N° 54, mai 2010

Les nomades iraniens, hier et aujourd’hui


Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri


Le mode de vie iranien nomade est particulièrement marqué par les caractéristiques géographiques et géologiques hétérogènes, et par la diversité de la faune du plateau iranien. Dès ses origines, la vie tribale et nomade de l’homme iranien a consisté à rechercher de verts pâturages pour ses animaux et des plantes sauvages pour sa propre subsistance. Ainsi, la transhumance a constitué une des dimensions majeures de la survie de ces tribus.

La fabrication du beurre chez les Bakhtiâris

La transhumance a toujours eu lieu au sein et en direction des régions semi-arides, là où l’on pouvait disposer de terres cultivables. L’Iran, qui dispose à foison de ce type de terrain, est pour cette même raison resté l’un des centres les plus importants de transhumance du monde. Les premiers textes historiques concernant les tribus nomades venues en Iran remontent au premier siècle av. J.-C. Ces derniers, alors éleveurs de chevaux, entrèrent progressivement dans le pays par les régions du nord. En revanche, les premières traces de la présence d’une tradition tribale en Iran remontent à plus de 8000 ans. Les objets trouvés au cours des diverses fouilles dans le sud-ouest iranien, ne laissent aujourd’hui planer aucun doute sur la justesse de cette datation. Avec la domestication des animaux et l’amélioration de leurs moyens de subsistance, les nomades parvinrent à fonder de grandes dynasties dès l’époque des Mèdes et ce, jusqu’à l’invasion arabe en Iran. A chaque période, il était devenu habituel que l’une des tribus nomades, généralement et logiquement la plus puissante, prennent l’ascendant sur les autres, en prenant du même coup en main le pouvoir politique dans le pays. Les nomades, toujours prêt à changer de lieu d’habitation, possédaient et continuent de posséder une forme de discipline semi-militaire les rendant aptes à organiser en un temps record de quelques heures, le déplacement complet de leur tribu d’une région vers une région voisine. Cette capacité d’adaptation et de réaction a donné lieu par atavisme, à l’apparition d’aptitudes guerrières au sein de l’ensemble des tribus. L’histoire de l’Iran atteste que les nomades furent toujours très influents dans le domaine de la politique intérieure du pays et que parfois même, ils ne manquèrent pas de favoriser activement et significativement la chute, ou inversement, la prise de pouvoir d’une quelconque dynastie. C’est pour cette même raison que certains monarques n’hésitaient pas à ordonner, en prévision d’une éventuelle ingérence nomade, leurs déplacements vers des régions plus éloignées du centre du pouvoir.

Nomades bakhtiâris en train de faire du pain

Après l’arrivée de l’islam, ce furent également et majoritairement les tribus nomades iraniennes qui gouvernèrent dans le pays, et notamment les Seldjoukides, les Timourides, les Safavides, les Afshârides, les Zends et les Qâdjârs. Les principales tribus nomades de l’Iran étaient des tribus kurdes, lors et laks, turkmènes, arabes, baloutches et brâhuîs. A cette diversité ethnique répondaient autant de langues qui devinrent ensuite des langues régionales, comme le turkmène, l’arabe, le kurde, le lor, le lak, le fârsi, le mâzandarâni et le baloutchi.

Sous les Qâdjârs, bien qu’une grande partie de l’Iran fût placée sous l’autorité des nomades, leur influence diminua progressivement au profit du gouvernement central. A cette époque, les Britanniques les instrumentalisaient fréquemment en éveillant chez eux des sentiments patriotiques et grégaires à l’encontre de l’Etat qâdjâr. La situation inverse ne manquait cependant pas de se produire. Bien souvent, en effet, les nomades adoptaient purement et simplement l’habit du soldat iranien en défendant les intérêts, la terre et la vie de l’ensemble de la population iranienne. Après la conquête de Herat par Nâssereddin Shâh et pour mettre la pression sur les autorités iraniennes, les Britanniques s’en prirent au port commercial de Boushehr. Cette situation particulièrement critique incita les nomades Qashqâ’is à venir en aide aux soldats et à la population du Tanguestân et à défendre corps et âmes les intérêts supérieurs du pays. Pendant la Révolution constitutionnelle, ce furent également des nomades qui rejoignirent et assistèrent efficacement les partisans de la réorganisation de la deuxième assemblée.

Berger nomade

Depuis le siècle dernier, la pénétration de la culture occidentale, le renforcement de l’économie de type capitaliste, et le besoin légitime de confort et de bien être social ont tout naturellement entraîné le déclin de la culture nomade. La population nomade, en comparaison avec le nombre toujours grandissant des sédentaires, représente désormais moins de 2% de la population totale du pays. Les nomades continuent de constituer malgré tout une troisième forme de groupement social, à côté des citadins et des campagnards, et possèdent toujours leur propre système économique autonome, et complémentaire de celui des villes.

Femmes nomades en train de tisser un guelim

De nos jours, les nomades se sont en effet petit à petit sédentarisés. Au lendemain de la Révolution constitutionnelle, deux millions des huit millions d’Iraniens étaient nomades, autrement dit, un quart de la population. Dans le recensement de 1956, la population nomade ne comptait plus que deux ou trois millions (le chiffre est variable) des vingt-et-un millions d’habitants de l’Iran. Au début du XXe siècle, la société nomade représentait 25% de la population totale de l’Iran. Ce pourcentage diminua jusqu’à 14% en 1976. Cette baisse significative, notamment sous les Pahlavis, est due entre autres à la politique répressive du roi, au développement (nous l’avons signalé) du capitalisme et à l’épanouissement du mode de vie urbain en Iran. En 1981, le pays comptait 92 tribus. En 2005, le nombre des habitants nomades avait atteint 6 600 000 personnes. Il est à noter que ces derniers ne se déplacent désormais qu’une fois l’an et qu’ils fournissent 25% de la production nationale de viande et des diverses peaux de bêtes du marché iranien.

Aujourd’hui, la société nomade de l’Iran, avec ses 101 tribus, constitue un des plus grands ensembles tribaux existant. La totalité de cette population est installée sur un terrain de 963 000 km² et possède 25 millions de têtes d’élevage, 450 000 hectares de terres cultivables et 20 000 hectares de jardin. Les nomades occupent à ce titre une place extrêmement importante dans la production agricole et laitière du pays. De plus, avec plus de 300 000 types d’artisanats, ils constituent à eux seuls une source de revenus annuels de 12000 milliards de tomans pour le pays. Malgré tout, cette part particulièrement productive de la société iranienne ne profite pas comme il se doit de l’aide gouvernementale et de ce fait, les populations nomades sont systématiquement confrontées aux problèmes d’ordre budgétaire qui exigeraient, de la part de l’Etat, une programmation sur le long terme.

Bibliographie :
- Sharbatiân Yaghoub, Sotoudeh Hedâyat-ollâh, Mardom shenâsi-e ilât va ashâyer, (Anthropologie des tribus nomades), Edition Nedâ-ye Ariâna, Téhéran, 2006.


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