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La Fondation d’architecture Mirmiran organise depuis deux ans un concours de « design conceptuel » pour encourager les jeunes architectes iraniens à réfléchir sur les modalités de la prise en compte des éléments de l’architecture iranienne traditionnelle dans l’architecture moderne. Le thème du concours de cette année était « l’eau et l’architecture ».
La Fondation Mirmiran a été créée il y a quatre ans en hommage à Hadi Mirmiran (1945-2006), qui fut l’un des architectes iraniens talentueux de ces dernières décennies. Plusieurs projets de rénovation de quartiers anciens (à Shiraz, à Ispahan, à Téhéran), d’un jardin persan (à Farah-âbâd d’Ispahan) et des projets de construction de villes nouvelles dans les zones industrielles (à Zarand de Kerman, à Ispahan) sont de lui. L’élargissement de la cour du mausolée de l’Imam Rezâ à Mashhad, le bâtiment du consulat d’Iran à Francfort et celui de l’ambassade d’Iran à Bangkok ont également été conçus par Hadi Mirmiran, de même que la station de métro « Haghâni » de Téhéran, et le projet du Musée national de l’eau qui est en cours de construction dans le parc Pardissân de Téhéran.
La Fondation d’architecture Mirmiran organise depuis deux ans un concours de « design conceptuel » pour encourager les jeunes architectes iraniens à réfléchir sur les modalités de la prise en compte des éléments de l’architecture iranienne traditionnelle dans l’architecture moderne. Le thème du concours de l’année précédente était « la lumière et l’architecture », celui de cette année « l’eau et l’architecture ». Lors de la cérémonie de la remise des prix de cette année, qui eut lieu le 20 avril 2010 à la Maison des Artistes à Téhéran, Iraj Etessam, directeur de la Fondation Mirmiran, a dit : « Nous avons envie de profiter de tous les progrès qui ont eu lieu dans les sociétés modernes, mais nous devons également faire attention au fait que nous avons un passé architectural brillant, et nous devons utiliser cette richesse culturelle dans notre architecture moderne… Pour ce faire, mieux nous connaîtrons l’architecture traditionnelle iranienne, mieux nous arriverons à créer des projets modernes qui conviendront à notre manière de vivre ». Au cours de cette cérémonie, des projections de photos ont rappelé au public l’héritage architectural de l’Iran en rapport avec l’eau, par exemple le pont Si-o-seh pol à Ispahan, les kâriz, le système hydraulique de Shushtar [1].
Lors de cette cérémonie, Faryar Javaherian [2] a évoqué, dans un brillant exposé d’une vingtaine de minutes, l’importance de l’eau dans les projets de Hadi Mirmiran lui-même, et la grande valeur accordée à l’eau dans la culture et l’architecture iranienne depuis des millénaires. Elle a précisé que l’eau était l’un des éléments les plus sacrés pour les Iraniens à la période préislamique et a cité quelques exemples à ce propos : les rois achéménides étaient intronisés dans un lieu de culte d’Anahita, déesse de l’eau ; un bas-relief à Naghsh-e Rostam montre le roi en train de recevoir l’anneau de la royauté de la main de la déesse Anahita.
Faryar Javaherian parla de l’importance de plus en plus grandissante de l’eau - en particulier l’eau potable - pour les habitants de notre planète, et rappela que depuis une quarantaine d’années, la question de constructions respectant l’environnement et prenant en compte le développement durable était devenue cruciale pour les architectes ; cependant, les Iraniens utilisaient il y a plusieurs millénaires des systèmes écologiques d’irrigation, de canalisation et de collecte d’eau : « Les Elamites avaient construit des canaux pour guider l’eau du fleuve Dez jusqu’à leurs lieux d’habitation. L’eau du fleuve était stockée dans des réservoirs placés tout au long des canaux, ce qui permettait la sédimentation des impuretés - méthode très proche de celle que nous utilisons de nos jours pour traiter l’eau et la rendre potable... Dès avant l’époque achéménide, les Iraniens collectaient l’eau de pluie dans des récipients en terre cuite ; cette méthode est actuellement préconisée par les écologistes et utilisée dans différents pays tels que l’Inde, le Bangladesh, le Japon et en Amérique du sud. De plus, un système ingénieux de mesure du temps d’irrigation pour les champs agricoles – grâce à un brin d’herbe que l’on jette dans l’eau du canal à un endroit précis - était utilisé par les Iraniens depuis l’époque achéménide et l’est encore actuellement. A l’époque préislamique, il semble que les Iraniens utilisaient également une méthode d’irrigation par diffusion progressive de l’eau stockée dans un grand vase que l’on plaçait dans la terre à côté d’un arbre ; on peut considérer cette méthode comme l’ancêtre du système d’irrigation goutte à goutte que l’on utilise de nos jours ».
Faryar Javaherian a ensuite parlé du kâriz (ou ghanât). Le kâriz est composé de plusieurs dizaines de puits alignés (dont la profondeur diminue progressivement) qui amènent l’eau souterraine jusqu’à la surface de la terre. Selon elle, « le kâriz montre le génie des Iraniens d’il y a trois mille ans. L’Iran est un pays désertique à soixante-dix pour cent, et faire émerger l’eau dans le désert comme ils l’ont fait relève du miracle ». Faryar Javaherian a également expliqué que pour construire un kâriz, il fallait détecter l’emplacement d’une nappe phréatique, et avoir des connaissances en mathématiques afin de calculer avec précision le nombre de puits nécessaires pour faire émerger l’eau sous-terraine à un endroit précis avec une pression donnée. L’emplacement de cette chaîne de puits était étudié de façon précise, puisqu’on ne construit un kâriz que dans les terrains ayant une pente naturelle. De plus, construire des puits (parfois très profonds) est une tâche difficile et dangereuse ; il fallait donc toute une infrastructure pour mettre ce projet à exécution. Les Iraniens utilisaient les kâriz pour irriguer les champs agricoles et créer des jardins.
« A la période islamique, l’eau est entrée à l’intérieur des bâtiments, et a défini le centre de la construction », a précisé Faryar Javaherian, qui a qualifié le âb-anbâr et le yakh-tchâl (qui sont deux types de constructions utilisées en Iran pour le stockage de l’eau à la période islamique) d’exemples typiques de système d’énergie durable. [3] Le stockage de l’eau dans le âb-anbâr permettait également de désinfecter l’eau. « Ce qui est frappant dans l’architecture iranienne est que plus on pénètre dans les régions désertiques, plus le désir d’avoir de l’eau devient fort et se manifeste dans l’architecture, par exemple par des céramiques bleues. Certaines céramiques comportent même des dessins qui évoquent des poissons. Les colonnes bleues spiralées se terminant par une ‘coupe de vie divine’ - que l’on trouve dans les coins des pièces, dans certaines régions d’Iran – sont l’une des plus belles paraboles de l’eau », a ajouté Faryar Javaherian, qui a ensuite évoqué le jardin iranien.
Le jardin iranien traditionnel était souvent divisé en quatre parties, d’où le nom tchahâr bâgh, qui signifie « quatre jardins ». L’eau qui irriguait le jardin provenait du kâriz. Ces jardins procuraient de l’ombre et de la fraîcheur aux habitants des régions semi-désertiques d’Iran, leur donnaient l’occasion de regarder les fleurs et les arbres qui avaient poussé de façon miraculeuse et de méditer en voyant l’eau s’écouler dans les canaux. Selon Faryar Javaherian, qui a organisé en 2006 une exposition intitulée « Le jardin iranien » au Musée des arts contemporains de Téhéran, le jardin iranien est la construction la plus géniale que les Iraniens aient inventée de tout les temps : « Le jardin iranien est ce que l’eau du kâriz offre généreusement sur son passage avant d’arriver aux champs agricoles. Cette eau n’est pas gaspillée. Elle ne permet parfois que la survie d’un arbre, mais quelquefois, comme le dit M. Etessam, l’effet d’un seul arbre sur l’esprit humain est beaucoup plus profond que celui d’une forêt ». Elle a ajouté que selon une thèse, le jardin construit par Le Nôtre à Versailles serait une imitation du jardin de Farah-âbâd d’Ispahan.
« Nous avions toutes ces connaissances, nous étions à la pointe du progrès en matière de constructions nous permettant de bien utiliser l’eau et nous avons exporté le principe du kâriz et du jardin iranien dans les autres régions du monde, mais nous avons hélas perdu les connaissances que nous avions dans ces domaines », a conclu Faryar Javaherian.
Les jeunes architectes lauréats du concours de la Fondation Mirmiran de cette année ont été pour la plupart inspirés de ces mêmes éléments architecturaux qui font partie de l’héritage culturel iranien. Les trois premiers prix ont été attribués chacun à deux projets. Les lauréats du premier prix avaient imaginé des structures en rapport avec le kâriz et la vitalité de cette construction sous la terre. L’utilisation d’une fontaine dans un jardin public comme symbole de la ville de Téhéran (au lieu de la Tour Milad), et la mise en valeur du caractère réflexif de l’eau et sa capacité à éveiller l’imagination ont reçu les deuxièmes prix. Les lauréats du troisième prix avaient mis en valeur la capacité de l’eau à éveiller l’imagination et le côté méconnu, mystérieux, de la goutte d’eau.
[1] Le système hydraulique de Shushtar date du IIIe siècle, mais ses bases remonteraient au Ve siècle av. J.C. Il est inscrit à l’UNESCO en tant que chef d’œuvre du génie créateur humain. Il comprend deux grands canaux de dérivation des eaux du fleuve Karoun et un ensemble de barrages, de ponts, de bassins et de moulins.
[2] Faryar Javaherian est architecte. Elle a également conçu le décor d’une dizaine de films de cinéma.
[3] Le âb-anbâr est un réservoir d’eau construit sous le niveau de la terre. Les gens descendaient plusieurs centaines de marches pour arriver à un robinet d’où l’eau de ce grand réservoir s’écoulait. L’eau du âb-anbâr avait un meilleur goût et on l’utilisait surtout pour boire. Le yakh-tchâl était un grand trou sphérique sur lequel on avait construit un toit en forme de cône. On y gardait les glaces (glaces formées pendant l’hiver dans un petit lac construit à côté du yakh-tchâl) pour s’en servir l’été. Les glaces ne fondaient pas apparemment dans cette construction.