N° 56, juillet 2010

L’examen d’analyse stylistique


Saeid Khânâbâdi


(Question numéro 1) Expliquez les caractéristiques de l’incipit réaliste de type balzacien dans le texte suivant.

C’est en murmurant ces mots que je me prépare pour aller à l’Université. Nous avons aujourd’hui un examen d’analyse stylistique. Je dois me presser pour arriver à temps. C’est mon trajet quotidien, la tâche personnelle que j’accomplis comme un bon citoyen depuis quelques années, le rôle unique que la société moderne a confié à un étudiant de littérature ; réveil à 5 heures, petit-déjeuner à 5 heures 15, rasage et douche à 5 heures trente, départ pour la faculté à 5 heures 45 pile afin de pouvoir attraper le bus de 6 heures, celui de la ligne 72 du système de transports en commun. Et si jamais j’osais désobéir à cette routine sacrée, je serai condamné, d’après les codes civils implicites de la vie moderne de cette grande ville, à accepter de bonne grâce les conséquences de mon acte, par exemple :

1. Rater le premier bus et passer au moins 30 minutes dans l’arrêt, waiting for Godobus, parce que le chauffeur du deuxième bus de la ligne 72, avant de commencer son travail, a l’habitude de prendre un thé dans le guichet de la station principale, en compagnie de son beau-père, vendeur de billets de son état. D’où ce retard de 30 minutes. Résultat : la longue attente vous enrhume, et on vous hospitalise pour grippe AH1N1.

2. Ne pas trouver de siège libre dans le bus bourré à craquer et rester alors debout pendant tout le trajet, lequel n’est pas court. D’après les plus récentes découvertes médicales de l’orthopédie, cette agitation nuisible et durable aboutira, surtout chez les femmes âgées, à des maladies sérieuses telles que l’arthrose, les rhumatismes mais aussi à des varices dans les membres inférieurs. Je devrais aussi ajouter que les espaces publics, à forte dose de promiscuité, tels que les bus bourrés, offrent un champ large aux épidémies.

3. Perdre au moins une heure non-renouvelable de votre vie dans les embouteillages, cette attente irritée et le stress qui en découle augmentent considérablement, selon les psychologues et les béhavioristes, la nervosité de l’individu pendant la journée, cette nervosité étant à son tour l’une des causes essentielles de la dépression. Cela peut aussi avoir des résultats négatifs dans le rendement professionnel des employés et des ouvriers, et donc une influence sur le PIB du pays, phénomène qui, à son tour, agit sur l’économie mondiale.

4. Rester pendant un long moment sous l’influence de gaz toxiques tel que le dioxyde de carbone (CO2) – dont le taux a augmenté avec le réchauffement climatique - et subir en conséquence, les effets nocifs de ce gaz sur la santé. Ces effets dépendent de la teneur en CO2. L’air contient normalement environ 0,04 % de CO2. Mais à 2 % de CO2 dans l’air, l’amplitude respiratoire augmente. À 4 %, la fréquence respiratoire s’accélère. À 10 %, peuvent apparaître des troubles visuels, des tremblements et des sueurs. À 15 %, c’est la perte de connaissance brutale. À 25 %, un arrêt respiratoire entraîne le décès ! Pour connaître avec plus de détails l’interminable liste des maladies liées à la pollution environnementale, veuillez consulter les sites internet des écologistes !

5. Et finalement, échouer à l’examen de stylistique : conséquence la plus tragique possible ! Vous serez obligé de redoubler et de repayer une somme considérable en sachant que l’article 30 de la Constitution garantit le droit d’accès à l’éducation gratuite pour tous les citoyens. Vous devrez aussi supporter le mépris de votre famille qui vous compare souvent avec votre cousin, étudiant en génie civil, dont le revenu mensuel dépasse de 4 fois le vôtre, et même plus, puisqu’en tant que littéraire, vous avez de grandes chances d’être un éternel chômeur ! Et vous entendrez aussi de longs discours à propos de l’inutilité de la littérature dans l’ère moderne. A ce moment, le hasard entraîne mes pensées depuis « discours » à la deuxième question de notre examen ; il s’agit de l’intervention du personnage dans le récit et des trois procédés de :

A. discours direct
B. discours indirect
C. discours indirect libre

(Question numéro 2) Énumérez les procédés qui permettent de rendre compte des paroles proférées par les protagonistes dans le récit.

En murmurant ces mots, je sors de mon minuscule appartement que j’ai loué beaucoup plus cher que le prix normal parce que d’après les normes et les conventions non-écrites de notre société, un propriétaire ne loue pas son logement à un jeune célibataire, car malgré les surveillances 24 heures sur 24 des voisins curieux, ce jeune homme risque de remettre en question les principes de la moralité !... Au moins dans cette partie de mon récit, je me dois de rendre hommage aux qualités des sociétés non-traditionnelles.

Je traverse la rue. Quelle joie et quelle surprise de voir cette rue soudain silencieuse et calme. Je dois encore marcher une centaine de mètres pour rejoindre l’arrêt de bus. Tout paraît normal ; les chats sont à leurs postes : aux environs des sacs poubelles, à les déchirer. Ces jours-ci, ils ont de nouveaux concurrents, des jeunes gens (pas mendiants) qui récupèrent les déchets recyclables et les vendent à la municipalité. On pourrait parler d’un business fructueux ! L’épicier est également à son poste, à cacher les bouteilles de lait subventionnées par le gouvernement pour pouvoir les vendre plus cher que le prix officiel ou seulement à ses habitués. Tout est ok. Alors je suis bien à l’heure et rien ne peut m’empêcher d’accomplir ma tâche d’étudiant rangé et respectueux des règles, conformiste en un mot. Mais soudainement se produit une chose qui remet en question la loi de la causalité, quelque chose qui dans cet espace et dans ce temps, me semble plus tragique que le meurtre d’Hector par Brad Pitt dans le film Troy. Je discerne, derrière moi, la présence étrange et inattendue d’un bus. Le bus passe devant moi et s’arrête à l’arrêt, cent mètres devant moi, en laissant derrière l’inélégante traînée noire des gaz précités. Un grand point d’interrogation se dresse dans mon esprit. Aussi grand qu’il en franchit presque le Line Spacing de mon texte (?). Mais enfin ! Normalement, le premier bus devrait arriver à cet arrêt à 6 heures. Ma surprise se démultiplie quand je découvre le chauffeur Thé-o-phile du deuxième bus au volant du premier bus ! J’aperçois de loin les gens qui montent, et voyant cette scène tragique – puisque je ne peux pas le rattraper -, une extrême souffrance et une forte jalousie, plus forte même que celle d’Alain Robbe-Grillet, me serrent le cœur. Que dois-je faire ? Il me faut choisir. Être ou ne pas être ! Je décide enfin. Je sens dans mes pieds l’envie profonde de courir, d’agir, d’être engagé. Je cours et je ne sais pas pourquoi, ma mémoire involontaire se rappelle d’une quantité énorme de souvenirs longtemps enfouis dans les recoins de mon cerveau. Et comme cet enfant bourgeois avec sa Madeleine à la main, cette course fatale me renvoie à mon enfance simple et provinciale, quand je jouais au foot avec mes copains au bord de la mer, sur les plages, durant les longs étés tropicaux du nord de l’Iran. Même aujourd’hui, je sens sous mes pieds la légèreté douce et la chaleur insupportable mais si aimable du sable, je me souviens très bien de ce soleil torride qui brûlait impitoyablement notre peau enfantine, de ces rudes rayons qui blessaient mes yeux, et qui m’aveuglaient assez parfois pour que je ne vois pas venir le ballon directement vers mon visage, et j’entends encore le bruit sec causé par la dure collision du ballon non-standard en plastique avec mon nez, et les éclats de rire consécutifs de mes camarades. En ces temps-là, j’étais souvent le gardien de but, et mon rôle d’empêcheur de tourner en rond de l’équipe adverse me remplissait de joie. Je me comparais souvent avec mon idole, Andreas Kِpke.

Mais tout à coup, je découvre une différence nostalgique, un point perdu et incompris dans la longue ligne de mes souvenirs ; à la place de la douceur du sable de la plage, je trouve aujourd’hui sous mes pieds une asphalte noire et morte, et à la place de ces cris de joie, ce chant romantique des vagues et l’hymne magnifique des oiseux marins, les hurlements inutiles mais habituels des pêcheurs locaux qui tiraient les filets de la mer, j’entends les klaxons des motos et les alarmes des voitures. A la place de ce soleil vivement jaune et brillant, à la place de ce ciel bleu, cette bleuté céleste avec la danse éternelle des cerfs-volants angéliques. A la place de toutes ces beautés divines, je vois ces jours-ci au-dessus de cette planète moderne un ciel terrestre avec un trou dans sa couche d’ozone. L’homme a raison peut-être de ne plus croire à aucune Ascension vers ce ciel plein des gaz interdits, de type CFC. Après ce long plaidoyer en faveur des traditions, se forme aussi une autre question dans ma tête : pour quelle raison l’enfance de ce bourgeois mérite tellement plus d’attention que la biographie d’un simple homme du Tiers état dans cette ère de modernité démocratique ? En sachant que les fatirs de ma grand-mère villageoise sont beaucoup plus délicieux que sa madeleine ! Mais arrêtons cela, il serait plus conformiste de ma part de penser à la réponse de la troisième question de mon examen.

(Question numéro 3) Comparez l’ordre des temps du récit autobiographique dans A la recherche du temps perdu de Marcel Proust et Enfance de Nathalie Sarraute.

En murmurant ces mots, je brise si je ne me trompe pas, le record olympique d’Usain Bolt en 100 mètres et avant que la dernière personne ne monte dans le bus, j’y arrive victorieusement. J’y monte, je sors de ma poche un billet et je le donne au chauffeur, en cherchant dans son visage toujours mal rasé la raison qui l’a poussé à oublier la sacralité de son arrêt-thé dans le kiosque du beau-père. Normalement, 30 minutes devaient encore passer avant qu’il n’arrive à l’arrêt. Quelques hypothèses se forment dans ma tête :

1. Il a divorcé d’avec sa femme et il a donc arrêté de communiquer avec son beau-père.

2. Son beau-père a été mis à la porte de la Société des Transports en Commun à cause de la crise financière actuelle.

3. Son beau-père a pris un jour de congé pour se procurer les médicaments dont il a besoin, médicaments chers et importés qui se vendent surtout au marché noir, lequel est le résultat direct du blocus économique.

4. Notre chauffeur de bus lui-même, a compris que son acte va à l’encontre des droits de la citoyenneté et sa conscience professionnelle l’a poussé au repentir.

La longue liste des hypothèses possibles a continué à se dérouler dans ma tête, mais j’ai finalement compris qu’aucun événement ne pouvait empêcher cet individu de changer sa façon quotidienne de vivre.

En pensant à ces questions, je découvre quelques subtils détails : la chemise noire du chauffeur de bus et la photo de son beau-père sur le tableau de board !

(Question numéro 4) Analysez le dénouement du texte précédent et les éléments marqueurs d’une fin lapidaire, sur le registre du fait divers ?


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