N° 89, avril 2013

Le verre soufflé iranien contemporain
héritier d’un artisanat millénaire


Mireille Ferreira


Vases miniatures en pâte de verre de l’Atelier Golkâr
Photos : Mireille Ferreira

Né de l’activité volcanique, le verre existe à l’état naturel depuis plusieurs centaines de milliers d’années, en particulier dans l’obsidienne, roche vitreuse riche en silice, que l’homme préhistorique utilisait pour fabriquer outils, armes coupantes et bijoux. Les premiers objets de verre créés par l’homme seraient originaires de Mésopotamie, de Syrie ou d’Egypte. Les plus anciens verres, des sceaux d’ornement, ont été découverts dans le delta de l’Euphrate et datent de 3000 ans avant J.-C.

La technique du verre soufflé aurait été utilisée en Syrie dès l’époque de l’empire parthe, aux environs du premier siècle avant l’ère chrétienne, grâce à la découverte de la canne à souffler, permettant, dès cette époque, une production de masse d’ustensiles en verre.

En Iran, fioles à parfum, sceaux et tubes cylindriques en verre, fabriqués entre la fin du quatrième et le début du premier millénaire avant l’ère chrétienne, ont été retrouvés dans divers sites archéologiques. Les plus anciens ont été découverts en 1935 par la mission archéologique du musée du Louvre, dirigée par Roman Ghirshman près des ruines de la ziggourat de Tchoghâ Zanbil. Cet ensemble de temples et de palais, situé dans la province sud-ouest du Khouzestân, fut construit par le roi élamite Untâsh Gâl entre 1275 et 1240 avant l’ère chrétienne. D’autres objets en verre antiques ont été découverts dans le Guilân, province caspienne du nord-ouest, et dans le Khorassân, province proche de l’Afghanistan. Le sous-sol du Lorestan et du Kurdestan, provinces de l’ouest, a révélé également des fragments de verre datant du premier millénaire avant l’ère chrétienne. Une grande partie de ces découvertes, ainsi que de belles réalisations contemporaines sont présentées au Musée du verre et de la céramique de Téhéran (Musée âbguineh), superbe écrin témoignant de l’intérêt porté, encore aujourd’hui, à l’art de la verrerie iranienne. [1]

Au début de la période islamique, les étroites relations commerciales, politiques et artistiques créées entre les différents pays du Moyen-Orient rendent difficile la distinction des productions d’objets en verre des villes iraniennes comme Suse, Rey, Gorgân, Kâshân, Sâveh, Neyshâbour ou Sirâf, de celles de centres plus importants comme Samarrâ en Mésopotamie, reconnue comme centre artistique de premier ordre. Cependant, la renommée du verre iranien tomba dans l’oubli au moment des invasions mongoles. Tamerlan, amateur de belles pièces d’artisanat, déporta à Samarcande les maîtres verriers des territoires conquis, sans que cela ait permis pour autant la survie de leur savoir-faire. Il fallut attendre le XVIIe siècle, avec Shâh Abbâs Ier, pour que la production d’objets en verre reprenne en Iran, notamment dans les ateliers d’Ispahan et de Shirâz. L’art du verre iranien atteindra des sommets au XVIIIe siècle, produisant des œuvres exceptionnelles.

Atelier Bakhtiyâri

Une technique traditionnelle au service d’une production contemporaine

De nos jours, la fabrication artisanale d’objets de verre subsiste en Iran, principalement à Téhéran, où l’on compte encore une trentaine d’ateliers, les plus réputés étant les verreries Bakhtiyâri (à Varâmin), Malekinejâd, Golkâr (qui présente sa production dans une galerie située à quelques mètres du Musée Abguineh à Téhéran), Elâhi, Rouhi, Jalâli, Ashouri, plus quelques autres dont la production est de moindre importance. De même, quelques fabriques existent encore à Tabriz. Ces ateliers produisent vaisselle, vases, objets de décoration tels que tulipes de lampe, bonbonnières, ainsi que des carreaux de verre utilisés par les décorateurs et les architectes. Cette production contemporaine, destinée aussi bien au marché local qu’international, s’inspire des modèles traditionnels et perpétue les techniques artisanales de fabrication.

Ces fabriques ouvrent leurs portes aux visiteurs, auxquels les chefs d’atelier expliquent les techniques de fabrication du verre : la silice en poudre, d’excellente qualité, provient de Malaisie. Cette matière première est mélangée à divers oxydes métalliques pour colorer le verre : le manganèse pour obtenir du violet, le cobalt pour le bleu, le chrome pour le vert et le cadmium pour le jaune et l’orange, auquel on ajoute du sélénium pour obtenir le rouge. D’autres composants sont utilisés, comme le borax qui renforce la solidité du verre et le carbonate de sodium qui facilite la fonte de la pâte de verre.

Atelier Malekinejâd

Une petite quantité de la pâte de verre ainsi obtenue est fixée à l’extrémité d’un long tube métallique, la canne à souffler, que l’on introduit dans un four chauffé à 1000°. A la sortie du four, le maître verrier souffle dans le tube pour gonfler le verre, comme on le ferait d’un ballon, qu’il va façonner en le tournant. La forme définitive est obtenue en introduisant cette première ébauche encore malléable dans un moule métallique, comme pour un vase par exemple. Les formes plus complexes sont façonnées à l’aide d’outils métalliques. Après une dernière cuisson, la surface du verre sera décorée de motifs variés, fleurs, grappes de raisin, ou autres, taillés manuellement à la meule en grès ou en diamant industriel permettant une taille plus fine. Un décor en série sera effectué en atelier, tandis qu’un décor personnalisé pourra être réalisé à la demande du client dans une boutique de vente installée en ville.

Le visiteur s’étonnera de voir, à la sortie des ateliers, des monceaux multicolores de verre brisé. Ces brisures ne finiront pas à la décharge mais seront ingénieusement recyclées sous forme de calcin qui, ajouté aux autres matières premières, en favorisera la vitrification.

Une relève difficile à assurer mais un art bien vivant

Actuellement, il est très difficile de trouver de bons maîtres verriers pour assurer la relève de l’actuelle génération. En Iran, aucune école n’enseigne cette technique, l’apprentissage se fait directement en atelier et les conditions de travail très éprouvantes peuvent rebuter les vocations. Les nombreux fours des ateliers, un pour chaque couleur, crachent des flammes à 1000° pour faire fondre le verre et jusqu’à 1300° pour faire fondre la silice. Par ailleurs, certains oxydes utilisés, le cadmium par exemple, sont nocifs quand ils sont inhalés à haute dose.

Atelier Golkâr

Signe d’une qualité reconnue à l’international, cette production iranienne, bien que modeste, s’exporte bien et ces petites entreprises sont régulièrement présentes dans les grandes expositions, nationales comme internationales. Afrand Sheikholeslami, rencontré lors d’une visite à l’une des fabriques téhéranaises, explique qu’il exporte une partie de cette production artisanale vers la France, pour le compte de la société Sirusglass. Jusqu’en 2008, il chargeait annuellement trois camions de 5400 pièces chacun, destinées à des grossistes français possédant réseaux de distribution et commerciaux. En 2012, du fait d’une conjoncture internationale plus difficile, il n’a envoyé qu’un seul camion sur la France. A Paris, la Société Les Perles Persanes d’Ali Rezâ Khalilpour importait encore récemment, via la compagnie Iran Air, une petite quantité de vases et objets d’art de la table, mais elle subit actuellement l’embargo économique imposé par l’ONU. Quelques exportateurs envoient également ces produits de verre artisanal vers le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi que vers les Etats-Unis via la république d’Azerbaïdjan. Il est probable qu’une bonne partie des vases aux formes contemporaines et aux couleurs vives, vendus chez les fleuristes, dans les boutiques de décoration, ou dans les supermarchés des pays asiatiques et occidentaux proviennent de l’une de ces fabriques iraniennes qui perpétuent vaille que vaille un savoir-faire multi-millénaire.

Une partie de la production de l’atelier Bakhtiyâri

Bibliographie :
- Qâ’ini, Farzâneh, Mouzeh Abguineh va sofâlineh-hâye Irân (Musée du verre et de la céramique d’Iran), 2004.

Notes

[1Pour plus de détails sur l’historique des objets de verre en Iran, lire dans La Revue de Téhéran :

- L’article de Farzâneh et Afsâneh Pourmazâheri « Historiette autour d’un édifice cristallin » n° 14 de janvier 2007

- L’article de Djamileh Zia, « Le Musée Abguineh de Téhéran », n° 69 d’août 2011.


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