N° 65, avril 2011

Hegmatâneh
Une ville antique construite selon une modélisation géométrique


Djamileh Zia


Tappeh-ye Hegmatâneh ou Tall Hegmâtaneh [1], situé en plein cœur de la ville de Hamadân, est le site archéologique le plus vaste d’Iran. Les fouilles effectuées de 1983 à 2000 par l’équipe de Mohammad Rahim-Sarrâf, archéologue iranien, y ont mis à jour des maisons toutes similaires, construites dos à dos, situées entre des rues perpendiculaires les unes aux autres, et ont permis de conclure que ce site correspond à une ville antique conçue selon un plan géométrique préétabli. Mais on ne peut toujours pas affirmer que cette ville antique soit Ecbatane, la capitale des Mèdes.

Les fouilles effectuées à la limite orientale de Tappeh-ye Hegmatâneh permirent de mettre à jour un mur de neuf mètres d’épaisseur correspondant à l’enceinte de la ville antique enfouie dans ce site archéologique.

Mohammad Rahim-Sarrâf, archéologue iranien, a exposé brièvement lors d’une conférence en janvier 2010 [2] le résultat des fouilles archéologiques effectuées par lui et son équipe à Tappeh-ye Hegmatâneh de 1983 à 2000. M. Rahim-Sarrâf a commencé sa conférence en rappelant brièvement l’histoire de la fondation de la ville d’Ecbatane telle qu’elle a été écrite par Hérodote, et les fouilles effectuées avant lui sur le site Tappeh-ye Hegmatâneh.

Ecbatane (ou Hamgmatâna), capitale des Mèdes

Hérodote (Histoires, livre I) écrit que les chefs des tribus Mèdes se réunirent un jour et décidèrent de choisir un roi, afin de palier à l’insécurité qui menaçait leurs peuples. Ils cherchèrent quelqu’un qui conviendrait à cette fonction. Il y avait un homme, nommé Dayaukku (ou Diyako), à qui les gens s’adressaient pour qu’il juge et trouve une solution à leurs conflits. Les chefs des tribus lui proposèrent de devenir le roi des Mèdes. Diyako accepta à quelques conditions, dont l’une était qu’on lui construise un fort gardé par des soldats, et il demanda que les habitants des villages avoisinants viennent vivre autour de ce fort. Selon Hérodote, ce fut le point de départ de la construction d’une ville dont le nom figure dans l’inscription de Bisotoun [3] sous la forme de Hamgmatâna ; ce mot signifie « lieu de rassemblement » en vieux persan. Dans cette même inscription, le nom de cette ville est écrit Agmadana en élamite. Les Grecs prononcèrent Ecbatane le nom de cette ville, qui fut la capitale des Mèdes tout au long de l’existence de cet empire et devint ensuite la capitale d’été des rois achéménides. La ville de Hamgmatâna continua à exister après l’invasion de la Perse par l’armée d’Alexandre, mais fut pillée maintes fois et perdit de son importance.

Les fouilles de l’équipe de M. Rahim-Sarrâf ont mis à jour des maisons toutes identiques comportant une entrée, une cour centrale et six pièces. Les habitants de Hamadân et les touristes peuvent visiter ces constructions antiques.

Les hypothèses concernant l’emplacement de la capitale des Mèdes

La question du lieu de la capitale légendaire des Mèdes suscita l’intérêt des archéologues étrangers qui commencèrent à effectuer des fouilles en Iran à partir du XIXe siècle. Plusieurs hypothèses furent émises à ce sujet. Henri Rawlinson pensait que la ville antique de Hamgmatâna (Ecbatane) était enfouie sous le site de Takht-e Soleymân, dans l’actuelle province d’Azerbaïdjan de l’ouest. Jacques de Morgan, chef de l’équipe française qui faisait des fouilles à Suse, fit un voyage à Takht-e Soleymân et déclara après avoir inspecté le site qu’il ne pouvait pas avoir été une capitale Mède. Ses conclusions furent confirmées plus tard par l’équipe allemande qui y effectua des fouilles : les objets découverts à Takht-e Soleymân datent de l’époque sassanide et ilkhanide. D’autres archéologues émirent l’hypothèse que la ville antique de Hamgmatâna était située à Ziwiyeh, dans l’actuelle province du Kurdistan d’Iran, mais les fouilles effectuées à Ziwiyeh infirmèrent cette hypothèse également.

Certains archéologues, dont Yaghmâ, archéologue iranien, et R. H. Dyson, pensaient que la capitale de l’Empire mède était située sous l’actuelle ville de Hamadân. Charles Fossey, archéologue de l’équipe française chargée des fouilles à Suse, reçut l’autorisation de faire des fouilles à Hamadân. Malheureusement il n’existe aucun rapport sur ses fouilles ; nous ignorons donc la méthode utilisée par Fossey, et ne savons rien sur les éventuels objets qu’il y aurait trouvés. Les seules informations que nous avons des fouilles effectuées par Fossey sont les quelques lignes que Roman Ghirshman a écrites dans l’un de ses livres sur l’Histoire des Mèdes et des Achéménides. Selon lui, seule une théière en bronze appartenant à l’époque mède fut découverte par Fossey à Hamadân.

En 1969-1970, une équipe internationale eut l’intention de faire des fouilles sur Tappeh-ye Hegmatâneh. Le Bureau d’Archéologie d’Iran décida alors d’acheter une partie des bâtiments et des magasins construits sur la colline pour préparer le terrain, afin que l’équipe internationale qui devait être dirigée par David Stronach puisse commencer les fouilles. Stronach fit d’abord une fouille sur le site Noush-e Jan, situé à Malâyer, pour obtenir des informations préliminaires sur la civilisation Mède. Il trouva à Noush-e Jan un fort et un temple de feu, et conclut que ces constructions dataient de 750 av. J.-C., ce qui correspond effectivement à la période mède. Après la Révolution de 1979, l’activité des archéologues étrangers fut suspendue Iran.

Les fouilles dans la partie centrale de Tappeh-ye Hegmatâneh permirent à l’équipe de M. Rahim-Sarrâf de conclure que ce qui était enfoui dans ce site archéologique était une ville très ancienne.

Les fouilles de l’équipe de M. Rahim-Sarrâf à Tappeh-ye Hegmatâneh

M. Rahim-Sarrâf évoqua d’abord les conditions dans lesquelles les fouilles débutèrent. Tappeh-ye Hegmatâneh, laissée à l’abandon pendant plusieurs années, était devenue le lieu de rassemblement des toxicomanes, et les habitants des quartiers avoisinants se plaignaient de l’insécurité qui y régnait. Vingt cinq hectares environ de la surface de la colline avaient été achetés par l’Etat au cours des années 1969-1970, et les constructions avaient été détruites pour préparer le terrain avant les fouilles. De nombreuses fouilles sauvages y avaient été effectuées sous couvert des magasins et des maisons situées sur la colline, ce qui avait abîmé la structure du site, et M. Rahim-Sarrâf craignait de ne pas pouvoir aboutir à des résultats significatifs. Les fouilles sauvages étaient motivées probablement par le fait qu’un certain nombre d’objets en or et en argent, découverts par des trafiquants, avaient été vendus dans les marchés internationaux et le bruit courait qu’ils avaient été découverts à Tappeh-ye Hegmatâneh. [4] Le site était donc dans un très mauvais état. L’équipe de M. Rahim-Sarrâf commença par construire une barrière autour du site, pour le préserver. La deuxième étape fut la création d’un parc sur cette colline, pour inciter les habitats de la ville de Hamadân et les touristes à y venir et ne pas la laisser à l’abandon. Un plan avec des coordonnées horizontales et verticales fut créé pour pouvoir localiser avec exactitude chaque point du site. L’équipe de M. Rahim-Sarrâf décida ensuite d’effectuer quelques fouilles en guise de sondage, car la colline était trop vaste pour pouvoir l’explorer entièrement. De plus, en 1983, quand l’équipe de M. Rahim-Sarrâf commença ses études, l’Iran était en guerre et on ne pouvait pas programmer des fouilles pour une longue durée. Les fouilles ont été cependant possibles à onze reprises jusqu’à l’an 2000.

Un canal d’eau découvert à Tappeh-ye Hegmatâneh.

Les découvertes de l’équipe de M. Rahim-Sarrâf

M. Rahim-Sarrâf a brièvement présenté les résultats des fouilles effectuées à quelques endroits de Tappeh-ye Hegmatâneh. Lors de la première fouille, qui fut effectuée au centre de la colline, l’équipe de M. Rahim-Sarrâf découvrit des constructions à une profondeur de cinq mètres. Il s’agissait d’une rue, large de trois mètres, pavée avec des briques crues et cuites, bordée par des murs de 1,5 mètre d’épaisseur sur ses deux bords. Ces murs comportaient des parties ouvertes, qui permettaient d’entrer dans des maisons. Celles-ci étaient construites des deux côtés de la rue. Après cette découverte, M. Rahim-Sarrâf décida d’ouvrir d’autres tranchées à côté de la première, et l’on s’aperçut que les constructions (la rue, les murs et les entrées des maisons) existaient en continu. L’ouverture de plusieurs autres tranchées adjacentes permit de conclure que les maisons étaient toutes identiques, construites dos à dos. Chaque maison, dont la surface était de 17,5 x 17,5 mètres, comportait une entrée, une cour centrale, avec trois pièces à droite et trois pièces à gauche de la cour. Deux rues identiques furent découvertes à 35 mètres de distance l’une de l’autre, avec deux rangées de maisons identiques aux précédentes, construites dos à dos entre ces deux rues.

Les fouilles dans la partie centrale de Tappeh-ye Hegmatâneh permirent à l’équipe de M. Rahim-Sarrâf de conclure que ce qui était enfoui dans ce site archéologique était une ville très ancienne. De plus, la mise à jour de la logique utilisée pour les constructions permit à l’équipe de ne pas être obligée de fouiller l’ensemble de la colline. Il suffisait d’avoir à l’esprit le plan théorique des constructions, et effectuer des sondages à quelques endroits particuliers du site. Les fouilles suivantes furent entreprises à la limite orientale de Tappeh-ye Hegmatâneh. Elles permirent de mettre à jour là encore des constructions : une rue et des maisons construites sur les deux bords de celle-ci, ainsi qu’un mur de neuf mètres d’épaisseur aboutissant à une tour, ce qui permit à M. Rahim-Sarrâf de conclure qu’il s’agissait de l’enceinte de la ville antique enfouie à Tappeh-ye Hegmatâneh. Toutes les maisons découvertes lors de ces fouilles étaient en terre crue et aucune d’elles n’avait de toit ni de porte, ce qui laisse penser que leur construction n’était peut-être pas terminée. L’absence d’objets de la vie courante dans les pièces était un autre élément montrant que ces maisons n’avaient jamais été habitées. Les archéologues ne savent pas encore pourquoi cette ville antique est restée inachevée. Une hypothèse est qu’elle a été laissée à l’abandon parce qu’elle a été exposée à un danger.

Les fouilles effectuées à d’autres endroits du site permirent d’affiner les découvertes. Ainsi, l’équipe de M. Rahim-Sarrâf s’aperçut que les architectes de cette ville antique avaient également conçu des rues construites selon l’axe nord-sud, perpendiculaires aux rues construites selon l’axe est-ouest, pour que des allées et venues soient possibles dans l’ensemble de la ville. Un canal d’eau construit entièrement en terre cuite fut également découvert. Des pierres étaient placées sur son bord, pour empêcher l’eau de s’écouler.

Les fouilles effectuées par M. Rahim-Sarrâf et son équipe ont donc abouti à la découverte d’une ville construite selon un plan géométrique conçu avant sa réalisation, avec des rotations de 180 degrés dans l’orientation des maisons. Il s’agit d’une découverte d’une très grande importance, car ce genre d’architecture datant de l’Antiquité est exceptionnel. Toutefois, la question de savoir si cette ville antique date de l’époque des Mèdes est restée sans réponse. Il reste à espérer que d’autres fouilles permettront de connaître enfin avec certitude l’emplacement d’Ecbatane, la capitale de l’Empire mède.

Notes

[1Le mot Tappeh, qui est écrit tepeh (ou tépé) dans la plupart des textes d’archéologie signifie « colline » en persan. Le mot tall, qui est souvent écrit tell dans les textes d’archéologie signifie « amas », et un « amas de terre » en l’occurrence.

[2Cette conférence était organisée par le comité d’Icomos d’Iran. Icomos est le Conseil international des monuments et des sites, et se consacre à la conservation et à la protection des monuments et des sites du patrimoine culturel.

[3Le bas relief de Bisotoun, ou figurent trois inscriptions de contenu identique en trois langues différentes (vieux persan, babylonien et élamite) a été construit par ordre de Darius Ier, roi achéménide.

[4Selon M. Rahim-Sarrâf, en fait, on ignore si les objets vendus dans ces marchés internationaux provenaient effectivement du site de Hegmatâneh ou avaient été découverts dans un autre site archéologique en Iran. Par contre, de nombreux objets datant de l’époque achéménide ont été trouvés à Hamadân et sont conservés au musée Iran Bâstân. L’équipe de M. Rahim-Sarrâf a trouvé elle aussi quelques objets dont la plupart datent de la période achéménide. Le plus ancien des objets qu’ils ont découvert est un sceau qui date probablement du VIIIe ou peut-être du IXe siècle av. J.-C.


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