|
Pendant plus de trois décennies de domination en Irak, le parti Baas réprima avec beaucoup de violence les différents groupes ethniques et confessionnels du pays. La majorité chiite irakienne fut la principale victime des méthodes staliniennes du parti Baas qui voulait « purifier » la société irakienne et construire une « nouvelle culture » sur les ruines des croyances confessionnelles des chiites irakiens.
Les Iraniens avaient donné depuis longtemps de nombreux biens sous forme de waqfs en Irak, notamment dans les villes saintes chiites de ce pays. Malheureusement, pendant la domination du parti Baas en Irak, et notamment après le déclenchement de la guerre contre la République islamique d’Iran, une grande partie des waqfs des Iraniens en Irak furent détruits par les nationalistes arabes baasistes. A Nadjaf, ces derniers ont détruit, par exemple, toutes les décorations en miroirs du mausolée de l’Imam Ali construit par des artistes iraniens. Les décorations en mosaïque du mausolée qui avait été construit à l’époque de la dynastie iranienne safavide furent également détruites, ainsi que toutes les autres décorations en or et en argent des portes ainsi que les tapis de ce mausolée, également décoré de motifs calligraphiques en persan. Les pierres tombales des Iraniens qui avaient été inhumés autour du mausolée furent brisées et tous les objets offerts par des Iraniens aux mausolées au fil du temps disparurent au fur et à mesure. Ces biens et œuvres donnés sous forme de waqf par les Iraniens furent progressivement remplacés par des constructions ou des décorations plus au goût des Baasistes. Cette destruction systématique n’a pas épargné les autres villes saintes chiites de l’Irak : à Kerbala, Kadhimayn et Samarra, les Baasistes détruisirent tout ce qui était censé dénoncer une présence iranienne. Dans la ville sainte de Kerbala, les Baasistes ne se contentèrent pas seulement de défaire des décorations calligraphiques en persan, mais démolirent aussi plusieurs éléments architecturaux du saint mausolée de l’Imam Hossein et des martyrs de l’Ashoura. Ce nationalisme excessif voulait remettre en cause ou "irakiser" l’ensemble de la présence iranienne passée en Irak : ainsi, en 1975, le baasiste Naji Marouf écrivit un livre prétendant que les grands savants religieux iraniens qui vivaient depuis des siècles en Irak auprès des mausolées des imams chiites étaient tous d’origine arabe. En outre, à Madâen (près de Bagdad), devant les vestiges du palais ancien des empereurs sassanides, les Baasistes avaient installé un panneau pour informer les touristes : « Les ingénieurs irakiens construisirent ce palais pour les empereurs perses »…
Dans le présent article, nous allons présenter les principaux biens donnés par les Iraniens sous forme de waqf dans la ville sainte de Nadjaf ; notamment des mosquées, des écoles, des bibliothèques et des caravansérails.
Pendant de longues années, le Sheikh Mohammad ibn al-Hassan Toussi fut la plus importante autorité religieuse chiite à Bagdad. Après le conflit entre chiites et sunnites ainsi qu’une attaque contre sa maison, sa bibliothèque et son école, Toussi dut quitter Bagdad et chercher refuge à Nadjaf. Il passa le reste de sa vie à enseigner et à écrire auprès du saint mausolée de l’Imam Ali. Dans son testament, le Sheikh Toussi avait demandé que sa maison soit transformée en mosquée. La mosquée Sheikh Toussi est la plus ancienne mosquée de Nadjaf, et elle fut un lieu de prédilection des étudiants des écoles théologiques. La mosquée Sheikh Toussi se situe dans le quartier Mashraq, à une centaine de mètres de l’une des portes du mausolée de l’Imam Ali, qui a pris le nom du Sheikh : « Porte Toussi » (Bâb al-Toussi). Pendant le règne des Baasistes, une partie de la mosquée fut détruite pour la construction d’une rue à l’est de la mosquée. La mosquée Sheikh Toussi est composée de deux parties principales : 1) une salle de prière couverte de 35×25 m. Le mihrab de la mosquée se trouve au milieu du mur du sud, tandis que le tombeau du Sheikh Toussi est situé dans l’angle opposé, au milieu du mur du nord de la salle de prière. 2) L’enceinte de la mosquée où se trouve le tombeau de l’ayatollah Seyyed Mohammad Mahdi Bahr al-Oloum et plusieurs membres de sa famille. La mosquée fut fréquentée par de grandes personnalités religieuses chiites dont le défunt Akhound Khorâssâni. L’ayatollah Seyyed Mohammad Bâgher Sadr enseigna également dans cette mosquée.
Cette mosquée fut bâtie au milieu du XIe siècle de l’Hégire par un dénommé Omrân ibn Shâhin, au nord du mausolée de l’Imam Ali. Plus tard, à l’époque des empereurs safavides Abbas Ier et Shâh Sâfi, plusieurs parties de la mosquée furent annexées à l’enceinte du mausolée de l’Imam. Aujourd’hui, la mosquée Omrân fait partie de l’enceinte du mausolée, juste devant la « porte Toussi ». La mosquée comprend une grande salle de prière couverte. Au milieu de cette salle, quatre colonnes imposantes de 2 mètres de diamètre supportent l’ensemble. La mosquée est depuis des siècles utilisée pour la prière et les cours. Le défunt ayatollah Hakim enseigna longtemps dans cette mosquée.
La mosquée Al-Khazra est l’une des plus anciennes mosquées de la ville. Elle est située au nord-est de l’enceinte du mausolée de l’Imam Ali. La mosquée a été réparée et restaurée en 1990 à l’initiative de Sheikh Ahmad Ansâri. Ces opérations ont été financées par des Iraniens, sous la supervision du célèbre architecte contemporain, M. Lorzâdeh. La mosquée actuelle comprend une salle de prière couverte. L’enceinte de la mosquée communique avec la rue. Le mihrab de la salle de prière est décoré par un très bel ornement en mosaïque. Le défunt ayatollah Khoï dirigea la prière collective de la mosquée jusqu’en 1981, le matin et le soir.
Cette mosquée est située à l’ouest du mausolée de l’Imam Ali, au milieu d’un corridor qui relie les deux parties nord et sud de l’enceinte du mausolée. La construction de la mosquée remonte à l’époque des Ilkhanides. Plus tard, la mosquée fut réparée et restaurée à deux reprises : d’abord sous l’empereur safavide Abbas Ier, et puis à l’époque de Nâder Shâh. La mosquée comporte uniquement une salle de prière couverte. Le mihrab de la mosquée est bordé par deux grands morceaux de mosaïque bleue de 139×59 décorés d’ornements calligraphiques représentants plusieurs versets coraniques. Selon des experts, ce type d’ornement en mosaïque n’a été utilisé que pour une mosquée à Qom, autrefois, et il est aujourd’hui conservé dans la section consacrée à l’art islamique du musée de Berlin. Les ornements conservés au musée de Berlin, réalisés en 1264, sont l’œuvre d’un artiste iranien, Ali ibn Mohammad ibn Abi Tâher, originaire de Kâshân. Les experts estiment que les mosaïques de la mosquée Al-Ra’s seraient l’œuvre du même artiste.
La mosquée Al-Ra’s a été pendant longtemps fréquentée par les sunnites. Après l’effondrement de l’empire ottoman, le défunt ayatollah Naïni fut la première personnalité religieuse à y diriger la prière collective des chiites. Le défunt ayatollah Seyed Jamâl Golpayegâni et l’ayatollah Shâhroudi comptèrent eux aussi parmi les imams de cette mosquée.
La mosquée Sheikh Ansâri se situe au sud du mausolée de l’Imam Ali, près du bazar Souk Al-Howaïsh. La mosquée fut construite sous l’impulsion de l’ayatollah Sheikh Mortezâ Ansâri (mort en 1864). Selon les récits, un homme pieux iranien avait offert au Sheikh Ansâri une somme d’argent pour que le Sheikh s’achète une maison. Mais ce dernier préféra consacrer cette somme à la construction de cette mosquée. Depuis sa fondation, la mosquée Sheikh Ansâri est régulièrement fréquentée par des étudiants des écoles théologiques. Le défunt ayatollah Seyyed Mohammad Kâzem Yazdi (auteur de Al-Arwa al-Wosqa (L’Anse solide, d’après une expression coranique)) enseigna longtemps dans cette mosquée. Pendant son exil dans la ville sainte de Nadjaf, l’ayatollah Khomeiny dirigea la prière du midi dans la mosquée Sheikh Ansâri, après ses cours du matin consacrés à la jurisprudence chiite. Pendant plusieurs années, l’ayatollah Khomeiny monta en chair dans cette mosquée. La mosquée Sheikh Ansâri est composée d’une salle de prière de 40×25 m, et d’une enceinte. Pendant plus d’un siècle, les Turcs de la ville sainte de Nadjaf se réunirent dans l’enceinte de cette mosquée pour organiser leurs cérémonies de deuil, d’où le surnom de « Mosquée des Turcs ».
Depuis 1056, Nadjaf est le plus grand centre d’enseignement théologique chiite et une grande université islamique. Pendant plusieurs siècles, des milliers de jeunes étudiants se sont rendus à Nadjaf pour étudier les sciences religieuses dans l’une des nombreuses écoles théologiques de la ville. Les oulémas et les maîtres des écoles théologiques encourageaient donc les donateurs pieux à financer la construction et l’entretien des logements d’étudiants. Ces maîtres contribuaient eux même pour leur part à cette œuvre caritative en y consacrant une partie des revenus et des aumônes, tant pour construire des logements, que pour fonder de nouvelles écoles. Le plus grand nombre de ces écoles qui ont vu le jour grâce à des waqfs a été construit dans les deux villes saintes de Nadjaf et de Karbala. Dans le cadre de ses politiques antireligieuses et anti-chiites, le régime Baasiste a détruit un grand nombre de ces écoles. Et sous le prétexte de l’application des projets du développement urbain et d’aménagement des quartiers, les anciens quartiers de Nadjaf furent également détruits. Le changement du tissu urbain de Nadjaf a également entraîné la destruction de dizaines d’écoles et d’œuvres données en waqf. Après le soulèvement chiite de 1991, les Baasistes ont dynamité de nombreuses écoles théologiques chiites à Nadjaf. Voici la liste des principales anciennes écoles théologiques de Nadjaf fondées grâces aux donations d’Iraniens sous forme de waqf.
Le bâtiment de cette école fut construit par le Sheikh Jamâleddin Meghdâd ibn Abdollah Seyouri Assadi (mort en 1424), grand savant chiite et auteur de Kanz al-Irfân (Trésor de la gnose). Cette école fut longtemps connue sous le nom de « Seyouri ». Plus tard, le bâtiment fut abandonné jusqu’à ce qu’un pieux donateur iranien répondant au nom de Salim Shirâzi le fasse restaurer en 1834. Le bâtiment fut réparé de nouveau en 1921, mais au cours de ces réparations, une partie du terrain fut consacré à la construction de plusieurs magasins et commerces. L’école actuelle est un bâtiment exigu et modeste qui compte quelques petites pièces. L’école Salimieh est située près de la rue Zayn al-Abedin devant l’entrée du bazar des apothicaires.
Selon des documents historiques, la construction de cette école, sur ordre de l’empereur safavide Abbas Ier, remonte au début du XVIe siècle. L’école Gharavieh est située au nord-est du mausolée de l’Imam Ali. Cette école demeura un centre d’enseignement théologique important jusqu’à la fin du XIXe siècle. Plus tard, elle fut abandonnée et son bâtiment fut utilisé comme dépôt pour stocker les équipements appartenant au mausolée de l’Imam Ali. Le bâtiment fut restauré en 1931 et utilisé pour héberger les pèlerins. Le bâtiment de l’école est actuellement en ruine.
L’école Sadr A’zam (« chancelier », en persan) fut construite à l’époque du roi qâdjâr Fath-Ali Shâh, par son chancelier Mohammad Hassan Khân Allâf Esfahâni. Ce ministre iranien donna beaucoup de biens sous forme de waqf à Nadjaf. L’école Sadr A’zam se situe sur la grande place Imam Ali. Le bâtiment de l’école s’érige sur un terrain de 2000 m². Les chambres des étudiants se trouvent autour d’une cour. La bibliothèque et le tombeau du chancelier iranien et les membres de sa famille se situent au sud de l’école. A l’ouest se trouve une salle de 250 m² utilisée souvent pour les cours. Selon certains récits, Seyed Ali Mohammad Bâb, chef de la secte bahaïe vécut pendant un temps dans une des chambres d’étudiants de cette école. En 1978, une manifestation eut lieu à Nadjaf en soutien à la Révolution islamique en Iran. Suite à la dispersion des manifestants par la police, certains d’entre eux se rassemblèrent à l’intérieur de l’école et l’attaque de la police infligea d’importants dégâts au bâtiment et aux équipements de l’école Sadr A’zam.
C’est l’une des écoles les plus célèbres de la ville sainte de Nadjaf. L’école Ghavâm fut construite par un donateur iranien répondant au nom de Mirza Fath-Ali Khan Shirâzi, ou Ghavâm ol-Molk, en 1882. L’école est située près de la mosquée Sheikh Toussi. Elle était particulièrement fréquentée par les étudiants en raison de sa proximité avec le mausolée de l’Imam Ali. L’ayatollah Kho’i, Allâmeh Tabâtabâ’i et l’ayatollah Nadjafi Hamedâni furent les plus célèbres maîtres de l’école Ghavâm.
L’école fut abandonnée vers le milieu du XXe siècle. Un autre donateur iranien, le Sheikh Nasrollâh Khalkhâli fit détruire l’ancien bâtiment et donna le nouveau bâtiment qu’il avait fait construire en waqf à la grande école théologique de Nadjaf. Quelques années plus tard, les Baasistes confisquèrent l’école et la remirent à l’Organisation des œuvres caritatives.
A la demande du Sheikh Mollâ Mohammad Iravâni, grand savant chiite de Nadjaf, cette école fut construite par un dénommé Hadji Iravâni en 1889. Selon le document de waqf de cette école, cette œuvre était prioritairement consacrée aux étudiants en théologie d’origine azérie, venus de l’Azerbaïdjan et du Caucase. Cette école fut fermée et son bâtiment détruit par les Baasistes en 1988.
Le défunt ayatollah Mirzâ Hossein Khalili Tehrâni, source d’imitation (marja’-e taqlid) chiite, fonda cette école en 1898. Trois donateurs iraniens se chargèrent du financement des travaux. L’ayatollah Mirza Hossein Khalili joua un rôle important à l’époque de la Révolution constitutionnelle iranienne aux côtés de l’ayatollah Akhound Khorâssâni, lui aussi résidant à Nadjaf. L’école Khalili était particulièrement célèbre en raison des activités politiques de ses maîtres et ses étudiants. Quand le roi qâdjâr Mohammad Ali Shâh fut détrôné et chassé d’Iran, les responsables de l’école Khalili organisèrent une fête pour célébrer la victoire des constitutionalistes iraniens. Comme beaucoup d’autres écoles théologiques de Nadjaf, cette école fut détruite par les Baasistes en 1988.
Le défunt ayatollah Hossein Boroudjerdi fit construire deux écoles à Nadjaf. La grande école se situe à l’est du mausolée de l’Imam Ali. Ce beau bâtiment comporte trois étages et est entouré de deux cours. Pendant les quatorze ans de son exil irakien, l’ayatollah Khomeiny dirigea tous les soirs la prière collective à l’école Boroudjerdi. Cette école était également dotée d’une magnifique bibliothèque de livres donnés sous forme de waqf. En raison de la fréquentation de cette école par l’ayatollah Khomeiny, elle fut constamment surveillée par les agents secrets du régime baasiste. En 1980, plusieurs étudiants de cette école furent arrêtés et certains d’entre eux furent exécutés. En 1986, les Baasistes détruisirent une partie de l’école sous prétexte de projets d’urbanisme.