N° 89, avril 2013

Présentation de l’artisanat de l’incrustation (khâtamkâri) en Iran


Nedâ Dalil


Partie d’une double porte en bois décorée de khâtam, Iran, XVIIe siècle

Le khâtamkâri est un travail de marqueterie fine et minutieuse dont l’histoire et l’origine demeurent incertaines. Les motifs mathématiques et géométriques constituent le mystère de la merveille et de l’attrait de cet art. Les mathématiques constituent un domaine de connaissances abstraites construites à l’aide de raisonnements logiques sur des concepts tels que les nombres, les figures, les structures et les transformations. Les règles et les disciplines géométriques et mathématiques reposent sur la nature de l’univers et les éléments de l’existence. Ainsi peut-on dire que le khâtam en constitue l’un de ses plus beaux exemples esthétiques et artistiques.

Khâtam signifie « incrustation ». Le khâtamkâri signifie donc littéralement en persan « travail d’incrustation ». La base de cet art est la création de dessins géométriques, et plus particulièrement de minuscules triangles propres à cet artisanat.

Au cours des siècles, l’art iranien a développé des motifs particuliers destinés ou utilisés pour décorer les objets artisanaux produits en Iran. Ces motifs peuvent avoir pour origine les motifs ancestraux des tribus nomades, une recherche géométrique poussée sous l’influence de l’islam, ou encore des motifs d’inspiration plus orientale. Les artistes iraniens ont inventé de nouvelles créations dans le domaine de l’incrustation, après avoir découvert cet art dans son style chinois, l’art chinois décorant la surface des objets avec de très petits morceaux triangulaires en noir et blanc. Les Iraniens ont ensuite introduit de nombreux changements dans la couleur, le dessin et le matériel du khâtam. Utilisant les couleurs rouge, verte, jaune et blanche, ils ont aussi utilisé des motifs géométriques comme le pentagone, l’octogone, et le décagone.

La préparation des matériaux

Dans l’art du khâtam, il existe de nombreuses possibilités d’usage de matériaux divers dont les principaux sont différentes sortes de bois, d’os d’animaux, des fils de fer, des adhésifs et des polisseurs. Dans ce domaine artisanal, le bois constitue le support dominant et principal ; c’est d’ailleurs pour cela que l’art du khâtam est parfois aussi qualifié d’art du bois. L’utilisation d’os dans cet art fut courant dès les débuts, et ce matériau a une place distincte dans ce bel artisanat : les os de chameau ont été et sont principalement employés, et lorsqu’ils n’étaient pas accessibles, les artisans les remplaçaient par les os d’autres animaux comme le cheval, la vache et même l’âne. Le fer est également utilisé dans la fabrication du khâtam, dont la qualité dépendait auparavant de l’importance et de la situation sociale de celui qui passait commande. Les autres matériaux les plus importants utilisés dans cet artisanat étaient l’or, l’argent, le laiton et le cuivre. Dans les khâtams actuels, ces deux derniers matériaux sont toujours utilisés.

Les éléments du dessin sont constitués de petits triangles de diverses couleurs :

- les parties dorées sont en laiton

- les parties blanches ne sont pas en ivoire mais en os de chameau

- les autres couleurs sont en bois de résineux teinté.

Boîte et table décorées de khâtam

Les khâtams sont différents de par leur dessin et leur forme. Ce qui les distingue est le différent type de prisme ou de coupe des triangles qui construisent chaque unité de khâtam.

Les matériaux sont préparés à l’aide de baguettes de bois triangulaires qui sont collées et assemblées en faisceaux d’environ 70 cm. Une fois secs, ces faisceaux sont débités en tronçons d’une dizaine de centimètres de longueur.

La deuxième étape consiste à assembler, entre deux planchettes servant de gabarit, le nombre nécessaire de parties élémentaires du dessin. Ces éléments, soigneusement disposés et collés, vont constituer les motifs d’une des faces de l’objet à décorer. Le tout est fortement comprimé et mis à sécher.

La troisième opération consiste à découper des tranches transversales d’environ 1 millimètre d’épaisseur. Ces coupes seront appliquées et fixées avec de la colle à bois, tel un plaquage sur les faces des objets, puis ajustées. Lorsque la surface des objets n’est pas plate mais galbée, l’artisan chauffe la tranche de décor afin de la rendre malléable pour qu’elle puisse ainsi épouser la forme de l’objet. La dernière étape consiste à poncer soigneusement la surface au papier de verre, puis à la vernir.

Comme il y a 700 ans, la plus grande partie du travail se fait encore entièrement à la main, mais le découpage des tranches de motifs ainsi que le ponçage sont grandement facilités par les machines. Les colles et le vernis ne sont également plus les mêmes.

Boîte décorée de khâtam aux supports en argent, époque qâdkâre, début du XIXe siècle

Concernant le type d’objets le plus souvent acheté, les Européens préfèrent en général les boîtes et les plumiers, alors que les pays arabes sont friands de cadres décorant les versets du Coran. 80% des exportations vont vers la Turquie qui bénéficie d’un secteur touristique très développé.

Le khâtam dans l’histoire

Au cours de l’histoire, le khatam était tellement apprécié à la cour que certains princes en apprenaient la technique au même titre que la musique, la peinture ou la calligraphie. L’ère timouride est ainsi marquée par la réalisation de splendides travaux de khâtam. Le style du khâtam actuel en Iran s’est développé à partir de cette époque. Nous pouvons retracer l’évolution de l’art du khâtam en quatre périodes principales :

L’ère safavide, l’époque de l’épanouissement du khâtam : Les rois safavides considéraient cet artisanat comme un art décoratif, qui était particulièrement apprécié par les aristocrates et les personnes fortunées. Sa présence ne se limitait pas aux décorations des palais royaux et il était également utilisé pour orner les lieux saints et religieux. A cette époque, on réalisait également beaucoup de tables, de boîtes à bijoux et de miroirs en khâtam. L’utilisation de nouvelles formes géométriques, matériaux et couleurs fait également partie des caractéristiques les plus importantes du khâtam à l’ère safavide.

L’ère Zand : Cette époque peut être considérée comme celle du développement et du perfectionnement du khâtam. Pendant les vingt ans de règne des Zands, les arts décoratifs et artisanats de l’Iran ont connu une évolution considérable, surtout durant le règne de Karim Khân Zand. Nous pouvons citer l’utilisation du pentagone et de l’octogone dans cet artisanat comme l’une des caractéristiques remarquables de cette époque.

L’ère qâdjâre : Cette époque est celle de la décadence du khâtam. La haine des Qâdjârs vis-à-vis des Zand influença l’ensemble des couches sociales, et aboutit à la destruction de ce qui était lié à cette dynastie. Les artisans spécialisés dans le khâtam vécurent alors une situation très difficile, et leur nombre diminua fortement. Néanmoins, une minorité d’artistes essaya d’innover dans ce domaine, en employant notamment d’autres motifs géométriques comme l’hexagone.

Boîte peinte et décorée selon la technique du khâtamkâri

L’ère pahlavi : Cette période peut être considérée comme celle de la renaissance du khâtam. Grâce à l’attention accordée aux arts et à l’artisanat à cette époque, le khâtam connut de nouvelles utilisations pour décorer lieux et objets. La grande salle en khâtam du Palais de marbre fait partie des chefs-d’œuvre de cette époque. Avant la construction de cette salle en khâtam, cet artisanat était majoritairement utilisé seulement sur des petits objets portables comme des boîtes à bijoux, des miroirs… L’ornement du palais de marbre entièrement réalisé en khâtam est donc une nouvelle création dans cet artisanat. Aujourd’hui, l’Iran est considéré comme le centre le plus important et le plus actif de la fabrication de khâtam dans le monde. On ne peut se promener autour de la place centrale d’Ispahan ou dans les boutiques du bazar de Shirâz sans remarquer ces boîtes incrustées de motifs géométriques d’une finesse incroyable.

Bibliographie :
- Jazâyeri, Zahrâ, Khâtamsâzi-e Irân (La fabrication du khâtam de l’Iran), éd. Sanâye dasti-e Irân, 1985.
- Rouzi Talab, Gholâm-Rézâ ; Jalâli, Nâhid, Honar-e khâtam (L’art du khâtam), éd. Samt, Téhéran, 2002.
- Sattâri, Mohammad, Khâtamsâzi, éd. Amir Kabir, Téhéran, 1988.
- Tahouri, Delshâd, Honar-e Khâtamsâzi dar Irân (L’art de la fabrication du khâtam en Iran), éd. Soroush, Téhéran, 1986.


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