N° 56, juillet 2010

L’histoire du théâtre moderne persan (1870-1980)
(3ème et dernière partie)


Touradj Rahnema
Traduit de l’allemand par

Shekufeh Owlia

Voir en ligne : L’histoire du theater moderne persan (1870-1980) (I)


Né à Rasht dans le nord de l’Iran, Akbar Râdi est un des dramaturges prolifiques du pays. Ce qui distingue ses pièces de théâtre de bien d’autres n’est pas son choix de thème, mais plutôt sa façon de gérer les dialogues. Sa pièce intitulée Marg dar Pâiz (La mort en automne), dont la première eut lieu en 1967, en est un excellent exemple.

Mashdi est un vieux paysan honorable vivant une vie paisible en compagnie de sa femme dans un petit village du nord de l’Iran. Comme il souffre de maux de pieds, il ne peut rendre visite à son fils qui habite la ville voisine qu’en s’achetant un cheval avec toutes ses économies. Mais par malheur, un marchant rusé lui vend un beau cheval, malade et qui meurt peu après. La mort du cheval entraîne presque sa propre mort mais en dépit de tout, il garde l’espoir de pouvoir un jour rendre visite à son fils.

Par une soirée hivernale, il décide d’entamer le voyage à pied, mais finit par s’écrouler à mi-chemin. Le lendemain, il est retrouvé mourant et tous les efforts de sauvetage resteront sans succès. Mashdi, qui a l’impression d’avoir été trompé par ses prochains, n’a plus qu’un vœu, celui de revoir son petit jardin une toute dernière fois avant de rendre l’âme. Accablé, le pauvre constate que le monde d’aujourd’hui ne lui est plus familier et que chacun ne pense qu’à soi. Il arrive à la conclusion que seule la nature, n’étant pas encore dépravée, est digne de confiance.

Il serait dommage de considérer La mort en automne comme n’étant qu’une histoire traitant de paysans alors, qu’en réalité, cette pièce aborde non seulement les problèmes des couches sociales moins aisées mais aussi les relations difficilement supportables qui dominent dans un pays où les dirigeants font l’éloge des réformes agraires. Vue sous cet angle, cette pièce naturaliste a certaines affinités avec l’œuvre de Gerhart Hauptmann.

Ali Nassiriân

La mort en automne est une pièce qui comporte très peu d’action et de personnages, et il semble que l’auteur emploie délibérément des éléments épiques afin de mieux décrire la ruine d’un petit homme délaissé, mais il reste à savoir à quel point ce style imprègne réellement la façon d’écrire de Râdi. Il reste aussi à savoir si le fait de représenter la mort sur scène donne son sens plein à l’expression dramatique. Au cours de sa carrière, Râdi composa plusieurs pièces dont Ofoul (Le déclin) (1964), Ersiye-ye irâni (L’héritage iranien) (1968) et Sayyâdân (Les chasseurs) (1969) furent les plus célèbres.

Ali Nassiriân et Bijan Môfid sont deux acteurs et metteurs en scène de renom qui vouèrent une attention toute particulière au folklore, légendes et contes de fées persans. De par son caractère mythique, Bolbol-e sargashteh (Le rossignol errant) [1], pièce basée sur un ancien conte de fées persan, attira non seulement l’attention des Iraniens, mais aussi celle des critiques occidentaux. En avril 1960, dans le cadre du festival de théâtre international, Nassariân en donna plusieurs représentations.

Plus célèbre comme acteur doué d’une grande ouverture d’esprit que dramaturge, on lui reproche bien souvent un certain manque de littérarité dans ses pièces. La pièce la plus célébrée de Nassiriân demeure jusqu’à aujourd’hui sa pièce intitulée La tanière du chacal dont la première eut lieu à Téhéran sous sa propre direction en 1969.

La réputation du dramaturge téhéranais Bijan Mofid est redevable à Sharhr-e Ghesseh (La ville des contes), mélodrame comportant plusieurs scènes non homogènes, qui sont uniquement liées par les paroles et la musique. La pièce s’ouvre sur le récit d’une narratrice qui explique au public ce qu’est la légendaire Shahr-e Ghesseh, ville située dans le royaume des fables où seuls des animaux vivent. Curieusement, renards, lions, éléphants, ânes et souris vivent aux côtés de chameaux, singes et perroquets. Selon le dramaturge, chaque animal représenterait un type particulier d’homme ce qui n’est, de loin, rien de nouveau dans le monde littéraire. Il traite toutefois des problèmes de la nature humaine avec une telle pointe d’ironie que « la pièce toute entière ressemble davantage à un sketch de cabaret qu’à une pièce de théâtre proprement dite. » [2]

Parmi les animaux multicolores du zoo que nous présente Mofid, on retrouve deux animaux dotés d’une importance toute particulière, notamment l’éléphant et le perroquet. Etant très naïf, l’éléphant personnifie les hommes constamment terrorisés par une masse ; l’artiste contemporain, quant à lui, est incarné par le perroquet. Pour commencer, l’éléphant se voit obligé de prendre un nom d’emprunt contre son gré puis, seul, après avoir renoncé à tout ce qui faisait partie de son identité, y compris sa dent d’ivoire, il comprend soudain qu’il n’est plus celui qu’il avait été auparavant. Cette scène touchante dépeignant la dépersonnalisation de l’éléphant présente bien des affinités avec une pièce par Brecht intitulée Mann ist Mann (Homme pour homme). […] Dans La ville de contes, le renard symbolise le séducteur rusé qui représenterait, selon l’écrivain, les dignitaires religieux de l’époque. La première de ce mélodrame eut lieu à Shirâz en 1968 et fut ensuite montée sur scène à Téhéran pour un peu moins d’un an.

Akbar Râdi

Les dramaturges du théâtre contemporain du pays sont loin de se limiter à ceux que nous avons mentionnés dans le cours de cet article ; ainsi, parmi les autres dramaturges de grand talent, nous pouvons également mentionner Bahman Forssi, Abbâs Na’lbandiân, Esmâil Khaladj, Manoutchehr Râdin et Mohsen Jalfâni. Nous ne pourrons pas cependant traiter de tous ces intellectuels dans le cadre du présent article.

Pour conclure, je me contente de présenter brièvement Une affaire en Occident, pièce composée en 1925 par Mohammad-Ali Eslâmi mais qui ne fut jouée qu’en 1963 et dont la traduction allemande est également accessible.

Cette pièce à thèse, axée davantage sur la force d’expression que sur l’intrigue, se centre sur un scandale de nature sociopolitique mettant en scène Christine Keeler ("la femme"), Profumo ("le ministre"), l’attaché soviétique ("le diplomate") et le jamaïcain ("l’artiste") ; le tout se centre sur ce scandale qui, au début des années soixante, secoua violemment l’Angleterre ainsi que plusieurs autres pays du monde.

Cette œuvre d’Eslâmi ressemble vaguement à une pièce de Friedrich Dürrenmatt intitulée Die Ehe des Herrn Mississippi (Le Mariage de Monsieur Mississippi). Ce qui la rend bien particulière est non seulement le choix de thème, mais aussi la description des personnages principaux. Ils sont d’une importance primordiale sur le plan psychologique en tant qu’hommes en chair et en os, alors qu’ils incarnent différents idéaux-types au niveau symbolique. La figure centrale de la pièce est de loin "la femme" qui est sensée représenter la planète Terre.

L’un des personnages de la pièce, le ministre, aimerait posséder et le pouvoir et l’amour sans reconnaître toutefois qu’il n’en possède réellement aucun. Les personnages masculins symbolisent les trois blocs du monde de l’époque de la guerre froide : le bloc de l’Ouest, de l’Est et les pays en voie de développement. Bien que le diplomate sacrifie la présence du futur, c’est-à-dire son amour pour la foi socialiste, il ne finit pas non plus par trouver le bonheur. L’artiste représente à lui seul les peuples sous-développés et soi-disant non civilisés. Il est un sans-le-sou sans soucis et c’est cela qui constitue justement son point fort, car c’est le seul à être un homme vivant. [3]

Notes

[1Pièce rédigée en 1956

[2Thiele, Manfred, Bijan Mofid, Paru dans le magazine “Kâveh”, cahier 29, Munich, 1970, p. 193.

[3Gelpke, Rudolf, dans sa préface à Une affaire en occident, Tübingen et Basel, 1964, p. 11.


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