, tu es la perfection même – et moi aussi je parle par vigilance et sagesse.
Je suis fou, mais je le cache.
Je veux être fou tout seul.
Mon ami, tu n’es pas mon ami, mais comment te le ferai-je comprendre ?
Mon chemin n’est pas le tien.
Bien que nous marchions main dans la main.


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3 Messages

  • Mon ami 16 juillet 2013 01:58, par behety

    c’est tres beau
    pourriez vous m’envoyer ce N° 54 " l’ami " sur ma messagerie
    j’aimerai le garder et le lire souvent !
    merci

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  • Mon ami 3 juillet 2015 00:23, par Olivier Divry

    C’est sans doute beaucoup plus beau encore dans la langue de l’auteur..même s’il parlait sans doute très bien la langue de Molière, je ne crois pas que l’original soit en français...peut-être en anglais puisqu’il a résidé longtemps aux États-Unis ?...Quoiqu’il-en-soit, il me semble avoir entendu un soir sur la radio France Culture, des poèmes de Khalil Gibran en Arabe , mais c’était peut-être en libanais ou en Farsi...et j’avais trouvé cela très beau..comme du Goethe en allemand littéraire dis par une femme qui sait scander proprement un poème...C’est difficile de dégager le sens, de la forme et du fond dans la poésie...Peut-être parce qu’elle doit être avant tout un art vivant ou tout au moins vécu ?

    Cette prose poétique comme celle des Petits poèmes de C. Baudelaire véhicule t-elle une vérité plus prosaïque..plus facile d’accès mais pas sur le plan humain justement...Dire à un ami qui se réclame de l’être qu’il n’est pas son ami...c’est à la fois très courageux et voué à l’échec comme le stipule la fin du poème...
    J’ai essayer de le faire lire, j’ai essayé de le faire comprendre..de me faire comprendre..mais sans résultat...depuis je cherche un voilier...

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  • Mon ami 3 juillet 2015 05:21, par Abkeh

    Bonjour,
    Je suis très contente que la traduction du poème de Gibran vous ai plu. J’ ai trouvé par hasard ce poème en persan sur un site ; j’ ai voulu être, dans la mesure du possible, fidèle au texte persan. Je ne sais pas quelle est la langue originale du poème. Merci encore de votre attention.

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