N° 96, novembre 2013

Abrégé de l’histoire de la province de Kermân


Afsaneh Pourmazaheri


Kermân est l’une des plus vieilles provinces de l’Iran dont les sites historiques, riches en fossiles, appartiennent à des ères géologiques nettement différentiées. Ces sites constituent, aujourd’hui encore, un espace d’investigation propice pour les paléontologues, paléo-biologistes et archéologues spécialistes de la zone. Les terrains fossilifères de la province de Kermân renferment en effet de surprenants « trésors » dont le spécimen le plus rare, un poisson à carapace appartenant à l’ère dévonienne et remontant donc à environ 365 millions d’années, a été baptisé par les scientifiques "Placodermi". [1] Cela sans compter les innombrables fossiles de dinosaures qui nous font remonter le cours du temps jusqu’à un intervalle compris entre 195 et 65 millions d’années, en continuant à nous apporter leurs lots d’informations concernant une ère préhistorique de première importance, le Jurassique.

Les premières traces de sédentarisation de l’homme dans la province de Kermân datent du 4ème millénaire av. J.-C. Cette partie du sol iranien apparaît de fait comme l’une des régions les plus anciennes du pays. De nombreux vestiges historiques déterrés antérieurement dans les sites historiques de la province continuent d’étonner les historiens par leur singularité et l’intérêt qu’ils suscitent chez les spécialistes des civilisations anciennes et les préhistoriens. Le site le plus représentatif du passé glorieux de Kermân est incontestablement l’ancienne ville de Jiroft dont la civilisation date d’environ 2500 ans av. J.-C. D’autres sites importants de la province, dont le nombre atteint 283, sont répertoriés dans les registres de l’organisation du patrimoine culturel iranien. Malheureusement, la province a récemment été sujette à d’importantes inondations et des tremblements de terre violents à la suite desquels de nombreux sites historiques ont été touchés. Le plus catastrophique d’entre eux a en grande partie détruit la citadelle de Bam (Arg-e Bam), reconnue à ce jour comme étant la plus grande structure en terre séchée du monde. Ce monument unique fut entièrement détruit à la suite du tremblement de terre de l’an 2003 qui emporta avec lui des milliers de personnes. [2]

Plusieurs ruines anciennes et de nombreux objets intéressants ont été découverts par les archéologues sur le site de Jiroft

La racine du nom de la province de Kermân dérive du nom de l’une des dix premières tribus perses qui s’étaient installées au sud de l’Iran durant l’antiquité iranienne : les Pâsârgâdi, Mârâfi, Mâspi, Pântiâli, Deroussi, Mardi, Sâgârti, Daroupeiki Dâï, et enfin Caramania. Dans les manuscrits et les sources historiques fiables, on retrouve diverses appellations pour la ville de Kermân. On y fait référence sous les noms de Karmania, Kermânia ou encore Germania et même plus anciennement Go’asheer ou Bardesheer qui signifient pour la plupart, vaillance et lutte.

L’histoire de la fondation de Kermân est si ancienne que l’on attribue sa genèse aux légendes persanes. Dans la mythologie iranienne, dont l’exemple illustre est le Livre des rois ou Shâhnâmeh du poète iranien Ferdowsi, Keikhosrow (le roi légendaire de la Perse) accorda Kermân et Makrân à Rostam en guise de présent. On trouve également plusieurs passages dans l’Ancien Testament où apparaît le nom de Kermâniân en qualité de contrée persane. Selon Hérodote, les Iraniens ou Pârsiâns se partageaient en six groupes de peuplades citadines et rurales, et en quatre tribus nomades. Il classe par la suite les Germânians dans la catégorie des peuplades citadines. [3]

Plusieurs ruines anciennes et de nombreux objets intéressants ont été découverts par les archéologues sur le site de Jiroft

Sous les Achéménides, Cyrus II dit Cyrus le grand (559-529 av. J.-C.) fondateur de l’Empire achéménide, tua le gouverneur Balthazar et exila Nabonide, le roi vaincu, en Caramania [4], après avoir conquis Babylone en octobre 539. A l’époque de Darius (550-486 av. J.-C.), fils d’Hystaspès, roi le plus célèbre de l’histoire iranienne, le nom de Kermân apparait à plusieurs reprises dans les fresques, bas-reliefs et les inscriptions relatives au règne de ce roi achéménide. On y a retrouvé également des poutres édifiées à partir d’une forme particulière de bois. On reconnaît sur ces poutres le nom gravé de Kermân. Sur l’une des fresques, on peut lire que c’est Darius qui ordonna le transport des poutres de Kermân à leur lieu d’utilisation en insistant explicitement sur le nom de la ville.

Shâpour (240-272), fils d’Ardeshir Ier, fondateur de la dynastie sassanide devenu roi après la mort de son père, dénomma quant à lui les territoires de son royaume en utilisant la dénomination actuelle de la province de Kermân. Selon son optique, les territoires iraniens étaient les suivants : Parte, Parse, Khouzistân, Mishân, Ashour, Aziân, Arabestân, Azarbâdegân, Arminiâ, Sisgân, Kermân et Sistân. On y retrouve des vestiges importants qui appartiennent à l’époque sassanide, autrement dit entre 224 et 651, notamment Ghal’eh Dokhtar et Ghal’eh Ardeshir qui se situent à l’est de la ville actuelle de Kermân. Ces forteresses, dont il ne reste que quelques ruines, démontrent qu’à l’époque d’Ardeshir Bâbakân, l’emplacement de ces vestiges constituait le centre d’une cité importante. D’après les historiographes, au moment de l’expédition du roi sassanide Ardeshir vers cette contrée, elle aurait constitué la capitale du Kermân de l’époque sous le nom de Go’ashir. En outre, d’après Hérodote, elle était le quatorzième satrape de la Perse. [5] Go’ashir, d’après certains géographes, est aujourd’hui connue sous le nom de Kouh-e Ardeshir c’est-à-dire « mont d’Ardechir » ou de Bardeshir.

Mosquée de l’ancienne ville de Jiroft. Photo : Rezâ Roudneshin

Ahmad Khân Vaziri, auteur de l’ouvrage Joghrâfiâ-ye Kermân (La géographie de Kermân) affirme qu’environ 430 ans avant l’arrivée de l’islam (date qui coïncide avec la conquête de Kermân par Ardeshir), la contrée de Go’ashir était le centre de commandement de l’ensemble des régions méridionales et orientales du pays. Au fur et à mesure, un certain nombre d’habitations ordinaires déjà construites au pied des collines environnantes formèrent le cœur d’une ville qui allait bientôt s’étendre sur des centaines d’hectares, au cours des ères ultérieures à l’avènement de l’islam. Il a suffi d’un court laps de temps pour que l’on décide de construire une muraille protectrice autour de la ville "agrandie" pour en protéger les habitants, et ce du fait de l’insécurité que faisaient régner les brigands et les pillards sur les régions iraniennes. Cette barrière permit également de protéger les deux grandes forteresses de la ville, c’est-à-dire celle de Ghal’eh Dokhtar et de Ghal’eh Ardéshir qui constituaient les principales cibles des malfaiteurs.

A l’époque sassanide, Kermân était une région verdoyante qui jouissait d’un système d’agriculture bien développé et dont les habitants étaient parmi les plus fortunés du pays. L’abondance des temples du feu zoroastriens à cette époque souligne la position religieuse et politique centrale de cette province. Cette centralité religieuse et politique continua bon an mal an à l’époque islamique, en particulier sous le règne des Seldjoukides et des Safavides.

En l’an 641 et durant les années qui suivirent, la province de Kermân fut confrontée à l’occupation arabe - plus exactement jusqu’en 867, date qui marque l’avènement de Ya’qûb ibn Layth as-Saffâr dit Ya’qûb Layth, fondateur de la dynastie des Saffarides, qui occupa la région avant de régner sur la quasi majorité de l’Iran actuel en utilisant cette région comme base d’une expansion agressive vers l’est et l’ouest de l’Asie. A sa mort en 879, il avait déjà conquis le Khorâssân, mettant ainsi fin à la dynastie des Tâhirides en Iran. [6] La province de Kermân, comme d’autres grandes provinces iraniennes, se trouva dès lors sous l’emprise immédiate des pouvoirs naissants avant même la chute définitive de la dynastie régnante. Voilà pourquoi après l’écroulement de la dynastie saffaride, la province de Kermân devint l’un des lieux stratégiques qui tombèrent dans l’escarcelle de l’empire ghaznavide. Elle subira le même sort avec l’arrivée au pouvoir des dynasties samanide, bouyide, timuride, et seldjoukide.

Inscriptions proto-élamites du site de Jiroft découvertes au sein de la section Konar Sandal et datant d’environ 3000-2500 av. J.-C.

C’est au XIIIe siècle, plus précisément en 1222, que Kermân fut soumis au pouvoir des Kara-Khitans (Khitans noirs), une branche protomongole des Khitans qui étaient constamment en guerre contre les Seldjoukides, notamment après l’attaque de Gengis Khan et l’occupation du Khorâssân. Ils régnèrent sur le Khorâssân pendant presque un siècle, c’est-à-dire jusqu’en 1303. C’est vers la fin du règne des Kara-Khitans sur Kermân que Marco Polo visita cette province qui se situait sur son chemin de retour à travers la mer de Chine, l’Indonésie, puis l’océan Indien jusqu’à Ormuz. Après avoir traversé Kermân, il remonta l’Iran jusqu’à Tabriz, et de là il entra à Trébizonde, à Constantinople, en Grèce, pour mettre fin à son périple à Venise. [7]

Quand en 1792 Lotf ’Ali Khân, le dernier roi de la dynastie zend en Iran (1769-1794) fit face à Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr, fondateur de la dynastie du même nom, il s’enfuit vers Shirâz, sa capitale. Trahi par Hâjji Ibrâhim, son chancelier, il se tourna vers la ville de Kermân. Mais il fut par la suite encerclé par l’armée d’Aghâ Mohammad Khân pendant six mois. Quand la ville tomba aux mains de ce dernier, furieux à cause du soutien des Kermânis en faveur de Lotf ’Ali Khân, il ordonna d’aveugler tous les habitants liés de près ou de loin à cet épisode. Une vingtaine de milliers de globes oculaires vinrent former un terrifiant monticule organique devant le sanguinaire futur roi. Les femmes et les enfants devinrent des esclaves et la cité fut ruinée en quatre-vingt-dix jours. [8] Quant aux hommes, Aghâ Mohammad Khân envoya des centaines d’entre eux rejoindre l’armée de Mortezâ Gholi Khân à Téhéran, puis à Miandoâb, Sarâb et dans d’autres régions de l’Azerbaïdjan. Ceux-ci intégrèrent peu à peu la culture de leurs nouveaux lieux d’habitation. Ils créèrent des quartiers que l’on appela pendant longtemps "quartier des Kermânis". [9] Il en reste aujourd’hui encore quelques-uns sous le même nom dans certaines villes de l’Iran. Lotf ’Ali Khân, quant à lui, fut capturé à Bam et Aghâ Mohammad Khân lui creva les yeux de ses propres mains et l’emprisonna à Téhéran pour qu’il soit torturé à mort.

D’après les historiographes, cette province vécut des hauts et des bats au cours de son histoire. Selon Jean Oeben, historiographe orientaliste et auteur du livre Shâh Ne’matollah Vali Kermâni, en lisant l’histoire de Kermân, on devine l’histoire quasi-complète de l’Iran, compte tenu du fait que la ville a toujours été partie prenante d’une manière ou d’une autre dans tous les évènements historiques de ce pays. [10] Cela est principalement dû au fait que cette ville a toujours bénéficié d’un double privilège géographique, stratégique en sus de sa centralité politique et religieuse. Cette situation géopolitique particulière de Kermân faisait que les habitants étaient toujours en situation de défense ou qu’ils vivaient continuellement dans la peur d’une éventuelle contre-attaque des régions voisines. De là l’existence nombreuse des sâbâts, sorte de ruelles couvertes de toitures très basses qui empêchaient les chevaliers de s’y introduire à cheval. Ce qui donnait à la population le répit nécessaire pour fuir ou s’abriter au moment de l’attaque de l’ennemi. [11]

Bazar de la citadelle de Bam (Arg-e Bam), qui est la plus grande structure en terre séchée du monde

Kermân fait partie des provinces qui ont su conserver soigneusement leurs patrimoines nationaux. On peut y voir encore de nombreux caravansérails, citernes, hammams, souks, sâbâts et des ruelles intactes qui ont résisté au temps pour parvenir à notre XXIe siècle. Aujourd’hui, quand on se rend à Kermân, on y voit encore les traces des temps lointains intriquées dans la vie quotidienne des habitants. En effet, le peuple kermâni est très à cheval sur les rituels et les principes folkloriques et ethniques de sa région. Dans presque tous les ouvrages historiques consacrés à cette contrée, on retrouve le caractère hospitalier, convivial et altruiste des habitants de Kermân. Ils sont aussi connus pour leur croyance et leur sens du patriotisme. Dans l’histoire contemporaine de l’Iran, on lit que la révolution constitutionnelle de 1906 vécut ses premiers jours dans cette province, et que ce furent les étincelles des manifestations des Kermânis à l’initiative de Mirzâ Mohammad Rezâ, Imâm de la mosquée du vendredi de Kermân, qui ont provoqué le réveil des masses iraniennes et leur réaction vis-à-vis des gouverneurs de l’époque.

Après une période de stagnation historique durant le XXe siècle, la province de Kermân s’est progressivement remise sur pied grâce à un regain de vitalité (au cours des trente dernières années). Aujourd’hui, elle fait partie des provinces les plus importantes et les plus actives, notamment dans le domaine économique, l’agriculture, les mines et surtout la tapisserie. Elle compte parmi les plus importants centres de fabrication d’automobiles notamment grâce à Sirjan qui est devenu un lieu de passage des biens transférés ou importés depuis le Golfe persique. Il faut également noter que cette province est riche en eaux thermales, espaces verts, lacs, bassins et espaces naturels protégés, montagneux ou désertiques qui peuvent intéresser tout type d’aventuriers et de touristes. [12] Elle attire aussi les adeptes de tourisme culturel chaque année par ses attraits historiques et artistiques dont la Grande Mosquée, le complexe Gandj Ali Khân, le village Mâhân et la citadelle de Bam.

Notes

[1B.G.Gafurov, Central Asian:Pre-historic to Pre-Modern Times, éd. Shipra, 2005, pp. 53-5. L’ère dévonienne est une période géologique qui s’étend d’environ 419 à 358 millions d’années et qui est marquée par la formation des premiers tétrapodes et des amphibiens.

[2Percy, Sykes, A history of Persia, éd. Macmillan and Company, Londres, 1921, p. 75.

[3Ibid.

[4Khân Vaziri, Ahmad-’Ali, Târikh-e Kermân (Histoire de Kermân), éd. Elm, Téhéran, 2006, p. 1012.

[5Yâshâr, Ehsân, Rastâkhiz-e Irân va Zohour-e Zabân va adabiât-e melli (Renaissance de l’Iran et apparition de la littérature nationale), Bonyâd-e Motâléât-e Iran, no. 50, pp. 273-288.

[6Réf. Irâni, Akbar ; Mokhtârpour, ’Alirezâ ; Malekzâdeh, Elhâm, Sargozasht-e Saffârian dar Tarikh-e Sistân (Histoire des Saffarides dans Histoire de Sistân), éd. Ahl-e Ghalam, 2003, Téhéran.

[7Spuler, B., Die Mongolen in Iran, Berlin 1955, trad. Boyle, J.A., The history of the World-Conqueror, Manchester 1958, p. 65.

[8Kadjar, ’Ali, Les rois oubliés, l’épopée de la dynastie Kadjare, éd. Kian, Paris, 1992, pp. 77-80.

[9Bâstâni Parizi, Mohammad-Ebrâhim, Hozourestân, éd. Arghavân, Téhéran, 1990, p. 213.

[10Calmare, Jean, Jacqueline, "Les œuvres de Jean Oben, spécialiste de l’ère des Safavides (1927-1998)" (Titre persan : "Ketâb shenâsi-e Asâr-e Jean Oben safavieh shenâs faghid-e faransavi", trad. Mossadegh, ’Ali-Asghar, revue Ketâb-e mâh-e Târikh va dhogrâfiâ, 2000, no 37-38, pp. 8-11

[11Golâbzâdeh, Mohammad-’Ali, Kermân dar ayeneh-ye gardeshgari (Kermân au miroir du tourisme), éd. Markaz-e Kermân shenâsi Vali, Kermân, 2012 p. 14.

[12Réf. Roux, Jean-Paul, Histoire de l’Iran et des Iraniens, Fayard, Paris, 2006.


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2 Messages

  • Abrégé de l’histoire de la province de Kermân 15 février 2014 21:13, par hamdami_nejad

    tres bien fait et en detail pou moi kerman cest une ville donne beucoup des saint(e) dont moi fai parti un jour kerman serait connue par le mond entire puis,quo cest le centre de la revlation divine.

    goloire a diue au haut de cieux et paix sur la terre pour les homme qui l,ami

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  • Abrégé de l’histoire de la province de Kermân 27 avril 2014 20:00, par joseph_nejad

    la ville de kerman l’une de ville d’iran tres riche en art et coture et le tissage de tapis en realiter pour moic’est la ville de tout les saint puisque dans tres peu de temp le plus grand saint de tout les temp de dieu sortira de cette ville.................le sauveure de mond vient de l’iran et il est de kerman j’ai un certitude absolue et a tres bientout

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