N° 56, juillet 2010

La fille de mon conte


Soghrâ Aghâ-Ahmadi
Traduit par

Shahrzâd Mâkoui


Il pleuvait dehors et le vent se mêlait avec les effluves du jasmin de nuit. La femme respira la nuit parfumée, ferma la fenêtre et s’assit derrière sa table. Sa tête était lourde et lui tournait.

Elle n’arrivait pas à réfléchir. Elle ne savait pas ce qu’il fallait faire avec la fille de son conte. L’idée d’une fugue avait germé dans sa tête. La fille de son conte se rebellait. Elle voulait s’évader des mains de la femme qui était sans cesse réveillée et qui voulait lui causer des soucis. La femme manquait de sommeil. Il était 3 heures du matin lorsque la fille réussit enfin à s’échapper des mains de la femme, par la fenêtre entrouverte que le souffle fort du vent avait ouverte. La fille avait profité un instant de l’assoupissement de la femme et avait pris la fuite. La femme ouvrit un instant les yeux. Les mots et les phrases se repliaient sous sa tête. Les mots y étaient mais pas la fille. Elle avait disparu. La femme, anxieuse, leva la tête des feuilles déchirées. Elle cherchait ses mots, paniquée. Elle cherchait, affolée, entre les phrases.

Elle se mit à réfléchir :

« Elle a dû se cacher derrière l’un des personnages. Mais non… on l’a tuée peut-être. Je soupçonne le jeune homme à bicyclette. Il est fou amoureux. Tous les soirs, il fixe la fenêtre cachée derrière le poteau électrique. C’est certainement lui.

Mais elle avait une nouvelle idée derrière la tête. Ce soir, elle voulait la rendre amoureuse. Du jeune homme à bicyclette qui vendait des fleurs la nuit. L’amour lui aurait donné de la patience, l’aurait emprisonné et elle serait restée avec moi dans le conte.

De peur, la femme se leva. Elle se pencha à la fenêtre. Il pleuvait. Une averse. L’odeur des jasmins de nuit et de la pluie s’entremêlait. La femme huma la nuit pluvieuse et se sentit tout à coup triste. Elle se mit à penser : "La fille va certainement prendre froid cette nuit. Ses cheveux longs seront mouillés et ses vêtements aussi. Si jamais elle tombait malade, elle n’a personne à part moi. Elle doit revenir. Elle reviendra certainement."

La femme ouvrit la fenêtre et se mit derrière la table. Elle devrait attendre jusqu’au matin. La pluie frappait la fenêtre de plein fouet et l’homme la porte de son poing. La femme ferma la fenêtre et ouvrit la porte.

L’homme tombait de sommeil :

- Pourquoi tu ne dors pas ?

- J’attends.

- Tu attends qui ?

- Ma fille, ma fille aux cheveux longs.

- Tu es folle ! Tu sais bien que nous n’avons pas de fille.

Ebahi, il fixa la femme.

- Tu ne serais pas en train de perdre la raison ?

Il se libéra de ses bras et fit irruption dans la chambre. Le vent faisait tournoyer les rideaux. La chambre était remplie par l’odeur de jasmin de nuit et de pluie.

L’homme se pencha de la fenêtre et huma la nuit. La femme ne se sentait pas bien. Ce n’était pas ce qu’elle avait prévu, au beau milieu de son conte. Si la fille voyait l’homme, elle s’enfuirait de nouveau. La femme se mit devant la fenêtre et fixa la nuit noire. Elle vit soudain le poteau électrique et la fille qui battait des pieds et des mains dans l’air. La femme se pencha par la fenêtre. Ses longs cheveux noirs étaient emmêlés aux fils électriques. Elle criait. Personne n’était réveillé. Il était minuit. Le vent soufflait. Il pleuvait. Une averse. La femme cria de la fenêtre :

- Ne bouge pas, reste là où tu es.

Lorsque l’homme entendit la voix de la femme, il courut à la fenêtre. Tous les deux étaient penchés par la fenêtre et le rideau dansait au-dessus de leur tête. La femme supplia l’homme :

- Va-t-en ! Si elle te voit, elle va paniquer et elle va tomber de là-haut.

De loin, le vent faisait vibrer le son du gyrophare d’une ambulance dans la nuit. L’homme prit fermement le bras de la femme et dit avec colère :

- Tu veux te tuer. Tu veux sauter en bas. Je le sais bien. Je comprends. Tu t’enfermes dans cette chambre du matin au soir pour ça. Tu en as marre de moi et de cette vie.

La femme émit un rire dans la nuit. Le rire lui parut mordant. Il serra plus fort la main de la femme :

- Je ne vais pas te laisser faire, je t’aime toi et notre vie commune…

Et il la ramena vers lui. La femme, la main sur le cadre de la fenêtre, recula et fixa dehors. La fille de son conte pleurait maintenant. Le vent s’emparait de ses cheveux. La femme eut envie de pleurer. Trempée de larmes et de pluie, elle se détacha des bras de l’homme. L’homme se mit à sangloter :

- S’il te plaît… rien que pour moi. Si tu meurs je mourrai aussi. Je ne pourrais pas vivre sans toi. Je t’aime, je t’aime.

Il se laissa tomber le long du mur et fondit en larmes.

La femme ne savait qui choisir entre l’homme et la fille. Elle pensa que si elle avait des mains assez longues pour agripper les cheveux de la fille et les enrouler autour de ses poignets, la fille ne penserait plus à s’échapper. Mais elle écarta vite cette pensée car cela lui faisait mal.

La fille tremblait par cette nuit de tempête et de pluie. Elle avait certainement pris froid.

La femme retourna et supplia l’homme :

- Alors aide-moi s’il te plaît, cette fille…

L’homme fixa la femme et ses lèvres bougèrent sans qu’aucun son n’en sorte. Il resta silencieux. Il se leva, se pencha par la fenêtre et ne vit personne. Le fil du poteau électrique se balançait dans le vent. Il retourna et mit doucement la main sur le front de la femme.

- Tu as de la fièvre ma chérie, tu es malade. Tu as pris sûrement froid. Cette maudite fenêtre…

Et il ferma la fenêtre avec rage. Lorsqu’il franchit la porte, il dit :

- Un bon verre de lait chaud et un cachet te feront du bien…

Et il repartit d’un pas tranquille. La femme ouvrit la fenêtre et scruta la nuit. La pluie avait cessé et la fille n’était plus là. La femme pencha la tête d’un côté et de l’autre de la rue. Il n’y avait personne. La tristesse l’envahit et ses yeux se remplirent de larmes. Elle pensa que la fille était sûrement morte ou s’était fait électrocuté.

Elle se mit derrière la table, en sanglot et triste, et posa la tête sur les feuilles déchirées. Mais elle sentit son visage brûler et releva rapidement la tête. Elle éparpilla les feuilles déchirées sur la table. Dès qu’elle mit la main sur celles-ci, la fille cria de douleur. Les mots et les phrases apparurent. Elle avait retrouvé la fille. Avec les cheveux mouillés et ses vêtements. La femme voulut crier de joie. Elle la serra dans ses bras. La fille brûlait de fièvre. A ce moment-là, l’homme entra tout d’un coup dans la chambre avec un verre de lait chaud et un cachet, et repartit en somnolant. La femme but le lait chaud et avala le cachet. Les cheveux de la fille séchaient petit à petit et sa température descendait. La femme se pressa. Elle devait faire vite avant que la fille ne s’échappe encore. Il fallait la rendre amoureuse. Le jeune homme à bicyclette allait arriver d’un instant à l’autre. Elle ouvrit la fenêtre. Le parfum des jasmins de nuit emplit la chambre. La femme respira la nuit parfumée, prit un stylo et recommença à travailler.


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3 Messages

  • La fille de mon conte 22 août 2010 00:42, par chris Petit

    salam

    serait il possible d’avoir ce texte en Persan ?

    merci
    cordialement
    Ch Petit
    France

    repondre message

    • La fille de mon conte 22 août 2010 11:25

      Bonjour,
      sans problème. Mais il faut que je vous l’envoie par la poste ! Si vous voulez donnez-moi votre adresse postale.
      Je dois faire une photocopie.
      A plus tard.

      repondre message

      • La fille de mon conte 21 mars 2012 22:16, par wglKzwUvWpHTYAOuH

        Bonjour de tout le mondeJe suis amiricain, et je vis e0 Paris. Je vous dandmee donc d’excuser mon Frane7ais, surtout mon orthographe.Je viens de rentrer hier d’Iran, Teheran pour etre precis, apre9s un se9jour de 10 jours. Je voulais vous dire que j’e9tais tre9s agre9ablement surpis par ce pays que je ne trouve maintenant aucun autre mot pour le de9crire que magnifique. Certes les moulas et le re9gime sont apparents dans la rue et sur internet (via la censure), mais audela de cela c’e9tait la surprise totale. De9s le premier contact, ce0d de9s l’aeroport, chaque instant a e9te9 un boulve9rsement. Premie9rement, L’aeroport Khoumeini. De9ja, sur le trajet, mon imagination, influence9e par le matraquage me9diatique occidental, n’a pu produire pour cet endroi autre image que celle d’un sinistre immeuble peuple9 par des barbues et des Burga. A ma grande surprise l’aeroport, ou plutot cet aeroport (car Teheran en a deux, L’autre que je n’ai pas vu est effectivement sinistre selon ce qu’on m’a reconte9) est mode9rne, sophistique9, bien eclaire9, du quel emmanne une chaleurese ambiance d’hospitalite9. Les agents de la police et douane e9taient tres sympatiques et aucun d’eux, au moin ceux que j’ai pu voir, n’avait de barbe.Ma surprise fut encore plus grande quand j’ai rencontre9 et parle9 avec les Iranie9ns. Ma visite, etant de caracte9re professionel, m’a permis, et il est important de le dire, de rencontrer des gens de diffe9rentes couches sociales. Mais mes interlocuteurs principaux e9taient les jeunes gens avec lesquels j’ai travaille9. leur mentalite9, mode vestimentaire et ambitions personelles sont exactement les memes que celles des jeunes d’ici en France ou aux US. J’ai eu l’occasion d’etre invite9 e0 une soire9e prive9e (il n’y a pas de boite de nuit en Iran bien entendu), ou j’ai pu dialoguer longuement avec ces filles et gare7ons que la main de fer des mullas n’a rien pu faire face e0 leurs de9sirs et besoins. J’ai pu aussi de9guster des mets traditionel Iranie9n en buvon un tre9s bon vin de Shiraz, la grande ville du sud du pays.Je vous en dirais plus dans une autre occasion.Sur ce, je vous dis Cheers, and Godspeed.

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